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Première partie. Chap. 4

 

Table des matières

Grammaire générale

 

 

 

Section première. Analyse de la pensée

Chap. I. Des sensations

Chap. II. De l'entendement

Chap. III. De la volonté

Conclusion

Section seconde

Du langage d'action

1ière partie. Grammaire élémentaire

Chap. I-III

Chap. IV

2ième partie. De la syntaxe

Chap. I

Chap. II

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

|314

 

 

CHAPITRE IV.

DE L’ESPÈCE GRAMMATICALE DES MOTS.

 

Quàm multæ species, et nomina quæ sint. (Virg., Geor.)

Mots indis­pen­sables pour énoncer un jugement.

 

387. Pour reconnaître les diverses espèces de mots dont est composé le discours, rappelons-nous que l’objet de la parole est toujours d’exprimer nos pensées, et qu’elle doit être un tableau dont la pensée est l’original (2, 208). Formons donc d’abord le tableau en raccourci du jugement le plus simple ; et nous verrons que, pour qu’il soit complet, il ne peut y avoir moins de trois mots. Car il en faut un pour désigner l’objet ou le sujet de la pensée ; un autre, pour exprimer la qualité ou la modification qu’on remarque dans le sujet ; et un troisième, pour exprimer la convenance ou la disconvenance que notre entendement aperçoit entre la modification et le sujet, c’est-à-dire, la liaison de ces deux idées, ou la copule, comme on l’appelait autrefois.

Si je dis, par exemple : Socrate fut sage ; voilà le tableau complet d’une pensée, d’un jugement. Socrate est le sujet du tableau ; |315 sage désigne une qualité d’un homme quelconque, dont la conduite et les principes sont conformes à la raison ; fut exprime le rapport que j’aperçois entre Socrate et cette qualité ; ce mot complète le tableau, en liant les parties qui le composent.

Le substantif.
Le verbe.


L’adjectif.

 

388. De ces trois mots, le premier est le nom d’une substance ; c’est donc un substantif ; le second est appelé verbe, du mot latin verbum, comme qui dirait la parole, le mot par excellence, sur lequel roulent toute la force et toute l’énergie du tableau, puisque c’est lui seul qui en unit toutes les parties ; le troisième exprime une qualité, une modification, c’est un adjectif, mot formé du mot latin adjectus, ajouté, parce que tous les mots semblables s’ajoutent à un substantif pour désigner les qualités qu’on y aperçoit ; ou, pour mieux dire, parce qu’ils ajoutent à l’idée de la substance exprimée par le substantif, la connaissance de ses qualités ou de ses modifications.

L’article.

 

389. Mais toutes les énonciations de jugement, ou toutes les propositions, ne sont pas aussi simples que la précédente. Si, à la place du sujet Socrate, nous mettions le substantif homme, le sujet de la proposition ne serait plus déterminé d’une manière |316 aussi précise, puisque le mot homme, étant le nom d’une espèce, peut convenir à tous les individus de cette espèce et n’en désigne aucun en particulier. Toute autre proposition, dont le sujet serait un nom commun, aurait la même indétermination, comme celles-ci : peuple est libre, nation est généreuse, couleur est vive, arbre est vigoureux ; et pour tirer ces propositions de ce vague indéterminé, on est obligé de dire : le peuple est libre ; la nation est généreuse ; la couleur est vive ; l’arbre est vigoureux. Les mots le, la, sont des articles.

Les pronoms.

 

390. Lorsque plusieurs propositions de suite sont relatives au même sujet, on ne répète pas dans chacune le nom de ce sujet ; on met à sa place d’autres mots qu’on appelle, par cette raison, pronoms ; comme qui dirait : vice-noms, ou tenant la place des noms :

       Telle est la montre qui chemine
A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein.
       Ouvrez-la, lisez dans son sein ;
Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde,
       La première y meut la seconde,
Une troisième suit ; elle sonne à la fin.
Au dire de nos gens, la bête est toute telle. (La Font., liv. 10, f. 11.)

|317 Les mots différenciés la, son, y, elle sont des pronoms : ouvrez-la, pour : ouvrez la montre ; son sein, pour le sein de la montre ; y pour dans la montre ;  elle sonne, pour la montre sonne.

Participes.

 

391. Certaines qualités, ou modifications de substance, ne sont pas inhérentes à la substance, mais passagères ; elles ne s’y trouvent pas par un effet de la nature même du sujet, mais par un effet de sa volonté ; elles sont d’une nature différente de celles qui sont exprimées par des adjectifs (388). Dom Quichotte s’en allait chevauchant ; la vertu est estimée ; chevauchant exprime une action qui est l’effet de la volonté du sujet, Dom Quichotte. Le mot estimée exprime une qualité qui affecte le sujet, vertu ; si l’on voulait exprimer cette qualité comme inhérente à la vertu, on dirait qu’elle est estimable. Elle est estimable par elle-même ; elle ne peut être estimée que par autrui.

De même, si l’on dit de quelqu’un : il est touchant, on exprime une qualité de celui de qui l’on parle ; on veut dire qu’il excite la sensibilité de ceux qui l’approchent ; ce mot est alors un adjectif (388). Mais si l’on dit : touchant la guitare, on exprime une action du sujet ; le mot touchant, qui est le |318 même dans les deux phrases, est ici un participe, comme le sont chevauchant et estimée.

Prépositions.

 

392. Tout est en harmonie dans la nature, tout y est lié ; chaque être a une multitude de rapports avec les autres ; et l’on ne peut conséquemment avoir une juste idée de ces êtres sans y joindre celle de leurs rapports. il faut donc des mots qui expriment ces différens rapports, pour former le tableau développé de nos pensées ; comme dans ces vers :

Comme l’on voit les flots soulevés par l’orage
Fondre sur un vaisseau qui s’oppose à leur rage,
Le vent avec fureur dans les voiles frémir,
La mer blanchir d’écume et l’air au loin gémir. (Homère.)

Par exprime un rapport de la cause à l’effet ; sur, un rapport de situation ; à, avec, dans, de, expriment aussi chacun un rapport ; nous rechercherons dans la suite la nature de ces rapports, et nous les classerons. Ces mots sont des prépositions. Qu’on essaie un instant de les supprimer, et l’on aura une suite de mots qui ne formeront aucun sens ; nulle dépendance des uns aux autres ; nulle liaison ; nul tableau.

Adverbes.

 

393. La même qualité, la même action, |319 le même état peuvent avoir des nuances différentes. Deux substances n’ont pas la même modification dans le même degré ; deux sujets ne s’acquittent pas également de la même action, ni le même sujet dans des circonstances différentes. De là la nécessité d’avoir des mots qui expriment ces nuances différentes ; tels sont sagement, constamment, bien, mal, etc.

       Pour guérir radicalement
De je ne sais quel mal qui, je ne sais comment,
       Vous fait souffrir et vous chagrine,
       Prenez-moi bien subitement
Je ne sais pas combien, ni de quelle racine,
       Mettez le tout bien chaudement,
       Ou sur l’épaule, ou sur l’échine ;
       Vous guérirez je ne sais quand.
       Maint grand docteur en médecine
       Ne vous dirait pas autrement. (Bruzeu de la Martinière.)

Tous les mots différenciés sont des adverbes, ainsi appelés des deux mots latins ad verbum, auprès d’un mot, parce qu’ils sont placés auprès des mots pour exprimer ou une circonstance, ou une nuance de l’idée signifiée par ce mot.

Conjonctions.

 

 

394. Une pensée doit souvent être jointe |320 à d’autres qui l’éclaircissent, qui la développent, qui la restreignent, ou qui l’embellissent ; il faut donc encore d’autres mots qui puissent lier ces pensées, sans y ajouter par eux-mêmes aucune autre idée accessoire que celle de la liaison particulière qu’on a en vue, comme nous le verrons dans la suite : ces mots sont les conjonctions, mot dérivé des deux mots latins cum junctio, avec jonction ; tels sont et, car, mais, que, etc.

Interjections.

 

395. Enfin notre âme, vivement émue par un sentiment quelconque, manifeste souvent son émotion par des cris qu’inspire la nature : tels sont ah ! hélas ! ahi ! etc. Ces mots sont des interjections, mot dérivé de deux mots latins inter jactus, entre jeté ; et ils sont ainsi nommés, parce qu’ils sont jetés au milieu du discours par un effet du sentiment (a) [1].

|321

      Hélas ! on voit que, de tout temps,
Les petits ont pâti des sottises des grands. (La Font., liv. 2, f. 4.)

Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?
       Ai-je passé le temps d’aimer ? (Liv. 9, fab. 2.)

Ah ! Brutus, es-tu né pour servir sous un maître ? (Volt., Mort de César.)

Hélas ! l’état horrible, où le ciel me l’offrit,
Revient, à tout moment, effrayer mon esprit. (Racine, Androm.)

En tout dix espèces de mots néces­saires pour l’ex­pression de nos pensées.

 

396. Voilà donc en tout dix espèces de mots nécessaires pour l’expression de nos pensées. Les voici réunies presque toutes dans ces vers de Voltaire :

Du dieu qui nous créa la clémence infinie,
Pour adoucir les maux de cette courte vie,
A placé parmi nous deux être bienfaisans,
De la terre à jamais aimables habitans,
Soutiens dans les travaux, trésors dans l’indigence ;
L’un est le doux Sommeil, et l’autre est l’Espérance. (Henriade, ch. 7.)

Dieu, clémence, maux, vie, êtres, terre, habitans, soutiens, travaux, trésors, indigence, sommeil, espérance, sont des substantifs.

|322 Créa, adoucir, a, est, sont des verbes.

Infinie, courte, cette, bienfaisans, aimables, deux, sont des adjectifs.

Le (dans du pour de la [sic]), la, les, l’ pour la, sont des articles.

Placé est un participe.

De (dans du pour de la [sic]), pour, de, parmi, de, à, dans, sont des prépositions.

Jamais est un adverbe.

Et est une conjonction.

Classification des grammai­riens grecs.

 

397. Les grammairiens grecs distinguaient les mêmes espèces de mots, excepté qu’ils comprenaient les interjections dans la classe des adverbes.

Des latins.

 

Les latins n’en diffèrent qu’en ce qu’ils n’ont point d’articles, du moins aussi bien distingués et aussi souvent employés que les nôtres, et que nous faisons comme eux une classe à part des interjections.

Utilité des ob­servations géné­rales sur l’em­ploi des mots.

 

398. Voilà donc les instrumens de la manifestation de nos pensées, que l’analyse de la parole nous a fait découvrir. Des instrumens ne peuvent être bien connus que par leur emploi ; il faut les éprouver, les observer. On doit donc considérer les différens emplois des mots dans les diverses langues, comme des phénomènes grammaticaux, de l’observation desquels on peut s’élever à la |323 généralisation des principes et aux notions universelles.

399. Après de telles observations, ces questions se présentent les premières. Pourquoi y a-t-il dix espèces de mots ? Pourquoi n’y en a-t-il ni plus, ni moins ? Et, en admettant qu’il ne puisse y en avoir que ce nombre précis, pourquoi ces espèces-là et non pas d’autres ?

Nécessité des dix espèces de mots pour l’ex­pression com­plète de nos pen­sées.

 

400. Nous avons déjà vu, dans ce chapitre, qu’il faut au moins trois mots pour exprimer les pensées les plus simples, ou qu’il faut la valeur implicite de trois mots (387) ; mais que, pour l’expression de la plupart de nos pensées, avec leurs liaisons (394), leurs rapports (392), leurs nuances (393, 391), leurs développemens (395), et enfin avec une précision plus déterminée (389), on a nécessairement besoin de dix espèces de mots. Nous avons donc répondu d’avance à ces questions.

Mots divisés en deux grandes classes. Mots variables ou dé­clinables.

 

401. Mais ne pourrait-on pas ramener ces dix espèces de mots à un petit nombre de classes ?

D’abord, si nous considérons le matériel des mots, nous pourrons les diviser en deux grandes classes, celle des mots variables ou déclinables, et celle des mots invariables ou |324 indéclinables. Car, en considérant les substantifs cités ci-dessus (396), je vois que de Dieu on peut faire Dieux ; de mal, maux ; de vie, vies, etc. ; que des verbes créa, adoucir, a, est, on peut former des inflexions différentes, propres à marquer les diverses relations de ces mots à l’ordre de l’énonciation (386) ; qu’il en est de même des adjectifs infinie, courte, etc. ; du participe, placé, etc., etc. Tous ces mots ont donc des inflexions, ou des terminaisons différentes relativement aux idées accessoires ou de genre, ou de nombre, ou de temps, que l’on veut exprimer concurremment avec l’idée principale que signifie chacun d’eux. Ils sont donc variables, ou déclinables.

Mots inva­riables ou in­déclinables.

 

Au lieu que les prépositions de, pour, à, dans, l’adverbe jamais, la conjonction et, et les interjections, s’il y en avait quelqu’une dans l’exemple cité, ne changent jamais de terminaison, ne sont susceptibles ni de genre, ni de nombre, ni de temps (386) : tous ces mots sont donc invariables, ou indéclinables.

402. Peut-être cette différence, bien marquée dans le matériel des mots, les uns déclinables, les autres indéclinables, tient-elle à la nature même de ces mots, ou, pour mieux dire, |325 à la nature des idées que chacune de ces classes de mots est destinée à exprimer respectivement : ce qui est d’autant plus probable, que les espèces de mots, variables ou invariables, sont les mêmes dans toutes les langues, tant anciennes que modernes.

Mots signi­fi­catifs abso­lument.

 

403. On peut encore les considérer sous un autre point de vue, qui les divisera pareillement en deux classes bien distinctes. Si nous considérons séparément et isolément les mots qui composent les vers de Voltaire, cités ci-dessus (396), nous reconnaîtrons facilement que les substantifs Dieu, clémence, etc. ; les verbes créa, adoucir, etc. ; les adjectifs infinie, courte, etc. ; et le participe placé, conservent encore un sens et réveillent une idée bien distincte dans notre entendement, lors même qu’ils sont considérés tout seuls : ils ont donc une signification par eux-mêmes, une signification absolue.

Mots signi­fi­ca­tifs relative­ment.

 

Au lieu que les mots de, pour, dans, avec, la, etc. ; n’ont aucun sens par eux-mêmes, et n’acquièrent une signification que par leur réunion à d’autres mots : ils n’ont donc qu’une signification relative.

404. Cette classification des mots en mots significatifs absolument et en mots signi- |326 ficatifs par relation, est encore fondée sur la nature des mots de toutes les langues, tant anciennes que modernes ; et en cherchant à remonter par l’analyse jusqu’à la cause de cette différence, qui doit être fondée probablement sur la nature des idées, puisqu’elle est universelle, on parviendrait peut-être à des résultats lumineux et importans, qui répandraient un grand jour sur les principes fondamentaux de toutes les langues ; outre que ces spéculations, intéressantes par elles-mêmes, exerceraient notre entendement d’une manière tout à la fois utile et agréable.

Mots divisés en substantifs et en modifi­catifs.

 

405. Mais envisageons les mots d’une manière plus générale encore. Les mots ne sont et ne peuvent être que les images des choses, c’est-à-dire, que les signes des idées que nous avons des choses, puisqu’autrement ils ne signifieraient rien ; ce ne seraient plus des mots : or, dans les choses, tout est ou substance, ou modification, puisqu’il n’y a dans la nature que des substances, ou des manières d’être ; donc les mots, quels qu’ils soient, ne peuvent être que des noms de substance, ou des noms de modification, ce dernier mot étant pris dans sa signification la plus étendue : ils sont donc |327 divisés, par la nature même des idées qu’ils expriment, en substantifs, et en modificatifs.

406. Examinons en détail si cette division simple, lumineuse, fondée sur la nature, peut s’appliquer en particulier à chacune des dix espèces de mots, dont nous avons parlé (388, 395).

 

 

 

 

ARTICLE PREMIER.

DES SUBSTANTIFS.

 

Disce docendus adhùc quæ censet amiculus, ut si
Cæcus iter monstrare velit ; tamèn aspice si quid
Et nos quod cures proprium fecisse loquamur. (Horat., epist.)

Ce que
c’est que substance.

 

407. Nous avons cherché ailleurs (108, 109) à nous faire une idée aussi claire qu’il est possible de ce qu’on entend par substance : nous ne reviendrons donc pas sur cet objet. Observons seulement que les philosophes, qui ont voulu pénétrer plus avant dans la nature de ce que nous appelons substance, n’ont saisi que des phantômes et n’ont recueilli que des erreurs : ils ont cru voir ce quelque chose que nous nous représentons, et ils n’ont rien vu. Bornons-nous donc à |328 saisir la signification de ce mot, et à n’entendre par substance qu’un soutien de qualités, ou de modifications ; et soyons persuadés que ceux qui ont donné à ce soutien le nom de substance, l’auraient nommé autrement, s’ils avaient pu le connaître tel qu’il est.

Substantifs.

 

408. Du mot substance on a formé le mot substantif, pour désigner, en général, tout nom de substance.

Substantifs physiques.



Noms propres ou individuels.

Noms appel­latifs ou com­muns.

 

409. Parmi les substantifs, les uns désignent des êtres existans dans la nature, et par la nature seule, tels que soleil, chêne, rose, etc. On peut les appeler substantifs physiques. Pareillement astre, arbre, fleur sont des substantifs physiques ; mais il y a cette différence que chacun des trois premiers n’est appliqué qu’à un seul individu, supposé qu’il ne soit question que du soleil de notre système planétaire, du chêne sous lequel on est assis et de la rose qu’on tient à la main : ceux-là sont donc des noms propres ou individuels. Au lieu que les substantifs astre, arbre, fleur servent à donner une appellation commune à tous les astres, à tous les arbres, à toutes les fleurs : ce sont des noms appellatifs ou communs.

Substantifs artificiels.

 

410. D’autres substantifs désignent les différens produits de nos arts, ou de notre |329 industrie : nous employons les matériaux fournis par la nature, et nous en changeons la forme de différentes manières : nous faisons une épée, une bague, un vaisseau, etc. Nous pourrions appeler les noms de ces différens produits des arts des substantifs artificiels. On avait fait jadis une Durandal pour un ancien chevalier ; Gygès avait, dit-on, une bague particulière, et les argonautes avaient construit le vaisseau Argo. Ainsi, parmi les substantifs artificiels, il y a aussi des noms communs et des noms propres.

Substantifs abstraits.

 

411. Quelquefois nous considérons un attribut, ou une qualité, sans faire attention à la substance qui en est modifiée : nous séparons, par exemple, d’un oiseau, la faculté de voler ; d’une surface, la propriété d’être blanche ; de l’âme, la qualité d’être modérée : et considérant ces trois modifications abstractivement, c’est-à-dire, en elles-mêmes et sans faire attention aux sujets auxquels elles sont unies, nous apercevons qu’elles sont elles-mêmes susceptibles de modifications ; que la faculté de voler, par exemple, peut être plus ou moins grande ; que la blancheur d’une surface peut être plus ou moins éclatante, etc. ; et de cette manière nous formons les substantifs |330 vol, blancheur, modération. Voilà donc une troisième espèce de substantifs, que nous nommons abstraits, parce que ces qualités existent dans notre esprit comme séparées de tout sujet, et que nous ne formons ces substantifs que par abstraction (86, 87).

Les substan­tifs sont des noms de genres et d’es­pèces.

 

412. Si nous n’avions pour substantifs que des noms propres, il en faudrait autant qu’il y a d’individus dans chacune des trois espèces dont nous venons de parler : cette multitude de mots, en surchargeant la mémoire, rendrait impossible l’ordre qui doit régner dans les objets de nos connaissances, dans nos idées et dans nos discours. Il a donc fallu donner des noms communs aux genres et aux espèces ; et de là s’établit entre les substantifs une subordination qui rend les uns plus généraux, c’est-à-dire, communs à un plus grand nombre d’individus, et les autres moins généraux, c’est-à-dire, communs à un plus petit nombre d’individus (121, 122).

413. Ainsi, parmi les substantifs physiques, animal désigne un genre ; quadrupède, une espèce ; chien, une espèce inférieure ; barbet, une espèce inférieure encore à celle-ci ; Laridon, un individu.

Parmi les substantifs artificiels (410), |331 arme désigne un genre ; arme offensive, une espèce ; épée, une espèce subordonnée à celle-ci ; Durandal, un individu de cette espèce.

Parmi les substantifs abstraits (411), mouvement exprime un genre ; vol, une espèce, et tel ou tel vol particulier, un individu.

Manière dont se forment les idées de choses, d’or­dres et d’es­pèces.

 

414. Ces classes, ordres et espèces ne sont pas dans la nature, où il n’y a que des individus ; nous n’avons pu nous en former des idées que par abstraction, et pour exprimer par un seul mot le résultat de nos observations. Nous avons observé, par exemple, que tous les barbets, tous les chiens, tous les quadrupèdes, tous les oiseaux, tous les poissons avaient certaines propriétés communes, et nous avons exprimé ces propriétés communes par le mot animal, que nous appliquons à tout individu qui les a. Il en est de même des autres classes, genres, ou espèces, dont les noms ne désignent que les propriétés que nous avons remarquées dans les individus qui y sont respectivement compris. Car, ne pouvant raisonner sur les substances, qu’autant que nous avons des signes, ou des mots qui déterminent le nombre et la variété des propriétés que nous y avons remarquées, |332 il a fallu réunir celles-ci dans des idées complexes, comme nous les réunissons hors de nous dans des sujets, et en fixer les collections par des signes, par des mots, qui sont comme des liens qui les empêchent de s’échapper de notre entendement, et qui les réveillent au besoin.

Le nom d’une classe est com­mun à toutes les espèces in­férieures.


Le nom d’un in­di­vidu n’est propre qu’à lui seul.

 

415. Il résulte de là que le nom d’une classe peut s’appliquer à chacun des individus qui composent toutes les espèces subordonnées : ainsi un quadrupède est un animal ; un poisson est un animal ; un oiseau est un animal, etc. ; que le nom d’une espèce convient à tous les individus de toutes les espèces subalternes : ainsi un cheval est un quadrupède, de même que l’est un bélier, un éléphant, un chien, etc. ; que le nom d’une espèce inférieure convient à tous les individus qui la composent : ainsi Eoüs est un cheval, Rabican est un cheval, Bride-d’or est un cheval, etc. ; Socrate, Pithagore, Platon, Cicéron sont chacun un homme complet et distinct. Au lieu que le nom d’un individu ne peut convenir qu’à lui seul, parce qu’il n’y a point d’autres êtres subordonnés à l’individu, et qu’il doit être indivis par son nom comme il l’est par sa nature.

416. Nous avons déjà dit (412) que tous |333 les substantifs, excepté les noms propres ou individuels, sont des noms communs, c’est-à-dire, des noms de classe, de genre, ou d’espèce plus ou moins étendue, plus ou moins subordonnée. Ajoutons quelques développemens à cette idée.

Pourquoi la plu­part des sub­stan­tifs sont des noms communs et non pas des noms propres.

 

Si tous les substantifs étaient des noms propres, comme il n’y a que des individus dans la nature (314), il n’y aurait point de mot qui pût s’appliquer à plus d’un individu. Or que résulterait-il de là ? Que le nombre des individus étant infini, il faudrait, pour former une langue parfaite, que le nombre des mots le fût aussi ; que, dans cette hypothèse, il surpasserait la capacité des hommes les plus habiles ; que, chaque individu n’ayant qu’une existence passagère, les mots par lesquels les hommes qui nous ont précédés désignaient ces individus, nous seraient aussi inconnus que les voix mêmes de ceux qui parlaient ; que le langage, non-seulement serait tout différent d’une ville à l’autre, mais qu’il changerait même à tout instant, dans chaque ville, puisque les individus changent à tout instant ; qu’il serait impossible de faire une proposition générale, puisque tous les termes seraient particuliers, et que conséquemment le langage |334 ne pourrait être employé à la communication des vérités générales, ni servir aux sciences qui ne sont que les résultats de propositions générales.

