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Première partie. Chap. 1-3

 

Table des matières

Grammaire générale

 

 

 

Section première. Analyse de la pensée

Chap. I. Des sensations

Chap. II. De l'entendement

Chap. III. De la volonté

Conclusion

 

Section seconde

Du langage d'action

1ière partie. Grammaire élémentaire

Chap. I-III

Chap. IV

2ième partie. De la syntaxe

Chap. I

Chap. II

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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PREMIÈRE PARTIE

DE LA

GRAMMAIRE GÉNÉRALE

PROPREMENT DITE.

 

GRAMMAIRE ÉLÉMENTAIRE.

 

Quasdam leges immutabiles necessitate conscriptas studiosis dicendi feram. (Quintil. lib. 1, cap. 14.)

Objet de la Grammaire élémentaire.

 

226. Dans cette partie, nous considérerons les mots comme élémens de la proposition, c’est-à-dire, isolés (224). Or, en les considérant sous ce point de vue, nous avons des recherches à faire sur leur matériel, sur leur valeur, sur leur étymologie, et enfin sur leur classification, ou sur leur espèce grammaticale.

 

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CHAPITRE PREMIER.

DU MATÉRIEL DES MOTS.

 

Ego quùm existimem.... nec ad ullius rei summam nisi præcedentibus initiis perveniri, ad minora illa, sed quæ si negligas non sit majoribus locus, demittere me non recusabo. (Quint. Præm. 1.)

Matériel des mots.

 

227. Le matériel des mots comprend les élémens dont ils sont eux-mêmes composés, et leur prosodie.

 

 

 

 

ARTICLE PREMIER.

DES ÉLÉMENS DES MOTS.

 

Non sola est agenda cura verborum... curam... verborum rerum volo esse sollicitudinem. (Quintil.)

Voix humaine.

 

228. Chacun sait que les mots sont composés de sons produits par les organes de la voix, et dont quelques-uns reçoivent un caractère particulier, à leur passage dans la bouche, par les mouvemens variés des dents, des lèvres et de la langue. La description de ces organes de la voix et l’explication de la manière dont ils produisent la voix humaine sont du ressort de l’histoire naturelle |178 et de l’anatomie plutôt que de celui de la Grammaire générale. Nous ne considérerons ici les sons produits par la voix humaine que comme grammairiens. Or, ces sons, ainsi que nous l’avons déjà observé, sont de deux sortes, les sons simples, ou primitifs, et les sons articulés, ou les articulations.

Les sons.

 

229. Les sons simples, ou primitifs, sont formés par l’air qui s’échappe des poumons, traverse la trachée (a) [1], laquelle fait les fonctions du porte-vent dans un orgue ; passe ensuite dans la glotte (b) [2] ; acquiert plus de rapidité en passant ainsi du large canal de la trachée dans l’ouverture étroite de la glotte ; excite, par cette vitesse acquise, des vibrations dans les deux lèvres de cette fente ; et ces vibrations produisent les sons, |179 qui se modifient et se perfectionnent ensuite en résonnant et en retentissant dans la cavité de la bouche et des narines, comme dans le corps d’un instrument à vent. Ces sons, qui sortent ainsi tout formés de la glotte, sans le concours ni des lèvres, ni de la langue, ni des dents, sont différens, selon que l’ouverture de la bouche est plus ou moins grande : aussi y en a-t-il plusieurs bien distincts dans chaque langue. Dans la nôtre, nous en avons cinq principaux, et un bien plus grand nombre en faisant attention aux différentes espèces d’a, d’e, d’i, d’o et d’u. Lorsque ces sons primitifs sont représentés par des signes, ou par des lettres, on les nomme voyelles, comme nous le verrons en parlant de la parole écrite.

Ainsi les sons, considérés comme simples élémens des mots, sont de simples émissions de la voix, dont les différences essentielles dépendent de la forme du passage que la bouche prête à l’air, qui en est la matière, et qui n’exigent pas, pour leur formation, le concours des lèvres, ni de la langue, ni des dents.

Les articu­lations.

 

230. Les articulations, que l’on nomme consonnes lorsqu’elles sont représentées par des lettres, sont les mêmes sons formés par |180 la glotte, et différemment modifiés, à leur passage, par le mouvement subit et instantané ou de la langue, ou des lèvres, ou des dents, ou, en un mot, de quelqu’une des parties mobiles de l’organe de la parole. Sans cette modification, que reçoivent les sons, il n’y aurait aucune différence, par exemple, entre les mots halle, balle, salle, qui tous les trois sont composés des mêmes sons a, ; il est évident que ce qui les différencie, c’est que, dans le premier, le son a est modifié par un mouvement du gosier, par une aspiration, qui forme l’articulation ; dans le second, par un mouvement des lèvres, qui forme l’articulation ; et dans le troisième, par un rapprochement des dents, qui occasionne une espèce de sifflement et fait naître l’articulation s.

C’est donc le mouvement simultané de quelques-unes des parties mobiles de l’organe de la voix qui est la cause physique de ce qui constitue l’essence des articulations ; et il est facile de concevoir que l’air, échappé des poumons, ayant traversé la trachée, et ayant formé les sons par la vitesse qu’il acquiert à son passage par la fente de la glotte, et par le frémissement qu’il excite dans les deux lèvres de cette fente, doit |181 recevoir une modification différente, une explosion nouvelle par les obstacles que lui opposent, à sa sortie, la langue, ou les dents, ou les lèvres ; comme il arrive à tout autre fluide dont la vitesse croît en raison des obstacles qu’on lui oppose.

Syllabes.

 

Les articulations sont donc les différens degrés d’explosion que reçoivent les sons par le mouvement subit et simultané de quelqu’une des parties mobiles de l’organe de la voix.

231. Il résulte évidemment de cette théorie que toute articulation renferme nécessairement un son primitif, ou qu’aucune consonne (230) ne peut se prononcer sans une voyelle (229), puisque les articulations ne sont que des sons diversement modifiés.

232. Les sons et les articulations diversement combinés ensemble forment les syllabes ; les syllabes combinées entr’elles forment les mots ; les mots convenablement arrangés forment une proposition, et une suite de propositions constitue le discours. Voilà donc la suite de tous les élémens du langage, à commencer par les plus simples.

Voyons maintenant ce qui concerne la prosodie des mots.

 

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ARTICLE II.

DE LA PROSODIE DES MOTS.

 

Totus verò hic locus non ideò tractatur à nobis, ut oratio quæ.... fluere debet.... perpendendis syllabis consenescat….. Optimè de illâ judicant aures, quæ et plena sentiunt, et parùm expleta desiderant, et fragosis offenduntur, et lenibus mulcentur. (Quint. Inst. orat. lib. 9. 4.)

La prosodie.



Pourquoi les mêmes sons et les mêmes syl­labes se pro­noncent diver­sement dans différens mots.

 

233. Celui qui a observé une langue quelconque, a dû se convaincre que les mêmes sons, les mêmes syllabes se prononcent tantôt plus rapidement, tantôt plus lentement, ici d’un ton plus aigu, là d’un ton plus grave, selon les mots où se trouvent ces sons et ces syllabes, et selon la signification de ces mots ; en sorte que la parole, sans être un chant, a néanmoins une sorte de mélodie qui consiste dans des tons variés, des tenues précises et des repos mesurés. Comme le nombre des sons et des articulations, et conséquemment celui des syllabes, sont limités dans chaque langue, il a fallu en varier la prononciation par la qualité du ton et par la durée du son, pour suppléer à ce petit nombre, et pour distinguer en même temps ces sons et ces syllabes, lorsqu’ils ont une signification différente. C’est ainsi que le son a, par exemple, |183 est long, dans notre langue, lorsqu’il exprime la première lettre de notre alphabet, une panse d’ā ; et qu’il est bref, lorsqu’il est préposition, il est ă Paris : dans le premier cas, il est grave, et dans le second, il est aigu.

Objet de la prosodie ; en quoi elle con­siste.

 

234. La prosodie a donc pour objet la mélodie de la parole : c’est l’art d’adapter la modulation propre de la langue que l’on parle, aux différens sens que l’on veut exprimer : elle comprend donc tout ce qui concerne le matériel des accens et de la quantité. Considérée d’une manière plus étendue, elle devrait traiter de l’art métrique, ou de l’art de faire des vers ; elle pourrait s’étendre sur le nombre et la cadence de la prose, et en détailler les moyens, les règles, les usages et les écarts. Mais tous ces derniers objets ne sont point du ressort de la Grammaire générale, et ils appartiennent particulièrement à la poésie et à l’art oratoire. Nous nous bornerons donc ici à parler de l’accent et de la quantité.

L’accent.



Accent national.

 

235. Le mot accent dérive d’un mot latin qui signifie chant ; et l’on entend par accent les différentes inflexions de voix et les diverses modulations dont il faut se servir pour prononcer les mots d’une langue comme il |184 convient. Chaque nation, chaque province, chaque ville même diffère d’une autre par sa manière de prononcer ; et cette modulation, particulière à chacune, s’appelle accent local ou national. Pour bien parler une langue quelconque, il ne faut avoir aucun accent local, ou particulier, il faut avoir le même accent, la même inflexion de voix que les personnes éclairées qui la parlent le mieux.

De quoi se compose l’accent.

Accent aigu.
― grave.
― cir­con­flexe.



Accent gram­matical.

