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Section seconde

 

Table des matières

Grammaire générale

 

 

 

Section première. Analyse de la pensée

Chap. I. Des sensations

Chap. II. De l'entendement

Chap. III. De la volonté

Conclusion

Section seconde

Du langage d'action

1ière partie. Grammaire élémentaire

Chap. I-III

Chap. IV

2ième partie. De la syntaxe

Chap. I

Chap. II

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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SECTION SECONDE.

 

Deprehendat quæ barbara, quæ impropria, quæ contrà legem loquendi composita..... Præcipuè verò illa infigat animis quæ in œconomiâ virtus, quid in sensibus laudandum, quid in verbis. (Quintilian. lib. 1, cap. 5.)

La Grammaire est la première partie de l’art de penser.

 

208. Puisque la Grammaire est la science de la parole, soit prononcée soit écrite (1), il est facile de voir qu’elle est un système de mots qui représente le système que les idées ont dans l’esprit, lorsque nous voulons communiquer celles-ci dans l’ordre qu’elles ont entr’elles et avec les rapports que nous apercevons ; qu’elle est conséquemment une partie essentielle de l’art de penser ; que pour découvrir les principes du langage, il faut observer comment nous pensons, et chercher ces principes dans l’analyse même de la pensée ; et que cette analyse est toute faite dans le discours, avec plus ou moins de précision, selon que les langues sont plus ou moins parfaites, et que ceux qui les parlent ont l’esprit plus ou moins juste.

Les langues sont des méthodes analytiques.

 

209. Les langues sont donc autant de méthodes analytiques plus ou moins rigoureusement exactes, selon que ces langues sont |168 plus ou moins parfaites ; et, en cherchant quels sont les signes et quelles sont les règles de cette méthode, on découvre les élémens du langage et les règles communes à toutes les langues.

210. Mais avant de nous livrer à ces recherches relatives à la parole prononcée, ou à la parole écrite, nous jugeons convenable de parler du langage d’action, qui a dû précéder la formation de toutes les langues.

 

 

 

 

DU LANGAGE DE L’ACTION.

 

Nec Græca, nec Latina, nec barbara.... sine oris et linguæ organis, sine strepitu syllabarum. (S. Aug., Confes. 11. 3.)

En quoi con­siste le lan­gage d’action.

 

211. Le langage d’action consiste dans les gestes, les attitudes du corps ou de ses différens membres, dans les mouvemens et dans l’expression du visage, et dans les sons inarticulés : tels ont été les premiers moyens que les hommes ont eus et qu’ils ont employés pour se communiquer mutuellement leurs pensées (a) [1].

Attitudes du corps.

 

|169 212. Les attitudes du corps peuvent exprimer tous les sentimens de l’âme : elles peuvent peindre le désir ou le dégoût, l’attention ou l’indifférence, la confiance ou l’incertitude, le chagrin ou la joie, l’estime ou le dédain, et toutes les autres passions.

Mouvemens du visage et des yeux.

 

213. Mais la principale expression et l’éloquence de ce langage sont dans les mouvemens du visage et surtout dans ceux des yeux : ces mouvemens finissent un tableau que les attitudes n’ont fait que crayonner, et ils expriment les passions avec toutes les modifications ou les nuances dont elles sont susceptibles.

Cris, ou sons inarticulés.

 

214. Ce langage, tout expressif qu’il est, deviendrait inutile, si, par des cris, on n’appelait les regards et l’on n’excitait l’attention de ceux à qui l’on veut communiquer sa pensée. Ces cris, ou sons inarticulés, varient suivant les sentimens dont nous sommes affectés, sont les premiers accens de la nature, et n’expriment néanmoins qu’imparfaitement nos sentimens, puisqu’ils n’en font connaître ni la cause, ni l’objet, ni les modifications ; mais ils sollicitent à remarquer les attitudes et les mouvemens du corps, qui achèvent d’expliquer, jusqu’à |170 un certain point, ce que les cris ne faisaient qu’indiquer (a) [2].

Le langage d’action est une suite de la con­formation des organes.

 

215. Ces différens signes, dont se compose le langage d’action, sont une suite de la conformation des organes : conséquemment, plus il y a de différence dans la conformation des animaux, plus il doit y en avoir dans leur langage d’action respectif, et plus ces animaux doivent avoir de peine à s’entendre. De manière que ceux-là doivent être dans l’impossibilité de s’entendre, dont la conformation est tout à fait différente ; et que la communication la plus facile doit être entr’eux de la même espèce, parce que l’organisation est semblable.

La nature a donné les pre­miers signes de ce langage. Signes insti­tués.

 

216. C’est donc la nature qui nous a donné les premiers signes qui composent le langage d’action ; et c’est d’après ceux-là qu’on a imaginé les signes d’institution, c’est-à-dire, des signes choisis ou imaginés avec tant d’art que l’intelligence en soit toujours facile par leur comparaison et leur analogie avec les signes naturels, connus de tout le |171 monde. Car les signes institués doivent avoir avec les signes naturels une ressemblance marquée qui en facilite l’intelligence ; et c’est cette ressemblance qu’on appelle analogie.

Pantomimes chez les Ro­mains.