Les mots sont les signes des idées géné­rales.

 

417. Puisque les noms communs ne sont pas les signes des objets extérieurs pris individuellement, ils sont donc les signes de nos idées : car s’ils ne signifient pas les objets existant hors de nous, dans la nature, ils ne peuvent représenter que nos idées. Ils ne représentent même que des idées générales (130), celles qui sont communes à plusieurs individus, non-seulement à ceux qui existent actuellement, mais même à ceux qui ont existé dans les siècles passés, ou qui existeront à l’avenir. Le mot homme, par exemple, est le signe de l’idée complexe qui renferme les propriétés communes à tous les hommes de tous les siècles et de tous les pays : il en est de même des mots chien, cheval, éléphant, etc.

Conséquences qui en ré­sultent.

 

418. Il résulte de cette signification des noms communs qu’ils peuvent être employés pour désigner tous les individus semblables, passés, présens et futurs ; de manière que, quoique le nombre de ces individus soit infini, et qu’ils n’aient chacun qu’une existence passagère et fugitive, les noms ne |335 changent pas comme les individus, et que le langage repose sur une base positive et solide ; et que conséquemment il est propre à l’expression des vérités générales ainsi qu’aux démonstrations des sciences et des arts.

Comment, avec des noms com­muns, on ex­prime des idées par­ticu­lières ou des in­di­vi­dus.

 

419. Mais si les substantifs expriment presque tous des idées générales, comment donc peut-on désigner des individus, ou exprimer des idées particulières, avec des noms communs ou généraux ?

C’est ici l’un des artifices les plus ingénieux de l’art de la parole, qui, avec un petit nombre de modificatifs, convenablement appliqués aux noms communs, ou aux termes généraux, fait servir ces derniers, dont le nombre est borné, à l’expression précise d’une infinité d’objets particuliers, ou individuels.

Prenons pour exemple le nom commun homme. L’homme (pour le homme) désigne toute l’espèce humaine, l’homme naît, il vit quelques instans, il souffre, il meurt. Si je veux désigner un individu de cette espèce comme inconnu, je dis un homme ; s’il est connu par quelque circonstance antérieure, je dis : l’homme qui, etc., en expliquant cette circonstance ; je dis, d’une manière vague, certain homme ; est-il présent et près de moi ? |336 cet homme-ci ; est-il présent et loin de moi ? cet homme là ; je dis en nombre déterminé, dix, vingt, cent hommes ; en nombre indéterminé, quelques ou plusieurs hommes ; si je parle de chaque individu d’une multitude d’hommes pris distributivement et dans un sens positif, je dis chaque homme ; chaque individu est-il pris négativement, je dis nul homme ou aucun homme ; en prenant les individus par ordre, je dis le premier, le dixième, le centième, le dernier ; toute la multitude prise collectivement s’exprime ainsi : tous les hommes, etc., etc.

Ainsi, quoique tous les substantifs, excepté les noms propres, soient les signes des idées générales, ils le deviennent aussi des idées particulières, en leur associant convenablement quelques-uns des modificatifs dont nous parlerons dans l’article suivant.

Les pronoms personnels sont des substantifs.

 

420. Puisque nous appelons substantif tout nom de substance (408), c’est-à-dire, tout mot qui désigne ou un être physique (409, 410), ou un être intellectuel (411), il faut ranger dans cette classe ceux que l’on nomme communément pronoms personnels, je, me, moi, tu, te, toi, nous, vous, il, elle, lui, ils, elles, eux, et qui en effet expriment toujours une chose, ou un individu, une véritable substance.

Ce ne sont pas de vrais pro­noms ; ils ex­priment une re­lation per­son­nelle à l’acte de la parole.




Substantifs personnels.

 

|337 421. Ces mots, au moins ceux de la première et de la seconde personne, ne sont pas mis seulement à la place des noms ; ce ne sont pas de simples vice-noms, puisque le sujet qu’ils expriment n’est pas déterminé par le ressouvenir de la chose précédemment nommée, comme cela doit être dans tous les vrais pronoms. Le sujet y est toujours déterminé par l’idée précise d’une relation personnelle à l’acte de la parole. Les mots dont nous parlons sont donc de vrais substantifs ; ils sont réellement dans la classe des substantifs physiques (409) ; mais attendu qu’ils ne sont pas employés précisément pour désigner la nature du sujet qu’ils expriment, comme les substantifs physiques et artificiels (409, 410), ni pour exprimer les sujets dont nous n’avons pu nous former une idée que par abstraction (411) ; mais que leur principal emploi est d’exprimer l’idée précise d’une relation personnelle à l’acte de la parole, on peut les appeler substantifs personnels, pour les distinguer de ceux des trois autres espèces.

Ils peuvent seuls exprimer la relation per­son­nelle à l’acte de la parole.

 

422. Il est vrai que les substantifs personnels ne sont pas des pronoms, que l’on ne peut souvent mettre à leur place, ni les noms propres des personnes qui sont ou le sujet ou l’objet de la conversation, ni ceux |338 des interlocuteurs. Supposons, en effet, une conversation entre deux personnes inconnues l’une à l’autre : comment celui qui parle, adressera-t-il la parole à l’autre, dont il ne sait pas le nom ? Comment fera-t-il connaître qu’il parle de lui-même, soit qu’il dise son nom, soit qu’il ne le dise pas ? Quand bien même ces deux personnes connaîtraient leurs noms respectifs, elles seraient souvent exposées à des méprises dans leurs entretiens. Que l’un dise à l’autre, par exemple : Charles prie Thomas de lui prêter son cheval. Quel est ce Charles ? Est-ce celui qui parle, ou un autre ? Le sujet désigné par Thomas est également indéterminé, à moins que l’interlocuteur n’indique par ses gestes que c’est lui qui est Charles, et que Thomas est celui à qui il s’adresse. Les noms propres ne peuvent donc pas alors remplacer les substantifs personnels ; ceux-ci ne sont donc pas à la place des noms ; conséquemment ce ne sont pas des pronoms, et la phrase n’est sans ambiguité, n’est bien claire et bien précise qu’en employant les substantifs personnels pour exprimer la relation de chaque interlocuteur à l’acte de la parole (a) [2].

 

 

|339 En disant : je vous prie de me prêter votre cheval, tout devient clair, il n’y a pas d’amphibologie. Le mot je exprime que celui qui parle est le même qui prie, qu’il est le sujet de la proposition ; et le mot vous indique que c’est à celui à qui il adresse la parole qu’il demande le cheval. On voit par ce seul exemple comment les substantifs personnels indiquent d’une manière bien précise la relation de chacun à l’acte de la parole, ou le rôle que joue chaque interlocuteur.

 

 

423. Lorsque la personne qui parle n’est pas le sujet de la proposition, ce peut être celle à qui elle s’adresse, ou le troisième objet différent de ces deux-là : dans le premier cas, elle désigne ce sujet par tu ou vous : tu as eu tort dans cette circonstance ; vous avez mal fait de refuser. Dans le second cas, on désigne le sujet par les mots il ou elle, ils ou elles.

Nombres des substantifs per­sonnels.

 

424. Les substantifs personnels ont les deux nombres, comme tous les autres |340 substantifs : je, me, moi, font au pluriel nous, lorsque plusieurs personnes parlent à la fois, comme étant du même sentiment, ou que celui qui parle comprend dans son discours tous ceux qui sont de la même opinion que lui. Tu, te, toi, font au pluriel vous, parce que le discours peut s’adresser à plusieurs, aussi bien qu’à un seul. Il, elle, lui, le, la, font au pluriel ils, elles, eux, leur, parce qu’on parle souvent de plusieurs à la fois.

Motif de leur ancienne dé­no­mination.

 

425. La personne qui parle se considérant toujours principalement dans son discours, lorsqu’elle est le sujet de la proposition, on avait appelé je, me, moi, nous, des pronoms de la première personne ; celle à qui l’on parle étant la plus remarquable après celle qui parle, on avait nommé tu, te, toi, vous, pronoms de la seconde personne ; tous les autres objets, qui peuvent être le sujet de la conversation, étant en quelque sorte plus éloignés des interlocuteurs, plus étrangers à la conversation, on a appelé il, elle, lui, ils, elles, eux, leur, pronoms de la troisième personne.

Genres des substantifs per­sonnels.

 

426. Il est à remarquer que ni dans le grec, ni dans le latin, ni dans aucune langue moderne (a) [3], les substantifs per- |341 sonnels de la première et de la seconde personne ne sont affectés de la distinction du genre : on emploie également, je, me, moi, nous, tu, te, toi, vous, soit qu’il s’agisse d’un homme, soit qu’il s’agisse d’une femme. Apparemment parce que celui qui parle et celui qui écoute se trouvent toujours en présence l’un de l’autre ; cette présence seule et la forme de l’habillement suffisent pour indiquer leur sexe, et par conséquent leur genre. Il n’en est pas de même de la troisième personne, dont le sexe ou le genre n’est pas annoncé par sa présence. Aussi dans presque toutes les langues, le substantif personnel de la troisième personne a deux ou trois genres (a) [4]. L’anglais même, dont les adjectifs n’ont point de genres, a, pour ce substantif personnel, trois genres, ainsi que le latin ; le masculin, qui ne s’applique qu’aux mâles ; |342 le féminin, pour les femelles, et le neutre, pour les choses inanimées : avantage qui, seul, contribue beaucoup à la clarté, à la précision et à l’élégance.

Cas des substantifs person­nels.

 

427. Une autre observation importante est que les substantifs personnels sont les seuls substantifs qui, en français et dans quelques autres langues modernes, soient susceptibles de cas, c’est-à-dire, prennent des inflexions différentes selon qu’on veut exprimer le sujet, ou l’objet, ou le terme de l’action ; comme dans ces vers de Pierre Corneille :

Va, je suis ta partie et non pas ton bourreau :
Si tu m’offres ta tête, est-ce à moi de la prendre ?
Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre ;
C’est d’un autre que toi qu’il me faut l’obtenir,
Et je dois te poursuivre et non pas te punir. (Cid, act. 3, sc. 4.)

 

 

Je, qui est au premier, au troisième et au cinquième vers, exprime que Chimène, qui parle, est le sujet des verbes suis, dois et dois : me dans m’offres (pour me offres, offres à moi), à moi dans le second vers, et me dans le quatrième, indiquent la même personne qui parle comme terme de l’action exprimée par les verbes offres, est et faut. |343 Tu, dans le deuxième et le troisième vers, indique que Rodrigue, à qui Chimène s’adresse, est le sujet des verbes offres et dois. Je, dans le cinquième, exprime que le même Rodrigue est l’objet de l’action exprimée par les verbes poursuivre et punir. Ces substantifs ont donc des inflexions différentes, selon qu’ils expriment le sujet, ou l’objet, ou le terme de l’action ; et ce sont ces inflexions différentes qu’on appelle des cas.

Autres substantifs.

 

428. Il y a encore d’autres mots, que la plupart des grammairiens placent parmi les pronoms, et qui sont de vrais substantifs.

On.

 

1.o On n’est qu’un synonyme du mot homme ; on l’emploie dans les cas où l’on ne veut que désigner l’espèce, comme : on naît pour mourir ; ou lorsqu’on veut indiquer un ou plusieurs individus d’une manière indéterminée, comme on joue, on étudie, on écoute. Ce substantif n’est qu’une abréviation du mot homme, que l’on a prononcé anciennement hom (a) [5], et ensuite on : aussi le fait-on précéder souvent de l’article le, avec l’apostrophe, comme les autres substantifs : l’on joue, l’on mange, l’on rit.

|344

Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d’un plus petit que soi. (La Font., l. 2, f. 11.)

Autrui.

 

2.o Autrui renferme évidemment la signification du mot homme, et de plus l’idée accessoire d’un autre. Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît, est comme si l’on disait : ne faites pas à un autre homme, ou aux autres hommes, etc. Ce mot est donc un substantif, puisqu’il exprime principalement la même chose que le mot homme, et accessoirement un autre (a) [6].

Ce.

 

3.o Lorsque le mot ce ne précède pas un substantif avec lequel il s’accorde en genre et en nombre, il est substantif lui-même ; comme quand on dit :

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots, pour le dire, arrivent aisément. (Boil., Art poët.)

Ce n’est pas tout d’agencer des paroles
Et de souffler de froides hyperboles....
Votre cœur seul doit être votre guide ;
Ce n’est qu’en lui que notre esprit réside ;
|345 Et tout mortel qui porte un cœur gâté,
N’a jamais eu qu’un esprit frelaté. (Rous., épît. 6, liv. 1.)

Dans tous ces exemples, et autres semblables, le mot ce doit être considéré comme un nom général qui peut désigner toutes les substances, et dont la signification, vague par elle-même, est quelquefois restreinte ou par quelqu’addition faite ensuite, ou par les circonstances.

Ceci, cela.

 

4.o Il en est de même de ceci, cela, qui peuvent aussi désigner toutes les substances, et qui n’en déterminent aucune, quoique dans l’usage, ils en supposent une connue.

Personne.

 

5.o Personne renferme principalement l’idée d’homme, et, par accessoire, l’idée de la totalité des individus pris distributivement, et dans un sens négatif. Personne n’a jamais été heureux sans la vertu ; c’est-à-dire, aucun homme, ni Jean, ni Jacques, ni Thomas, etc. Ce mot est donc un vrai substantif, ainsi que le mot homme (a) [7].

Quiconque.

 

6.o Quiconque équivaut à tout homme qui ; |346 ce mot exprime donc principalement l’idée du mot homme, en y ajoutant le mot qui, lequel sert à joindre à l’idée de tout homme, une proposition incidente déterminative (a) [8]. Ainsi Despréaux dit ironiquement :

Quiconque est riche est tout ; sans sagesse, il est sage ;
Il a, sans rien savoir, la science en partage.

ce mot est donc encore un substantif.

Quoi.

 

7.o Nous en dirons autant de quoi, qui est équivalent à quelle chose, ou à laquelle chose, et dans la signification duquel conséquemment l’idée de chose est manifestement la principale.

Rien.

 

8.o Rien est, relativement aux choses, ce que personne est relativement aux hommes, un nom distributif qui signifie aucune chose, nulle chose.

Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. (Boil.)

Sa signification essentielle est donc celle du mot chose ; et conséquemment c’est un substantif (b) [9].

Qui, lequel.

 

|347 9.o Les mots qui, lequel, etc., que certains grammairiens appellent pronoms conjonctifs, et d’autres pronoms subjonctifs, nous paraissent devoir être classés parmi les substantifs elliptiques, parce qu’ils renferment implicitement la force et la propriété d’une conjonction, en réveillant l’idée d’un substantif déjà énoncé, qu’ils remplacent. Il est aisé de s’en convaincre par l’analyse. Si je dis : un grammairien est venu ; un grammairien a discouru savamment ; voilà évidemment deux propositions bien distinctes. Que je dise : un grammairien est venu ; il a discouru savamment, ce sont encore deux phrases distinctes ; mais si je dis : un grammairien est venu et il a discouru savamment, la conjonction et indique un rapport entre ces deux propositions et sert à les lier. A la place de la conjonction et et du substantif personnel il, mettons le mot qui ; nous aurons la proposition unique : un grammairien est venu, qui a discouru savamment, dans laquelle il est évident que le mot qui remplace parfaitement les deux mots et, il, et qu’il a, à lui |348 seul, le même sens et la même force que ces deux mots ensemble. C’est donc un substantif, puisqu’il a le même sens que le substantif personnel il ; et un substantif elliptique, puisqu’il renferme implicitement la propriété d’une conjonction.

Ce mot peut réveiller l’idée de chacun des trois substantifs personnels ; car on peut dire : moi, qui étais de si bonne fois, toi, qui es si franc, nous avons été trompés par lui qui se rit de notre franchise. Et de même au pluriel : nous qui, vous qui, eux ou elles qui.

On peut en dire autant de lequel, laquelle.

Substantifs elliptiques.

 

429. Nous appellerons désormais substantifs elliptiques tous les mots dont nous venons de parler, parce que chacun d’eux exprime une substance avec une modification, ou une détermination implicite, le tout en un seul mot. C’est le moyen de les distinguer, d’après leur propre nature, des autres espèces de substantifs.

Six espèces de substantifs.

 

430. Voilà donc en tout, en y comprenant les substantifs numéraux dont nous parlerons dans la suite (455), six espèces de substantifs : les substantifs physiques (409) ; les substantifs artificiels (410) ; les substantifs abstraits (411) ; les substantifs personnels (420) ; et les substantifs elliptiques (428, 429).

 

|349

 

 

DES NOMBRES ET DES GENRES.

 

Genus id est quod suî similes communione quâdam, specie autem differentes, duas aut plures complectitur portas. (Tul. de Orat., 189.)

Nombres.

 

431. Le même substantif exprime tantôt un seul individu, ou l’espèce en général, et tantôt plus d’un individu de la même espèce ; et c’est par une petite différence dans la terminaison de ce mot qu’on distingue ces deux significations. Ainsi quand on dit : le chien est l’ami de l’homme, le mot chien désigne l’espèce. Si je dis : j’ai perdu mon chien, il est question d’un individu déterminé de cette espèce. Et en disant : j’ai vu passer dix-huit chiens de chasse, il s’agit de plusieurs individus de la même espèce, et le substantif chiens a une terminaison différente. Chien et chiens sont le même mot sous deux terminaisons diverses ; ils expriment la même idée principale avec l’idée accessoire de la quotité ; le premier n’exprime que l’espèce en général, ou un seul individu ; et le second, par la simple addition d’un s à la fin, exprime tout nombre d’individus de cette espèce, qui est au-dessus d’un. C’est là ce qu’on appelle, parmi |350 les grammairiens, les nombres. Les nombres, en termes de grammaire, sont donc des terminaisons qui ajoutent à l’idée principale, exprimée par un mot, l’idée accessoire de la quotité.

Singulier, plu­riel.


Duel.

 

432. Dans la plupart des idiomes, on ne connaît que deux nombres, le singulier et le pluriel : le premier, pour désigner unité ; et le second, pour marquer tout nombre d’individus au-dessus d’un. L’hébreu, le grec et le polonais ont trois nombres, le singulier qui marque l’unité ; le duel, qui désigne dualité, c’est-à-dire, deux choses, ou deux individus ; et le pluriel, qui annonce la pluralité, c’est-à-dire, tout nombre au-dessus d’un ou de deux. Nous disons au-dessus d’un ou de deux, parce que, selon l’auteur de la méthode grecque de Port-Royal (liv. 2, ch. 1.), le duel n’a été introduit que fort tard dans la langue grecque, et souvent on se sert du pluriel au lieu du duel pour désigner deux choses. Selon l’Advocat (gram. hébraï., pag. 32), le duel, chez les Hébreux, ne s’emploie ordinairement que pour les choses doubles, comme les pieds, les mains, les yeux, etc.

433. Les noms des métaux, des vertus, des vices, des besoins habituels, n’ont pas de pluriel. Il y a aussi des substantifs qui ne sont |351 usités qu’au singulier, d’autres qui ne le sont qu’au pluriel, et d’autres enfin qui ont une signification différente selon qu’ils sont employés au singulier ou au pluriel. Tous ces détails appartiennent naturellement à la Grammaire française ; c’est pourquoi ce n’est pas ici le lieu de nous en occuper (918, 922).

Les noms propres n’ont point de plu­riel.

 

434. Les noms propres, étant essentiellement individuels, ne peuvent pas être susceptibles de l’idée accessoire de pluralité. Si l’on trouve quelquefois des exemples qui paraissent contraires, cela vient des raisons suivantes :

Première exception.

 

1.o On considère les individus d’une famille comme faisant une classe ou une collection à part, au milieu de la grande famille, de la collection générale des hommes, en sorte que le nom de famille s’étend à tous les individus de la parenté, comme le nom d’homme s’étend à tous les individus de l’espèce humaine ; c’est pourquoi ce nom de famille est alors susceptible de pluriel, et l’on dit les Ptolémées, les Scipions, les Césars, etc. ; c’est-à-dire, tous les individus qui ont porté simultanément ou successivement le nom de Ptolémée, etc.

Deuxième exception.

 

2.o Quelquefois, à cause de la célébrité que certains hommes ont attachée à leur |352 nom, on fait de ce nom un nom appellatif, un nom commun, pour désigner, par antonomase (277), la qualité qui a été la cause de cette célébrité. Ainsi l’on dit les Cicérons, pour les grands orateurs ; les Platons, pour les grands philosophes ; les Saumaises, pour les fameux critiques (a) [10].

Et vous croyez déjà, dans vos rimes obscures
Aux Saumaises futurs préparer des tortures. (Boil.)

Genres.



Masculin, féminin.



Neutre.

 

435. Genre signifie une collection d’objets réunis sous un point de vue qui leur est commun et propre. On peut croire que c’est dans le même sens que le mot genre a d’abord été introduit dans la Grammaire, pour marquer des classes de mots réunis sous un point de vue commun. La distinction des sexes occasionna d’abord celle des genres des mots ; et l’on dit, en parlant des mots, le genre masculin et le genre féminin, comme, en parlant des animaux, on dit le genre des mammifères et le genre des oiseaux. Il semblerait, d’après cela, que |353 les noms des animaux devraient seuls avoir un genre : les noms des mâles seraient du genre masculin ; ceux des femelles, du genre féminin ; les noms des choses inanimées ne devraient être d’aucun genre relatif au sexe, et le genre neutre, adopté par quelques langues, paraîtrait leur convenir.

Origine pro­bable des gen­res pour les substantifs.

 

436. Mais la distinction des sexes n’a pas été le seul motif, la seule règle de la distribution des mots en différens genres. La religion, les mœurs et le génie des différens peuples leur ont fait apercevoir des relations vraies ou fausses entre les différens objets et l’un ou l’autre sexe, et cela a suffi pour classer les noms de ces objets dans l’un ou dans l’autre genre. Le matériel des mots et leur terminaison, l’analogie ou d’autres circonstances, et quelquefois même le caprice ont souvent suffi pour classer tel mot dans tel genre, plutôt que dans tel autre. Une preuve de ce dernier motif de classification, c’est qu’il y a tel mot qui, dans une même langue, a appartenu tantôt à un genre, tantôt à un autre. Ainsi navire, qui était autrefois féminin, est aujourd’hui masculin (a) [11].

L’usage seul peut faire connaître le genre des substantifs.

 

|354 437. D’après ces considérations, il est évidemment impossible d’établir des règles propres à faire connaître les genres des substantifs dans une langue, puisque cette classification n’a pas été faite d’après des règles invariables, et que très-souvent ce qui est masculin dans une langue est féminin dans une autre (a) [12]. Il n’y a donc que l’usage et la lecture des bons livres et des bons dictionnaires qui puissent donner la connaissance du genre des mots dans chaque langue.

438. Nous avons dans notre langue quelques substantifs qui sont tantôt masculins et tantôt féminins (b) [13]. Nous nous occuperons de cette particularité dans la Grammaire française (925).

 

|355

 

 

ARTICLE II.

DES MODIFICATIFS.

 

Descriptas servare vices verborumque colores. (Horat.)

Division des modificatifs.

 

439. Nous avons désigné sous le nom de modificatifs (405) tous les mots qui expriment une modification ou une manière d’être : mais ils n’expriment pas tous une même modification, sous le même point de vue de l’esprit ; car les uns, comme les adjectifs (388) et les participes (391), désignent une attribution de qualité, d’action ou d’état qui convient à l’être particulier auquel nous en faisons l’application ; et d’autres, comme l’article (389) et certains pronoms, ne sont employés que pour déterminer le point de vue particulier, et pour exprimer le sens plus ou moins restreint, dans lequel nous voulons faire considérer le substantif auquel ils sont joints. Nous comprendrons ces quatre espèces de mots sous le nom de modificatifs particuliers.

Modificatifs par­ticuliers.

Modificatif com­mun.

 

440. L’existence étant l’attribut nécessaire et universel de tous les êtres, le verbe être, |356 spécialement destiné à exprimer cette existence, doit être appelé modificatif commun.