 

236. Or ces inflexions de voix doivent varier suivant la nature des syllabes. Dans toutes les langues, il y a des syllabes sur lesquelles il faut élever le ton ; ce qui s’appelle accent aigu : d’autres, sur lesquelles il faut le baisser ; ce qu’on nomme accent grave : et d’autres enfin, sur lesquelles on l’élève d’abord pour le baisser ensuite ; ce qui est l’accent circonflexe. Nous n’avons pas besoin, sans doute, de prévenir que les trois espèces d’accens, dont nous parlons ici, doivent être distingués des signes orthographiques qui portent le même nom, et dont nous parlerons en traitant de la parole écrite. C’est cette variété de tons, tantôt graves, tantôt aigus, tantôt circonflexes, qui fait que le discours est une espèce de chant, selon la remarque de Cicéron. C’est-là proprement l’accent grammatical.

Accent ora­toire.

 

|185 237. Il ne faut pas le confondre avec l’accent oratoire, qui doit varier les tons à l’infini, selon qu’on exprime le pathétique, l’interrogation, l’ironie, l’admiration, la colère, ou toute autre passion. Ainsi, l’accent oratoire, outre qu’il n’est pas du ressort de la Grammaire, ne peut pas être l’objet de nos spéculations dans cet endroit, où nous ne parlons que de l’accent des mots isolés. C’est par la même raison que nous ne parlons pas ici des intervalles et des repos qu’exige la prononciation des périodes, de leurs membres, de leurs incises, des parenthèses, etc.

La quantité.

Brèves et longues.

 

238. Mais nous devons parler de la durée du temps qu’exige la prononciation de chaque syllabe. Les unes sont prononcées en moins de temps que les autres ; celles-là sont appelées brèves, et celles-ci longues. Aussi dit-on que les brèves n’ont qu’un temps, ou une mesure, et que les longues en ont deux. Il y a même des syllabes plus brèves les unes que les autres, et de plus longues les unes que les autres ; et toutes ces nuances sont facilement saisies par des oreilles délicates.

Au reste, il ne faut pas croire que la durée des longues et des brèves soit une mesure |186 fixe qui ait un rapport invariable avec notre division du temps, comme une minute, ou une seconde : il suffit seulement que la durée des longues soit plus grande relativement à celle des brèves. Les hommes ont la prononciation beaucoup plus rapide les uns que les autres, de manière qu’il peut arriver que l’un mette autant de temps à prononcer une brève qu’un autre en emploie pour prononcer une longue ; et néanmoins l’un et l’autre prononcent correctement, pourvu qu’ils observent la proportion qu’il doit y avoir entre la durée relative de leurs longues et de leurs brèves.

 

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CHAPITRE II.

DE LA VALEUR DES MOTS.

 

Verba frequentèr jus ab auctoribus sumunt. (Quintil.)

Nomenclature.

 

239. On entend par la valeur des mots le sens attaché à chacun par l’usage ; et l’on peut appeler cette partie de la Grammaire la nomenclature. La connaissance de la valeur des mots est essentielle, indispensable, puisqu’elle est la base de l’art de la parole ; que l’indétermination du sens qu’on attache aux mots expose aux plus grands inconvéniens ; que la plupart des sophismes sont fondés sur une fausse signification donnée à un mot (1309) ; que presque toutes les erreurs, qui ont tourmenté ou qui tourmentent encore les hommes, découlent de cette même source ; et qu’enfin les hommes, qui emploient les mêmes mots sans y attacher le même sens précis, la même idée déterminée, se trompent habituellement dans la communication de leurs pensées ; comme des négocians qui se feraient réciproquement des payemens avec des pièces de monnaie de la même valeur |188 nominale et d’une valeur intrinsèque différente.

Rien n’est donc plus nécessaire que la connaissance exacte de la valeur précise des mots : et pour acquérir cette connaissance parfaite, il faut en distinguer le sens fondamental, c’est-à-dire, l’idée primitive que l’usage a attachée originairement à la signification de chaque mot, et les acceptions diverses qu’il peut avoir dans différens cas : et cette connaissance ne peut s’acquérir que par la lecture assidue et réfléchie des bons ouvrages et des bons dictionnaires, dans chaque langue, et par l’étude de l’étymologie des mots.

Divers sens des mots.

 

240. Outre cela, il faut distinguer le sens propre et le sens figuré, distinction d’où naissent les tropes, et reconnaître les mots qui expriment la même idée, la même vue analytique de l’esprit, quoiqu’avec des nuances différentes, d’où naissent les synonymes.

Acceptions.

 

241. Observons, avant de parler des tropes et des synonymes qu’il y a dans les langues des mots qui sont le signe primitif de diverses idées fondamentales, et qui conséquemment ont des acceptions primitives différentes. Par exemple le mot français coin exprime, ou |189 une sorte de fruit, ou un endroit retiré formant un angle, ou un instrument pour fendre, ou un instrument propre à marquer les monnaies, les médailles, ou le papier. Les latins ont un mot particulier pour exprimer chacune de ces quatre idées ; et, en cela, leur langue est plus riche, plus variée, et a plus de précision que la nôtre, dans laquelle il faut que les circonstances, ou les autres mots de la phrase déterminent l’acception qu’on doit donner au mot coin, dans chaque occasion. Plusieurs autres mots de la langue sont dans le même cas.

Sens propre.

 

242. Un mot est employé dans le sens propre, lorsqu’il est employé pour signifier ce pourquoi il a d’abord été établi par l’usage, soit qu’il n’ait qu’une seule acception, soit qu’il en ait plusieurs, toutes consacrées par l’usage primitif comme le mot coin (241).

Sens figuré.

 

243. Il est employé dans le sens figuré, lorsqu’il exprime tout autre sens que celui auquel il a été originairement consacré, ce qui arrive souvent, et presque nécessairement, lorsqu’on désigne des abstractions, ou des qualités intellectuelles, par des mots consacrés pour exprimer des effets ou des qualités physiques. Ainsi, si je dis : j’ai cherché dans tous les coins de ma mémoire, |190 et je n’y ai trouvé aucune trace de ce fait, le mot coin est employé là dans un sens figuré, puisque la mémoire n’a pas de coins comme un appartement, ou comme tout autre espace matériel. De même, dans cette phrase : cet ouvrage est marqué au coin du bon goût, le mot coin est aussi employé figurément.

Il est bon de remarquer que, dans ce dernier exemple, le mot coin est employé dans le sens figuré, et selon sa quatrième acception, dont nous avons parlé (241) ; au lieu que, dans le premier exemple, il est pris figurément selon sa seconde acception (241). Chaque acception d’un même mot peut ainsi être employée figurément ; il n’y en a peut-être aucun qui ne se prenne en quelque sens figuré, c’est-à-dire, éloigné de sa signification propre et primitive ; et ce sont les différentes manières d’employer les mots dans un sens figuré qui constituent les tropes.

 

 

 

 

DES TROPES.

 

Illud genus ornat orationem, facitque sublimem, floridam, jucundam, mirabilem. (Quint. Inst. orat. lib. 8, cap. 3.)

Tropes ; ce que c’est.

 

244. Les tropes sont des figures par les- |191 quelles on donne à un mot une signification qui n’est pas précisément sa signification propre (243). Ces figures sont appelées tropes d’un mot grec qui signifie tourner, parce qu’il semble, en effet, qu’on tourne un mot pour lui ôter sa signification propre, et pour lui en donner une qui n’est pas naturellement la sienne.

Figures.

 

245. Nous venons de dire que les tropes sont des figures ; tâchons donc de nous faire une idée bien claire de ce qu’on entend par ce mot.

Lorsqu’un assemblage de mots n’a d’autre propriété que celle de faire connaître simplement ce que l’on pense, on l’appelle phrase, période : mais si l’on énonce sa pensée d’une manière particulière, qui lui donne un caractère propre, qu’elle soit présentée sous une image, qu’elle ait plus de vivacité, de force ou de grâce, alors cette expression particulière de la pensée est une figure. Ainsi les figures doivent exprimer la pensée, comme tous les autres assemblages de mots ; mais elles ont de plus l’avantage d’une parure particulière, qui sert à réveiller l’attention, à plaire ou à toucher. Qu’un moraliste dise, par exemple, que notre idée est mêlée de bien et de mal, de plaisirs |192 et de peines, il exprimera une vérité d’une manière simple ; il ne fera qu’une phrase. Mais si, pour rendre la même idée, il dit :

Nos vies sont pêle-mêle assorties
De bien, de mal : encor de toutes parts
Croissent toujours dans ce jardin épars
Là peu d’œillets, ici beaucoup d’orties. (Gessée.)

il aura fait une figure.

Notre immortel et inimitable La Fontaine exprime figurément l’âge de la lune, lorsqu’il dit :

Le temps qui toujours marche, avait pendant deux nuits
          Échancré, selon l’ordinaire,
De l’astre au front d’argent la face circulaire.

De même, qu’on dise que personne n’est aussi heureux qu’un propriétaire qui borne toute son ambition à cultiver et à faire valoir son champ, il n’y a point là de figure. Mais si l’on rend cette pensée comme Racan, l’expression en sera figurée.

Roi de ses passions, il a ce qu’il désire ;
Son fertile domaine est son petit empire,
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces ;
|193 Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Il est content chez lui de les voir en tableau (a) [3].

chez lui est mal placé ; il faudrait : il est content de les voir chez lui en tableau, ou de les voir en tableau chez lui ; mais la mesure du vers s’oppose à cet arrangement.

Effet des figures.

 

246. Quoique les figures soient en quelque sorte le langage propre de l’imagination et des passions, un homme judicieux ne doit pas les dédaigner : lorsqu’elles naissent du sujet, qu’elles sont naturelles, qu’on les emploie à propos et avec sobriété, elles embellissent le discours et réveillent l’attention par leur tournure ; elles le soulagent même, en quelque sorte, en peignant l’objet du discours sous des couleurs plus vives et |194 plus faciles à saisir par l’imagination. Disons donc avec Gilbert :

 

 

Maudit soit à jamais le pointilleux sophiste,
Qui le premier nous dit en prose d’algébriste :
Vous, rimeurs, écoutez mes ordres absolus ;
Pour plaire à ma raison, pensez, ne peignez plus.

