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Grammaire générale

 

Table des matières

Grammaire générale

 

 

 

Section première. Analyse de la pensée

Chap. I. Des sensations

Chap. II. De l'entendement

Chap. III. De la volonté

Conclusion

 

Section seconde

Du langage d'action

1ière partie. Grammaire élémentaire

Chap. I-III

Chap. IV

2ième partie. De la syntaxe

Chap. I

Chap. II

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1]

 

 

GRAMMAIRE

GÉNÉRALE.

 

Définition.

 

1. LA Grammaire est l’art de la parole, soit prononcée, soit écrite.

Objet de la pa­role.

 

2. La parole a pour objet d’exprimer nos pensées : elle doit donc être, en quelque sorte, un tableau dont la pensée est l’original ; ce tableau doit être aussi fidèle que peut l’être la représentation sensible d’une chose immatérielle.

Analyse de la parole fondée sur celle de la pen­sée.

 

 

3. Ainsi, pour analyser la parole avec quelque succès, il faut savoir analyser la pensée, en considérant séparément et successivement les idées différentes qui en sont l’objet, et les rapports que notre esprit aperçoit entr’elles : d’où il suit que la science qui a pour objet l’analyse de la pensée est le fondement de la science grammaticale.

Quelle que soit une langue, ceux qui la parlent ne peuvent avoir pour but que d’exprimer des perceptions, des idées, des jugemens, des raisonnemens ; ils n’emploient la parole que pour communiquer leurs |2 pensées, avec leurs modifications et leurs rapports : ils assujettissent donc nécessairement la parole aux lois de l’analyse de la pensée, quoique cela se fasse le plus souvent sans qu’ils s’en aperçoivent.

La parole seul moyen de com­mu­ni­cation.

 

 

4. Or ces lois sont invariables, immuables, les mêmes dans tous les temps et dans tous les lieux. Sans cela, il n’y aurait, pour ainsi dire, aucun point de contact pour la pensée, entre les hommes de différens siècles et de différens pays, qui n’auraient entr’eux aucun moyen possible de communication ; et les contemporains eux-mêmes, habitant le même pays, ne pourraient se communiquer leurs pensées, même par le moyen souvent très-insuffisant du langage d’action, qui d’ailleurs est aussi fondé sur l’analyse de la pensée.

Principes fon­damentaux des langues.

 

 

5. Il y a donc des principes fondamentaux communs à toutes les langues ; et ces principes sont ceux de l’analyse de la pensée, fondés sur la nature de l’entendement humain, communs à tous les hommes, indépendans de toutes leurs institutions, et antérieurs à toutes leurs conventions, lesquelles, fondées, tantôt sur la nature, tantôt sur l’analogie, quelques-unes sur l’arbitraire, d’autres sur le hasard, ont présidé à la formation de toutes les langues.

Origine de la diversité des langues.

 

|3 6. Il n’est pas étonnant que ces conventions, variées de tant de manières, et souvent influencées par la diversité des climats et par une foule d’autres causes, aient donné naissance aux différens idiomes usités maintenant et à ceux qui l’ont été autrefois chez différens peuples.

Cette grande diversité des langages, tous destinés à exprimer les mêmes idées, a des causes naturelles et des causes accidentelles.

Causes natu­relles.

 

7. Parmi les causes naturelles, l’organisation particulière des organes de la parole dans les différentes races d’hommes influe sur le langage, parce que ces organes, à raison de leur différente structure, ne sont pas également propres aux mêmes intonations. Les consonnes sont principalement affectées de ces différences ; et les hommes à grosses lèvres et à langue longue sont privés de plusieurs d’entr’elles qu’ils remplacent par d’autres. Le climat occasionnant une grande variété dans les idées, des différences dans les affections, des nuances diverses dans les sensations, introduit naturellement la même diversité dans les langues : cette influence se fait surtout sentir dans la proportion entre les voyelles et les consonnes ; les voyelles sont plus fréquentes que les consonnes dans les pays |4 chauds ; et au contraire le nombre des consonnes l’emporte sur celui des voyelles dans les pays froids, parce que les sensations sont plus vives et plus promptes dans les premiers, et que les sensations simples s’expriment par de simples sons, par des émissions de voix.

Causes acci­dentelles.

 

8. Les causes accidentelles sont bien plus nombreuses, plus variées et plus difficiles à déterminer. On peut compter parmi celles qui ont le plus d’influence, l’état des arts, du commerce et des sciences ; la situation politique d’une nation ; ses relations plus ou moins fréquentes, plus ou moins étendues avec d’autres nations ou voisines ou éloignées ; les révolutions calmes ou orageuses, rapides ou lentes, heureuses ou funestes, qu’elle a éprouvées ; les opinions religieuses qu’elle a adoptées ; le degré de civilisation qui règle nécessairement le nombre des idées ; et enfin l’ordre dans lequel les idées sont déduites, et le point de vue d’où l’on part, ou pour donner un nom au premières idées, ou pour former des dérivés d’après ceux-là. Ainsi les Orientaux appelaient le soleil Bal ou Baal, parce qu’il est haut ; et les Latins, Sol, parce qu’il est unique dans notre système planétaire ; d’autres ont tiré son nom de sa forme, et d’autres de la chaleur qu’il répand. Les Espagnols appellent |5 une fenêtre ventana du mot viento, vent, parce qu’elle sert à introduire le vent ou à s’en garantir, selon qu’elle est ouverte ou fermée ; d’autres peuples, partant d’un autre point de vue, lui ont donné un nom différent. Les Latins ont formé leur mot judex du mot jus, droit ; les Allemands ont formé leur mot richter, qui signifie aussi juge, du mot recht qui a la même racine que rectus : l’analogie est la même de part et d’autre ; mais les uns sont partis d’une racine, les autres d’une autre ; les uns ont choisi tel point de vue, les autres un point de vue tout différent, et cela seul suffirait pour introduire une grande différence dans les langues.