Modificatifs com­binés.

 

441. Quant aux autres verbes (396), ils renferment implicitement, dans toutes leurs formes, cet attribut commun avec l’idée explicite d’une attribution particulière et déterminée ; puisque chanter signifie être chantant ; labourer, être labourant ; souffrir, être souffrant, etc. : on peut donc appeler tous les verbes des modificatifs combinés, puisqu’ils renferment la combinaison de l’attribut commun, l’existence, avec une autre attribution déterminée qui exprime ou une action, ou un état.



Modificatifs de proposition.

 

442. Les conjonctions (394) ne sont le plus souvent que des phrases elliptiques, qui servent à modifier des propositions combinées, et à indiquer les vues particulières de l’esprit dans cette combinaison : les conjonctions sont donc des modificatifs de proposition.

Modificatifs d’attribut.

 

443. Enfin les prépositions (392) et les adverbes (393) servent à modifier les idées exprimées par les verbes, les adjectifs, etc. ; ce sont des modificatifs d’attribut.

Interjections.

 

444. Les interjections sont plus particulièrement le langage du cœur, langage inspiré par la nature, qui n’a presque rien |357 d’arbitraire, qui est également entendu chez toutes les nations, et qui ne paraît pas même absolument étranger ni inconnu aux brutes. Les interjections expriment une affection, un sentiment. Vous êtes à côté d’une personne retenue au lit par la colique : tout à coup vous l’entendez s’écrier ahi ! ahi ! Ce cri subit, arraché par la douleur, prouve le sentiment de la souffrance dans l’âme de cette personne, mais n’indique aucune idée déterminée dans son entendement ; il ne fait que vous prouver que cette personne souffre, comme si elle vous eût dit d’une manière plus développée : voilà que je ressens une forte et vive douleur. Mais vous êtes bien plus persuadé, plus affecté par le cri interjectif, que vous ne l’auriez été par la proposition froide, qui a néanmoins le même sens. L’interjection ne doit donc entrer dans une Grammaire que comme faisant nombre parmi les parties du discours ; la syntaxe en appartient entièrement à la rhétorique, et n’est nullement du ressort de l’analyse grammaticale : ou, si l’on veut absolument classer l’interjection comme les autres parties du discours, on pourrait l’appeler modificatif du sentiment.

|358

Hélas ! j’ai beau crier et me rendre incommode,
       L’ingratitude et les abus
       N’en seront pas moins à la mode. (La Font., liv. 12, f. 16.)

Oh ! combien le péril enrichirait les dieux,
Si nous nous souvenions des vœux qu’il nous fait faire ! (Liv. 9, f. 13.)

 

 

 

 

§. I.er DES MODIFICATIFS PARTICULIERS.

 

Sed facies sua pro meritis, habitusque, sonusque
Cunctis cuique suus vocum discrimine certo. (Hyer. Vida.)

 

 

445. Ces modificatifs sont, ainsi que nous l’avons dit (439), les adjectifs, les participes, les articles et certains pronoms.

 

 

 

 

DE L’ADJECTIF.

 

Quæ res, nisi subest ab oratore percepta et cognita, inanem quamdem habet elocutionem et penè puerilem. (Jul. de orat., lib. 1, n. 17.)

Étymologie du mot adjectif.

 

446. Le mot adjectif vient du mot latin adjectus, qui signifie ajouté ; et effectivement tout adjectif est toujours ajouté à un substantif exprimé ou sous-entendu, auquel il donne une qualification, ou dont il exprime |359 la manière d’être. Tout adjectif modifie donc le substantif auquel il se rapporte ; et conséquemment c’est un modificatif.

Point d’adjec­tif sans substan­tif, exprimé ou sous-entendu.

 

447. Toute qualité ou modification suppose toujours la substance qualifiée, puisqu’il faut être pour être tel ; ainsi tout adjectif suppose un substantif, et il est évident qu’il y a ou qu’il peut y avoir autant d’adjectifs qu’il y a de qualités ou de manières d’être, que notre entendement peut considérer dans les objets.

Adjectifs physiques.

 

448. Tous les adjectifs qui expriment les impressions que les objets physiques font sur chacun de nos sens, tels que blanc, noir, bleu, rouge, etc., doux, amer, aigre, fade, etc., rude, poli, dur, mou, etc., gras, huileux, sec, humide, etc., indiquent les sensations que les objets physiques excitent dans notre âme ; aussi les appelle-t-on adjectifs physiques.

Adjectifs mé­taphysiques.

 

449. Nous qualifions aussi les êtres métaphysiques et abstraits, relativement à quelque point de vue de notre esprit à leur égard, de la même manière que nous sommes accoutumés à qualifier les êtres physiques par rapport aux impressions immédiates qu’ils font sur nos sens. Ainsi les adjectifs possessifs, mon, ton, son, notre, |360 votre, leur, n’expriment pas une qualité physique et permanente des objets, mais un rapport d’appartenance ou de propriété ; ils modifient donc sous le rapport de la possession ou de la propriété.

450. Un corps n’est ni grand ni petit par lui-même ; il ne peut l’être que comparativement à un autre corps : les mots grand, petit, moindre, égal, et autres semblables, expriment donc une perception de notre entendement qui est le résultat de cette comparaison au moins implicite : ces mots modifient donc les objets sous le rapport de leurs dimensions relatives. Différent, pareil, semblable modifient aussi les substantifs, en conséquence de quelques vues particulières de notre esprit. Il en est de même de tous les autres modificatifs semblables, qu’on a appelés pour cette raison adjectifs métaphysiques.

Noms de nombre.

 

451. Les noms de nombre sont aussi pour la plupart des modificatifs, puisqu’ils modifient les objets sous le point de vue d’une précision numérique, avec quelques nuances différentes, que nous allons expliquer.

Noms de nombre cardinaux.

 

452. Les noms de nombre, qu’on appelle cardinaux et qu’on doit plutôt appeler ad- |361 jectifs collectifs, déterminent la qualité des individus avec une précision numérique : un, deux, dix, vingt, cent, mille, etc. Quelques, plusieurs, tous sont des adjectifs de la même espèce ; mais ils ne déterminent pas numériquement comme les autres, la quotité des individus.

Noms de nombre ordinaux.

 

453. Les noms de nombre ordinaux déterminent non pas la quotité, mais l’ordre des individus avec la précision numérique : premier, deuxième, vingtième, centième, etc. Quantième et dernier sont des adjectifs de la même espèce, mais sans renfermer l’idée de la précision numérique. Tous ces mots modifient donc les objets sous ce rapport qu’ils expriment l’ordre ou le rang qu’ils ont entr’eux.

Adjectifs multiplicatifs.

 

454. Les adjectifs multiplicatifs déterminent la quantité par une idée de multiplication avec une précision numérique : double, triple, quadruple, décuple, centuple. Multiple et simple, lorsque ce dernier est l’opposé de multiple, expriment aussi une idée de multiplication ; mais le premier n’y joint pas l’idée de la précision numérique. Tous ces mots modifient donc les objets sous le rapport de la multiplication progressive.

Substantifs numéraux.

 

|362 455. Les noms de nombre partitifs, la moitié, le tiers, le quart, le vingtième, le centième, etc. ; les noms collectifs : couple, dixaine, vingtaine, centaine, etc., et les noms des chiffres : un zéro, un un, un cinq, un neuf, etc., sont de véritables substantifs. On pourrait les appeler substantifs numéraux, pour exprimer leur nature, et pour les distinguer des cinq autres espèces de substantifs, dont nous avons parlé plus haut (430).

 

 

 

 

DES PRONOMS, QUI SONT DE VRAIS MODIFICATIFS.

 

J’aime que les mots aillent où va la pensée. (Montaigne.)

Veni et cognosce vera esse quæ dicimus. (Saint Cypr., epis. ad Demetr.)

Tout mot qui sert à faire con­sidérer un substantif sous un point de vue quel­conque est un mo­di­fi­ca­tif.

 

456. Tout mot qui modifie un substantif est évidemment un modificatif ; or ce n’est pas seulement en disant d’un sujet qu’il est vert ou violet, grand ou petit, qu’on le modifie : on le modifie encore en en étendant, ou en en restreignant la valeur, ou en la faisant considérer sous un point de vue, pourvu que le substantif et le modificatif, pris ensemble, ne présentent à l’esprit qu’un |363 seul et même objet modifié, et non pas deux objets différens. Cette dernière condition est essentielle pour caractériser les modificatifs particuliers ; car si je dis, par exemple, mon épée, ces deux mots ne présentent que l’idée d’un seul et même objet, modifié par un rapport d’appartenance : au lieu que si je disais l’épée de Turenne, les deux mots de Turenne modifient bien le substantif épée, puisqu’ils déterminent ce nom générique à n’être qu’un individu, et qu’ils expriment aussi le rapport d’appartenance ou de propriété : mais cette dernière phrase présente deux substances différentes (épée et Turenne), au lieu de n’en présenter qu’une seule, modifiée comme la première (mon épée) ; les mots de Turenne ne sont donc pas dans la classe de modificatifs particuliers, quoiqu’ils aient le même sens. On pourrait, en effet, au lieu de l’épée de Turenne, dire l’épée turenniène, si cet adjectif était usité ; comme l’on dit indifféremment les héros grecs ou les héros de la Grèce, les savans français ou les savans de la France, la grandeur romaine ou la grandeur de Rome ; les mots de la Grèce, de la France, de Rome ont donc la force d’un adjectif possessif, quoique |364 ce soit la réunion d’une préposition, d’un article et d’un substantif.

D’après ces principes, il est facile de se convaincre que les pronoms suivans appartiennent à la classe des modificatifs particuliers.

Aucun, aucune.

 

457. Aucun, aucune désignent tous les individus d’une espèce pris distributivement et communément dans un sens négatif (a) [14]. Aucune raison ne peut justifier le mensonge, c’est-à-dire, ni celle-ci, ni celle-là, ni la première, ni la seconde, ni, etc. Ces mots modifient donc le substantif par l’idée d’une distribution, et ne présentent qu’un même objet joint avec le substantif ; ce sont donc des modificatifs particuliers (456).

Autre.

 

458. Il en faut dire autant de autre, qui modifie par une idée précise de diversité ;

Ce, cet, cette.

 

459. De ce, cet, cette, ces (lorsqu’ils sont immédiatement suivis d’un substantif), qui modifient les substantifs par une idée précise d’indication, que quelques grammairiens appellent mal-à-propos pronoms dé- |365 monstratifs, et d’autres, avec plus de raison, adjectifs indicatifs ;

Certain, cer­taine.

 

460. De certain, certaine, qui modifient les substantifs sous un point de vue différent, selon qu’ils sont placés avant ou après. Avant le substantif, ces mots désignent d’une manière vague quelqu’individu de l’espèce indiquée par le substantif. Certains philosophes ont pensé. Après le substantif, ils signifient constaté, avéré. J’ai des moyens certains pour réussir. C’est un fait certain.

 

 

461. Nous verrons par la suite (Grammaire française, 947) plusieurs adjectifs qui ont une signification différente, selon qu’ils sont placés avant ou après le substantif.

Chaque.

 

462. Chaque désigne tous les individus d’une collection distributivement, et dans un sens affirmatif ; il est toujours immédiatement suivi d’un substantif. Chaque vertu que nous acquérons, est un élément de plus pour notre bonheur.

Les mots pré­cédens ne sont pas des pro­noms.

 

463. Observons avec soin que tous les mots, dont nous avons parlé dans cet article, ainsi que ceux dont nous parlerons encore, sont toujours construits immédiatement avec un substantif ; ils ne peuvent donc pas |366 se mettre à la place des noms ; les grammairiens ont donc eu grand tort de les classer parmi les pronoms.

Même.

 

464. Même placé avant le substantif le modifie sous un rapport d’identité. La vertu a partout les mêmes principes, et procure partout le même bonheur. Ce sont les mêmes hommes que j’ai vus hier. Après le substantif il ne fait que donner au substantif une sorte d’énergie : c’est alors un mot explétif. Moi-même je l’ai vu (765).

Nul, nulle.

 

465. Nul, nulle modifie aussi le substantif sous un point de vue différent, selon qu’il est placé avant ou après ; dans l’un et l’autre cas, il a toujours un sens négatif. Avant le substantif, ces mots désignent distributivement et négativement les individus d’une collection, de même que aucun, aucune (457). On ne trouve malheureusement dans la plupart des hommes nulle franchise, nulle loyauté, nul amour constant et énergique du bien. Nul n’est sans défauts, pour personne ou nul homme.

Nulle paix pour l’impie ; il la cherche, elle fuit. (Racine.)

Après le substantif, ces mots modifient sous le rapport de non-valeur. Le marché est |367 nul ; vos précautions sont nulles ; c’est un homme nul.

466. Tous les modificatifs, dont nous venons de parler, sont appelés par la plupart des grammairiens pronoms indéfinis, excepté ceux du n.o 459, qu’ils nomment pronoms démonstratifs. Nous avons démontré (463) que ce ne sont pas des pronoms, et nous avons fait voir qu’ils doivent tous être compris dans la classe des adjectifs, et par conséquent des modificatifs. Nous allons voir qu’il en est de même de la plupart des pronoms nommés relatifs.

Quel, quelle.

 

467. Quel, quelle modifie le substantif par l’idée précise d’une qualité vague et indéterminée. Quel cours suivez-vous ? Quelle faute avez-vous à lui reprocher ?

Quelconque.

 

468. Quelconque signifie toujours quel qu’il soit ou quelle qu’elle soit, dans les phrases positives, comme dans les phrases négatives. Il n’y a point de motif quelconque qui puisse nous autoriser à négliger nos devoirs. Les prétextes quelconques sont toujours bons à ses yeux.

Tel, telle.

 

469. Tel, telle modifient tantôt sous le rapport de l’indication des objets, tantôt sous le rapport d’une comparaison. Tel homme s’enorgueillit de ses talens, qui |368 devrait rougir de ses vices ; voilà un rapport indicatif. Ces enfans sont devenus tels que je l’avais prévu ; voilà un rapport de comparaison.

 

 

 

 

DES ARTICLES.

 

Mais j’en permets l’usage et j’en proscris l’abus. (Delille.)

............................... Quod magis ad nos
Pertinet, et nescire malum est, agitamus. (Horat., lib. 2, sat. 6.)

Quels sont les articles de la langue fran­çaise.

 

470. Tout le monde sait que les articles le, la, les ne signifient rien par eux-mêmes, ou tout seuls, et que leur unique usage est, en s’identifiant avec les mots devant lesquels on les place, de marquer le mouvement de l’esprit vers l’objet particulier de son idée.

471. Nous ne parlerons pas ici des mots ce, cet, chaque, tout, nul, certain, aucun, qui, que, mon, ton, etc., un, deux, trois, etc. ; que Dumarsais appelle prénoms, prépositifs ou adjectifs métaphysiques, et que Beauzée comprend dans la classe des articles. Nous croyons, avec Duclos et Condillac, que ces mots ne sont pas exactement de la nature de nos articles le, la, les ; et |369 d’ailleurs nous avons déjà fait voir que ce sont de vrais adjectifs, qui modifient les substantifs chacun sous un point de vue particulier.

Utilité des articles.

 

472. Nous avons déjà observé plusieurs fois (412, 417, etc.) que tous les substantifs, excepté les noms propres, sont des noms de genre ou d’espèce, et qu’il est impossible que nous ayons un nom particulier pour désigner chaque individu, pour exprimer chaque idée particulière. Cependant nous avons souvent besoin de désigner des individus et de faire connaître aux autres, soit les objets singuliers de nos idées, soit certaines vues ou manières particulières de considérer ces objets ; et ce besoin s’étend également sur les objets, soit réels, soit abstraits ou métaphysiques. C’est par le moyen des articles et de quelqu’autre modificatif que nous atteignons ce but. Sans cela, les objets particuliers dont nous voudrions parler, et qui n’auraient pas de noms propres, se trouveraient confondus avec tous les autres individus de leur espèce, puisque le nom de cette espèce leur convient également à tous.

Ainsi quand on dit homme, par exemple, on ne désigne aucun individu ; on réveille |370 seulement une idée vague : un homme (a) [15] exprime, en effet, un individu de l’espèce humaine, mais sans le déterminer d’une manière précise : cet homme, désigne un individu qu’on a sous les yeux, ou qui vient d’être indiqué par les circonstances où l’on se trouve, ou qui l’a été par le discours qui a précédé : l’homme, peut exprimer, ou l’espèce en général, ou un individu déterminé, selon les circonstances et selon les autres mots qui l’accompagnent. Dans cette phrase : l’homme est mortel, l’homme désigne l’espèce ; dans celle-ci : l’homme que je viens de rencontrer, c’est un individu déterminé.

Dévelop-
[pe]ment.

 

473. Pour mieux connaître l’utilité de ces modificatifs métaphysiques, que l’on nomme articles, observons comment nous nous conduisons lorsque nous rencontrons un individu que nous ne connaissons pas. Nous le rapportons d’abord à l’espèce à |371 laquelle il appartient, ou au genre, si nous ne pouvons en bien déterminer l’espèce. Nous rencontrons, je suppose, un être organisé, ayant une tête, quatre pattes, une queue et la faculté de se mouvoir et de sentir ; si nous ne le connaissons pas individuellement, nous lui donnons le nom de l’espèce à laquelle il appartient, et nous l’appelons chien ou cheval ; si nous n’en connaissons pas l’espèce, nous remontons à l’espèce supérieure, ou au genre, et nous l’appelons en conséquence un quadrupède, un mammifère, ou d’un nom plus générique animal. Nous disons donc, selon les circonstances : J’ai rencontré un chien, un cheval, un quadrupède, un mammifère, un animal. Dans tous ces cas le modificatif numéral un désigne seulement un individu inconnu de telle espèce, ou de tel genre ; et il est évident que ce modificatif est nécessaire pour exprimer qu’on ne veut parler que d’un individu et non pas de l’espèce ou du genre entier, et que conséquemment ce modificatif exprime une vue particulière de notre esprit.

474. Si je veux exprimer cet individu comme présent, ou réellement, ou par un effet des circonstances, je dirai : ce chien, |372 ce cheval, ce quadrupède, ce mammifère, cet animal ; et alors le modificatif ce exprime, non-seulement qu’il n’est question que d’un individu de telle espèce, ou de tel genre, mais il exprime de plus cet accessoire particulier, qui est que notre esprit considère cet individu comme présent.

Les articles marquent le mouvement de l’esprit qui se dirige plus par­ticulièrement vers un objet.

 

475. Enfin, si je rencontre de nouveau le même individu, et que je le reconnaisse, je dirai : voilà le chien, le cheval, le quadrupède, le mammifère, l’animal, que j’ai vu tel jour, telle part : et alors l’article le n’exprime pas tout seul cette reconnaissance ; il ne rend cette idée que conjointement avec les mots que j’ai vu tel jour, etc. Car tout seul et par lui-même, ou suivi d’autres mots, l’article le pourrait exprimer l’espèce, ou le genre. Cet article ne fait donc que marquer le mouvement de l’esprit qui se dirige plus particulièrement vers un objet, et fixe de même l’attention des autres sur cet objet.

L’article n’est pas déter­mi­natif par lui-même.

 

476. L’article n’est donc pas déterminatif par lui-même ; c’est-à-dire, que tout seul il n’exprime pas s’il faut prendre le mot auquel il est joint, dans une signification plus ou moins étendue. Dans la phrase l’homme est mortel, |373 l’homme désigne l’espèce ; c’est une idée et une proposition universelle. Dans les phrases l’homme est menteur ou l’homme est noir, l’homme ne désigne qu’un certain nombre d’individus ; c’est une idée, une proposition particulière. Enfin, dans celle-ci, l’homme que j’ai vu ce matin chez moi, l’homme exprime un individu ; c’est une idée, une proposition singulière. Or, dans toutes ces phrases l’article le est absolument le même ; ce n’est donc pas l’article qui détermine si le substantif homme doit être pris dans un sens générique, ou dans un sens particulier, ou dans un sens individuel ; ce sont les autres mots de la phrase qui déterminent le substantif homme à signifier ou le genre, ou une espèce, ou un individu. Quelle est donc la fonction, l’influence particulière de l’article ? Répétons-le encore : il ne fait que marquer le mouvement de l’esprit vers tel objet, et fixer l’attention des autres sur ce même objet. C’est, si l’on osait s’exprimer ainsi, le précurseur, l’avant-coureur qui annonce l’importance du mot qui va suivre, et qui doit attirer sur lui les regards.

L’article subs­tan­tifie les ver­bes et les |374 adjectifs qu’il précède.

 

477. Cela paraît si vrai, qu’il n’y a que les mots les plus importans du discours, ceux |374 qui seuls peuvent être le sujet d’une proposition, les substantifs, en un mot, qui soient précédés de l’article, et que les verbes et les adjectifs ne peuvent prendre l’article sans changer de nature et sans devenir de vrais substantifs par cette antéposition même de l’article. Il se refuse le boire et le manger. Heureux ceux qui conservent toute leur vie le goût du beau et du bon ! La discorde vint, dit La Fontaine :

 

 

Avec que si, que non, son frère,
Avec le tien, le mien, son père.

Le boire, le manger, le beau, le bon, le tien, le mien, sont là de vrais substantifs, et ils ne le sont que par l’apposition de l’article. Mais ils ne sont pas individualisés, ainsi que l’ont prétendu mal à propos des grammairiens célèbres ; puisqu’il est évident que le boire, le manger, ect. [sic], sont des substantifs tout aussi génériques que la boisson et les alimens, et que pour les individualiser, il faudrait y ajouter des mots convenables, des phrases restrictives et déterminatives, comme dans les exemples précédens, (476, etc.) (a) [16].

Les articles sont des mo­difi­catifs.

 

|375 478. Nous pouvons conclure de tout ce qui précède que les articles sont des modificatifs particuliers, qui modifient les substantifs sous ce point de vue seulement qu’ils marquent le mouvement de l’esprit qui se dirige sur l’objet exprimé par un substantif, et qu’ils fixent en quelque sorte l’attention sur cet objet.

Résumé.

 

|376 479. L’article ne détermine donc pas par lui-même l’étendue de la signification du substantif auquel il est joint ; ce sont les autres mots joints au substantif qui produisent cet effet. Rappelons-nous que tous les noms communs sont des noms de genre ou d’espèce (412, 417, etc.). Ces noms, précédés de l’article, sont encore des noms de genre, ou d’espèce ; et pour les approprier ou à une espèce inférieure, ou à un individu, on a besoin d’y ajouter d’autres mots qui expriment les caractères spécifiques de cette espèce subalterne, ou de cet individu. Ainsi l’homme désigne l’espèce, puisque ce nom convient à tous et à chacun des individus de l’espèce humaine. Si je veux désigner l’habitant de la côte occidentale de l’Afrique, je dirai : l’homme à la peau noire et aux cheveux crépus. L’homme à la peau blanche désigne l’Européen ; voilà une autre espèce subalterne. Je puis encore soudiviser chacune de ces espèces subalternes en ajoutant à ces phrases d’autres mots qui déterminent plus précisément les caractères spécifiques de chacune des espèces inférieures que je veux indiquer.

480. En considérant l’espèce humaine sous d’autres points de vue, nous pourrions la sou- |377 diviser en d’autres espèces ; et nous aurions l’homme sauvage et l’homme civilisé ; l’homme savant et l’homme ignorant ; l’homme vertueux et l’homme vicieux ; l’homme riche et l’homme pauvre, etc., etc., etc. Il est évident que, dans tous les cas, ce sont les phrases ajoutées aux deux mots l’homme qui restreignent plus ou moins la signification de ces mots, et qui déterminent leur application à telle ou à telle espèce d’hommes. En un mot, nous appliquons un nom commun, qui est toujours un nom de genre ou d’espèce (412, 417), à telle espèce particulière, ou à tel individu, en y ajoutant les mots nécessaires pour exprimer le caractère spécifique de cette espèce, et pour déterminer avec précision celui de cet individu. De la même manière que, dans la botanique, par exemple, on désigne le genre d’une plante, en ajoutant au nom de la classe à laquelle ce genre appartient, la phrase qui exprime le caractère de ce genre ; on l’applique à une espèce, en y ajoutant la phrase qui détermine le caractère distinctif de l’espèce ; et enfin à l’individu, par le moyen de la phrase qui exprime les caractères particuliers de cet individu.