Et avec Gresset :

Nous ne choisirons point pour guide
Cette raison froide et timide,
Qui toise impitoyablement
Et la pensée et le langage,
Et qui, sur les pas de l’usage,
Rampe géométriquement. (Épît. au P. Bougeant.)

Espèces de figures.

 

247. Puisque nous ne parlons ici que des mots isolés, nous ne devons pas nous occuper des figures de construction, ni des figures de pensées, mais seulement de celles qui consistent dans un mot seul ; et voici comment on peut se faire une idée distincte de ces figures particulières.

Figures de mots.

 

248. Rappelons-nous qu’un mot est pris dans son sens propre, lorsqu’il exprime ce pour quoi il a été primitivement établi par l’usage (242) ; alors il n’y a pas de figure de mots ; comme quand on dit : la chaleur du feu, la lumière du soleil. Mais quand |195 un mot est pris dans un autre sens, il paraît, pour ainsi dire, sous une forme empruntée, sous une figure qui n’est pas sa figure naturelle, alors il est au figuré (243), puisque ce n’est que par figure qu’on lui donne cette signification, comme quand on dit : la chaleur de l’imagination, la chaleur des débats, la lumière de l’esprit ; alors il y a une figure de mots.

Qu’on dise : la police a défendu les masques, il n’y a point de figure, parce que le mot masque est employé dans son sens primitif. Mais lorsque Rousseau dit :

Mais au moindre revers funeste,
Le masque tombe, l’homme reste,
Et le héros s’évanouit. (Od. à la Fort.)

le mot masque est pris dans un sens figuré (a) [4].

Utilité de l’étude des tropes.

 

249. Il est aisé de se convaincre, en faisant attention à son propre langage et à celui des autres, qu’on ne fait presque pas une seule phrase qui ne renferme quelque figure, quelque trope ; aussi Dumarsais a-t-il dit avec raison « qu’il se fait plus de figures |196 un jour de marché, à la halle, qu’il ne s’en fait en plusieurs jours de séances académiques. » (Trait. des Trop., p. 3.) Il est donc important de bien connaître les tropes, afin d’être plus à même de faire une analyse exacte du langage, de bien entendre les auteurs, et de parler ou d’écrire avec exactitude et avec précision.

Usage et effets des tropes.

 

250. On emploie souvent les tropes pour réveiller une idée principale par le moyen de quelqu’idée accessoire ; comme lorsque l’on dit cent voiles au lieu de cent vaisseaux, le fer pour l’épée, la robe pour la magistrature, la plume ou le style pour la manière d’écrire, etc.

Comme plusieurs de nos idées sont liées entr’elles ; qu’on ne saurait réveiller l’une, sans exciter l’autre ; que souvent l’idée accessoire est plus présente à l’imagination que l’idée principale, il arrive que l’expression figurée est aussi facilement entendue que le serait le mot propre, qu’elle est ordinairement plus vive et plus agréable, qu’elle amuse l’imagination, et qu’elle donne quelquefois à deviner à l’esprit.

Les tropes servent à aug­menter l’éner­gie des ex­pres­sions.

 

251. Les tropes augmentent l’énergie de nos expressions. L’imagination, vivement frappée d’une pensée, s’en représente l’objet |197 sous des couleurs vives, sous des images frappantes. Alors, pour faire mieux sentir aux autres ce que nous éprouvons au dedans de nous-mêmes, nous abandonnons le langage simple et nous employons le langage expressif et figuré des passions ; et nous disons : il est enflammé de colère ; il s’est abandonné au torrent de ses passions.

A rendre l’ex­pression de la pensée plus noble.

 

252. Les tropes rendent aussi l’expression de nos pensées plus noble, et conséquemment plus agréable. Chacun sait que nous devons tous mourir, riches et pauvres, puissans et faibles, rois et sujets : cette vérité, rendue de cette manière, a quelque chose de trivial, qui, au lieu de réveiller notre attention, l’assoupit au contraire. Par le moyen des tropes, Horace a exprimé cette même idée de mille manières différentes, toutes également agréables et propres à fixer notre attention sur cette vérité. Malherbe a rajeuni et peut-être embelli l’une de ces expressions d’Horace (a) [5], de la manière suivante :

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;
         On a beau la prier,
|198 La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles,
         Et nous laisse crier.

Le pauvre, en sa cabane où le chaume le couvre,
         Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
         N’en défend pas nos rois.

Molière exprime la même pensée bien différemment, en style comique :

Mais quoi, cher Lélie, enfin il était homme ;
On n’a point pour la mort de dispense de Rome.
... Sans leur dire gare, elle abat les humains,
Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins ;
Et ce fier animal, pour toutes nos prières,
N’en perdrait pas un coup de ses dents meurtrières.
Tout le monde y passe..... (L’Étourdi, act. 2, sc. 4.)

Au lieu de dire simplement : on se console aisément de la mort de qui que ce soit, la célèbre Sévigné disait : on serre les files ; il n’y paraît plus. Ainsi le trope embellit une pensée commune.

On est si accoutumé à dire que tout a plusieurs faces, que l’on ne s’aperçoit presque plus que cette expression est figurée. La même Sévigné l’a rajeunie et renouvelée, en disant : tout est à facettes.

Lorsque le petit-fils de Louis XIV monta sur le trône d’Espagne, ce monarque, au |199 lieu de dire qu’il n’y aurait plus de divisions ou de barrières entre la France et l’Espagne, exprima la même pensée d’une manière plus grande et plus noble, en disant : il n’y a plus de Pyrénées.

A enrichir les langues et à varier le style.

Origine des figures.

 

 

253. Enfin les tropes servent à enrichir une langue, en donnant à un ou à plusieurs mots une signification nouvelle ; et à varier le style, en fournissant les moyens d’exprimer la même pensée de différentes manières, comme l’on peut s’en convaincre par les exemples déjà cités. Nous ne croyons pas cependant, comme Rollin (a) [6], « que les tropes n’ont d’abord été inventés que par nécessité, à cause de la disette et du défaut de mots propres, et qu’ils ont contribué depuis à la beauté et à l’ornement du discours ; de même, à peu près, que les vêtemens ont été employés dans le commencement pour couvrir le corps et le défendre contre le froid, et ensuite ont servi à l’embellir et à l’orner. » Nous croyons, au contraire, que les expressions figurées sont plutôt le langage des passions que celui de la nécessité, et que |200 l’imagination y a toujours eu beaucoup plus de part que le besoin. Aussi les personnes dont l’éducation est la moins soignée et la raison la moins cultivée, emploient-elles très-fréquemment des expressions figurées, non par choix, ou parce que le terme propre leur manque, mais pour exprimer leur pensée avec plus de force et d’énergie. L’émotion profonde qu’elles éprouvent excite en elles une foule d’images ; et, se livrant aux mouvemens de leur imagination, elles cherchent à faire sentir vivement aux autres, par le secours des expressions figurées, ce qu’elles sentent elles-mêmes très-vivement.

 

 

 

 

RÉGLES [sic] GÉNÉRALES SUR LES TROPES.

 

Nulla utilitas pulchræ cogitationis est, si ei quis pulchræ locutionis non addiderit ornamentum. (Dyonis. Halic. de collect. verbor.)

Les tropes doivent faire image.

 

254. L’utilité générale des tropes est de faire image, en donnant du corps et du mouvement aux idées. Tout écrivain, s’il veut intéresser, attacher, doit chercher à peindre, autant que le comporte le sujet qu’il traite : il doit donc présenter, autant que possible, ses idées sous des images qui |201 contribuent à leur liaison et à leur énergie, loin de les altérer (a) [7].

Quelquefois un trope joint l’avantage de la précision à celui de faire image ; comme ceux-ci : la haine se cache d’ordinaire sous l’adulation.

Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet. (Boileau.)

On aurait de la peine à rendre ces deux pensées sans figures par un long discours.

L’image doit être soutenue et com­posée de par­ties qui soient d’ac­cord entr’elles.

 

255. Il ne suffit pas que les tropes fassent image, il faut que cette image soit soutenue, que toutes les parties en soient d’accord, et qu’on puisse se la représenter peinte sur la toile, ou dessinée sur le papier, sans que les parties en soient discordantes ou contraires, et sans que l’image totale soit une espèce de monstruosité (b) [8]. Il ne faut donc pas dire avec un de nos poëtes :

Votre raison, qui n’a jamais flotté
Que dans le trouble et dans l’obscurité,
|202 Et qui, rampant à peine sur la terre,
Veut s’élever au-dessus du tonnerre,
Au moindre écueil qu’elle trouve ici-bas,
Bronche, trébuche et tombe à chaque pas :
Et vous voulez, fiers de cette étincelle,
Chicaner..... (J.-B. Rousseau.)

Toutes les parties de cette image sont incohérentes, et n’ont entr’elles aucune analogie : si la raison est une étincelle, comment peut-elle flotter, trouver des écueils, broncher, ramper ? D’ailleurs, quelle qu’elle soit, comment peut-elle flotter et ramper tout à la fois ?

Il en est de même de l’image suivante :

Que sa vérité propice
Soit, contre leur artifice,
Ton plus invincible mur :
Que son aile tutélaire,
Contre leur âpre colère,
Soit ton rempart le plus sûr. (Le même.)

Imaginez un tableau, où la vérité serait représentée comme un mur, et où une aile |203 serait peinte sous la forme d’un rempart, et vous sentirez facilement l’absurdité d’une pareille composition.

A peine du limon où le vice m’engage,
J’arrache un pied timide et sors en m’agitant,
Que l’autre m’y reporte et s’embourbe à l’instant. (Boileau.)