Aucun mot n’est le signe né­ces­saire d’une idée ; il le de­vient par con­ven­tion.

 

9. D’après cela, il est aisé de concevoir pourquoi les différens peuples expriment une même idée, un même objet, par des mots différens. Aucun mot, en effet, ne peut être le signe essentiel, le symbole nécessaire de telle ou telle idée : il n’en devient le signe que par une convention libre que l’usage consacre. Et comme les premières peuplades vivaient isolées, séparées les unes des autres par de grandes distances, et qu’elles n’avaient entr’elles aucune communication, aucune relation, elles ne purent pas s’accorder et s’entendre sur les signes à |6 adopter pour exprimer chaque idée, chaque objet, c’est-à-dire, sur les mots : en sorte que chaque peuplade, guidée soit par la nature, soit par l’analogie, et obéissant à l’influence tant des causes naturelles (7) que des causes accidentelles (8), adopta les mots qui lui parurent convenables, qui furent adoptés par tous ceux qui la composaient, et restèrent inconnus à toutes les autres, souvent même aux plus voisines.

Influence des besoins sur les langues.

 

 

10. Les besoins des différens peuples durent influer aussi beaucoup sur les progrès, ainsi que sur la formation de leurs langues respectives. Ce n’a été qu’à mesure que les hommes ont senti le besoin de nommer souvent un même objet, d’exprimer une même idée, qu’ils ont senti aussi le besoin de créer, ou d’adopter un mot, pour exprimer cette idée, pour désigner cet objet. Nous voyons effectivement que les langues les plus abondantes et les plus riches sont celles des peuples qui ont des connaissances plus étendues, plus variées, et une sensibilité plus exquise et plus développée, parce qu’ils ont eu un plus grand nombre d’objets à nommer, beaucoup plus d’idées à exprimer, et une multitude de sensations à représenter avec toutes leurs nuances diversifiées. Il y a plus : l’abondance |7 des mots, la quantité des synonymes de chaque langue, dans telle ou telle classe d’idées, a dû dépendre de la nature des occupations habituelles du peuple qui la parlait ; parce que ce sont les occupations habituelles qui font naître les idées habituelles, et qui amènent le plus souvent le besoin de communiquer à ses semblables les pensées relatives à ces occupations. Aussi la langue d’un peuple pasteur a-t-elle été plus riche en expressions, en images, en tropes relatifs aux pâturages, au soin des troupeaux, aux délices et aux occupations de la vie champêtre : celle d’un peuple marchand a été plus féconde en termes relatifs au commerce, aux manufactures, aux transactions ; et ainsi des autres.

Perfectionne­ment successif des langues.

 

11. Mais ces mots, quels qu’ils soient, ne sont, dans aucune langue, le signe d’une idée, que par un effet de la convention adoptée par un peuple : et, quoiqu’il faille se soumettre à l’usage une fois établi et adopté, rien n’empêche que la même autorité qui l’a établi ne puisse y déroger dans la suite, pour substituer un autre mot ou plus expressif, ou plus conforme aux lois de l’analogie, ou plus harmonieux, ou plus simple. C’est sur cette faculté incontestable, sur les progrès de la civilisation, et sur le |8 développement successif des idées, occasionné par l’accroissement des besoins (9), qu’est fondé le perfectionnement des langues.

Principes com­muns à toutes les langues.

 

 

12. Distinguons donc, relativement aux langues, deux sortes de principes, les uns, universels, invariables, communs à toutes les langues, parce qu’ils tiennent à la nature même de la pensée, qu’ils sont le résultat des opérations de l’entendement, et qu’ils en suivent l’analyse.

Principes hy­po­thétiques.

 

 

13. Les autres, dépendant des conventions adoptées librement par les différentes nations, sont variables jusqu’à un certain point comme ces conventions, et n’ont conséquemment qu’une vérité hypothétique et contingente. (12, 34.)

Les premiers sont l’objet de la Grammaire générale ; mais une Grammaire particulière a pour objet d’appliquer les conventions ou les institutions, en vertu desquelles a été formée une langue, aux principes généraux et immuables de toutes les langues.

14. Puisque la parole doit être l’expression exacte de la pensée (2), et puisque l’analyse de la parole doit être fondée sur l’analyse de la pensée (3), il est convenable de nous occuper de l’analyse de la pensée avant de développer les principes de la Grammaire générale.