Les noms propres sont sans article.

 

481. Les noms propres ne sont jamais ni des noms de genre, ni des noms d’espèce ; |378 conséquemment ils n’ont pas besoin d’être précédés de l’article et suivis d’une phrase déterminative pour être appliqués à un individu, puisqu’ils ne conviennent et ne peuvent convenir qu’à cet individu.

Première exception.

 

Si nous disons quelquefois la Lemaire, la Sainval, la Dugason, etc., il y a ellipse ; c’est comme si l’on disait l’actrice, ou la comédienne, Lemaire, etc. C’est par la même raison que nous disons le Tasse, le Dante, l’Aristote, etc., en sous-entendant poëte ; et le Titien, le Corrège, etc., en sous-entendant peintre. Cette manière de parler nous est venue des Italiens.

Deuxième exception.

 

482. Cependant lorsque, par figure, nous donnons à un nom propre, la signification d’un nom d’espèce, et que nous appliquons ensuite cette signification à un individu, nous avons besoin de l’article et de la phrase déterminative, comme dans les exemples ci-dessus (479, 480), et pour les mêmes motifs. Ainsi nous disons : Washington a été le Fabius-Cunctator de son pays ;

Un second Rodilard, l’Alexandre des chats ;
       L’Attila, le fléau des rats. (La Font., l. 3, f. 18.)

alors nous considérons Fabius-Cunctator, Alexandre, Attila comme exprimant chacun |379 une espèce particulière d’hommes ; et nous ne pouvons appliquer ce nom d’espèce à un individu qu’en le faisant précéder de l’article et en y joignant les phrases déterminatives de son pays, des chats, des rats. Buffon est le Pline français, etc.

Le nom de Dieu, générale­ment sans ar­ticle, est quel­quefois pré­cé­dé par l’ar­ticle ; et pour­quoi.

 

483. Dieu étant le nom du souverain être, est évidemment le nom d’un individu, il est assez déterminé par lui-même, et n’a conséquemment besoin ni de l’article, ni d’aucune phrase explicative. Néanmoins, si l’on considère cet être suprême relativement à ses divers attributs, on fait du mot Dieu un nom d’espèce ; alors la nécessité de l’article reparaît, et l’on dit le Dieu de paix, le Dieu de miséricorde, etc.

Troisième exception.

 

484. Dans ce vers :

Hélas ! petits moutons, que vous êtes heureux ! (Deshoulières.)

et autres semblables, petits moutons est bien un nom d’espèce, et cependant le poëte paraît s’adresser, non pas à l’espèce entière, mais à un certain nombre d’individus de cette espèce. Pourquoi donc n’y a-t-il ni article, ni phrase déterminative pour appliquer ce nom d’espèce aux individus dont |380 il s’agit ? C’est que ces individus étant présens, ou censés présens, puisque le poëte leur adresse la parole, ils sont assez déterminés par cette circonstance, sans qu’on ait besoin ni d’article, ni de phrase explicative.

Ainsi toutes les fois qu’on adresse la parole à des êtres, comme ils sont présens, au moins à l’imagination, on n’a besoin ni d’article, ni d’aucun autre moyen pour les tirer de la généralité de leur espèce et en faire des individus déterminés.

Descends, aimable paix, si long-temps attendue,
Descends ; que ta présence à l’univers rendue,
Embellisse les lieux qu’ont célébrés mes vers :
Viens, forme un peuple heureux de cent peuples divers,
Rends l’abondance aux champs, rends le commerce aux ondes,
Et la vie aux beaux-arts, et le calme aux deux mondes. (Delille, Jard., ch. 4.)

Les temps sont arrivés. Cessez, triste cahos ;
Paraissez, élémens ; Dieux, allez leur prescrire
       Le mouvement et le repos.
Tenez-les renfermés chacun dans son empire.
Coulez, ondes, coulez ; volez, rapides feux ;
Voile azure des airs, embrassez la nature ;
Terre, enfante des fruits, couvre-toi de verdure ;
       Naissez, mortels, pour obéir aux dieux. (Roy, Ballet des Elémens.)

|381

Ils sont passés les jours d’ivresse et de folie.
Viens, je me livre à toi, douce mélancolie,
Viens, non le front chargé des nuages affreux
Dont marche enveloppé le chagrin ténébreux,
Mais l’œil demi-voilé, mais telle qu’en automne,
A travers les vapeurs, un jour plus doux rayonne :
Viens, le regard pensif, le front calme, et les yeux
Tout prêts à s’humecter de pleurs délicieux. (Delile [sic], Jard. ch. 2.)

Articles des autres langues.

 

485. Les Grecs ont aussi des articles qu’ils mettent même souvent devant les noms propres. Quant aux Latins, Quintilien dit expressément qu’ils n’en ont pas (a) [17] ; et en effet, les mots is, hic, ille, iste, que certains grammairiens ont pris pour des articles latins, ne font pas le même effet que nos articles le, la, les : ce sont des modificatifs particuliers, comme nos mots ce, cet, cette, etc. ; c’est-à-dire, qu’ils modifient le substantif sous le rapport d’une indication, ou d’une désignation précise. Presque toutes les langues modernes ont des articles comme la nôtre (b) [18].

Si les langues qui ont des ar­ticles ont un avantage sur celles qui n’en ont pas.

 

|382 486. Voilà donc des langues qui ont des articles, et d’autres qui n’en ont pas. Cette circonstance fait naître naturellement le désir de savoir si les langues qui ont des articles ont un avantage sur celles qui en sont dépourvues. Pour savoir à quoi nous en tenir, partons des principes.

La précision et la netteté sont les qualités que l’on doit le plus apprécier dans une langue : on ne parle aux autres que pour leur communiquer ses pensées ; et une langue est d’autant plus parfaite, qu’elle fournit plus de moyens et des moyens plus sûrs pour exprimer nos pensées précisément telles que nous les concevons, avec toutes leurs nuances les plus délicates. Or il est évident que toutes les langues qui ont des articles ont un instrument de plus pour atteindre ce but, tandis que celles qui n’en ont point sont forcées d’exprimer absolument de la même manière (a) [19] plusieurs pensées |383 différentes, et n’ont que les mêmes couleurs pour des tableaux très-distincts. Les articles donnent donc un avantage à la langue qui en a ; et si l’on pense qu’ils rendent le style moins fort et moins serré, on peut répondre que le défaut de force et de précision est le défaut de l’écrivain et non pas celui de la langue.

Il est quelque­fois possible de sup­pri­mer les ar­ticles.

 

487. Nous conviendrons néanmoins que cet attirail de monosyllabes qui accompagnent presque tous nos mots, rend quelquefois le style languissant, embarrassé, traînant. Il est souvent possible de supprimer les articles sans nuire à la précision des idées ni à la netteté du style : on y gagne, au contraire, du côté de la grâce et de la vivacité ; en voici des exemples :

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui donne vie ;
Mais le lâcher, en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie. (La Font.)

Fille se coiffe volontiers
D’amoureux à longue crinière. (lib. 4, fab. 1.)

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage. (lib. 2, fab. 11.)

Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.
Quiconque est loup agisse en loup :
C’est le plus certain de beaucoup. (lib. 3, fab. 3.)

 

|384

 

 

DES PARTICIPES.

 

Nec duo sunt ; at forma duplex. (Ovid., Métam. 4, 378.)

Deux parti­cipes.

 

488. Nous avons dans notre langue deux participes simples : l’un, qu’on appelle actif, toujours terminé en ant ; quel que soit le verbe dont il dérive, comme aimant, finissant, réduisant, rendant, craignant, plaisant, offrant, etc. ; l’autre, qu’on nomme passé, ou passif, terminé différemment, selon la nature du verbe auquel il appartient, comme aimé, fini, réduit, rendu, craint, plu, offert, etc. Il est évident au premier coup d’œil que ces participes, quels qu’ils soient, ont quelque chose de la signification des verbes aimer, finir, réduire, rendre, craindre, plaire, offrir : c’est donc en faisant quelques réflexions sur la nature des verbes que nous parviendrons plus facilement à connaître celle des participes.

Le verbe est le mot le plus es­sentiel.

 

489. Le verbe est le mot le plus essentiel dans une langue. Car il n’y a point de discours sans proposition ; point de proposition qui n’exprime un jugement ; point d’expression de jugement qui n’énonce |385 un sujet déterminé, une modification également déterminée et l’existence intellectuelle du sujet sous cette modification. Nous ne parlons effectivement que pour communiquer aux autres nos pensées ; nos pensées sont les résultats de nos jugemens intérieurs, et nos jugemens sont des actes par lesquels notre esprit prononce qu’il aperçoit l’existence d’un être sous telle relation à telle ou telle modification. Or c’est la désignation de cette existence intellectuelle du sujet qui est le caractère distinctif du verbe. Il ne peut donc y avoir de langues sans verbe, puisqu’autrement ce seraient des langues avec lesquelles on ne pourrait exprimer des jugemens, et conséquemment des langues avec lesquelles on ne parlerait pas.

Verbe substan­tif ou abstrait.

 

490. Examinons donc attentivement ce mot essentiel de chaque langue, le verbe. Chacune en a un qui exprime uniquement l’idée générale de l’existence ou réelle ou intellectuelle : tel est en français le verbe être (a) [20]. Les hommes sont mortels. Les méchans sont toujours malheureux. Ce verbe, |386 qui se trouve dans toutes les langues, est communément appelé verbe substantif : on le nomme avec plus de fondement verbe abstrait, parce qu’il désigne l’existence, abstraction faite de telle ou telle modification. Nous l’appelons modificatif commun, parce que l’existence est l’attribut commun et universel de tous les êtres.

Verbes adjectifs, ou concrets.

 

491. Les autres verbes, dans chaque langue, expriment aussi l’idée générale de l’existence, mais jointe avec une modification déterminée, laquelle est comprise dans la signification même du verbe : tels sont chanter, je dormais, vous mangerez, ils burent, etc. ; qui signifient la même chose que être chantant, j’étais dormant, vous serez mangeant, ils furent buvant. On les appelle communément verbes adjectifs ; on les appelle aussi verbes concrets, parce qu’ils expriment la modification du sujet conjointement avec son existence. Nous les nommons modificatifs combinés, parce qu’ils expriment la combinaison de l’attribut commun (l’existence) avec une autre modification déterminée.

Les verbes peuvent être décomposés par les formes du |387 verbe ÊTRE jointes à un attribut.

 

492. Il suit évidemment de ces principes qu’il n’y a point de verbe concret ou de modificatif combiné que l’on ne puisse |387 décomposer, de manière à en exprimer toutes les formes par celles du modificatif commun être, jointes à l’attribut particulier renfermé dans la signification de chacun. Ainsi, au lieu de labourer, je labourai, je labourais, je laboure, je labourerai, je labourerais, laboure, que je labourasse, que je laboure, on peut dire : être labourant, je fus labourant, j’étais labourant, je suis labourant, je serai labourant, je serais labourant, sois labourant, que je fusse labourant, que je sois labourant ; et il est évident que cette décomposition pourrait se faire également sur les autres personnes du singulier et du pluriel de chaque forme, et qu’elle s’applique à tous les modificatifs combinés.

On aurait pu n’employer que le seul verbe ÊTRE.

 

493. On aurait donc pu, en français, n’employer que le seul verbe être, et dans chacune des autres langues, le verbe équivalent ; puisqu’avec son seul secours on aurait pu exprimer l’existence de tous les sujets sous une relation à telle ou telle modification (489), et conséquemment énoncer toutes les propositions qui sont ou peuvent être la matière du discours (a) [21]. Mais le |388 langage aurait été d’une langueur insipide et d’une monotonie fatigante autant que désagréable. Faisons-en l’essai ; supposons ces vers :

A de vagues pensers l’homme est toujours en proie ;
Son instabilité ne finit qu’avec lui,
Et nous voyons toujours que sa plus douce joie
Dégénère souvent en un mortel ennui....
Il veut, il ne veut pas, il accorde, il refuse,
Il écoute la haine, il consulte l’amour,
Il promet, il rétracte, il condamne, il excuse ;
Le même objet lui plait et déplait tour-à-tour. (Brébeuf.)

à la place des verbes en caractères italiques, mettons les formes du verbe être, jointes au participe de chaque verbe : « A de vagues pensers l’homme est toujours en proie ; son instabilité n’est finissant qu’avec lui ; et nous sommes voyant toujours que la plus douce joie est dégénérant souvent en un mortel ennui... Il est voulant, il est ne voulant pas, il est accordant, il est refusant, il est écoutant la haine, il est consultant l’amour, |389 il est promettant, il est rétractant, il est condamnant, il est excusant ; le même objet est plaisant à lui et déplaisant à lui tour-à-tour. » Comme ce langage serait traînant, monotone et désagréable par ces perpétuelles désinences en ant !

Simplicité des verbes ou des modifica­tifs combinés.

 

494. Admirons donc la simplicité avec laquelle, par le moyen des verbes concrets ou des modificatifs combinés, on exprime, par un seul mot, l’existence d’un sujet sous telle ou telle modification, avec toute la précision requise et sans nuire ni à la clarté, ni à l’expression bien exacte de la pensée.

Idée princi­pale ou fondamen­tale expri­mée par chaque verbe.

 

495. Il y a plus : ce même mot une fois imaginé pour exprimer l’existence, avec telle ou telle modification, va nous donner la facilité d’exprimer, avec de légères inflexions dans son matériel, de nouvelles idées accessoires jointes à celle de l’existence sous telle modification, qui est l’idée principale ou fondamentale ; de manière que cette idée fondamentale se trouvera exprimée constamment dans chaque forme du verbe, quelle qu’elle soit, et que de plus chaque forme en particulier ajoutera à cette idée principale quelques idées accessoires.

Dans l’infini­tif, on considère, par abs- |390 traction, cette idée fon­da­men­tale comme un être déterminé.

 

496. Ainsi, si par abstraction, par une vue particulière de l’esprit, on envisage comme |390 un être déterminé cette existence d’un sujet quelconque sous une relation à telle modification, sans égard ni aux temps, ni aux nombres, ni aux personnes, le verbe est au mode appelé infinitif. C’est un vrai substantif. Manger, finir, boire ou être mangeant, être finissant, être buvant.

L’indicatif ajoute à l’idée prin­ci­pale l’idée accessoire d’af­firmation.

 

497. Toutes les formes de l’indicatif ou affirmatif expriment la même idée fondamentale en y ajoutant l’idée accessoire d’affirmation, c’est-à-dire, que notre entendement considère cette idée principale affirmativement, comme positive, je mangeai, je mangeais, je mange, je mangerai ; ou je fus mangeant, j’étais mangeant, je suis mangeant, je serai mangeant.

Le condition­nel ajoute à l’idée principale l’idée accessoire d’une condition ou sup­position.

 

498. Toutes les formes du mode conditionnel, ou suppositif, expriment la même idée fondamentale avec l’idée accessoire d’une condition, ou d’une hypothèse, c’est-à-dire que, dans toutes les formes du conditionnel, notre esprit considère l’existence du sujet sous telle modification comme dépendante d’une condition, ou d’une supposition : je finirais cette affaire si l’on voulait m’entendre.

L’impératif joint à l’idée prin­cipale l’i­dée |391 ac­ces­soire du com­mande­ment ou de la prière.

 

499. Dans l’impératif, notre entendement conçoit l’idée principale sous le rapport du |391 commandement, ou de la prière ; c’est-à-dire, qu’il envisage le sujet comme existant sous telle modification, en vertu d’un ordre ou d’une prière. Bois la coupe du malheur, pour devenir sage.

Le subjonctif joint à l’idée principale une autre idée ex­pri­mée par un verbe pré­cédent.

 

500. Toutes les formes du mode subjonctif, ou optatif, ajoutent à l’idée fondamentale l’idée accessoire de désir, de crainte, de doute, ou toute autre idée exprimée par un verbe, quelquefois sous-entendu, duquel dépendent toujours les formes du subjonctif. On doutait que j’étudiasse avec ardeur. La raison veut que nous supportions tous les maux de cette vie avec constance.

Sept modes.

 

501. Voilà donc déjà cinq manières différentes dont notre esprit peut envisager l’existence combinée avec une modification : et chacune de ces cinq vues de notre entendement ajoute une idée accessoire particulière à l’idée principale, laquelle est toujours l’existence du sujet sous telle modification. L’infinitif considère cette idée principale abstractivement, et dans aucun rapport aux temps, aux nombres, ni aux personnes (496). L’indicatif ajoute à l’idée principale, qui est toujours la même, l’idée accessoire d’affirmation (497). Le conditionnel, celle d’une |392 condition, ou d’une hypothèse (498). L’impératif, celle du commandement ou de la prière (499) ; et enfin le subjonctif, l’idée accessoire de désir, de crainte, de doute, ou toute autre exprimée par un verbe antérieur (500). Il y a, outre cela, le mode attributif et l’interrogatif, dont nous parlerons dans la suite. Voilà quant aux idées.

Matériel de ces cinq modes.

 

502. Maintenant, si nous considérons le matériel des mots, qui expriment chacune de ces cinq idées accessoires, jointes à l’idée fondamentale ; si nous considérons, par exemple, le verbe étudier (infinitif), j’étudie (indicatif ou affirmatif), j’étudierais (conditionnel), étudie (impératif), que j’étudiasse et que j’étudie (subjonctif ou optatif), nous verrons que les premières syllabes sont les mêmes dans tous ces mots, qui expriment tous la même idée fondamentale, l’idée de l’existence sous la modification de l’étude ; nous verrons qu’ils diffèrent par leurs terminaisons respectives, et qu’ils expriment des idées accessoires différentes.

Formes de l’indicatif.

 

503. Mais la fécondité des idées qu’il est possible d’exprimer par un seul verbe, ne se borne pas là. L’affirmatif seul a au moins huit formes usitées, dont chacune exprime toujours la même idée fondamentale (l’exis- |393 tence sous la modification de l’étude) (495) ; la même idée accessoire relative aux vues de notre entendement (l’affirmation) (497), et de plus une autre idée accessoire relative au temps : j’avais étudié, j’eus étudié, j’étudiai, j’ai étudié, j’étudiais, j’étudie, j’étudierai, j’aurai étudié (a) [22].

Formes du conditionnel.

 

|394 504. Le conditionnel a au moins quatre formes usitées, qui expriment toutes la même idée fondamentale (495), l’existence sous la modification de l’étude ; la même idée |395 accessoire, la dépendance d’une condition, ou d’une hypothèse (498) ; et dont chacune ajoute de plus à cette idée principale et à cette idée accessoire, une autre idée accessoire relative au temps, ou aux époques ; et le tout avec un léger changement dans le matériel des mots. J’aurais eu étudié, si j’avais eu des livres ; j’aurais étudié, j’eusse étudié, j’étudierais, si je connaissais bien tout le prix de l’instruction.

Formes de l’impératif.

 

505. La même idée fondamentale (495), et une même idée accessoire, le commandement (499), sont également exprimées dans les deux formes de l’impératif : et de plus, l’une exprime une nouvelle idée accessoire relative au présent, et l’autre une relative à l’avenir ; étudie constamment tes devoirs pour les bien remplir. Aie étudié telle chose avant tel temps.

Formes du sub­jonctif,
ou op­ta­tif.

 

506. Enfin les quatre formes du subjonctif, ou optatif, expriment toutes la même idée principale (495), l’existence sous la modification de l’étude, et une même idée accessoire, le désir, le doute, la crainte, ou une autre, (500) ; et de plus chacune y ajoute une autre idée accessoire relative aux époques. On aurait voulu que j’eusse étudié la Grammaire générale de manière à la bien |396 savoir. On a douté que j’aie étudié l’année dernière. On désirait que j’étudiasse pour mon bonheur. On exige que j’étudie pour me procurer toutes les jouissances utiles attachées à l’instruction.

Mode attribu­tif ; mode interro­gatif.

 

Il y a, outre cela, le mode attributif, qui a deux formes, et le mode interrogatif dont nous parlerons dans la suite (1035).

Inflexions re­latives aux nombres et aux personnes dans chaque forme.

 

507. Mais ce n’est pas tout. Chacune des huit formes de l’indicatif a six inflexions différentes, trois pour le singulier, et trois pour le pluriel, dont chacune exprime toujours, 1.o la même idée fondamentale, l’existence sous le rapport de l’étude (495) ; 2.o une même idée accessoire commune à toutes ces huit formes, l’affirmation (497) ; 3.o une autre idée accessoire particulière à chacune de ces formes, et différente pour chacune d’elles, le rapport aux époques (503) ; et à ces trois idées chaque modification du matériel, ou chaque inflexion, dans chaque forme, ajoute deux autres idées accessoires, l’une relative aux nombres, et l’autre relative à la personne qui est le sujet du verbe. J’étudiai avec plaisir, et par conséquent avec succès, l’an passé ; tu étudias, il ou elle étudia, nous étudiâmes, vous étudiâtes, ils ou elles étudièrent.

Multiplicité des idées ex­pri­mées par les dif­fé­rentes formes d’un verbe.

 

|397 508. Il en est de même de chacune des autres formes, soit de l’affirmatif, soit du conditionnel, soit de l’impératif, soit de l’optatif, soit de l’interrogatif : chacune d’elles a six inflexions différentes et exprime six idées accessoires nouvelles, excepté les deux formes de l’impératif qui n’ont que cinq inflexions chacune (Grammaire française n.o 1022). Les huit formes de l’affirmatif expriment donc quarante-huit idées différentes, les quatre du conditionnel en expriment vingt-quatre ; les deux de l’impératif dix ; les quatre de l’optatif vingt-quatre, la forme unique de l’infinitif une, sans compter les deux participes auxquels nous reviendrons ensuite, ce qui fait en tout cent neuf idées différentes. Si nous ajoutons à cela trois formes de l’indicatif, que nous avons cru devoir négliger (Grammaire française 996, 1007), une du conditionnel (la même 1014), une de l’optatif (la même 1029) ; outre qu’on exprime quelquefois le futur avec la forme du présent, (la même 1005), et le présent avec la forme de l’imparfait (1002) ; nous aurons cinq autres formes, dont chacune a six inflexions différentes, relatives aux personnes et aux nombres, et exprime conséquemment six idées différentes : ces cinq |398 formes expriment donc trente idées nouvelles. Mais ne parlons que des formes usitées, huit à l’affirmatif, quatre au conditionnel, deux à l’impératif, quatre à l’optatif, onze au mode interrogatif, une à l’infinitif et deux au mode attributif, en tout trente-deux formes, qui, à six inflexions chacune, excepté celles de l’impératif qui n’en a que cinq, expriment en tout cent soixante-quinze idées différentes par cent soixante-quinze mots, tous dérivés du même.

Rapport entre les idées expri­mées par les dif­fé­rentes formes d’un verbe, et le ma­tériel des mots qui les ex­priment.

 

509. Ces cent soixante-quinze idées renferment toutes une même idée principale, fondamentale (495), l’existence sous tel attribut : aussi tous les mots qui expriment ces idées, se ressemblent-ils parfaitement pour le matériel, quant aux premières syllabes qui les composent. Les quarante-huit inflexions de l’affirmatif expriment, outre la même idée fondamentale, l’idée accessoire d’affirmation, commune à toutes (497) ; chaque forme y ajoute une autre idée accessoire relative au temps (503) ; et enfin chaque inflexion, dans chaque forme, y ajoute de plus deux nouvelles idées accessoires relatives aux nombres et aux personnes (507). Et, si l’on considère le matériel des mots qui expriment ces quarante-huit idées différentes, |399 on s’assurera facilement que ces quarante-huit mots ont d’abord une ressemblance générale par rapport à l’idée principale et à l’idée accessoire d’affirmation qu’ils expriment tous ; ensuite, que chaque forme a une inflexion particulière, par rapport à l’idée accessoire propre à chaque forme, le rapport au temps ; et qu’enfin chaque personne, dans les deux nombres de chaque forme a aussi en général une inflexion différente, pour exprimer les idées accessoires relatives aux nombres et aux personnes. Il en est de même des vingt-quatre idées exprimées dans le conditionnel, des dix de l’impératif, et ainsi des autres modes.