Voilà une image bien soutenue dans toutes ses parties, et de plus parfaitement analogue à la vérité morale que le poëte veut exprimer.

Il en est de même des deux suivantes :

Qu’à son gré désormais la Fortune me joue,
On me verra dormir au branle de sa roue. (Boileau.)

 

 

Que c’est un dangereux poison
Qu’une délicate louange ?
Hélas ! qu’aisément il dérange
Le peu que l’on a de raison ! (Chaulieu.) (a) [9]

Il faut préparer les images har­dies.

 

|204 256. Lorsqu’on emploie des images hardies et peu communes, il faut les préparer d’avance, et y ajouter même quelque correctif, comme pour ainsi dire, ou quelqu’autre semblable. Ainsi l’illustre Bossuet a bien pu dire : « Si Rome a plus porté de grands hommes qu’aucune autre ville qui ait été avant elle, ce n’a pas été par hasard ; mais c’est que l’Etat romain, constitué de la manière que nous l’avons dit, était, pour ainsi dire, du tempérament qui devait être le plus fécond en héros » ; parce que constitué prépare tempérament, et que pour ainsi dire sauve ce qu’il pourrait y avoir encore de trop hardi et de trop brusque dans cette image.

Mais il ne faut pas dire comme La Bruyère : « On voit peu d’esprits entièrement stupides ; l’on en voit encore moins qui soient sublimes et transcendans. Le commun des hommes nage entre les deux extrémités ». Le mot nage est mal placé entre les esprits stupides et les esprits transcendans : cette figure n’est pas préparée. Non plus que celle-ci : « Il semblait que l’Europe, arrachée de ses fondemens, allait tomber sur l’Asie ». (Anne Comnène, parlant de la première croisade. Duches. de Malmesb. Livre 4, pag. 133.)

Il faut éviter les rapports vagues et les couleurs qui ne con­viennent pas au sujet.

 

|205 257. Rien de plus froid que les figures dont les rapports sont vagues et indéterminés, dont les couleurs et les nuances ne sont pas appropriées à la chose dont on parle. « J’ai accoutumé de lui dire, écrit Vaugelas, que son style n’est qu’or et azur, et que ses paroles sont toutes d’or et de soie ; mais je peux dire avec vérité que ce ne sont que perles et pierreries ». Quelle glaçante symétrie de figures froides autant que vagues, enfilées régulièrement deux à deux, qui ne présentent à l’esprit aucune image vraie, ni au cœur aucun sentiment si ce n’est celui du dégoût !

Les tropes doivent être clairs, faciles, naturels.

 

258. Enfin les tropes doivent être clairs, faciles, sortir naturellement du fonds du sujet, et n’être employés qu’à propos. Rien de plus ridicule, en tout genre, ni en même-temps de plus froid, que l’affection et qu’une prétention marquée à l’esprit, jointe au défaut de discernement (a) [10]. Ceux |206 qui courent après l’esprit et après les ornemens du discours, emploient souvent des figures qu’ils croient brillantes, parce qu’elles |207 sont peu communes, et qui ne sont que ridicules par leur opposition au bon sens et au bon goût. C’est ainsi que les précieuses ridicules de Molière, au lieu de demander tout simplement des siéges, disent : « voiturez-nous les commodités de la conversation » (a) [11] ; qu’elles invitent quelqu’un à s’asseoir en lui disant : « contentez l’envie qu’a ce fauteuil de vous embrasser » (b) [12], et qu’elles appellent un miroir le conseiller des grâces (c) [13].

C’est par un effet du même mauvais goût, que Tourreil a appelé un exploit un compliment timbré ; que Lamotte a voulu désigner un cadran au soleil sous le nom de |208 greffier solaire ; que Brébeuf, parlant de la recherche des mets et des plaisirs, a dit :

S’ils ne viennent d’Asie, on ne les souffre plus,
Et l’on n’en connaît point s’ils ne sont inconnus ;

et qu’enfin Malherbe lui-même s’est livré à un misérable jeu de mots, en écrivant à Henri IV :

Je sais bien que les oracles
Prédisent tous qu’à ton fils
Sont réservés les miracles
De la prise de Memphis :
Et que c’est lui, dont l’épée,
Au sang barbare trempée,
Quelque jour apparaissant
A la Grèce qui soupire,
Fera décroître l’empire
De l’infidèle croissant

Faire décroître le croissant, n’est qu’une mauvaise pointe : et c’est au sujet de toutes ces figures de mauvais goût qu’il faut dire avec l’immortel Buffon (a) [14] : « rien ne s’oppose plus à la chaleur que le désir de mettre partout des traits saillans : rien n’est plus contraire à la lumière, qui |209 doit faire un corps et se répandre uniformément dans un écrit, que ces étincelles qu’on ne tire que par force, en choquant les mots les uns contre les autres, et qui ne vous éblouissent pendant quelques instans que pour vous laisser ensuite dans les ténèbres. »

C’est donc avec raison que Rousseau s’écrie :

 

 

Mais de ce style efflanqué, sans vigueur,
J’aime encor mieux l’insipide langueur,
Que l’emphatique et burlesque étalage
D’un faux sublime, enté sur l’assemblage
De ces grands mots, clinquant de l’oraison,
Enflés de vent et vides de raison,
Dont le concours discordant et barbare
N’est qu’un vain bruit, qu’une sotte fanfare,
Et qui, par force et sans choix enrôlés,
urlent d’effroi de se voir accouplés. (Epît. 2, liv. 2.) (a) [15]

Molière blâme aussi cette recherche d’ornemens et cette affection ridicule, qui s’éloigne autant du naturel que du bon goût :

Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité :
|210 Ce n’est que jeux de mots, qu’affectation pure,
Et ce n’est pas ainsi que parle la nature. (Misant., act. 1, sc. 2.) (a) [16]

 

 

 

 

DES PRINCIPAUX TROPES.

 

Unumquodque genus, quùm ornatur castè pudicèque, fit illustrius ; quùm fucatur et prælinitur, fit præstigiosum. (Aulus-Gel. Noc. at. lib. 7, cap. 14.)

Division des tropes, et leur origine.

 

259. C’est la nature qui a inspiré aux hommes le langage figuré (113) : les rhéteurs, ou les grammairiens ont remarqué ensuite qu’il y avait des figures qui avaient entr’elles une certaine ressemblance, une certaine analogie, et ils les ont classées, en donnant un nom particulier à chaque espèce, afin de faciliter les moyens de les reconnaître et de les étudier. Nous allons parcourir ces espèces successivement.

 

|211

 

 

I. LA CATACHRÈSE.

 

......Facies non omnibus una ;
Nec diversa tamen. (Ovid. Métam. 2.1.)

L’hyperbole aux longues échasses ;
La catachrèse aux doubles faces. (Gresset.)

Catachrèse ; ce que c’est.

 

260. Ce mot, dérivé du grec, signifie abus, extension, ou imitation ; et l’on donne ce nom à un trope qui consiste à donner à un mot, par extension, ou par imitation, une signification qui n’est pas sa signification primitive. Par exemple, lorsqu’on a établi l’usage de clouer des fers aux pieds des chevaux, on a dû naturellement appeler cela ferrer un cheval. Dans la suite, la vanité a imaginé d’y clouer des plaques d’argent, et l’on a appelé cela ferrer d’argent, par imitation, quoique ces deux mots ferrer et d’argent paraissent contradictoires. On dit de même : une cassette ferrée d’argent. Aller à cheval sur un bâton, c’est-à-dire, s’y tenir à califourchon comme sur un cheval (a) [17].

 

 

Parricide ne se disait autrefois que de celui |212 qui tuait son père, ou du crime qu’il commettait en le tuant : aujourd’hui on donne ce nom, par extension, à celui qui tue sa mère, ou quelque personne sacrée, ainsi qu’au crime qu’il commet en pareil cas.

Vinaigre ne se disait originairement que du vin devenu acide, devenu aigre, comme l’indique l’étymologie de ce mot. On dit aujourd’hui, par catachrèse, du vinaigre de cidre, du vinaigre de poiré.

C’est par la même raison qu’on dit une feuille d’argent, une feuille d’étain, les feuilles d’un paravent, et qu’on donne le nom de feuille à tout ce qui est mince relativement à sa longueur et à sa largeur, comme les feuilles des végétaux. On appelle aussi glace tout ce qui est poli et brillant : glace de miroir, glace de carrosse, glace, composition de sucre et de blancs d’œufs, étoffes glacées, etc. ; tandis qu’on ne donnait originairement le nom de glace qu’à une masse d’eau gelée. Toutes ces expressions et autres semblables sont des catachrèses.

 

|213

 

 

II. LA MÉTONYMIE.

 

Debent præstare sine dubio..... jucundam orationem. (Quint. liv. 8.)

Étymologie et définition.

 

261. Le mot métonymie, dérivé du grec, signifie changement de nom, un nom pour un autre ; et il semble conséquemment qu’on devrait appeler ainsi tous les tropes (244) ; cependant on ne donne le nom de métonymie qu’aux tropes où l’on prend la cause pour l’effet, ou l’effet pour la cause, le contenant pour le contenu, le lieu où une chose se fait pour cette chose même, le signe pour la chose signifiée, etc.

La cause pour l’effet.

 

262. 1.o La cause pour l’effet, comme quand on dit Cérès pour le blé, Bacchus pour le vin, Neptune pour la mer, Vulcain pour le feu, etc.

Lors fut des vaisseaux descendue
Toute la Cérès corrompue.
En langage un peu plus humain,
C’est ce de quoi l’on fait le pain. (Scarr., Virg. traves., liv. 1.) (a) [18]

|214 La Monnoye, voulant exprimer son mépris pour la traduction d’Horace par l’abbé Pellegrin, a dit :

      Il faudrait, soit dit entre nous,
A deux divinités offrir ces deux Horaces :
Le latin à Vénus, la déesse des grâces ;
      Et le français, à son époux.

c’est-à-dire, à Vulcain, ou au feu (a) [19].