 

217. Ce langage, composé en partie de signes naturels, et en partie de signes institués, a été porté à un très-haut degré de perfection par les anciens Romains. Tout le monde sait que leurs pantomimes représentent des pièces entières sans proférer une seule parole. Or ce n’était pas en imaginant des signes arbitraires, qu’ils étaient parvenus à ce degré de perfection : car le peuple n’aurait pas compris de pareils signes, sans en faire une étude préliminaire, qu’il n’aurait certainement pas faite. Il fallait donc, qu’en prenant pour base les signes naturels entendus de tout le monde, les pantomimes imaginassent tous les signes accessoires dont ils avaient besoin, en suivant toujours l’analogie ; et les plus habiles étaient ceux qui prenaient cette analogie pour guide, avec le plus de sagacité, de précision et de fidélité.

Le langage d’action est plus rapide que les langues articu­lées.

 

218. Le langage d’action a l’avantage de la rapidité : celui qui le parle paraît tout dire instantanément et sans effort ; il offre toujours une multitude d’idées à la fois ; |172 les tableaux peuvent se succéder selon que l’exige la succession des pensées, mais chaque tableau est un ensemble d’idées simultanées. Avec nos langues articulées, au contraire, nous exprimons lentement et péniblement les idées l’une après l’autre, et nous paraissons embarrassés à faire entendre tout ce que nous pensons. Il semble même que ces langues, qui sont devenues pour nous une seconde nature, ralentissent l’action de toutes nos facultés. Nous n’avons plus ce coup d’œil rapide et prompt qui embrasse une multitude de choses à la fois, tant nous sommes accoutumés à l’expression successive des idées ; et nous ne savons plus voir que comme nous parlons, c’est-à-dire, successivement et progressivement.

Le langage d’action est aussi une méthode analytique.

 

219. Par tout ce que nous avons dit du langage d’action, il est aisé de se convaincre que, de même que nos langues articulées, le langage d’action est une méthode analytique plus ou moins parfaite ; puisque, pour se servir à propos des signes naturels, il a fallu analyser la pensée, et que, pour imaginer des signes d’institution fondés sur l’analogie, il a fallu perfectionner cette analyse de la pensée. L’accroissement des besoins, le développement des idées, une sensibilité |173 ou plus exquise ou plus exercée, ont fait sentir progressivement le besoin d’imaginer de nouveaux signes de convention analogues aux signes naturels : le langage d’action est donc une méthode analytique, comme les langues articulées ; et il a, comme elles, les mêmes causes de perfectionnement.

Le langage d’action em­ployé à l’ins­truction des sourds-muets.

 

220. Du temps des anciens Romains, la perfection du langage d’action ne servait qu’à l’amusement du peuple. De notre temps, un homme célèbre, l’abbé de l’Épée, l’a employé avec succès à l’instruction des sourds-muets. Cette entreprise, aussi épineuse que noble, si digne d’un vrai philosophe, d’un bon citoyen et d’un ami de l’humanité, a réussi au point que l’immortel instituteur est parvenu à communiquer aux sourds de naissance les idées les plus abstraites, et même à les leur faire communiquer à leur tour ; et il a ainsi corrigé, en quelque sorte, les erreurs ou les écarts de la nature dans un nombre considérable d’individus de l’espèce humaine.

Les langues ar­ticulées sont fondées sur les mêmes prin­cipes que le langage d’action.

 

221. C’est sur le modèle du langage d’action, ou du moins sur les mêmes principes, qu’ont été fondées les langues articulées ; car l’esprit humain n’a qu’une manière de procéder ; lorsqu’il fait une chose nouvelle, il la fait |174 sur le modèle d’une autre, qu’il avait déjà faite, en simplifiant les règles qu’il avait suivies ; et ainsi le langage d’action a préparé au langage des sons articulés. Celui-ci, ainsi que le premier, est fondé sur l’analyse, sur la nature et sur l’analogie ; et, comme celui-là, il s’est perfectionné à mesure que l’analyse s’est perfectionnée, que les besoins se sont multipliés et que les idées se sont développées. Si la nature nous laisse plus à faire relativement aux langues articulées que par rapport au langage d’action, elle nous guide cependant encore ; c’est d’après son impulsion qu’on choisit les premiers sons articulés, et c’est d’après l’analogie qu’on invente les autres à mesure qu’on en a besoin.

La Grammaire a pour objet l’ana­lyse de la pro­position.

 

222. C’est ainsi qu’ont été imaginées et perfectionnées toutes les langues. Et puisque toute personne qui parle a pour but d’exprimer sa pensée ; puisque, pour l’exprimer, elle énonce des propositions ; puisqu’enfin la Grammaire doit se borner à l’analyse de la proposition, c’est donc la proposition qu’il faut considérer pour développer tous les principes de cette science.

Proposition.

 

223. Or la proposition est un assemblage de mots qui expriment une pensée : les mots |175 sont donc les véritables élémens de la proposition.

Division de la Grammaire générale.

 

224. Nous considérerons d’abord les mots comme élémens de la proposition, c’est-à-dire, en eux-mêmes, ou isolés, et nous appellerons cette première partie Grammaire élémentaire. Ensuite nous considérerons les principes d’après lesquels les mots sont rassemblés pour former une proposition, et nous conserverons à cette seconde partie le nom de Syntaxe.

225. Et comme la Grammaire a pour objet tant la parole écrite que la parole prononcée, à mesure que nous développerons les principes relatifs, soit aux mots isolés, soit aux mots rassemblés, nous y appliquerons les principes respectifs de la parole écrite, ou de l’orthographe.

 


 

Notes

[1] (aHos natura modos primùm dedit.(Virg. Georg. lib. 2.)

[2] (aIncæptus clamor frustratur hiantes. (Virg. Æneid. 6. 493.)

 Verba intermissa retentat. (Ovid. Métam. 1. 747.)