Verbes de
la langue hébraïque.

 

510. La langue hébraïque est encore plus abondante que la nôtre à cet égard : les deuxièmes et les troisièmes personnes, dans chacune des formes d’un mode quelconque, ont deux terminaisons différentes relativement aux deux genres ; c’est-à-dire, une inflexion différente selon que le sujet du verbe est masculin ou féminin : ce qui double presque le nombre d’idées qu’il est possible d’exprimer par les formes d’un verbe.

Verbes du chinois et de
la langue franque.

 

511. Au contraire, dans le chinois et dans la langue franque, les verbes n’ont qu’une |400 seule forme immuable à tous égards, c’est-à-dire, qu’ils n’ont aucune inflexion différente relativement aux modes en général, aux formes de chaque mode, aux personnes et aux nombres de chaque forme : voilà donc les deux extrêmes de la richesse et de la pauvreté.

La formation des verbes est un des plus su­blimes ef­forts du gé­nie de l’homme.

 

512. Notre langue est également éloignée de ces deux extrêmes : elle se trouve placée dans cette heureuse médiocrité qui est souvent le fondement de la vraie perfection. Nous ne devons pas moins admirer cet effort de l’esprit humain, dans la formation des langues, qui lui a fait trouver, par un artifice tout-à-fait ingénieux, le moyen d’exprimer par un seul mot l’existence sous tel attribut ; une idée accessoire relative au point de vue sous lequel notre esprit envisage cette existence ; une autre relative ou au passé, ou au présent, ou au futur sous chacun de ces points de vue, et d’autres relatives aux nombres et aux personnes, et dans certaines langues, aux genres ; et d’exprimer ainsi au moins cent soixante-quinze idées différentes ayant toutes une base commune, par cent soixante-quinze mots, différens à certains égards, quoiqu’ayant une ressemblance générale, et étant tous dérivés du même. Si l’on |401 compare cette fécondité des résultats avec la simplicité des moyens, on ne pourra s’empêcher de considérer la formation des verbes comme l’un des plus heureux et des plus sublimes efforts du génie de l’homme.

Actif, passif, neutre ou d’état.

 

513. Voici encore de nouvelles idées accessoires exprimées par les verbes. Un verbe est actif, passif, neutre ou d’état, selon que la modification déterminée, jointe à l’idée de l’existence (491), est ou une action du sujet, ou une impression produite dans le sujet sans concours de sa part, ou simplement un état, une situation, qui n’est, dans le sujet, ni action ni passion. Il y a des verbes qui, selon les circonstances, expriment ces trois rapports du sujet à la modification combinée avec l’existence. Aimer, par exemple, est actif dans cette proposition : le bonheur du sage consiste à aimer par-dessus tout la vérité et la vertu ; il est passif dans celle-ci : il est doux d’être aimé par les hommes sensibles et vertueux ; enfin il est neutre, ou verbe d’état dans celle-ci : il est toujours dangereux et souvent pénible d’aimer.

Avant que dans son cœur cette amour fut formée,
J’aimais, et je pouvais m’assurer d’être aimée. (Bajaz., ac. 1.)

|402

J’aime ; c’est mon destin d’aimer toute ma vie. (Atys, opera.)

Et puisque, dans chacun de ces trois rapports, le verbe aimer peut exprimer au moins cent soixante-quinze idées différentes (508), il peut donc sous ces trois rapports exprimer cinq cent vingt-cinq idées différentes (a) [23] : et, ce qui est plus digne d’attention, ces idées sont toutes complexes, puisqu’elles expriment toutes l’existence ou réelle ou intellectuelle sous une relation à une modification déterminée (491) ; une vue de l’esprit exprimant ou une affirmation (497), ou une hypothèse (498), ou un commandement (499), ou un désir, une crainte, un doute (500) ; une autre idée accessoire relative aux différentes époques du passé, du présent, du futur (503), et enfin d’autres idées accessoires relatives aux nombres et aux personnes (507), et, dans certaines langues, |403 aux genres (510). Quelle prodigieuse quantité d’idées exprimées par des moyens si simples ! quel sublime mécanisme !

514. Si ce calcul n’est pas rigoureusement exact pour notre langue, ni pour les autres langues modernes qui, comme la nôtre, sont forcées de recourir aux verbes auxiliaires, il l’est au moins pour les langues qui, comme la latine, n’ont pas besoin d’auxiliaires pour les différentes formes de leur voix active, et qui ont des terminaisons et des formes distinctes pour leur voix passive.

Augmentatifs, diminutifs, fré­quentatifs.

 

515. Si à toutes les idées dont nous avons déjà parlé on ajoute les nouvelles idées accessoires, qui, dans certaines langues, forment les verbes augmentatifs, les diminutifs, les fréquentatifs ou itératifs, etc., on sera étonné de la prodigieuse quantité d’idées diverses qu’on peut exprimer en faisant de légers changemens au matériel d’un mot : car ces nouveaux verbes dérivent d’un même mot ; comme notre fréquentatif criailler, par exemple, dérive du verbe crier.

516. Après avoir ainsi suffisamment développé la théorie générale des verbes, revenons aux participes, et tâchons d’en bien connaître la nature.

Le participe actif, seul propre à la décom­po­sition des formes simp­les des verbes.

 

|404 517. Observons d’abord que, dans la décomposition des verbes, le participe actif ou présent est le seul qui puisse servir à la décomposition des formes simples (492), et qu’il exprime toujours un rapport de simultanéité à l’époque quelconque exprimée par la forme du verbe être à laquelle il est joint. Je fus labourant, je suis labourant, je serai labourant ; il est évident que mon action de labourer est représentée comme actuelle, comme simultanée à chacune des époques exprimées par je fus, je suis, je serai.

Le participe passé ou passif entre seul dans la dé­com­posi­tion des formes com­posées.

 

518. Observons ensuite que les participes passés ou passifs entrent seuls dans la composition des formes composées de tous les verbes actifs et de quelques verbes d’état (513) : j’avais labouré, j’avais langui, j’aurai labouré, j’aurai langui, ect. [sic] ; et cela, en se joignant avec les formes du verbe avoir employé comme auxiliaire : en se combinant avec les formes du verbe être, ils composent les formes composées de quelques verbes d’état ; j’étais mort, je suis parti, je serai venu, etc. ; et, dans tous ces cas, le participe passif exprime un rapport d’antériorité à l’époque indiquée par la forme du verbe avoir ou du verbe être, à laquelle il est joint. J’avais labouré, c’est-à-dire, j’avais déjà fait l’action |405 exprimée par le mot labouré ; j’avais langui, c’est-à-dire, j’avais déjà acquis la situation exprimée par le mot langui ; je serai venu, c’est-à-dire, j’aurai déjà fait l’action de venir, etc.

Ce rapport d’antériorité est évident pour quiconque observe l’effet que produit, relativement aux époques de la durée, la réunion d’un participe passé avec une forme quelconque du verbe avoir. J’avais n’exprime qu’un imparfait : réunissez-le avec un participe passif, vous aurez des plus que parfaits, j’avais eu, j’avais été, j’avais labouré, j’avais langui, etc. J’eus est un prétérit défini ; j’eus eu, j’eus été, j’eus labouré, j’eus langui, etc., sont des prétérits antérieurs. J’aurai, je serai, ne sont que des futurs absolus ; j’aurai eu, j’aurai été, j’aurai labouré, j’aurai langui, je serai venu, etc., sont des futurs passés. Il en est de même des autres formes composées : dans toutes, la réunion du participe passif à une forme quelconque de l’auxiliaire recule de quelques degrés l’époque exprimée par cette forme de l’auxiliaire : ce qui ne peut venir que du rapport d’antériorité qu’exprime toujours par lui-même le participe passif.

Il entre seul |406 dans la for­mation de nos verbes passifs.

 

519. Remarquons encore que le participe |406 passé ou passif, est le seul qui entre dans la formation de nos verbes passifs, en se combinant avec les formes du verbe être : je fus aimé, je suis battu, je serai consolé, que je sois puni, etc. ; et, qu’alors même, il conserve toujours son rapport d’antériorité à l’époque désignée par la forme du verbe être à laquelle il se trouve réuni.

Nature des participes.

 

520. Les participes ont donc la même nature que les verbes, puisqu’ils expriment l’existence intellectuelle réunie à une modification déterminée (490, 491), et de plus une relation au temps : ce qui est la nature essentielle des verbes (a) [24].

Le participe con­stitue le mode attri­bu­tif des verbes.

 

|407 521. Nous pouvons donc dire que le participe est un mode particulier du verbe, qui signifie expressément l’espèce d’attribution ou de modification du verbe auquel il appartient, et qui renferme les élémens de toutes les formes simples (517) et composées (518, 519). Pour distinguer ce sixième mode des cinq autres, on peut l’appeler attributif, d’après la définition que nous venons d’en donner : on pouvait même nommer ainsi le participe lui-même.

Deux formes du mode attributif.





Attributif pré­sent ou actif.

 

522. Ce mode attributif a dans notre langue, deux formes impersonnelles ; l’une terminée toujours en ant (488), qui exprime toujours simultanéité par rapport à l’époque quelconque dont on parle (517) ; qui seule peut servir à la décomposition des formes simples des verbes (492), et dont le caractère propre et distinctif est d’exprimer l’énergie renfermée dans le sujet au moment même où il produit l’action, ou dans celui où il éprouve une situation : aimant, c’est-à-dire, faisant ou produisant dans le moment même l’action d’aimer ; languissant, c’est-à-dire, étant |408 dans le moment même dans un état de langueur. Et pour cette double raison nous pouvons appeler cette forme de l’attributif, attributif présent ou actif (517).

Attributif pas­sé ou passif.

 

523. L’autre forme du même mode a des terminaisons variées dans les différens verbes (488) ; concourt, en se combinant avec les formes du verbe avoir, à la composition des formes composées (518), et avec celles du verbe être à la formation des passifs (519) ; conserve, dans toutes ces combinaisons, un rapport d’antériorité à l’époque dont on parle (518, 519) ; et a pour caractère propre et distinctif d’exprimer le produit de l’action ou de la situation désignée par le verbe auquel il appartient. On peut donc l’appeler attributif passif ou passé.

Participes des langues an­ciennes.

 

524. Des langues anciennes, et, entr’autres, le latin, ont trois formes au participe, le passé, le présent et le futur (a) [25]. Le latin et le grec admettent de plus des genres à tous ces participes, au lieu que, dans notre langue, l’attributif présent ou actif, qui était autrefois susceptible des deux genres, est |409 aujourd’hui invariable ; et si notre attributif passé ou passif admet quelquefois les genres et les nombres, c’est lorsqu’il tient plus de la tournure de l’adjectif que de celle du verbe.

L’attributif présent ne se com­bine jamais avec les formes du verbe avoir, mais avec celles du verbe être.

 

525. Faisons encore quelques remarques qui acheveront de développer la nature des attributifs. L’attributif présent ou actif ne se combine jamais avec les formes du verbe avoir, mais seulement avec celles du verbe être. C’est peut-être parce que le verbe avoir est originairement destiné à exprimer la possession d’une chose, et que, pour posséder une chose, il faut qu’elle existe déjà, qu’elle soit déjà faite. Or, l’attributif présent ou actif n’exprime pas une action déjà faite, ni une situation déjà déterminée ; puisque, au contraire, il exprime l’énergie du sujet au moment où il produit l’action, ou au moment où il se procure une situation ; il ne peut donc pas se combiner avec les formes du verbe avoir : au lieu qu’il se combine fort bien avec les formes du verbe être, qui, exprimant toujours essentiellement l’existence, représente l’existence du sujet comme agissant, comme produisant une action, ou inclinant vers une situation.

L’attributif |410 passé se joint avec le verbe être et avec le verbe avoir.

 

526. L’attributif passé ou passif, au moins |410 celui de la plupart des verbes, se joint également avec les formes du verbe être et avec celles du verbe avoir. J’ai aimé ; je suis aimé. Examinons et analysons en particulier chacune de ces combinaisons.

Raison de sa combinaison avec le verbe avoir.

 

527. Puisque l’attribut passif ou passé, exprime toujours un rapport d’antériorité à l’époque dont on parle (518, 519) ; qu’il désigne conséquemment une chose faite, il peut naturellement se combiner avec les formes du verbe avoir, qui expriment la possession d’une chose. Cela nous paraît évident.

Pourquoi il est alors inva­riable.







Il est substan­tif dans les formes com­posées.

 

528. Mais, en pareil cas, l’attributif passé est constamment invariable : car on dit également : il ou elle a aimé et non pas aimée ; ils ou elles ont chanté, et non pas chantés ni chantées. Quelle peut être la cause de cette invariabilité de l’attributif ? Pour la découvrir plus sûrement, observons que de la même manière qu’on dit : j’ai aimé, elle avait chanté, nous eûmes labouré, vous aurez langui, etc. ; on dit aussi : j’ai peur, elle avait soif, vous aurez froid, etc. Or ces dernières expressions, qui, dans notre langue, sont composées d’une forme du verbe avoir et d’un substantif, sont, dans d’autres langues, |411 de véritables verbes (a) [26]. L’analogie nous permet donc de conclure que, dans les expressions j’ai aimé, elle avait chanté, etc., les attributifs passifs aimé, chanté, labouré, langui, etc., sont de vrais substantifs ; c’est-à-dire, que, dans ces circonstances comme à l’infinitif (496), on envisage, par abstraction, comme un être déterminé, l’existence du sujet sous une relation à telle modification. Il n’est donc pas étonnant que l’attributif passif soit alors absolument invariable.

Autre preuve.

 

529. Ce qui paraît encore confirmer cette théorie, c’est qu’il y a dans notre langue une foule d’expressions composées d’un verbe et d’un substantif, et quelquefois d’un verbe, d’une préposition et d’un substantif, et que chacune de ces expressions est rendue dans une autre langue par un seul verbe (b) [27].

Verbes for­més d’un substan­tif.

 

530. Une autre preuve peut-être que, dans les formes composées des verbes, l’attributif passé est un vrai substantif, c’est |412 que l’on forme souvent un verbe d’un substantif. Ainsi, quand Démosthène disait aux Athéniens : Citoyens, la Pythonisse philippise ; philippise signifiait parle en faveur de Philippe, dans le sens de Philippe. Lorsque le vertueux Antonin se disait à lui-même : prends garde de ne pas te césariser ; césariser c’était devenir un monstre comme la plupart des Césars, imiter les Césars. Anciennement du substantif prélat on avait formé le verbe réfléchi se prélasser.

L’âne se prélassant, marche seul devant eux. (La Font.)

Se prélasser, c’est-à-dire, affecter l’air grave et sérieux d’un prélat : et depuis quelques années, du substantif septembre les Français ont formé l’horrible verbe septembriser, dont nous nous dispenserons de donner la signification.

Combinaison du participe pas­sé avec les formes du verbe être.

 

531. Examinons maintenant la combinaison de l’attributif passé avec les formes du verbe être. Nous disons : il est aimé, elle est aimée, ils furent punis, elles furent punies, etc. Les mots aimé, puni, etc., ne sont donc plus invariables en pareil cas : ils prennent les terminaisons qui caractérisent les deux genres |413 et les deux nombres ; et conséquemment ce sont de véritables adjectifs.

L’attributif passé combiné avec les formes du verbe être, est un adjectif.

 

532. Et en effet, le verbe être n’exprime, dans toutes ses formes, que l’existence, ou réelle ou intellectuelle, sous la relation à une modification, laquelle modification n’est pas comprise dans la signification même de ce verbe, mais doit être exprimée par un mot séparé (490, 491). Or ce mot séparé, qui doit exprimer la modification du sujet, dont les formes du verbe être désignent uniquement l’existence, ne peut être qu’un adjectif (439, 446, 524). Et si l’on compare ces expressions : il est habile, elle est sage, ils sont savans, elles sont lestes, avec celles-ci : il est aimé, elle est aimée, ils sont punis, elles sont punies, il est évident que les mots aimé, aimée, punis, punies, jouent le même rôle, ont les mêmes fonctions, sont de la même nature que les mots habile, sage, savans, lestes ; et puisque ceux-ci sont incontestablement des adjectifs, il est naturel de conclure que ceux-là le sont aussi.

Confirmation.

 

533. Ajoutons à cela qu’aucune des formes d’aucun verbe n’étant susceptible de genres dans aucune langue, excepté dans la langue hébraïque (510), l’attributif passé perd |414 évidemment sa nature de verbe pour devenir adjectif, toutes les fois qu’il change de terminaison relativement aux deux genres. Et réellement cet attributif, combiné avec les formes du verbe être, exprime que le sujet existe sous la modification désignée par l’attribut du verbe auquel cet attributif appartient. Je suis battu, c’est-à-dire, j’existe sous la modification particulière exprimée par l’attributif battu ; comme je suis malade signifie j’existe en état de maladie.

Pourquoi le par­ticipe passé est indécli­nable dans les verbes ré­flé­chis suivis d’un com­plé­ment direct.

 

534. Ces principes sur la nature de l’attribut passé, nous paraissent d’autant plus vrais, que cet attributif, même lorsqu’il est combiné avec les formes du verbe être, devient indéclinable lorsqu’il est suivi d’un complément direct. L’usage, presque toujours fondé sur les principes, autorise à dire : nos académies s’étaient fait ces objections, et non pas faites ; elle s’est mis tout plein de chimères dans la tête, et non pas mise ; ils se sont crevé les yeux, et non pas crevés, etc. Ces décisions de l’usage, que nous pourrions citer en beaucoup plus grand nombre, paraissent, au premier coup d’œil, contraires à ce que nous avons dit (531, 532) ; nous allons voir qu’elles confirment au contraire notre théorie. Ces |415 phrases signifient en effet : nos académies ont fait à soi ces objections ; elle a mis tout plein de chimères dans sa tête ; ils ont crevé les yeux à soi. Sous cette nouvelle forme, on voit que, dans toutes ces phrases, l’attributif passé est réellement combiné avec les formes du verbe avoir ; il est donc substantif et non pas adjectif, et doit être conséquemment indéclinable (528) ; quoique la forme déguisée, sous laquelle il se présente, paraisse devoir faire conclure le contraire (531, 532). Ainsi dans les verbes réfléchis suivis d’un complément direct, l’attributif passé est indéclinable, parce qu’il a une signification active, quoique déguisée sous une forme passive (513).

Le participe pas­sé, com­biné avec les formes du verbe avoir, s’accorde avec le com­plé­ment di­rect, lors­que celui-ci pré­cède.

 

535. Nous avons dit que le participe passé, combiné avec les formes du verbe avoir est un vrai substantif, et qu’il est conséquemment indéclinable (528) : c’est là la règle générale. Cependant, toutes les fois qu’en pareil cas il se rapporte à un complément direct, qui le précéde [sic], il doit s’accorder en genre et en nombre avec ce complément ; et l’on doit dire : L’écriture que les Phéniciens ont inventée ; les peuples que la liberté bien entendue a toujours rendus heureux ; les lettres que j’ai écrites ; |416 parce que, dans ces exemples et dans tous les autres semblables, le complément direct, qui précéde, détermine l’esprit à considérer l’attributif passé comme exprimant expressément une modification de ce complément, comme étant un adjectif, et devant par conséquent s’accorder en genre et en nombre avec ce complément (531, 532). La révolution a rendu les Français libres ; mais elle ne les a peut-être pas rendus encore dignes de l’être ; dans la première partie rendu est indéclinable, parce qu’il est substantif et que le complément direct suit (528) ; dans la seconde, rendus s’accorde avec le complément direct les, qui précéde, parce qu’il exprime une modification de les, des Français. Il en est de même de cette phrase : Titus avait rendu sa femme maîtresse de ses biens, mais il ne l’avait pas rendue entièrement maîtresse de ses démarches.

Exceptions.

 

536. Au reste, ce principe n’est pas appliquable lorsque l’attributif passé ne peut exprimer une modification du substantif ou du complément direct qui précède. Ainsi l’on dit : les chaleurs qu’il a fait cet été, et non pas faites.

Nous développerons toute cette matière plus en détail dans la Grammaire française.

 

|417

 

 

DE L’ACCORD OU CONCORDANCE ENTRE LES MODIFICATIFS PARTICULIERS ET LES SUBSTANTIFS.

 

Talis est ordo adhibendus, ut.... omnia sint apta inter se et convenientia. (Tul. de Off., lib. 1, 164.)

Substantifs de différentes espèces.

 

537. Les substantifs expriment ou les objets physiques qui existent par une suite de l’ordre de la nature (408), ou ceux qui sont le produit de nos arts et de notre industrie (409), ou ceux dont nous nous formons l’idée par abstraction, et que nous considérons comme des substances, comme des êtres déterminés (411, 420, 428). Or tout ce qui existe, existe toujours d’une certaine manière, avec telle ou telle qualité, et c’est par ces qualités que les objets nous affectent et nous intéressent.

Les qualités, con­si­dé­rées en elles-mêmes, sont des substan­tifs.

 

538. Si nous considérons ces qualités en elles-mêmes, et non pas conjointement et indivisiblement avec tel ou tel objet qu’elles modifient, les mots qui les expriment, sont de vrais substantifs, comme blancheur, éclat, vertu, etc. (410, 414).

Les qualités, con­sidérées dans les su­jets, sont des mo­di­fi­catifs.

 

539. Si nous les considérons comme existant indivisiblement avec le sujet qu’elles modifient, comme se trouvant en lui, les mots qui les expriment sont de vrais modificatifs |418 (404, 439) : linge blanc, lustre éclatant, homme vertueux, etc.

Différentes espèces de modificatifs.

 

540. Il y a autant de modificatifs différens qu’il y a de qualités, de manières d’être, ou de relations que notre entendement peut considérer dans les objets. Tantôt nous voulons exprimer les impressions que les objets physiques font sur chacun de nos sens (448), tantôt le rapport d’appartenance ou de propriété des différens objets à un sujet déterminé (449), tantôt un rapport d’égalité ou d’inégalité entre les formes, entre les dimensions de différens objets (450) ; quelquefois nous voulons déterminer les objets sous le point de vue d’une précision numérique (451), ou en déterminant leur qualité (452), ou en déterminant leur ordre (453), ou par une idée de multiplication progressive (454), ou sous d’autres points de vue (457-469) ; d’autres fois nous ne voulons que marquer le mouvement de notre esprit vers l’objet particulier de notre idée (470, 475, 476) ; d’autres fois enfin nous considérons le sujet comme renfermant en lui l’énergie de l’action exprimée par un verbe, et au moment même où il exerce cette énergie (522), ou comme ayant reçu cette action (523), ou comme existant sous |419 tel rapport à telle modification déterminée exprimée par un verbe.

Concordance.

 

541. Quels que soient les modificatifs qui expriment ces différentes qualités des sujets, ces manières d’être, ou ces relations que notre entendement conçoit dans les objets, il est évident que ces mots doivent avoir un rapport particulier, une sorte de ressemblance avec les substantifs, afin de faire sentir, même par la forme de leur matériel, qu’ils expriment les modifications de ces substantifs. C’est ce rapport de ressemblance entre les substantifs et les modificatifs, qu’on appelle concordance.

Pourquoi les mo­dificatifs sont dé­cli­nables.