 

 

Quand je vois ta sagesse en ses justes projets,
D’une heureuse abondance enrichir tes sujets,
Fouler aux pieds l’orgueil et du Tage et du Tybre,
Nous faire de la mer une campagne libre ;
Et tes braves guerriers, secondant ton grand cœur,
Rendre à l’Aigle éperdu sa première vigueur ;
La France sous tes lois maîtriser la fortune,
Et nos vaisseaux domptant l’un et l’autre Neptune.... (Boil., Disc. au Roi, v. 119-126.) (b) [20]

|215 L’un et l’autre Neptune, c’est l’une et l’autre mer, c’est-à-dire, l’Océan et la Méditerranée : c’est la métonymie de la cause pour l’effet. Le Tage signifie le Portugal ; le Tybre, c’est l’Etat romain ; l’aigle, c’est l’empire d’Allemagne : ce sont autant de métonymies du signe pour la chose signifiée. Enfin la France signifie là les habitans de la France ; c’est la métonymie du contenant pour le contenu.

L’Amour languit sans Bacchus et Cérès. (a) [21]

L’auteur pour l’ouvrage.

 

263. C’est par une métonymie semblable qu’on prend le nom d’un auteur pour ses ouvrages : il a lu Buffon, Voltaire ; il a commenté Corneille ; c’est un Raphaël, un Rembrant, pour un tableau de Raphaël, de Rembrant ; ce sont des Callot, pour des estampes gravées par Callot ; un Pagnon, un Rousseau, pour un drap de la fabrique de Pagnon, de Rousseau.

L’effet pour la cause.

 

264. La métonymie consiste aussi à nommer l’effet pour la cause ; comme lorsque Ovide |216 dit que le mont Pélion est sans ombre (a) [22], pour dire qu’il n’a point d’arbres, qui sont la cause de l’ombre ; et lorsque les poëtes disent la pâle mort, les pâles maladies, la triste vieillesse, etc. (b) [23].

Le contenant pour le con­tenu.

 

265. Le contenant pour le contenu. On dit : il aime la bouteille, pour dire il aime le vin. Dans ses malheurs, on implore le secours du ciel, c’est-à-dire, de celui qui l’habite. Quand on parle des lumières de l’Europe, on entend celles de ses habitans. Lucrèce a dit que les chiens de chasse mettent une forêt en mouvement, c’est-à-dire les animaux qui s’y trouvent, etc.

Le nom du lieu où une chose se fait pour la chose elle-même.

 

266. Le nom du lieu où une chose se fait, pour la chose elle-même : c’est ainsi qu’on dit un Caudebec, pour un chapeau fait à Caudebec (c) [24] ; un Louviers, un Elbeuf, un Sedan, pour un drap fabriqué dans l’une de ces trois villes ; une Perse, pour une toile de coton fabriquée en Perse ; un Damas, pour un sabre, ou pour une sorte d’étoffe |217 de soie faite à Damas ; de la fayence, pour de la vaisselle de terre vernissée, qui a été fabriquée d’abord à Faenza, ou Fayence, ville de la Romagne, et qu’on a imitée ensuite ailleurs ; le lycée, pour la doctrine d’Aristote ; le portique, pour la philosophie de Zénon ; l’académie, pour celle de Platon.

C’est là que ce Romain, dont l’éloquente voix
D’un joug presque certain sauva sa république,
Fortifiait son cœur dans l’étude des lois
        Et du Lycée et du Portique. (Rous., liv. 2, od. 3.)

On dit aussi : du Bordeaux, du Champagne, du Bourgogne, du Tokai, pour du vin de Bordeaux, etc. ; comme anciennement on disait : du Falerne, du Chio, etc. (a) [25].

La vertu du vieux Caton,
Chez les Romains tant prônée,
|218 Était souvent, nous dit-on,
De Falerne enluminée. (Rous.)

Le signe, ou le symbole pour la chose signi­fiée.

 

267. Il y a aussi métonymie lorsqu’on nomme le signe pour la chose signifiée, ou le symbole pour la chose qu’il représente, ainsi que nous l’avons vu n.o 262. Ainsi l’épée se prend pour la profession militaire, la robe, pour la magistrature (a) [26], le sceptre, pour l’autorité royale, etc.

A la fin j’ai quitté la robe pour l’épée. (Corneille, le Menteur.)

Chaque climat produit des favoris de Mars ;
La Seine a des Bourbons, le Tybre a des Césars. (Despr. épît. 1.)

En vain au Lion belgique
Il voit l’Aigle germanique
Uni sous les Léopards. (Le même, od. sur la prise de Namur.)

Pour dire que les Pays-Bas sont unis à l’Allemagne et à l’Angleterre.

         |219 Dans ma vieillesse languissante,
Le sceptre que je tiens pèse à ma main tremblante. (Quinault, Phaëton, act. 2, sc. 5.)

C’est-à-dire, les soins qu’exige le gouvernement sont au-dessus de mes forces.

L’antécédent pour le consé­quent ; et réci­proque­ment.

La métalepse.

 

268. Quelquefois on met le nom de l’antécédent pour celui du conséquent, ou réciproquement ; c’est-à-dire, ce qui précède pour ce qui suit, ou réciproquement : ce qui est presque la même chose que la cause pour l’effet, ou l’effet pour la cause (262). Cependant on a donné un nom particulier à cette espèce de métonymie, que l’on nomme métalepse. Quand on dit à quelqu’un : souvenez-vous de vos promesses, pour lui dire de les tenir, c’est une métalepse ; on lui présente le souvenir de ses promesses, qui est l’antécédent, pour le ramener à l’exécution, qui est le conséquent. Mithridate fait une métalepse, lorsqu’il dit :

C’en est fait, madame, et j’ai vécu. (Racine, Mithrid. act. 5, sc. dern.)

pour dire je me meurs (a) [27].

|220 En voici une autre de Despréaux :

Les ombres cependant sur la ville épandues,
Du faîte des maisons descendent dans les rues. Lutr., ch. 2.

pour dire il se fait nuit : c’est l’effet pour la cause.

 

 

 

 

III. LA SYNECDOQUE.

 

Illud observatione dignius, quod hic ipse ornatus... pro materiæ genere debet esse variatus. (Quint. lib. 8, cap. 3.)

Définition, étymologie.

 

269. Ce mot signifie compréhension, conception. Et en effet, la synecdoque est une figure dans laquelle, non-seulement on donne à un mot une signification qui n’est pas sa signification primitive, ce qui est commun à tous les tropes, mais on veut faire concevoir à l’esprit plus ou moins que ne l’exprime le mot que l’on emploie : c’est pourquoi l’on nomme tantôt le genre pour l’espèce, ou l’espèce pour le genre ; tantôt le tout pour la partie, ou la partie pour le tout ; et tantôt le singulier pour le pluriel, ou le pluriel pour le singulier.

Le genre pour l’espèce.

 

|221 270. Le genre pour l’espèce (a) [28].

Les mortels sont égaux : ce n’est point la naissance,
C’est la seule vertu qui fait leur différence. (Volt. Mahom.) (b) [29]

 

 

Il est évident que le poëte ne veut pas parler de tous les êtres mortels, c’est-à-dire, de tous les animaux, mais seulement des hommes ; il nomme donc le genre pour l’espèce.

Ainsi, dans le fort des tempêtes,
Nous voyons briller sur nos têtes
Ces feux, amis des matelots (Rous.) (c) [30]

Il n’est question là que d’une espèce de feux, des météores ; c’est donc encore le genre pour l’espèce.

Le tout pour la partie.

 

271. Le tout pour la partie. Si l’on dit : les Français sont braves, amis des arts, |222 polis, humains et spirituels, on veut dire une partie des Français.

La partie pour le tout.

 

272. La partie pour le tout. Cent voiles pour cent vaisseaux ; cent feux pour cent maisons ou ménages ; l’onde pour la mer, etc.

Il coule sans chagrin les jours de sa vieillesse
Dans ce même foyer, où sa tendre jeunesse
A vu dans le berceau ses bras emmaillottés. (Racan.)

Foyer pour maison.

Un nombre pour un autre.

 

273. Un nombre pour un autre. On dit l’ennemi pour les ennemis : l’Anglais est fier et dédaigneux, c’est-à-dire, les Anglais sont, etc. Souvent on dit nous au pluriel au lieu de je : on emploie un nombre précis pour un nombre indéterminé : cela m’est arrivé mille fois ; il a débité cent sottises.

La matière au lieu de la chose qui en est faite.

 

274. Enfin la synecdoque consiste aussi dans l’emploi que l’on fait du nom de la matière dont une chose est faite, au lieu du nom de cette chose elle-même (a) [31].

|223 Et par cent bouches horribles
L’airain, sur ces monts terribles,
Vomit le fer et la mort. (Despr., od. sur la prise de Namur.)

L’airain pour les canons ; le fer pour les boulets.

Ressemblance entre la synec­doque et la mé­tonymie.

 

275. D’après ce que nous venons de dire, il est facile de s’apercevoir qu’il y a une certaine ressemblance entre la synecdoque et la métonymie. Dans l’une et dans l’autre de ces figures, il y a toujours un rapport entre l’objet dont on parle, et celui dont on emploie le nom : c’est même ce rapport qui constitue la figure, et qui réveille l’idée accessoire à la place de l’idée principale ; sans quoi, le langage ne serait pas figuré, et il n’y aurait pas de trope.

Différence entr’elles.

 

276. Mais il y a cette différence entre ces deux figures, 1.o que la synecdoque exprime toujours plus pour faire entendre moins, ou qu’au contraire elle réveille l’idée du moins pour faire entendre le plus. 2.o Que, dans la métonymie, le rapport qui est entre l’objet dont on emprunte le nom, et celui dont on veut parler, n’est pas aussi intime ; de manière que l’un de ces objets pourrait exister indépendamment de l’autre, |224 comme la cause et l’effet, le contenant et le contenu, le signe et la chose signifiée, l’auteur et son ouvrage. Au lieu que, dans la synecdoque, il y a un rapport plus réel, plus intime entre l’objet dont on emprunte le nom, et celui dont on veut réveiller l’idée, comme entre le genre et l’espèce, le tout et sa partie, etc. (269, 274).

 

 

 

 

IV. L’ANTONOMASE.

 

Vox diversa ..... vox tamen una. (Martialis.)

Définition.

 

277. Ce mot signifie aussi un nom pour un autre, comme celui de métonymie (261). Il y a pourtant une différence entre ces deux tropes : dans la métonymie, on prend la cause pour l’effet, ou réciproquement, le contenant pour le contenu, le signe pour la chose signifiée, etc. (262, 268). Dans l’antonomase, toute la figure consiste dans l’emploi des noms, puisqu’on prend tantôt un nom commun pour un nom propre, tantôt un nom propre pour un nom commun.

Un nom com­mun pour un nom propre.

 

278. Un nom commun pour un nom propre. C’est ainsi qu’en disant, le poëte, l’orateur, les Grecs désignaient Homère et Démosthène, et les Latins, Virgile et Cicéron. Les Anglais appellent Boileau le poëte français.

|225 Dans chaque canton on appelle simplement la ville, la commune la plus considérable qui est dans les environs (a) [32].

Tite-Live désigne souvent Annibal par ces mots le Carthaginois (b) [33]. Le destructeur de Numance et de Carthage, c’est Scipion.

Un nom propre pour un nom commun.

 

279. D’autres fois, au contraire, on prend un nom propre pour un nom commun, ou pour un terme qualificatif. Sardanapale, dernier roi des Assyriens, passa la vie dans une mollesse méprisable, indigne d’un homme sensé : depuis lors, si l’on veut qualifier un voluptueux, digne de mépris, on dit : c’est un Sardanapale.

On dit d’un homme cruel et barbare : c’est un Néron ; d’un homme sage, austère dans ses mœurs : c’est un Caton (c) [34] ; d’un protecteur zélé des gens de lettres : c’est un Mecène.

Mais sans un Mecenas, à quoi sert un Auguste ? (Boileau, Sat. 1).

|226 Irus était un pauvre de l’île d’Ithaque, dont Homère parle dans son odyssée ; de là est venu le proverbe plus pauvre qu’Irus (a) [35].

Crœsus, roi de Lydie, possédait des trésors immenses ; de là cette expression : c’est un Crœsus, pour dire : c’est un homme extrêmement riche (b) [36].

Zoïle fut un critique passionné, jaloux, plein d’aigreur et d’amertume ; on appelle Zoïle tout critique sujet aux mêmes défauts. Aristarque, au contraire, fut un critique judicieux, modéré, plein de sens et de raison ; on donne le même nom, par antonomase, aux critiques qui lui ressemblent par ces bonnes qualités.

Et de moi-même Aristarque incommode. (Rous., épît. aux M.)

Pénélope et Lucrèce ont été célèbres par leur vertu ; Läis et Phryné se sont rendues fameuses par leur vie désordonnée ; par antonomase, on donne les mêmes noms aux |227 femmes, selon qu’elles imitent la conduite des unes ou des autres.

Aux temps les plus féconds en Phrynés, en Laïs,
Plus d’une Pénélope honora son pays. (Despr., sat. 10.)

Saumaise était un critique fameux du dix-septième siècle : c’est ce qui explique l’antonomase suivante de Despréaux.

Vous vous flattez peut-être, en votre vanité,
D’aller comme un Horace à l’immortalité :
Et déjà vous croyez, dans vos rimes obscures,
Aux Saumaises futurs préparer des tortures. (Sat. 9.)

 

 

 

 

V. L’HYPERBOLE.

 

Sed hujus quoque servatur mensura quædam. Quamvis enim est omnis hyperbola ultrà fidem, non tamen esse debet ultrà modum. (Quint. Inst. orat. lib. 8, cap. 6.)

Etymologie et définition.

 

280. Hyperbole signifie excès. Elle consiste à exprimer une idée par des termes, qui, pris à la lettre, seraient au-delà ou en-deçà de la vérité ; comme lorsque, pour dire que quelqu’un court légèrement, on dit qu’il va plus vite que le vent ; ou lorsque, pour dire que quelqu’un est très-petit, on dit qu’il est plus petit qu’un chou. Dans le premier cas, on dit beaucoup plus qu’on ne |228 veut faire entendre, et, dans le second, beaucoup moins ; et on s’attend que ceux qui nous écoutent rabattront de nos expressions ce qu’il en faut rabattre, ou qu’ils y ajouteront, au contraire, ce qu’il convient d’y ajouter, et qu’ils se formeront ainsi dans leur entendement une idée qui sera plus conforme à celle que nous voulons y exciter, que si nous avions parlé sans exagération en plus, ou en moins (a) [37].

Abus de l’hy­per­bole.

 

281. L’hyperbole est la figure favorite des Orientaux, des jeunes gens et de toutes les personnes qui ont plus d’imagination que de jugement, plus de sensibilité que de raison, et qui, n’appréciant pas les objets avec justesse, avec précision, n’imaginent jamais qu’on puisse dire trop, ou trop peu. Notre grand Malherbe lui-même en a abusé d’une manière ridicule dans les vers suivans :

C’est alors que ses cris en tonnerres éclatent,
Ses soupirs se font vents qui les chênes combattent,
|229 Et ses pleurs, qui tantôt descendaient mollement,
Ressemblent au torrent, qui, des hautes montagnes,
Ravageant et noyant les voisines campagnes,
Veut que tout l’univers ne soit qu’un élément.

 

 

Voici un autre exemple de cette exagération ridicule. « Au mois où nous sommes, je cherche tous les remèdes imaginables contre la violence de la chaleur. J’ai un éventail qui lasse les mains de quatre valets, et qui fait un vent, en ma chambre, qui ferait des naufrages en pleine mer..... Il y a plus de parfums dans ma chambre qu’en toute l’Arabie heureuse ; et l’on y verse quelquefois si grande quantité d’eau de jasmin, qu’il faut que nous nous sauvions à la nage. » (Balzac, liv. 1, let. 20.)

282. Le poëte Lucain exhorte sérieusement Néron à ne pas se placer vers les tropiques, ni vers les pôles, lorsqu’il sera mis au rang des immortels, de peur de faire pencher le globe sous le poids de son mérite.

Si l’un ou l’autre pôle avait rempli ton choix,
Ses essieux trop chargés gémiraient sous le poids. (Brébeuf, Pharsale, liv. 1.)

Et c’est à un Néron que cela s’adresse !

|230 Toutes les hyperboles ne sont pas aussi ridicules : il y en a qui sont consacrées par l’usage ; telle est celle-ci :

Il monte un cheval superbe,
Qui, furieux aux combats,
A peine fait courber l’herbe
Sous la trace de ses pas. (Sarrasin.) (a) [38]

L’hyperbole est plus permise dans le style plaisant.

 

283. Si Balzac, Lucain et son traducteur Brébeuf, n’avaient parlé, comme nous l’avons vu, qu’en plaisantant, leurs exagérations seraient plus supportables ; car on passe volontiers ces exagérations, quelqu’outrées qu’elles soient, à un auteur que l’on voit s’en amuser lui-même, et ne les donner que pour ce qu’elles sont.

Celui-ci, se croyant l’hyperbole permise,
J’ai vu, dit-il, un chou plus grand qu’une maison.
|231 Et moi, dit l’autre, un pot aussi grand qu’une église...
Le premier se moquant, l’autre reprit : Tout doux,
       On le fit pour cuire vos choux. (La Font., liv. 9, fab. 1.)

Pour célébrer la victoire d’Hochstet, les ennemis firent élever une pyramide. Un poëte s’égaya à ce sujet de la manière suivante :

       Maugre-bleu du fat qui t’a fait,
       Vaine pyramide d’Hochstet !
       Ah ! si pour pareille vétille,
       Bataille, assaut, prise de ville,
       Louis, ce héros si parfait,
       Avait fait dresser une pile,
Le pays ennemi serait un jeu de quille (a) [39].

 

 

On avait proposé un prix de mille écus pour le meilleur éloge du grand Condé. Un autre poëte fit le quatrain suivant :

Pour célébrer tant de vertus,
Tant de hauts faits et tant de gloire,
Mille écus, morbleu ! mille écus !
Ce ne n’est pas un sou par victoire !

Cas où l’hy­per­bole peut être employée.

 

|232 284. L’hyperbole est propre à peindre le désordre d’un esprit, à qui une grande passion exagère tout ; et c’est le seul cas où l’on doive se permettre cette figure. Mais, comme dit La Bruyère, « les esprits vifs, pleins de feu, et qu’une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s’assouvir d’hyperboles ». (Caract. chap. 1.er Des ouvr. d’esprit.)

 

 

 

 

VI. LA LITOTE.

 

Quædam non prolata majora videntur et potiùs in suspicione relicta. (Demet. Phaler. De elocut.)

Définition.

 

285. C’est l’opposé de l’hyperbole ; c’est-à-dire, qu’on paraît affaiblir une pensée dont on s’attend bien que les idées accessoires réveilleront toute la force ; par modestie, ou par égard, ou par politique, on dit moins qu’on ne pense ; mais on est bien assuré que ce moins réveillera l’idée du plus.