 

542. Or les substantifs, au moins dans notre langue et dans la plupart des langues modernes, n’ont que deux inflexions accidentelles, celle qui est relative aux nombres (430), et celle qui l’est aux genres (435), excepté les substantifs personnels et quelques substantifs elliptiques, qui seuls ont des inflexions relatives aux cas (427) ; il faut donc que les modificatifs, destinés à accompagner les substantifs, à les déterminer, et à ne faire avec eux qu’un même tableau, aient aussi des inflexions analogues et qu’ils soient conséquemment déclinables.

543. Aussi, dans toutes les langues, |420 quelques modificatifs ont-ils des inflexions différentes, relatives aux genres et aux nombres ; et d’autres, comme les verbes, n’ont, excepté dans la langue hébraïque, que celles qui sont relatives aux nombres et aux personnes. Le substantif, en effet, présente à l’esprit le personnage principal du tableau ; les modificatifs particuliers en peignent la forme, la taille, l’attitude, la couleur, toutes les autres modifications que nous avons intérêt de faire envisager aux autres ; et le verbe en désigne l’action ou la situation. Il doit donc y avoir une sorte d’unité entre toutes ces espèces de mots destinés à ne former qu’un tableau unique. Les modificatifs particuliers, par leurs inflexions relatives aux genres et aux nombres, s’adaptent au substantif, avec lequel ils ne font qu’un, avec lequel ils n’expriment qu’une même chose, indivisible, comme l’habit s’adapte à la taille de celui qui en est revêtu : et le verbe, par ses inflexions relatives aux nombres et aux personnes, indique qu’il n’y a que tel ou tel personnage qui agisse, ou qui soit dans telle situation.

544. Aussi, le substantif présentant le personnage principal du tableau, c’est lui qui, dans chaque langue, prend d’abord |421 l’inflexion qu’exigent les besoins de l’énonciation ; et les autres mots corrélatifs se revêtent ensuite des inflexions correspondantes, par imitation, pour être en correspondance avec leur corrélatif principal, auquel ils sont subordonnés, et dont ils prennent la livrée pour attester leur dépendance, et afin de montrer qu’ils concourent avec lui à exprimer la même idée, à compléter et à animer le même tableau.

545. Dans les langues qui ont des cas, les modificatifs sont aussi susceptibles de ces accidens, afin d’avoir ce degré de conformité de plus avec les substantifs auxquels ils se rapportent ; et dans celles qui ont trois nombres, le singulier, le duel et le pluriel (432), les modificatifs ont aussi trois inflexions différentes pour le singulier, pour le duel et pour le pluriel.

 

 

 

 

§. II et III. DU MODIFICATIF COMMUN ET DES MODIFICATIFS COMBINÉS, OU DES VERBES.

 

Tempora certa modosque et quod prius ordine verbum est. (Horat.)

 

 

546. Nous avons dit d’avance (490-515), et pour mieux développer la théorie des |422 attributifs ou participes, tout ce que nous aurions à dire dans ces deux paragraphes.

 

 

 

 

§. IV. DES MODIFICATIFS DE PROPOSITIONS, OU DES CONJONCTIONS.

 

Irrupta tenet copula. (Horat., 1, od. 13, 18.)

La conjonction... est un outil propre à conjoindre, selon qu’elle en porte le nom, et à contenir et assembler, non pas toutes choses, mais seulement celles qui ne sont pas simplement dites. (Plutar., œuv. mêl., xi. quest. Platon.)

Utilité des con­jonctions.

 

547. On doit moins considérer les conjonctions comme des élémens du discours, que comme des phrases elliptiques, auxquelles on pourrait suppléer par des expressions plus composées. Pour compléter le tableau de nos pensées, nous avons souvent besoin de plusieurs propositions successives, qui ont entr’elles différens rapports, il faut des mots, des expressions qui indiquent ces rapports et qui lient ces différentes parties d’un même tableau, pour n’en faire qu’un tout unique et complet. Pour cela il faut que ces mots soient de la plus grande simplicité, qu’ils aient la même rapidité que le geste, et qu’ils ne fassent pas eux-mêmes un tableau séparé ou disparate, au lieu de |423 se borner uniquement à lier ensemble les différentes parties d’un même tableau.

Elles lient les propositions et non pas les mots.

 

548. Ce sont les conjonctions qui font cet office ; mais observons bien qu’elles lient ensemble les propositions, et ne prenons pas pour conjonction le verbe, parce qu’il lie le sujet à l’attribut, ou le sujet à sa qualité ; ni la préposition, parce qu’elle lie les objets au rapport ; mais les expressions qui lient les tableaux mêmes de la parole, et qui expriment les rapports que les propositions ont entr’elles.

Rapports qu’elles ex­priment entre les pro­po­sitions.

 

549. Or une proposition se lie-t-elle à une proposition précédente, comme conséquence ? on indique cette liaison par les conjonctions donc, ainsi : comme preuve ? on a la conjonction car ; comme opposée ? mais ; si elles affirment ensemble, on emploie et ; si elles nient ensemble, ni ; enfin si elles affirment séparément, de manière que l’une des deux seulement soit vraie, on a la conjonction ou.

Elles ne lient pas toujours les pen­sées.

 

550. Les conjonctions lient donc toujours les propositions, mais ne lient pas toujours les pensées exprimées par ces propositions ; elles les séparent au contraire quelquefois. Et rappelle une première affirmation qu’on a faite, donne à pressentir qu’on va en faire |424 une seconde, et unit les phrases et les pensées tout à la fois. La vertu est estimable et utile équivaut à ces deux propositions : la vertu est estimable, la vertu est utile.

Ni rappelle une négation déjà faite et en annonce une seconde. Il ne faut être ni orgueilleux, ni rampant, c’est-à-dire : il ne faut pas être orgueilleux, il ne faut pas être rampant. Ni exclut donc les pensées du même ensemble.

Ou exprime une alternative, un résultat partiel, et laisse quelquefois le choix.Reformez les mœurs, ou la liberté est perdue, c’est-à-dire : si vous ne réformez pas les mœurs, la liberté est perdue ; si vous réformez les mœurs, la liberté n’est pas perdue.

Car désigne une pensée comme la preuve de celle qui précède. Socrate fut heureux : car il était sage. La sagesse de Socrate est indiquée comme la preuve de son bonheur.

Elles sont un passage d’une partie du dis­cours à l’autre.

 

551. Les conjonctions sont donc un passage d’une partie du discours à l’autre, et contribuent ainsi, avec l’ordre et la méthode, à en lier toutes les parties, et à indiquer les rapports variés qu’elles ont entr’elles. C’est par leur moyen qu’on lie les phrases, qu’on assemble les pensées dans |425 un ordre systématique, et que l’on compose un tout régulier de plusieurs parties, qui, sans les conjonctions, ne seraient que des listes de phrases détachées, décousues, isolées, et ne pouvant jamais former un tout réuni par les liens du sens et de l’analogie.

Différentes espèces de con­jonctions.

 

552. Il y a donc autant de sortes de conjonctions qu’il y a de différences dans les points de vue sous lesquels notre esprit observe un rapport entre une pensée et une autre. De là les conjonctions copulatives, alternatives, hypothétiques, adversatives, etc. ; en un mot, les quinze différentes espèces de conjonctions distinguées par plusieurs grammairiens. Nous jugeons inutile d’entrer dans tous ces détails ; et nous nous contentons d’indiquer la manière dont on peut les classer, d’après l’espèce particulière du rapport que chacune d’elles sert à exprimer entre deux propositions.

Les expres­sions com­po­sées ne sont pas des con­jonctions.

 

553. Observons seulement qu’on ne doit pas considérer comme de vraies conjonctions les expressions composées ; cependant, qui est pour ce pendant, ou pendant ce ; surtout, sur tout ; c’est-à-dire, qui a quatre élémens, ce, est, à, dire ;  si ce n’est, de même, si, ce, ne, est ; pourvu que, parce |426 que, à condition que, au surplus, c’est pourquoi, par conséquent, etc. : il faut rapporter chacun des mots qui entrent dans ces expressions composées, à sa classe particulière : car ce ne sont pas là des élémens du discours, mais des réunions de plusieurs élémens.

Comment les conjonctions ré­unissent deux phrases en une seule.

 

554. Les conjonctions paraissent quelquefois ne lier que deux substantifs, ou deux modificatifs particuliers, ou deux verbes ; mais ce n’est alors qu’une manière abrégée de réunir deux phrases distinctes en une seule. Mon frère et ma sœur aiment l’étude, équivaut à ces deux propositions : mon frère aime l’étude, ma sœur aime l’étude. Nous avons vu plus haut (550) que, lorsque deux adjectifs sont réunis par une conjonction, la proposition équivaut à deux propositions distinctes. Il en est de même des verbes réunies par une conjonction. Les élèves étudient et s’instruisent, c’est-à-dire, les élèves étudient, les élèves s’instruisent.

Les conjonc­tions sont des mo­di­ficatifs de pro­po­sition.

 

555. Il résulte de tout ce que nous avons dit sur les conjonctions qu’elles modifient réellement les propositions, en marquant les différens rapports qui existent entr’elles (549), et en les liant ensemble (551) : les conjonctions sont donc de véritables modi- |427 ficatifs de proposition. Si l’on dit, par exemple : Quel bonheur pour un peuple d’avoir conquis sa liberté ! mais il faut qu’il sache [?la] conserver par ses vertus, par ses mœurs [], par son respect inviolable pour les [?lo]is ; ce mais modifie ici ces deux propositions ; il signifie plus, et tient lieu de ce développement : je dis de plus qu’il faut etc. ; [?ou] j’ajoute de plus cette restriction qui est, qu’il faut..., etc.

Etymologie de la conjonc­tion mais.

 

556. Effectivement notre mais dérive de l’adverbe latin magis, qui signifie plus (a) [28]. Nos poëtes anciens l’ont employé dans le même sens. Villon a écrit ne moins, ne mais, pour ni moins, ni plus. Nous disons encore dans le style familier : s’il a fait cette faute, [?je] n’en peux mais ; c’est-à-dire, je n’en suis pas la cause, je n’en peux pas davantage ; [?et] dans quelques départemens on dit : je [?n’]aime mais que vous, pour plus que vous.

Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue alentour de ses flancs,
Bat l’air qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents. (La Font., liv. 2, fab. 9.)

Que.

 

|428 557. La conjonction que est aussi une proposition elliptique, et il est souvent facile de remplir les vides de l’ellipse : comme cette conjonction est souvent employée dans notre langue, nous entrerons dans quelques détails à son sujet.

« Je vous assure que l’instruction et la vertu n’ont jamais pris racine dans un cœur évaporé ; » c’est-à-dire, je vous assure cette chose, qui est, l’instruction etc. Que est dérivé de ce qui est : on a dit autrefois que est pour qui est ; en prononçant ensuite qu’est et supprimant enfin l’apostrophe et les consonnes finales, on a probablement formé la conjonction que.

« Tout n’est que vanité ; » c’est-à-dire : tout n’est rien, excepté ce qui est vanité.

« Que je sois confondu, si je cesse d’aimer ma patrie ! » c’est-à-dire : je consens à cette chose, qui est, je sois...., etc. ; ou bien : je désire cette chose, qui est, je sois..., etc.

« Que je meure plutôt que de devenir criminel ! » c’est-à-dire : plaise au ciel cela, qui est, je meure.

Qu’un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
|429 Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Lorsqu’il s’agit de ce qu’il aime. (La Font.)

« Qu’il ait pu s’oublier au point de devenir coupable ! » c’est-à-dire : je suis étonné qu’il ait..., etc. ; ou : est-il possible qu’il ait..., etc.

Que nos cœurs sont heureux, quand la loi du devoir
De nos plus doux penchans confirme le pouvoir ! (Bernis.)

On dit : je sais qu’il est étonné ; j’assure qu’il écrira ; attendu que cela est ainsi, etc. ; et je doute qu’il soit étonné ; je désire qu’il écrive ; pourvu que cela soit ainsi. Pourquoi ces formes de l’affirmatif dans les premières phrases, et celles de l’optatif dans les autres ? c’est que celles-là sont toutes affirmatives, et que les formes de l’affirmatif peuvent seules exprimer cette vue particulière de notre esprit, l’affirmation (497). Au lieu que les autres expriment un doute, une incertitude, un désir, et que les formes de l’optatif doivent être employées pour exprimer cette vue particulière de notre entendement (500). La conjonction que n’exige |430 donc après elle ni l’affirmatif, ni l’optatif exclusivement : c’est à l’écrivain à adopter le mode nécessaire pour exprimer l’idée qu’il a en vue.

Les conjonc­tions sont des phrases ellip­tiques.

 

558. On pourrait remplir les vides de l’ellipse dans ces dernières phrases, comme dans les précédentes. Nous avons donc eu raison de dire (547) que les conjonctions sont des phrases elliptiques. Nous nous en sommes déjà convaincus. De même alors est pour dans ce temps-là ; ainsi pour de la sorte ou de cette sorte ; donc pour par conséquent ; lorsque et quand pour dans le temps que ; quoique pour malgré la raison ou le motif que ; puisque, dérivé probablement de posito quod (a) [29], pour la raison ou la circonstance posée que...., etc.

 

 

 

 

§. V. DES MODIFICATIFS D’ATTRIBUT, OU DES PRÉPROSTIONS ET DES ADVERBES.

I. DES PRÉPOSITIONS.

 

......................... Alterius sic
Altera poscit opem res, et conjurat amicè. (Hor., art. poët., 411.)

Les préposi- |431 tions sont destinées à in­diquer des rap­ports.

 

559. Les prépositions dans toutes les langues |431 sont destinées à indiquer un rapport vague, lequel n’est bien déterminé que par l’application qu’on en fait à deux termes, l’un antécédent, l’autre conséquent.

Certaines idées se lient na­turel­lement ; d’autres ne peuvent s’u­nir que par des moyens par­ticu­liers.

 

560. Pour mieux connaître l’usage de ces sortes de mots, observons que plusieurs de nos idées s’unissent naturellement ensemble, tandis que d’autres ne peuvent s’unir que par des moyens particuliers. Les nombres et les qualités, par exemple, se lient naturellement et immédiatement à leurs substances ; ainsi nous disons : une fleur odorante, des fleurs agréables, etc. ; et de cette identité naturelle du sujet et de sa qualité (539), dérive la concordance grammaticale du substantif avec les modificatifs particuliers (541, 543).

Union natu­relle entre l’a­gent et l’action ou la situation.

 

561. De même, il y a une union aussi naturelle qu’intime entre l’agent et l’action qu’il exerce, ou la situation dans laquelle il se trouve ; aussi disons-nous : César vainquit ; ou entre l’être passif et la cause qui agit sur lui : Pompée fut vaincu. Et comme l’acte est une espèce de milieu entre l’agent et l’être passif, ces trois choses, l’agent, l’acte et l’être passif ou l’objet de l’acte, se lient avec la même facilité : César vainquit Pompée. De là la règle grammaticale |432 que le sujet s’accorde avec le verbe (513), et que celui-ci régit son complément.

Entre les ad­verbes et les verbes, les par­ticipes, les ad­jectifs.

 

562. La même liaison existe entre les verbes (491), les modificatifs par­ti­culiers (439), les attributifs (521), et les adverbes ; puisque ceux-ci servent particulièrement à déterminer les idées exprimées par chacun des trois premiers. Il danse élégamment ; elle est très-sage, ils sont extrême­ment braves ; et de là la liaison de l’adverbe avec chacun des trois autres élémens.

Conséquence.

 

563. Il résulte évidemment de tout ce que nous venons de dire que, sans avoir besoin d’aucun moyen étranger, le substantif s’unit naturellement avec les modificatifs particuliers qui en expriment les qualités (541, 543) : la vertu constante ; avec le verbe qui exprime l’effet ou l’acte que produit ce substantif (561) : la vertu procure ; et avec l’objet sur lequel cet effet est produit (561) : la vertu constante procure le bonheur. L’objet lui-même, à son tour, se lie naturellement avec ses propres modificatifs : la vertu constante procure tout le bonheur possible, ou un bonheur durable ; et enfin le verbe s’unit avec les adverbes qui en déterminent le sens : la vertu constante procure nécessairement un bonheur durable.

Origine et uti­lité des pré­po­si­tions.

 

|433 564. Mais si l’on veut réunir à cette phrase d’autres substantifs, tels que principes et hommes, par exemple, sous quelle forme, ou par quels moyens pourrait-on les y introduire ? ce ne peut être ni comme sujets, ni comme complémens : ces deux fonctions sont déjà remplies ; ni comme attributs : ils ne peuvent l’être par leur nature. Et c’est ici que nous voyons l’origine et l’utilité des prépositions. Nous allons voir qu’elles servent à lier aux propositions des substantifs, qui, sans leur secours, ne pourraient s’y unir d’eux-mêmes. La vertu constante dans ses principes procure nécessairement un bonheur durable aux hommes (pour à les hommes). La proposition est une comme auparavant ; les deux substantifs principes et hommes y ont été introduits par le moyen des deux prépositions dans et à ; et chacun des mots qui y étaient auparavant a conservé la place qui lui est propre. Dans cette dernière proposition, comme dans la précédente (563), il n’y a qu’un sujet et qu’un attribut, quoiqu’on y ait fait entrer deux nouveaux substantifs ; ce qui prouve que ces substantifs ne sont pas sujets de proposition, puisque la proposition est une ; que conséquemment ils dépendent, en quelque |434 sorte, de ceux qui y étaient déjà, qu’ils leur sont subordonnés, et que les prépositions qui les y attachent, indiquent véritablement des rapports entre les premiers et les derniers substantifs (559).

Dans l’ori­gine, elles indi­quaient les rap­ports entre les objets sensibles.

 

565. Probablement, dans l’origine, les prépositions ont été destinées à indiquer les rapports entre les objets sensibles. Bélizaire aveugle se conduisait avec un bâton. Le colosse de Rhodes posait sur les deux côtés du port. César fit la guerre dans les Gaules. Ces figures viennent de Marseille, etc.

Sont em­ployées aussi à indiquer les rap­ports entre des idées abstraites.

 

566. On les a étendues par degrés aux sujets immatériels, parce que les idées abstraites exprimées par des substantifs, ont pour notre imagination presqu’autant de réalité que les objets physiques ; et l’on dit : le chemin est glissant de la vertu au vice, comme on disait : le chemin est pénible d’ici à la montagne.

567. De même, quoiqu’on ne soit pas dans la vieillesse comme on est dans la ville, l’analogie a fait employer la même préposition devant ces deux substantifs. C’est ainsi que la même préposition est usitée dans des cas bien différens ; et les dernières acceptions ressemblent quelquefois si peu aux premières, que, si l’on ne saisit pas bien, ou |435 si on laisse échapper le fil de l’analogie, on ne peut plus rendre raison de l’usage.

Manière d’ex­pliquer les dif­férens rapports indiqués par chaque prépo­sition.

 

568. Pour découvrir tous les usages différens auxquels l’analogie a étendu chaque préposition, il faut observer comment elles ont été d’abord employées avec des objets sensibles, chercher le rapport général et primitif qu’elles furent d’abord destinées à exprimer ; découvrir ensuite par quelle analogie on en a fait usage pour les idées abstraites, et montrer comment la multitude des rapports secondaires dérive du premier. Nous allons l’essayer par quelques-unes, en prenant Condillac pour guide.

Comment l’a­nalogie a éten­du l’usage de cette préposi­tion.

 

569. Par. Comme préposition de lieu, par indique un rapport de passage ; mais ce passage n’est indiqué, malgré la théorie erronée de nos lexicographes, que par le complément de la préposition : aller par monts et par vaux ; passer par la ville ; et par analogie, passer par de rudes épreuves, par les plaisirs, par les peines.

Par indique le rapport de l’effet à la cause ; on dira donc : une tragédie faite par Corneille ; un tableau peint par Rubens.

Puisque par indique le rapport de l’effet à la cause, il indiquera les rapports qui sont à peu près dans la même analogie : |436 celui de l’effet au moyen, élevé par ses intrigues, connaître par la raison ; au motif, se refuser tout par avarice ; agir par intérêt, par ressentiment ; à la manière, parler par énigmes, se conduire par routine, être raisonnable par intervalles.

Rapports pri­mitifs étendus par l’ana­logie.

 

570. Dans et En. On dit : dans une maison, dans ce temps, dans cette année ; et, par analogie, dans le désordre, dans le plaisir, dans la prospérité.

A désigne le rapport du lieu où est une chose ; dans désigne le rapport du contenu au contenant. Je partirai dans le mois de mai signifie avant la fin ou dans le courant du mois, et si je dis : je partirai au mois de mai, ou simplement, le mois de mai, je ferai entendre que ce sera dès le commencement.

Différence des rapports in­di­qués par ces deux préposi­tions.

 

En diffère de dans en ce que le terme qu’il indique se prend toujours d’une manière indéterminée. J’étais en ville signifie je n’étais pas chez moi ; et je n’ajoute pas l’article la, parce que, en pareil cas, il n’est pas nécessaire de déterminer le second terme du rapport. J’étais dans la ville signifie que je n’étais pas sorti de l’enceinte.

Dans s’emploie donc avec un substantif précédé de l’article le ou la, et l’on supprime cet article avec en. Dans l’été, en été ; dans |437 le temps de la guerre, en temps de guerre ; dans la posture d’un suppliant, en posture de suppliant. C’est que les substantifs sont toujours déterminés avec la préposition dans, et toujours indéterminés avec la préposition en (a) [30].

Rapports dif­férens indiqués par la préposi­tion à.

 

571. A. On dit : je réside à Pau, je vais à Pau : la même préposition à indique deux rapports bien différens, l’un de repos, et l’autre de mouvement, de tendance, ou de direction vers un lieu. C’est que la préposition à se borne à indiquer le second terme de chacun de ces rapports, et que leur nature, ou leur espèce est exprimée par les antécédens je réside, je vais.

Il y a beaucoup d’analogie entre la manière d’être dans un lieu, et celle d’être dans le temps ; on dira donc : à une heure, à midi, à l’avenir.

Il y en a encore entre les lieux et les circonstances ; et l’on dit : à ce sujet, à cette occasion.

Tout terme auquel une chose tend est analogue au lieu où l’on va ; on dira donc : donner à son ami, ôter à son ami, parler à |438 son ami. Son ami est le terme des actions de donner, d’ôter, de parler. Cette analogie est encore plus sensible dans en venir à des injures, à des reproches.

La fin, ainsi que l’usage qu’on fait d’une chose, est comme le terme auquel elle tend ; voilà pourquoi l’on dit : table à manger, maison à vendre, action à raconter, homme à nasarder.

Par la même raison on emploie cette préposition, lorsqu’on parle des dispositions d’une personne : homme à réussir, à ne pas pardonner.

Rapport pri­mitif ; rapports ajoutés par ana­logie.

 

572. De. La préposition de marque le rapport du lieu d’où l’on vient, et, par analogie, le rapport du terme d’où une chose commence ; et l’on dit : du matin au soir, d’un bout à l’autre, de Corneille à Racine.

On dit : près, loin de Paris, parce que Paris est un terme sur lequel l’esprit se porte pour revenir de là à la chose dont on parle, et en marquer la situation.

D’apparte­nance.

 

Il y a quelqu’analogie entre le rapport de situation et le rapport d’appartenance, car on est comme différemment situé suivant les choses auxquelles on appartient ; de là : la salle du conseil d’état ; les mouvemens du corps, les facultés de l’âme.

De dépen­dance.

 

Les rapports de dépendance sont analogues à ceux d’appartenance ; et il y en a de |439 plusieurs espèces : de l’effet à la cause, les tableaux de Raphaël ; au moyen, saluer de la main ; à la manière,  parler d’un ton bas ; à la matière, un écu d’or.

De qualité.

 

Cette dépendance s’étend aux qualités dont nous sommes doués ; la même préposition exprimera donc nos rapports avec ces qualités : homme d’esprit, homme de sens, de cœur ; et avec les principes qui nous changent, ou qui nous affectent : accablé de douleur, comblé de bonheur, mort de chagrin.