Il augmente leur trouble en déguisant le sien,
Et ne leur dit que trop en ne leur disant rien. (Phars., trad. par Brébeuf, liv. 1.)

|233 C’est ainsi que, dans le Cid de Corneille, Chimène dit à Rodrigue :

Va, je ne te hais pas. (act. 3, sc. 4.)

pour faire entendre qu’elle l’aime.

C’est par la même raison qu’on dit, par ménagement, à quelqu’un qu’on trouve digne de blâme : je ne puis vous louer, je ne puis approuver votre démarche.

Si l’on dit de quelqu’un : ce n’est pas un sot, on veut faire entendre qu’il a des connaissances et de l’esprit.

Cette figure s’appelle aussi exténuation, ou diminution.

 

 

 

 

VII. LA MÉTAPHORE.

 

Les esprits justes et qui aiment à faire des images qui soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore. (La Bruyère, chap. 1.)...
Il faut qu’une métaphore soit naturelle, vraie, lumineuse, et qu’elle échappe à la passion. (Voltaire.)

Étymologie et définition.

 

286. Le mot métaphore signifie translation. Dans ce trope, ainsi que dans tous les autres, on prend un mot dans une signification qui n’est pas sa signification primitive ; mais avec cette différence qui est |234 particulière à la métaphore, que cette figure est toujours le résultat d’une comparaison que l’on fait entre le sens propre d’un mot, et le sens figuré qu’on veut lui donner. Ainsi, quand on dit, par exemple : le vice est forcé de prendre le masque de la vertu ; le mot masque est pris métaphoriquement ; et il est clair qu’il y a là une comparaison tacite, dont on n’énonce que le résultat. Car c’est comme si l’on disait d’une manière plus développée : comme les personnes qui ne veulent pas être reconnues prennent un masque, de même le vice, pour se déguiser, est forcé de prendre le masque de la vertu.

Différence entre la méta­phore et la comparaison.

 

287. Si la phrase était ainsi développée, ce ne serait plus une métaphore ; ce serait une vraie comparaison. Retenons donc bien que la métaphore, quoiqu’elle contienne implicitement une comparaison, n’en énonce que le résultat, tandis que la comparaison elle-même n’est que dans l’esprit. Conséquemment, si l’on dit d’un homme en colère : c’est un lion, voilà une métaphore : la comparaison, que l’on fait de la colère de cet homme à celle du lion, n’est que dans l’esprit, et l’on se contente d’en énoncer le résultat. Mais si l’on dit : il est furieux comme |235 un lion, ou simplement : il est comme un lion, la métaphore disparaît parce que la comparaison est explicitement énoncée (a) [40].

Règle géné­rale.

 

288. Nous pouvons tirer de là cette règle générale ; qu’une métaphore n’est pas régulière, lorsqu’en y ajoutant les mots nécessaires pour en faire une vraie comparaison, cette comparaison n’est pas juste, ou qu’elle est trop recherchée.

Le besoin con­duit souvent à em­ployer des méta­phores.

 

289. C’est souvent le besoin qui force à faire usage des métaphores. Rarement les langues ont-elles autant de mots qu’il peut se présenter d’idées à exprimer ; et cette disette force nécessairement à employer des métaphores. C’est pour cela qu’on dit : la lumière de l’esprit, le flambeau de la raison, la clef des sciences, etc. ; comme l’on dit au propre : la lumière du soleil, la clef d’une armoire, etc. Ainsi l’on supplée par des images et par des idées accessoires aux mots que la langue ne peut fournir ; et il arrive souvent que ces idées accessoires et ces images occupent plus agréablement |236 l’esprit (a) [41], rendent le discours plus énergique, donnent, pour ainsi dire, plus de corps à nos pensées, que ne l’auraient fait les mots propres eux-mêmes, si la langue en avait fourni de tels (b) [42].

 

 

290. Au propre on dit : s’enivrer de quelque liqueur ; au figuré, on s’enivre de plaisir, d’espérance, d’éloges, etc. (c) [43].

Ne vous enivrez point des éloges flatteurs
Que vous donne un amas de vains admirateurs. (Boileau, Art. poët. ch. 4.)

Le peuple, qui jamais n’a connu la prudence,
S’enivrait follement de sa vaine espérance. (Volt., Henr. ch. 7.)

Celui qui met un frein à la fureur des flots
Sait aussi des méchans arrêter les complots. (Racine, Athalie.)

Mettre un frein à la fureur des flots, les |237 modérer, s’en rendre maître, comme on l’est d’un cheval avec le frein. C’est par une métaphore semblable qu’on dit mettre un frein à ses passions.

« La vieillesse, dit le célèbre Montaigne, attache plus de rides à l’esprit qu’au visage ». On sent ce que signifie cette expression énergique et figurée.

Ces masses qui du temps sentent aussi le poids,
Enseignent à céder à ce commun ravage,
A pardonner au sort. Telle jadis Carthage
Vit sur ses murs détruits Marius malheureux,
Et ces deux grands débris se consoler entr’eux. (Delille, Jard., ch. 4.)

Métaphores défectueuses.

 

291. Les métaphores sont défectueuses, 1.o lorsqu’elles sont tirées de sujets bas, ou lorsque les expressions qu’on emploie figurément, présentent au sens propre une idée désagréable, ou pénible ; comme lorsque Théophile dit que la charrue écorche la terre, ou lorsque Bacon dit que l’argent ressemble au fumier qui ne profite qu’autant qu’il est répandu.

2.o Lorsqu’elles sont forcées, que le rapport n’est pas assez immédiat, assez naturel ; comme lorsque le même Théophile dit : je |238 baignerai mes mains dans les ondes de tes cheveux.

3.o Certaines expressions métaphoriques, qui sont permises en vers, seraient trop hardies en prose :

Accourez, troupe savante,
Des sons que ma lyre enfante
Ces arbres sont réjouis. (Boil., Od. Pris. de Nam.)

enfanter des sons serait une expression trop hardie en prose, il faut donc avoir égard à la convenance des styles (a) [44].

 

 

4.o Lorsque l’expression métaphorique paraît trop forte, ou que la comparaison, implicitement renfermée dans la métaphore (287), est trop éloignée du sujet, on peut préparer cette figure en employant quelqu’une de ces expressions, pour ainsi dire, si l’on peut parler ainsi, etc.

« O Dieu ! s’écrie Bossuet, qu’est-ce donc |239 que l’homme ? Est-ce un prodige ? Est-ce un assemblage monstrueux de choses incompatibles ? Est-ce une énigme inexplicable ? Ou bien, n’est-ce pas, si je peux parler de la sorte, un reste de lui-même, une ombre de ce qu’il était dans son origine ; un édifice ruiné, qui, sous ses masures renversées, conserve encore quelque chose de la beauté et de la grandeur de sa première forme ? Il est tombé en ruine par sa volonté dépravée ; le comble est abattu sur les murailles et sur le fondement ; mais qu’on remue ces ruines, on trouvera dans les restes de ce bâtiment renversé et les traces des fondations, et l’idée du premier dessin, et la marque de l’architecte ».

Il y a trois métaphores différentes dans ce morceau. L’homme y est présenté comme un reste de quelque chose de plus grand, puis comme une ombre, et enfin comme un édifice ruiné ; et ce qu’il pourrait y avoir de trop fort est adouci par ces expressions si je peux parler de la sorte. La dernière métaphore est soutenue jusqu’à la fin, et toutes les expressions figurées, qui s’y rapportent, sont parfaitement dans l’analogie |240 de la première image, édifice ruiné, ainsi que cela doit être (255) : car les masures renversées, le comble, les murailles, le fondement, remuer les ruines, les restes de ce bâtiment renversé, les traces des fondations, tout, en un mot, se rapporte exactement à la même image, à la même comparaison : le tableau est grand et juste dans toutes ses proportions : il n’y a que ces mots par sa volonté dépravée qui le déparent, parce qu’ils ne peuvent se dire d’un édifice, et qu’ils sont en discordance avec les autres parties du tableau.

5.o Quoiqu’on puisse, comme dans l’exemple précédent, mettre de suite plusieurs métaphores tirées de sujets différens, chacune de ces métaphores en particulier doit être soutenue, c’est-à-dire, qu’il ne faut pas joindre ensemble des expressions qui présentent des images contradictoires, disparates, incompatibles comme dans le morceau de Bossuet, ou comme si l’on comparait un orateur véhément à un torrent qui s’allume. Dans la première édition du Cid de Corneille, on lisait :

Malgré des feux si beaux qui rompent ma colère.

|241 Des feux ne peuvent pas rompre ; ils ne peuvent qu’échauffer, ou brûler, la métaphore est donc défectueuse. Dans les éditions suivantes, on a substitué troublent à rompent ; ce qui ne convient guère mieux.

J. B. Rousseau a fait une faute semblable dans les vers suivans :

L’hiver qui si long-temps a fait blanchir nos plaines,
N’enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux ;
Et les jeunes Zéphyrs, de leurs chaudes haleines,
         Ont fondu l’écorce des eaux.    (Od. 6, liv. 3.)

En supposant que la glace puisse être présentée sous l’image d’une écorce, il faut convenir que l’effet de la chaleur ne peut fondre une écorce.

6.o Chaque langue a ses métaphores particulières, consacrées par l’usage, et dont il n’est pas permis de changer les expressions, même en en substituant d’équivalentes, sans s’exposer à se rendre ridicule. Ainsi les Latins appelaient la corne droite et la corne gauche, ce que nous appelons l’aile droite et l’aile gauche d’une armée. C’est en manquant à cette règle que des étrangers disent quelquefois qu’ils ont l’habit trop équitable, au lieu de dire trop juste ; que quelqu’un remerciait son propre protecteur de |242 ce qu’il avait pour lui des boyaux de père, voulant dire des entrailles ; et que l’auteur du poème de la Magdeleine a mis le flambeau sous le muid, au lieu de placer la lumière sous le boisseau.