Le genre dépend de l’espèce qui le détermine ; ainsi, puisque la préposition de désigne toutes les espèces de dépendance, on dira : la faculté de la vue, l’art de parler, la science du calcul.

Des parties au tout.

 

573. Les parties ont un rapport d’appartenance à leur tout, ou de dépendance de leur tout ; ainsi l’on dit : moitié de, quart de. C’est pour cela qu’on emploie cette préposition, lorsqu’on ne veut parler que d’une partie, et qu’on la supprime lorsqu’on parle du tout. Perdre l’esprit, c’est perdre tout celui qu’on a ; avoir de l’esprit, c’est avoir une partie de ce qu’on appelle esprit ; et il y a alors ellipse : car le premier terme du rapport, une partie, est sous-entendu. J’ai de la raison, pour j’ai une partie de la raison ; |440 j’ai raison, c’est-à-dire, j’ai toute la raison qu’on peut avoir, dans le cas dont il s’agit. J’ai des torts, c’est-à-dire, j’ai quelques-uns des torts qu’on peut avoir ; j’ai tort, c’est-à-dire, j’ai un tort entier, tout le tort qu’on peut avoir dans cette circonstance.

A et de ne sont jamais unis qu’il n’y ait ellipse.

 

574. Il faut remarquer qu’il y a ellipse toutes les fois que les prépositions à et de se construisent ensemble : car, puisqu’elles indiquent des rapports différens, et qu’elles doivent conséquemment avoir des complémens différens, elles ne peuvent se réunir que parce qu’on sous-entend les mots qui devaient les séparer. Il s’est occupé à des ouvrages utiles, signifie donc à quelques-uns des..., etc.

De, à et par indiquent des ra­pports corres­pondans à ceux du gé­nitif, du datif et de l’ablatif.

 

575. Les prépositions dont l’usage est le plus fréquent en français, sont de, à et par ; et ce sont précisément celles qui expriment des rapports correspondans à ceux qui sont marqués par les trois cas des langues anciennes, le génitif, le datif et l’ablatif. Ces rapports, dans leur plus grande généralité, sont : pour la préposition de, ceux d’appartenance, de dépendance, d’extraction (a) [31], |441 ou d’abstraction (572, 573) ; pour la préposition à, ceux d’attribution, de tendance, ou de direction vers un but (571) ; et pour la préposition par, ceux de la cause à l’effet, de l’effet au moyen, ou au motif (569).

Prépositions qui in­diquent des rap­ports op­posés.

 

576. Avec, qui indique un rapport d’union, est opposé à sans, qui en indique un de séparation, ou de division. Sur, près, dans, en, entre, parmi, qui indiquent divers rapports de situation, sont opposés à sous, loin, hors, outre, qui indiquent enfin des rapports de situation, mais contraires aux précédens.

Origine des cas.

 

577. Il y a des langues qui indiquent, par des cas, une partie des rapports désignés chez nous par des prépositions : les cas, comme on sait, sont des inflexions différentes qu’elles donnent aux noms (426). Voici peut-être l’origine de ces cas. Dans les commencemens de la formation de chaque langue, les besoins des peuples étant très-limités, il n’y eut d’abord qu’un très-petit nombre de rapports essentiels à exprimer ; et l’on trouva plus simple de les marquer par des |442 terminaisons diverses, par des désinences variées dans le même mot, que d’imaginer des mots nouveaux pour les exprimer.

Nombre des cas de diverses langues.

 

578. Le nombre de ces cas varie dans différentes langues. L’arabe en a trois ; le péruvien en a autant que de prépositions : entre ces deux extrêmes, il y a nombre d’intermédiaires ; ainsi l’allemand admet quatre cas ; le grec, cinq ; le latin, six ; les langues du Malabar, huit ; l’arménien, dix ; le basque, onze ; le lapon, quatorze. (Cours de Gebelin, Gram. Univ., page 379.)

Langues qui n’ont point de cas.

 

579. L’hébreu, le français, l’italien, l’espagnol, l’anglais, qui, en général, n’ont point de cas, sont obligés de désigner par des prépositions, ou par la place que les mots occupent dans la construction usuelle, la plupart des rapports dont les cas sont ailleurs les signes.

Les préposi­tions sont né­cessaires même dans la plupart des langues qui ont des cas.

 

580. Dans les langues même qui ont des cas, on est forcé d’employer des prépositions pour indiquer quantité de rapports, dont l’expression n’a point été comprise dans le système de la formation des cas. Car, à mesure que le développement des connaissances amena le perfectionnement des langues, les rapports et leurs nuances variées se multiplièrent à l’infini ; on sentit le besoin de |443 les exprimer avec précision ; mais on craignit apparemment de charger les substantifs et les modificatifs d’un trop grand nombre d’inflexions diverses, et l’on employa quelques mots courts, peut-être déjà usités dans la langue, pour devenir les signes de ces rapports ; ainsi il y eut dans une même langue, tout à la fois et des cas pour exprimer les rapports les plus essentiels, et les prépositions pour indiquer les autres.

Possibilité d’une langue sans pré­po­sitions.

 

581. Si, au lieu d’avoir recours aux prépositions, on avait suivi la première méthode, c’est-à-dire, si l’on avait donné à chaque substantif et à chaque modificatif particulier une terminaison différente par chaque nouveau rapport qu’on sentit successivement le besoin d’exprimer, on aurait eu un nombre considérable de cas, comme dans la langue péruvienne (578), et l’on n’aurait point eu de prépositions. Ce n’est pas là une hypothèse sans réalité. « La langue basque est absolument sans prépositions, et exprime par des terminaisons différentes, qui sont de vrais cas, tous les rapports qu’on désigne ailleurs par des prépositions. » (Encycl. Méthod. au mot cas.)

Les préposi­tions ne dési­gnent que des |444 rap­ports vagues et indé­terminés.

 

582. Quoi qu’il en soit, les prépositions, dans toutes les langues qui en ont, désignent des |444 rapports généraux, en faisant abstraction de tout terme soit antécédent, soit conséquent. Elles ne présentent un sens clair et complet qu’au moyen des complémens : avec, sans, pour, ne signifient rien tout seuls ; avec probité, sans ostentation, pour modèle, commencent à présenter un sens.

Toute prépo­sition doit avoir un com­plément.

 

583. De là la nécessité de donner aux prépositions un complément qui en fixe le sens, lequel est par lui-même vague et indéfini : ce complément est le second terme du rapport désigné d’une manière vague par la préposition.

La préposition, suivie de son com­plément, se lie à un terme anté­cédent.

 

584. De là encore le besoin de rattacher la préposition suivie de son complément à un premier terme quelconque, à un antécédent, puisqu’il ne peut exister aucun rapport qui n’ait deux termes. Cet antécédent, auquel se lie la préposition suivie de son complément, est ou un substantif : la beauté de la nature, ou un modificatif particulier : courageux sans effort ; ou un verbe : aimer sans faiblesse ; ou un attributif : saisissant avec force ; ou un adverbe : noblement sans hauteur. Tous ces rapports sont alors complets : on y voit les antécédens, la beauté, courageux, aimer, saisissant, noblement ; les conséquens, la nature, efforts, faiblesse, force, hauteur ; et |445 les prépositions, ou exposans de ces rapports, de, sous, sans, avec, sans.

Les rapports grammaticaux, comparés aux rapports ma­thé­ma­tiques.

 

585. D’après ces principes, on pourrait comparer les rapports indiqués par les prépositions aux rapports mathématiques ; et cette comparaison jeterait peut-être un nouveau jour sur cette matière. Si ce langage paraît ne pas convenir à la Grammaire, il convient du moins à la philosophie, qui a incontestablement le droit de mettre toutes les sciences à contribution pour présenter la vérité dans tout son jour.

Les calculateurs disent : 2 est à 4, comme 5 est à 10 :: 18 : 36 :: 22 : 44, etc. ; c’est-à-dire, que le rapport de 2 à 4 est exactement le même que celui de 5 à 10, et ainsi des autres. Mais ce rapport n’est ni le nombre 2, ni le nombre 4, ni, en un mot, aucun des nombres dont il s’agit ici : et lorsqu’on dit que la valeur ou l’exposant de ces rapports est 2, on la considère avec abstraction de tout terme, puisqu’à la place des nombres cités on pourrait en substituer d’autres, en conservant la même valeur des rapports.

Il en est exactement de même des prépositions : elles indiquent les rapports, abstraction faite de tout terme antécédent et |446 conséquent (582) : elles ne sont donc que l’exposant, le signe d’un rapport considéré d’une manière abstraite et générale. Ainsi tout comme le même nombre 2 est l’exposant de plusieurs rapports géométriques dans chacun desquels les deux termes sont différens ; de même, la même préposition se met entre des termes différens pour indiquer des rapports analogues. Courageux sans témérité, noble sans fierté, généreux sans affection. Les grammairiens appellent ces trois phrases analogues ; or analogie et proportion sont la même chose.

Certaines pré­positions se bornent à indi­quer le second terme du rap­port.

 

586. Certaines prépositions se bornent à indiquer le second terme du rapport, sans exprimer ce rapport elles-mêmes. Dans ces phrases : cet habit appartient à un tel ; cet habit ressemble au mien (pour à le mien) ; il réside à Tarbes, il doit venir à Tarbes, etc. ; le premier rapport est un rapport d’appartenance, le second de ressemblance, le troisième de repos, et le quatrième de mouvement : la préposition à, employée partout, ne sert donc qu’à indiquer le second terme du rapport ; l’espèce, où la nature de chaque rapport est déterminée par les antécédens appartient, ressemble, réside, venir.

D’autres mo- |447 difient le premier terme, tout en indi­quant le se­cond.

 

587. D’autres au contraire tout en indi- |447 quant le second terme du rapport, déterminent en même temps l’espèce du rapport, et modifient conséquemment le premier terme. L’épée de Turenne, l’armet de Mambrin ; dans ces phrases, la préposition de indique le second terme de chaque rapport, et exprime en même temps un rapport d’appartenance de l’épée à Turenne, et de l’armet à Mambrin : car ce rapport n’est nullement exprimé par les antécédens, l’épée, l’armet.

Celles qui ne font qu’indi­quer le second terme du rap­port, peuvent être employées dans des cas dif­fé­rens.

 

588. Une conséquence bien naturelle de cette nature différente des prépositions, est que celles qui se bornent à indiquer le second terme du rapport, sans exercer aucune influence sur la signification des deux termes, sans les modifier ni l’un ni l’autre, peuvent être employées dans des cas différens, comme dans les phrases citées au n.o 586.

Les autres ne peuvent servir que par des rap­ports ana­logues.

 

589. Au lieu que celles qui modifient le premier terme du rapport, en même temps qu’elles indiquent le second, ne peuvent servir qu’à indiquer des rapports analogues, comme dans les phrases du n.o 585, et dans celles du n.o 587. En continuant notre comparaison (585), nous pourrions dire que les premières sont, dans les rapports grammaticaux, ce que sont, dans les rapports géométriques les deux points, qui ne font |448 qu’indiquer le rapport, sans en exprimer la valeur ; et que les dernières sont comme les exposans qui indiquent la valeur des rapports.

Il n’y a point de prépositions com­posées.

 

590. Il ne faut point admettre des prépositions composées, comme le font certains grammairiens : c’est confondre toutes les idées que de prendre des phrases pour des élémens du discours. Ainsi à l’égard de, à la réserve de, etc., etc., etc., sont des expressions composées chacune de quatre mots.

Lorsque plu­sieurs pré­positions se suivent immé­dia­tement, il y a ellipse.

 

591. Girard (Vrais princ., tom. 2, pag. 242), a cru mal-à-propos que l’usage a accordé à quelques prépositions le droit d’en régir d’autres en certaines occasions. Lorsque deux ou plusieurs prépositions se suivent sans aucun mot intermédiaire, il y a ellipse ; et il faut suppléer, entre ces prépositions, le terme qui doit servir tout à la fois de complément à la première, et d’antécédent à la seconde (583, 584). Ainsi, de par l’Empereur, signifie de l’autorité donnée par l’Empereur : je le vis sauter sur moi de derrière un mur, c’est-à-dire, je le vis sauter sur moi de l’espace qu’il y avait derrière un mur : ce tableau est pour dessus l’autel, c’est-à-dire, pour être placé dessus ou sur l’autel : ce piquet est pour en-deçà des remparts, c’est-à-dire, ce piquet est destiné pour servir en un poste |449 situé deçà l’enceinte des remparts. Dans cette dernière phrase, il y a quatre prépositions de suite, pour, en, deçà, de, (dans des pour de les) : en remplissant les vides de l’ellipse on voit que est destiné est l’antécédent de pour ; servir, qui en est le complément, est en même temps l’antécédent de en ; celle-ci a pour conséquent un poste ; situé est l’antécédent de deçà ; l’enceinte, qui en est le conséquent, est aussi l’antécédent de la préposition de, qui a pour complément les remparts. Voilà donc la plénitude de la construction analytique : la construction usuelle s’en écarte par la tendance naturelle qu’ont toutes les langues à la concision et à la brièveté (751), et parce que les lacunes de l’ellipse sont faciles à remplir.

Les préposi­tions sont des mo­di­fi­catifs d’attribut.

 

592. Puisque les prépositions, suivies de leurs complémens, se joignent aux autres élémens du discours (584), elles modifient donc les idées exprimées par les antécédens auxquels elles se rattachent ; nous avons donc eu raison de les appeler modificatifs d’attribut (443).

Entrent dans la composition de certains mots.

 

593. Dans tous les cas dont nous venons de parler, on emploie les prépositions, pour ainsi dire, par juxtà-position : on les emploie aussi par composition, c’est-à-dire, de ma- |450 nière qu’elles fassent réellement partie des mots dans la composition desquels elles sont amalgamées. Il y a de ces mots dans toutes les langues : tels sont dans la nôtre, admettre, commettre, démettre, omettre, permettre, promettre, remettre, soumettre, transmettre, tous composés de l’infinitif du verbe mettre et de différentes prépositions, dont quelques-unes sont latines : surprendre, surfaire, surdire, surmener, surcomposer, surenchérir, etc., composés de la même préposition et de différens infinitifs. Dans tous ces cas, les prépositions communiquent aux mots auxquels on les unit, quelque chose de leur signification ; et c’est cette signification communiquée, qui, en dernière analyse, peut se réduire, dans bien des cas, à quelques rapports de situation, de lieu, employés ou dans un sens propre, ou dans un sens figuré.

 

 

 

 

II. DES ADVERBES.

 

Quid enìm aliud est pars orationis, nisi vox indicans mentis conceptum, id est, cogitationem ? (Prisc., lib. 11.)

L’adverbe est l’équivalent d’une préposi­tion suivie de son complé­ment.

 

594. Examinons ces phrases : il s’est conduit avec loyauté ; il l’a assassiné de nuit : voilà deux rapports indiqués par deux prépositions (avec, de) (586). Supprimons l’anté- |451 cédent de chacun, il nous restera les phrases adverbiales avec loyauté, de nuit. Si nous faisons attention que chacune de ces prépositions avec son complément peut être exprimée par un seul mot, loyalement, nuitamment (a) [32] ; si nous considérons qu’il y a, dans plusieurs langues, des adverbes, qui n’ont point, dans une autre langue, des équivalens sous la même forme, mais qu’ils s’y traduisent par une préposition suivie de son complément ; si nous observons enfin que souvent dans une même langue, la préposition suivie de son complément et l’adverbe sont à peu près synonymes, comme les deux que nous venons de citer, nous en conclurons que les adverbes sont des mots qui expriment des rapports généraux déterminés par la désignation du terme conséquent, et que conséquemment chaque adverbe est une expression abrégée, qui est l’équivalent d’un substantif précédé d’une préposition.

La phrase ad­verbiale et l’ad­verbe ne sont pas parfaite­ment syno­nymes.

 

595. Néanmoins la phrase adverbiale et l’adverbe ne sont pas parfaitement synonymes. Toute langue doit être naturellement |452 éloignée d’une synonymie entière (314), qui ne l’enrichirait que de sons inutiles ; et peut-être est-il vrai de dire que, lorsqu’il est question de mettre l’habitude en opposition avec l’acte, l’adverbe est plus propre à marquer l’habitude, et la phrase adverbiale à indiquer l’acte ; et l’on doit dire : quoiqu’un homme se conduise prudemment, il ne peut jamais se promettre que toutes ses actions seront faites avec prudence.

Tout mot qui peut être tra­duit par une préposi­tion et son com­plément, est un adverbe.

 

596. Les adverbes expriment donc un rapport comme les prépositions ; avec cette différence, que celles-ci indiquent le rapport avec abstraction de tout terme soit antécédent, soit conséquent, au lieu que les adverbes renferment toujours dans leur signification le complément de la préposition, ou le second terme du rapport. Conséquemment tout mot qui peut être rendu par une préposition et un substantif, est un adverbe.

Les adverbes se lient à un terme anté­cédent.

 

597. Puisque l’adverbe, comme la préposition, fait abstraction de tout terme antécédent (594), et que les prépositions suivies de leurs complémens doivent se lier à un antécédent (584), il doit en être de même des adverbes courageux constamment, aimer faiblement, saisissant violemment ; pour |453 courageux sans interruption, aimer sans passion, saisissant avec violence ; et voilà des rapports complets (584).

Les adverbes sont des modifi­catifs d’attribut.

 

598. Il est évident, d’après cela, que les adverbes modifient la signification des modificatifs particuliers, des verbes, des attributifs, auxquels ils sont joints ; et que conséquemment on peut les appeler modificatifs d’attribut, aussi bien que les prépositions avec lesquelles ils ont tant de rapports de ressemblance.

Espèces d’ad­verbes.

 

599. On a distingué les adverbes en adverbes de lieu, d’ordre, de quantité, de cause, de manière, etc. ; selon que l’idée individuelle du terme conséquent, dont la signification est renfermée dans celle de l’adverbe (596), a rapport au lieu, à l’ordre, à la quantité, etc. Ainsi, ici, là, où, sont des adverbes de lieu ; combien, beaucoup, peu, davantage, médiocrement, largement, etc., de quantité ; savamment, gaîment, etc., de qualité ; promptement, rapidement, confusément, etc., de manière.

Certains ad­verbes ont quel­quefois un com­plément.

 

600. Certains adverbes peuvent avoir quelquefois un complément, lorsque l’idée du terme conséquent, qui y est renfermée, peut se rendre ou par un nom appellatif, ou par un modificatif particulier, dont la |454 signification, trop générale, ou nécessairement relative, a besoin d’être restreinte et déterminée par l’addition d’un complément qui en fixe le sens. Ainsi, l’on dira : il faut vivre convenablement à son état. Dans cette phrase, l’adverbe convenablement a un complément (à son état) qui est absolument nécessaire pour en déterminer le sens. Convenablement signifie d’une manière convenable (596) ; mais ce rapport est absolument indéterminé : convenable, à quoi ? à sa fortune ? à son âge ? à sa position ? aux circonstances ? Ce rapport ne peut donc être déterminé qu’en donnant au modificatif convenable un complément qui en fixe le sens ; et cette détermination est également nécessaire, lorsqu’on traduit d’une manière convenable par son équivalent convenablement. Il en est de même de cette phrase : il a parlé convenablement au sujet ; et de beaucoup d’autres.

Remarque sur les adverbes et les pré­po­si­tions

 

601. Lorsqu’on a employé un adverbe, ou une préposition dans un certain sens, il ne faut pas, dans la même phrase, l’employer dans un sens différent ; parce que, l’esprit ayant été déterminé à prendre ces mots dans un certain sens dans la première partie, est choqué de les trouver de suite |455 employés dans un autre sens, lorsqu’il ne s’agit que de l’expression de la même pensée individuelle. Ainsi il ne faut pas dire : n’envisageons pas la mort comme des lâches, mais comme des hommes courageux, comme tous les philosophes l’ont enseigné : les deux premiers comme sont pris exactement dans le même sens ; mais le troisième est d’une autre espèce ; il faudrait dire ainsi que.

Résumé.

 

602. Nous avons considéré les mots comme élémens de la proposition (224-226) ; nous avons suffisamment développé ce qui est relatif à leur matériel (227), c’est-à-dire, à leurs élémens (228-232) et à leur prosodie (233-238), à leur valeur (239), à leurs acceptions (241), au sens propre (242), au sens figuré (243) et aux tropes (244-311) ; nous avons traité des synonymes (313-321), des homonymes (322-327), de l’étymologie (328-377), de la formation (383-385), de l’euphonie (379-381), de la contraction (378) ; et enfin, nous avons parlé de l’espèce grammaticale des mots (386-601). Nous avons donc fini la Grammaire élémentaire relativement à la parole prononcée (224) ; mais il nous reste à parler de la parole écrite.

 

|456

 

 

DE LA PAROLE ÉCRITE, OU DE L’ORTHOGRAPHE.

 

Est sua loquentibus observatio, sua scribentibus. (Quint., Instit. orat., lib. 1, c. 4, n. 8.)

Origine de l’écriture.

 

603. Long-temps après que les besoins des hommes eurent donné naissance aux langues, on sentit le besoin de communiquer ses pensées aux absens, et de les transmettre à la postérité. La parole prononcée ne peut pas avoir cet avantage, puisqu’elle ne peut être un moyen de communication qu’à l’égard des personnes qui sont à portée de l’étendre, et, qu’une fois échappée, elle ne peut plus être ni fixée, ni rappelée par aucun moyen (a) [33]. On chercha donc à donner du corps et une certaine stabilité à la parole ; on tâcha de la peindre, et l’on essaya de former un tableau fidèle de la parole prononcée, comme la parole prononcée est elle-même un tableau fidèle de la pensée.

Premiers efforts.





Hiéroglyphes.

 

604. Les résultats des premiers efforts, des premières tentatives, furent sans doute bien grossiers, bien imparfaits. Aucun art n’a été porté à sa perfection qu’à force de tatonnemens, d’observations, de méditation ; et celui de peindre la parole est sans |457 contredit un de ceux qui présentent les plus grandes difficultés, et qui opposent les plus grands obstacles. On commença probablement d’abord par employer des symboles représentatifs des choses, ou les images grossièrement peintes des choses qu’on voulait exprimer. Ensuite on en vint aux hiéroglyphes, qui n’étaient que l’abrégé de ces mêmes images, et qui furent employés, quoique diversement, par presque tous les peuples.

Invention de l’écriture, due aux Phéniciens.

 

605. Enfin, après une longue expérience de l’insuffisance de cette méthode et de son embarras, après bien des efforts multipliés, après une longue suite d’observations, on s’avisa de décomposer chaque mot dans ses élémens : on reconnut qu’ils sont tous composés d’un certain nombre de sons primitifs et d’articulations (229, 230), et l’on représenta chaque son primitif et chaque articulation par un signe particulier, par un caractère propre. C’est ainsi que fut inventée l’écriture ; cette invention, l’une des plus belles, des plus importantes, des plus utiles, l’un des plus beaux résultats de l’analyse et des efforts de l’esprit humain, est due, dit-on, au peuple Phénicien :

C’est de lui que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,
|458 Cet art qui par les traits de figures tracées
Donne de la couleur et du corps aux pensées. (Brébeuf.) (a) [34].

C’est d’elle que nous vient le fameux art d’écrire,
Cet art ingénieux de parler sans rien dire,
Et, par les traits divers que notre main conduit,
D’attacher (*) [35] au papier la parole qui fuit. (Corneille.)

 

 

606. Pour exposer avec méthode tout ce qu’il y a à dire sur la parole écrite, nous suivrons le même ordre que nous avons suivi relativement à la parole prononcée. Nous parlerons donc seulement ici de l’orthographe des mots isolés, et nous renverrons celle des mots rassemblés à la fin de la syntaxe.

 

 

 

 

DE L’ORTHOGRAPHE DES MOTS ISOLÉS.

 

Ego sic scribendum quidque judico, quomodò sonat ; hic enìm usus est litterarum ut custodiant voces, et velut depositum reddant legentibus. (Instit. orat., lib. 7.)

 

 

607. Le matériel des mots offre, relativement à l’orthographe, ou à la manière de |459 les écrire, deux points de vue différens, les caractères élémentaires ou alphabétiques, et les caractères prosodiques.

 

 

 

 

DES CARACTÈRES ÉLÉMENTAIRES OU ALPHABÉTIQUES.

 

Judicium autèm suum grammaticus interponat his omnibus ; nàm hoc valere plurimùm debet. (Quintili.)

Caractères élé­men­taires ou alpha­bétiques.

Voyelles.

Consonnes.

Lettres.

Alphabet.

Abécédaire.

 

608. Les caractères élémentaires ou alphabétiques sont les signes qui ont été adoptés dans chaque langue pour représenter chaque son (229) et chaque articulation différente (230) : ceux qui représentent les sons, se nomment voyelles ; et ceux qui représentent les articulations s’appellent consonnes. Les uns et les autres sont appelés d’un nom commun lettres ; et la liste de ces lettres, dans chaque langue, forme l’alphabet de cette langue, nom dérivé des deux premières lettres grecques, alpha, bêta. Nous l’appelons aussi dans notre langue, abécédaire, mot dérivé du nom de nos quatre premières lettres, a, b, c, d. Nous avons dit dans chaque langue : car le choix des signes adoptés pour représenter, soit les sons, soit les articulations, premiers élémens des mots, est parfaitement arbitraire : aussi les lettres des Hébreux sont-elles différentes de |460 celles des Grecs, et les nôtres ne ressemblent ni aux unes, ni aux autres.

Syllabes, diphtongues.

 

609. Des différentes combinaisons des voyelles et des consonnes se forment les syllabes et les diphtongues ; et les mots les plus longs ne sont que la réunion d’un nombre de syllabes plus ou moins grand, ou de diphtongues et de syllabes.

Règle d’or­tho­graphe.

 

610. La seule règle qu’on puisse donner sur cette partie de l’orthographe, est d’écrire exactement chaque mot avec les lettres et les syllabes qu’il doit avoir d’après l’usage, qui est communément fondé sur l’étymologie (328). Cela est d’autant plus nécessaire, qu’il y a, dans toutes les langues, des mots qui, avec des significations très-différentes, ont à peu près le même son dans la prononciation (a) [36], et qui ne se distinguent les uns des autres que par la manière dont ils sont écrits. Il faut donc écrire soigneusement avec les lettres qui leur conviennent ceint, |461 ayant une ceinture ; sain, ayant de la santé ; saint, ayant de la sainteté ; sein, partie du corps humain ; seing, signature ; sans quoi l’on confondrait tous ces mots, et tous les homonymes, et l’on s’exposerait à des méprises ridicules.

 

 

Il en est de même de comte, compte, conte ; compter, conter.

On sent la différence qu’il y a entre ils se font, il se fond ; entre ces produits, ses produits ; il refuse à ses sens toutes les jouissances nuisibles ; sans aucune faiblesse, etc., etc.

De même l’attributif ou le participe passé de chaque verbe de la première conjugaison, lorsqu’il est au masculin et au pluriel, doit s’écrire par un é fermé suivi d’un s à la fin ; et la seconde personne du pluriel de quelques formes du même verbe s’écrit toujours par un e et un z. Vous aimez, ils sont aimés ; vous vous entêtez, ils sont entêtés, etc.

 

 

 

 

DES CARACTÈRES PROSODIQUES.

 

Figura propria in litteræ modum positæ, ad demonstrandam unamquamque verbi.... rationem. (Isidor., orig., I. 20.)

Leur objet.

 

611. Les caractères prosodiques sont |462 pareillement consacrés par l’usage pour diriger et régler la prononciation exacte et uniforme des mots écrits. Il y en a de trois sortes.

612. Les uns règlent la prononciation matérielle des mots, ou de leurs élémens, comme la cédille, l’apostrophe, le tiret et la diérèse.

La cédille.

 

613. Le substantif cédille vient du mot espagnol cédilla, qui signifie petit c. La cédille est en effet une espèce de petit c que l’on met sous le c, lorsque, par la raison de l’étymologie, on conserve le c devant un a, un o, ou un u, quoiqu’il ne doive pas y avoir le son qu’il a communément devant ces voyelles. Ainsi de glace, on écrit glaçant, glaçon ; de menace, menaçant, menaçons ; de concevoir, conçus, etc. La cédille marque que le c doit avoir la même prononciation qu’il a dans le mot primitif : par ce moyen, les dérivés conservent la lettre c, qui est dans leur primitif, et ils la conservent avec le même son (340-345).

L’apostrophe.

 

614. L’apostrophe, en grec, en latin et en français, ainsi que dans d’autres langues, marque le retranchement d’une voyelle, ou d’une consonne, communément à la fin d’un mot, pour la facilité de la prononciation : |463 ce retranchement est indiqué par une petite virgule (’) qu’on met au-dessus de la place de la lettre supprimée (a) [37].

 

 

La voyelle a ne se supprime en français que dans l’article la, lorsqu’il précède un mot qui commence par une voyelle, ou par un h muet : l’âme pour la âme, l’épée, pour la épée, l’horreur pour la horreur.

La voyelle e se supprime quelquefois avant [d]es mots qui commencent par une consonne : ce n’est pas grand’chose, il n’a pas grand’peur, il a salué sa grand’mère ; mais cette suppression a lieu le plus souvent lorsque le mot suivant commence par une voyelle, ou par un h muet, excepté devant onze, onzième, huit, huitième. Qu’on fasse pour que on fasse ; un d’eux pour un de eux ; on m’est pour on me est ; l’horreur pour la horreur.

La voyelle i ne s’élide que dans la conjonction si avant il, et non pas avant elle : s’il arrive, s’il veut, s’ils étudient, si elle arrive, si elle veut, si elles étudient.

|464 La voyelle u ne s’élide point. Il a paru ébahi.

Le tiret ou trait d’union.

 

615. Le tiret ou trait d’union est un petit trait droit et horizontal (-). On l’emploie dans les cas suivans :

1.o Lorsqu’un mot commence à la fin d’une ligne, et qu’il finit au commencement de la ligne suivante, on met à la fin de la ligne un tiret pour avertir le lecteur de regarder comme réunies les deux parties separées de ce mot. Il faut alors examiner si chaque partie de ce mot a toutes les syllabes complètes, et ne pas écrire les premières lettres d’une même syllabe à la fin de la ligne et les dernières au commencement de l’autre ligne.

2.o On met le tiret entre les parties de certains mots composés : peut-être, un tire-bottes, un tire-bouchon, un tire-bourre, un porte-manteau, arc-en-ciel, etc.

3.o Si, après les premières ou secondes personnes de l’impératif, il y a pour complément l’un des mots moi, toi, nous, vous, le, la, lui, les, en, y, on les joint au verbe par un tiret ; et l’on mettrait même un second tiret, s’il y avait de suite deux de ces mots pour complément de l’impératif. Flattons-nous-en, transportez-vous-y, rends-le- |465 lui ; on écrit cependant : faites-moi lui parler, et non pas : faites-moi-lui parler, parce que lui est le complément de parler, et non pas de l’impératif faites.

4.o On unit de même par un tiret les mots ci, là, çà, dà, au mot qui précède : ceux-ci, celles-là, oh-çà, oui-dà.

La diérèse.

 

616. La diérèse est composée de deux points, qui se placent horizontalement sur une voyelle, pour marquer qu’elle doit se prononcer isolée, sans la voyelle qui l’accompagne, et avec laquelle elle ferait sans cela une diphtongue, ou le signe composé d’une voix simple. Ainsi l’on écrit Moïse, Saül (roi des Juifs), haïr, etc., pour prononcer Mo-ise, Sa-ul, ha-ir. Si l’on place la diérèse sur aieul, paien, contigue, ambigue, etc., il faut la placer sur les voyelles qui doivent être séparées, et écrire aïeul, païen, contiguë, ambiguë.

Les accens.

 

617. D’autres caractères prosodiques règlent l’accent et marquent l’élévation du ton. Nous avons trois signes, que nous nommons accens, pour indiquer chacune des trois variations du ton ; l’accent aigu (´), l’accent grave (`), et l’accent circonflexe (^).

Par un effet des circonstances réunies qui concourent à former une langue, nous avons |466 quatre sons différens qui s’écrivent par la même lettre ; de manière que ce caractère unique sert pour l’e ouvert, pour l’e moyen, pour l’e fermé, et pour l’e muet. Il est probable que ce n’est qu’insensiblement que l’e a eu les quatre sons différens dont nous venons de parler. Nos pères conservèrent d’abord le signe qu’ils trouvèrent établi, et dont la valeur ne s’éloignait pas beaucoup alors de la première institution. Mais lorsque chacun de ces quatre sons est devenu un son particulier de la langue, on aurait dû donner à chacun un caractère particulier dans l’écriture ; comme les Grecs qui avaient un caractère particulier pour l’e bref, qu’ils appelaient epsilon, c’est-à-dire, petit e, et un autre pour l’e long, qu’ils nommaient êta : ils avaient deux caractères pour l’o. Pour suppléer à ce défaut, on s’est avisé, il y a un peu plus de cent ans, d’employer les accens pour distinguer dans l’écriture ces sortes d’e, qui sont si bien distinguées dans la prononciation. On marque donc l’e ouvert par un accent grave, l’e fermé par un accent aigu, et l’on ne met point d’accent sur l’e muet. On n’en met pas non plus ordinairement sur l’e moyen, ou, si l’on en met un, c’est l’accent grave ; ce qui est un défaut |467 de précision dans notre orthographe : il vaudrait mieux introduire l’usage de distinguer les e moyens par un accent vertical que l’on mettrait sur le premier e de père, de règle, etc. ; alors nos quatre espèces d’e seraient bien distinctes dans l’orthographe. Lorsque l’e est très-ouvert, on le marque d’un accent circonflexe, tempête, même.

On place le même accent sur toutes les voyelles qui étaient autrefois suivies d’un s, que l’usage a supprimé, épître, apôtre, etc. ; sur le vôtre, le nôtre, et non pas sur votre, notre, suivis d’un substantif ; sur bientôt, etc.

Caractère re­latif à la quan­tité.

 

618. Les anciens marquaient leurs longues par un trait horizontal (-), leurs brèves par un c renversé ([˘]), et les douteuses par ce double caractère ([]). Dans notre langue, nous n’employons pas d’autres signes particuliers, que les accens (617).

 

 

Notes

[1] (a)

Eheu ! quàm brevibus pereunt ingentia causis ! (Claud., in Rufin.)

Heu pietas ! heu prisca fides ! (Æneid., 6, 878.)

.................. Oh ! dio, tu piangi !
Ah ! non pianger, ben mio. (Metasta., Artas., at. 1, sc. 1.)

Deh ! non tradirmi, amico. (Le Stes., at. 2, sc. 3.)

Etc., etc., etc.

[2] (a) Individua substantia meliùs et peculiariùs explicatur |339 per tria hæc pronomina, ego, tu, ille, quàm per nomina propria. Quùm enìm dico ego, neminem alium poteris intelligere ; et quùm dico Franciscus, etiàm in alium potest transmitti intellectus. (F. Sanct., Miner., pag. 15.) Et malgré cette remarque judicieuse, Sanctius appelle ces mots pronomina ; ce qui est contradictoire.

[3] (a) En latin : ego, mei, mihi, me ; nos, nostrî, nostrum ; |341 tu, tui, tibi, te ; vos, vestrî, vestrûm.... En italien : io, me, mi, noi, ci ; tu, ti, te, voi, vi.... En espagnol : yo, me, mi, nos ; tu, ti, te, vos.... En anglais : i, mè, wè, us ;thou, thèe, yoù, yè.

[4] (a) En latin : ille, illa, illud, etc.... En anglais : he, she, it ; her, him ; they, them…. En espagnol : el, elle [sic], le, la, ello, lo ; ellos, las, los ; ellas, les, las.... En italien : egli, lui, ella, essa, lai ; eglino, loro ; elleno, loro, esse.

[5] (a) Non y a hom sur la terre. (Borel, Antiquités gauloises, au mot hom.)

[6] (a)

.................. Nessuno è reo
Se basta à falli suoi
Per difesa portar l’esempio altrui. (Metast., Artas., at. 1, sc. 4.)

[7] (a) En latin, nemo pour ne homo. En italien, nessuno ò niuno, composé de la négation et de uno, mot-à-mot, pas un ou ni un.

[8] (a) En latin, quicumque, quæcumque, quodcumque. En italien, chiunque, composé de chi, un pour uno, que, mot-à-mot, quel un que.

[9] (b) Sur toutes riens (Mehun.). Elle le boit sur tout rien |347 (Nicot.) Voilà bien la signification du mot chose. Elle est aussi sensible dans le mot anglais correspondant ; Nothing, qui veut dire non chose.

[10] (a) Sint Mæcenates, non deerunt, Flacce, Marones. (Marti.)

[11] (a) En latin, alvus, masculin dans l’origine, est devenu féminin.

[12] (a) Aigle et renard, par exemple, sont masculins en français ; les noms latins correspondans (aquila et vulpes) sont toujours féminins ; au contraire, tourterelle  et chauve-souris sont toujours féminins ; et leurs analogues latins (turtur et vespertilio) sont masculins, etc., etc.

[13] (b) De même en latin, hic et hæc dies, hic et hæc finis.

[14] (a) Anciennement aucuns signifiait quelques-uns. Chacun en est aheurté (de l’imagination) ; aucuns en sont renversés. (Montaigne).

[15] (a) Unus a souvent en latin précisément le même sens que notre un français :

Quis est is homo ? unus-ne amator ?
Hic est unus servus violentissimus. (Plaut.)

Sicut unus pater-familias. (Tull.)

Fortè unam aspicio adolescentulam. (Terent.), etc., etc.

[16] (a) L’article placé devant l’infinitif produit, dans |375 l’italien et dans l’espagnol, le même effet que dans notre langue.

 

mot à mot.

                  I suoi produca
Non i meriti degli avi. Il nascer grande
È caso e non virtù. (Metast., Artas.)

Ah ! ch’el fuggir me giova ! (Ibid.)

     Col suo morir degg’io
Giustificar me stessa (at. 2, sc. 6.)

     Poichè col dir t’offendo
I’ mi morrò tacendo. (Past. fido).

     Les siens qu’il produise, non les mérites de les aïeux. Le naître-grand est hasard et non vertu.

     Ah ! que le fuir me convient !

     Avec son mourir dois moi justifier moi-même (pour avec sa mort.)

     Puisque avec le dire t’offense, je me mourrai taisant.

   Y la gana de hurtar, y el hurtar son en ellos como accidentes inséparables. (Cervant., Novel. de la Gitanilla.)

   Porque antès el ser muchos quita el miedo.

   El haver usado bien su officio sera al valedor para que le den otre.

   Los haveres pour dire les biens, etc., etc.

   Et le desir de voler, et le voler sont en eux comme accidens inséparables. (Le voler pour l’action de voler.)

   Parce que plutôt, le être plusieurs ôte la peur.

   Le avoir usé bien son emploi sera le protecteur pour que lui donnent autre.


Dans le latin, l’infinitif est aussi souvent pris substantivement, quoiqu’il ne soit pas précédé de l’article, comme dans ces phrases : nocet esse feracem. (Ovid.) Te duci ad mortem, Catilina, jampridèm oportebat. Interfectum te esse, Catilina, convenit. (Tull.) Cupio me esse clementem, etc., etc., etc.

[17] (a) Noster sermo articulos non habet. (Quint., lib. 1, cap. 4.)

[18] (b) En espagnol : el, la, lo, los, las. En anglais : the. En italien : il, lo, la, i, gli, le.

[19] (a) Cette phrase latine : rex es tu ? peut être traduite de différentes manières : êtes-vous roi ? êtes-vous le roi ? êtes-vous un roi ? et ces traductions expriment des idées diverses. Il en est de même de cette phrase : nemo satis gratiam regi refert (Terent., Phorm.) ; on peut traduire au roi ou à un roi. Cette indécision, ou cette multiplicité de sens est un vrai défaut dans les langues sans articles.

[20] (a) En latin : esse, fui, sum, eram, etc.... En espagnol, ser, fui, soy, etc. En italien : esser, fui, sono, etc.... En anglais : to be, i was, i am, etc.

[21] (a) Les anglais s’énoncent souvent de cette manière : « In the essay of wich [sic] i am now speaking. (Spect., n.o 253.) |388 Mot à mot : dans l’essai dont je suis maintenant parlant, pour dont je parle. Cette construction est familière aux Anglais.

[22] (a) Les Italiens emploient quelquefois la forme du présent pour exprimer un futur.

 

mot à mot.

Quando finisse, o Dei,
La vostra crudeltà !
          (Artas., at. 3, sc. 7.)

Quand finit, ô Dieu,
La votre cruauté !
     (pour finira.)

 

D’autres fois ils emploient l’optatif pour l’affirmatif.

Come vita non sia
Senon quella che nutre
Amorosa insanabile follia.
     (Il Cas. Fid., at. 1, sc. 1.)

Comme vie ne soit
Sinon celle qui nourrit
Amoureuse inguérissable folie.
     (Ne soit pour n’est.)


Leur langue diffère encore plus de la nôtre par l’emploi des auxiliaires et des participes ou attributifs.

... Ah ! se minore en lui
La virtù fosse stata, ò in me l’amore.
          (Artas., at. 3, sc. ult.)

Se perduto ho me stesso ; quale acquisto
arò mai che mi piaccia ?
          (Amint., at. 1, sc. 2.)

.... E già tre volte.
Ha il nudo metitor tronche le spighe,
E altretante il verno ha scossi i boschi
Delle lor verde chiome ; ed ogni cosa
Tentata ho per plaearla fuor-chè morte.
          (Amint., sc. 2.)

.... Ah ! si moindre en lui
La vertu fut étée, ou en moi l’amour.
     (Nous dirions eût été.)

Si perdu j’ai moi-même, quelle acquisition
Ferai jamais qui me plaise ?
     (Nous dirions si je me suis perdu.)

.... Et déjà trois fois
A le nu moissonneur coupés les épis,
Et autres autant l’hiver a privés les bois
De les leurs vertes chevelures ; et toute chose
Tentée j’ai pour appaiser vous, hors que la mort.


L’espagnol diffère aussi du français, à cet égard. Cette |394 langue a une manière particulière de former un futur. Sur la porte cochère du château de Coarraze, dans le département des Basses-Pyrénées, château où Henri IV a été nourri dans son enfance, et qui est situé à 15 kilomètres de Pau, sur la route de Barèges, on lit cette inscription : Lo que ha de ser no puede faltar ; ce qui a de être ne peut faillir (pour ce qui doit être). Con condicion que tambien se me ha de decir à mi la buena aventura (Cervantes) ; avec condition que aussi on aura à dire à moi la bonne aventure (pour qu’on aura à me dire, ou qu’on me dira). La combinaison des auxiliaires avec les participes est aussi différente de la nôtre. Y fue le respondido que estaban escuchando, etc., (Cerv.) ; et fut lui répondu que étaient écoutant, etc. Apenas havieron entrado las gitanas, etc., à peine eurent entré les bohémiennes, etc. (au lieu de furent entrées). Que à mi nieta la he criado yo como si fuera hija de un letrado (Novel.) ; que à ma nièce la ai élevé moi comme si fut fille d’un lettré (pour je l’ai élevée comme si elle était, etc., etc.[)]

En anglais, on emploie souvent un participe pour auxiliaire d’un autre, dans les cas où nous emploierions l’infinitif. The town is highly obliged to that excellent artist for having shewn us, etc. (The Spect. 404.) La ville est grandement obligée à cet excellent artiste pour ayant montré nous, etc. And being willing to have more strings than one in my bow, etc. (n.o 253.) Et étant voulant avoir plus cordons que un à mon arc, etc. I am in no small hopes of being settled. (Ibid., n.o 258.) Je suis dans non petites espérances de étant établi.

[23] (a) Amare a aussi en latin ces trois voix, ainsi que bien d’autres verbes.

Sed tacitâ impulsi dulcedine mentis, amamus ;
.............................. Amet qui diligat, altâ
Non qui gente tumens, vix se patiatur amari. (Vanier, eclog. 2.)

[24] (a) Les Anglais emploient leur participe, ou attributif actif, tantôt comme un substantif, tantôt à la place de l’infinitif.

« Wit and fine writing do not consist so much in advancing things that are new, as in giving things that are known an agreable turn. » (Spect., n.o 252) ; mot-à-mot : esprit et élégant écrivant ne consistent pas autant beaucoup dans avançant choses qui sont neuves, comme dans donnant choses qui sont connues une agréable tournure.

« Nature.... has sometimes made a fool ; but a coxcomb is always of a man’s own making. » Nature.... a quelquefois fait un sot ; mais un fat est toujours de un homme propre faisant. (n.o 404, ibid.)

« I have forborn mentioning such authors. » (Ibid., n.o 262). J’ai oublié mentionnant, etc....

|407 « The Phenicians acquired by monopolizing the trade. » (Hist. of Amer. Book the 1.) Les Phéniciens acquirent par monopolisant, etc.

[25] (a) De amo, amans, amatus, amaturus ; de loquor, loquens, locutus, locuturus, etc.

[26] (a) Paveo, sitibat, frigebitis, etc.

[27] (b) Se porter bien, en latin valere.... Prendre garde, en italien avvertire.... Aller à cheval, cavalcare.... Se mettre à genoux, inginoc-chiursi... Montrer au doigt, additare.... Mettre en désordre, scompigliare.... Faire voile, en anglais, to sail, etc., etc., etc.

[28] (a) Les latins l’ont employé dans le même sens restrictif.

Non equidem invideo, miror magis. (Virgil.)

Je ne lui porte pas envie, mais je l’admire.

[29] (a) En espagnol, puesto que ; l’étymologie est sensible.

[30] (a) On dit cependant, par une sorte de syllepse, conformément à l’ancien langage et au style de formules : en la grand’chambre, en la présence, en l’absence, en l’honneur, etc. (Note de l’éditeur.)

[31] (a)

..... Templum de marmore ponam. (Georg., lib. 3, 12.)

Fuit in tectis de marmore templum. (Æneid., lib. 4, 457.)

|441

.................... Solido de marmore templum
Instituam, festosque dies de nomine Phœbi. (Ibid., lib. 6, 70.)

Si res de amore meo secundæ essent. (Terent.)

De fructu ventris tui ponam super, etc., etc.

[32] (a) Et en latin : cominùs, de loin ; eminùs, de près ; utrinquè, des deux côtés ; ostiatìm, de porte en porte ; etc., etc.

[33] (a) Verba volant, sed scripta manent.

[34] (a)

Phœnices primi, famæ si creditur, ausi
Mansuram rudibus vocem signare tabellis.(Lucan.)

[35] (*) En faveur de la pureté du langage, on me pardonnera peut-être d’avoir changé les deux derniers vers de Brébeuf et le dernier de Corneille : l’un avait mis l’art.... donner, l’autre l’art.... attacher. (Note de l’Éditeur.)

[36] (a) Qu’il la fasse... la face. — Vingt... du vin... il vint. — Le dais... les dés. — Un poids... de la poix... des pois. — Du fruit sur... être sûr de son fait... se tenir sur ses gardes... l’oseille est sure... c’est une chose sûre. — Un corps pesant... des cors au pied... donner du cor. — Le temps... le tan... il tend. — Des mœurs... meurs en paix. — On... ont, etc., etc., etc.

[37] (a)

Tanton’ me crimine dignum ? (Æneid., 5, 663) ; pour tantone.

Tanton’ placuit concurrere motu ? (Ibid., 12, 503.)

Viden’ pour vides-ne ? Ain’ pour ais ne ? Dixtin’ pour dixisti-ne ? Dans ces cas, il y a contraction et élision.

I afterwards called in at Gile’s. (Spect., n. 405.)