 

 

 

 

VIII. LA SYLLEPSE.

 

........ Cupias non placuisse nimis. (Mart., lib. 6, epi. 29.)

Définition.

 

292. La syllepse consiste à prendre le même mot tout à la fois au propre et au figuré, dans la même phrase ; comme dans ces vers :

Ecoute, amant triste et jaloux,
       Ce que je te conseille.
Tu n’aimes pas tant les yeux doux,
       Que j’aime la bouteille ;
Ainsi que je la traite, apprends
       A traiter la bergère :
Je la quitte, dès que je sens
       Qu’elle devient légère.

Le mot légère est pris dans un sens physique, s’il est question de la bouteille ; et dans un sens moral, lorsqu’il s’agit de la bergère.

|243 De même, quand Pyrrhus dit :

Je souffre tous les maux que j’ai faits devant Troie ;
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,
Brûlé de plus de feux que je n’en allumai. (Rac. Andro.)

Brûlé et feux sont au propre par rapport à la ville de Troie, que Pyrrhus détruisit par les flammes, et au figuré par rapport à la passion violente que Pyrrhus ressent pour Andromaque (a) [45].

293. Cette figure joue sur les mots, et doit conséquemment n’être employée que rarement, et avec beaucoup de circonspection.

 

 

 

 

IX. L’ALLÉGORIE.

 

Omnia conveniunt rerumque simillima imago est. (Hyer. Vid. art poët., l. 2.)

Définition.

 

294. L’allégorie est une métaphore conti- |244 nuée. En prenant chaque mot d’une allégorie au propre, elle offre un sens suivi, qui est le premier qui se présente à l’esprit ; et, en prenant chaque expression au figuré, elle a un autre sens différent, qui est celui que l’auteur de l’allégorie a eu en vue. Quand on a commencé une allégorie, il faut conserver, dans toute l’étendue de cette figure, l’image dont on a emprunté les premières expressions. En voici une :

Vous voyez un faible rameau,
Qui, par les jeux du vague Eole,
Enlevé de quelqu’arbrisseau,
Quitte sa tige, tombe, vole
Sur la surface d’un ruisseau.
Là, par une invincible pente,
Forcé d’errer et de changer,
Il flotte au gré de l’onde errante
Et d’un mouvement étranger.
Souvent il paraît, il surnage ;
Souvent il est au fond des eaux ;
Il rencontre sur son passage
Tous les jours des pays nouveaux ;
Tantôt un fertile rivage
Bordé de côteaux fortunés,
Tantôt une rive sauvage,
Et des déserts abandonnés.
Parmi ces erreurs continues,
Il fuit, il vogue, jusqu’au jour
Qui l’ensevelit, à son tour,
|245 Au sein de ces mers inconnues
Où tout s’abîme sans retour. (Gresset.) (I) [sic] [46].

 

 

Ces vers, pris au propre, ont un sens littéral ; c’est la description d’un rameau emporté par le courant des eaux jusque dans l’abîme des mers. Au figuré, c’est l’image de la vie humaine, de ses erreurs, des peines, des plaisirs, des traverses qu’on y éprouve, jusqu’à la mort qui engloutit tout sans retour.

Les proverbes sont des allé­gories.

 

295. La plupart des proverbes sont de vraies allégories : tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se brise.

Paraboles, Apologues.

 

296. Il en est de même des paraboles, et des apologues ou fables ; puisque dans tous ces discours on cache un sens figuré, un sens moral, sous un sens littéral qui se présente le premier.

Les énigmes.

 

297. Quintilien met aussi les énigmes au |246 nombre des allégories. On sait que l’énigme est un discours qui ne fait point connaître l’objet auquel il convient, et qui donne cet objet à deviner. Quintilien en improuve l’usage, parce que le premier mérite du langage, c’est la clarté (a) [47].

 

 

 

 

X. L’ALLUSION.

 

Jucundam orationem non deformi voluptate, sed cum laude ad dignitatem conjunctâ. (Quint., præm. in lib. 8.) — Ceux qui ont fait des livres où il n’y a que des pointes sont comme ceux qui feraient des festins où il n’y aurait que du sel et du vinaigre. (Balzac, liv. 4., let. 8.)

Définition.

 

298. L’allusion est une figure par laquelle on réveille l’idée d’une chose déjà connue, à l’occasion d’une autre chose dont on parle ; on rappelle, par exemple, sans le citer expressément, un trait connu de l’histoire ancienne ou moderne, ou de la mythologie, ou tel procédé particulier d’un art quelconque. Il faut, dans tous les cas, que les choses auxquelles on fait allusion soient généralement connues, sans quoi l’allusion ne |247 pourrait pas être saisie facilement. Tel est ce quatrain de Voltaire pour inviter M. Bernard, auteur de l’art d’aimer, à souper chez une dame aimable :

Au nom du Pinde et de Cythère,
Gentil Bernard est averti
Que l’art d’aimer doit, samedi,
Venir souper chez l’art de plaire.

299. Il y a une autre espèce d’allusion, moins ingénieuse et moins agréable que la précédente, parce qu’elle ne roule que sur la ressemblance matérielle des mots ; c’est une espèce de calembour. Le palais ayant été incendié à Paris, un poëte fit le quatrain suivant, où il joue sur la double signification du mot palais et du mot épice :

Certes, on vit un triste jeu,
Quand, à Paris, dame Justice
Se mit le palais tout en feu,
Pour avoir mangé trop d’épice. (Saint-Amand.)

Un autre poëte a fait une allusion assez heureuse sur le double sens du mot voler, dans les vers suivans :

Cher ami, ta fureur
Contre ton procureur,
|248 Injustement s’allume ;
Cesse d’en mal parler :
Tout ce qui porte plume
Fut créé pour voler.

Ainsi les Romains appelaient Tiberius Nero, Biberius Mero. Nous avons cité plusieurs autres exemples de ces mauvais jeux de mots, n.o 258 et à la note a pag. 205 et 206 (a) [48].

Despréaux a exposé les vrais principes sur ces sortes d’allusions dans les vers suivans :

Ce n’est pas toutefois qu’une muse un peu fine,
Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine,
Et d’un sens détourné n’abuse avec succès ;
Mais fuyez sur ce point un ridicule excès. (Art poët., ch. 2.)

 

|249

 

 

XI. L’IRONIE.

 

Plus aloës quàm mellis habet. (Juvén., sat. 6., 180)...... Hæret enìm nonnunquàm telum istud occultum ; et hoc ipso quod non apparet, eximi non potest. (Quint., Inst. orat., lib. 9, cap. 2.)

Définition.

 

300. Dans l’ironie on veut faire entendre tout le contraire de ce que l’on dit : c’est un trope piquant, tantôt plein de sel et de gaîté, tantôt distillant le fiel et l’amertume. « A ce que je vois, écrivait Voiture à un plénipotentiaire, vous vous divertissez admirablement à Munster. Il vous prend envie de rire une fois en six mois. Vous faites bien de prendre le temps tandis que vous l’avez, et de jouir des douceurs de la vie que la fortune vous donne. Vous êtes là comme rats-en-paille, dans les papiers jusqu’aux oreilles, toujours lisant, écrivant, corrigeant, proposant, conférant, haranguant, consultant dix ou douze heures par jour, dans de bonnes chaises à bras, bien à votre aise ; pendant que nous, pauvres diables, sommes ici marchant, jouant, causant, veillant, et |250 tourmentant notre misérable vie ». (Let. au comte d’Avaux.)

Le même Voiture, après la bataille de Rocroi, écrivit au prince de Condé : « A dire la vérité, je ne sais à quoi vous avez pensé ; et ça été, sans mentir, trop de hardiesse d’avoir, à votre âge, choqué deux ou trois capitaines, que vous deviez respecter, quand ce n’eût été que pour leur ancienneté... pris seize pièces de canon, qui appartenaient à un prince... avec qui vous n’aviez jamais eu de différent ; et mis en déroute les meilleurs troupes des Espagnols, qui vous avaient laissé passer avec tant de bonté. J’avais bien ouï dire que vous étiez opiniâtre comme un diable, et qu’il ne faisait pas bon vous rien disputer ; mais j’avoue que je n’eusse pas cru que vous fussiez emporté à ce point-là ». (Let. sur la batail. de Rocroi.).

 

 

Boileau, tout en faisant semblant de désavouer ce qu’il avait écrit contre plusieurs auteurs de son temps, les accable par l’ironie suivante :

Toutefois, s’il le faut, je veux bien m’en dédire ;
Et, pour calmer enfin tous ces flots d’ennemis,
Réparer en mes vers les maux qu’ils ont commis.
|251 Puisque vous le voulez, je vais changer de style.
Je le déclare donc : Quinaut est un Virgile ;
Pradon, comme un soleil en nos ans a paru ;
Pelletier écrit mieux qu’Ablancourt ni Patru ;
Cotin, à ses sermons traînant toute la terre,
Fend les flots d’auditeurs pour aller à la chaire. (Sat.)

 

 

 

 

XII. L’EUPHÉMISME.

 

Malè ominatis parcite verbis. (Horat., lib. 3, Od. 14) .... Apelles imaginem Antigoni latere tantùm altero ostendit, ut amissi oculi deformitas lateret. Quid ? Non in oratione quædam sunt operienda, sive ostendi non debent, sive exprimi pro dignitate non possunt. (Quintil. lib. 2, cap. 14.)

Étymologie et définition.

 

301. Ce mot, dérivé du grec, signifie la même chose que discours de bon augure. Ce trope consiste à déguiser des idées, ou tristes, ou odieuses, ou désagréables, sous des expressions radoucies qui présentent des idées moins choquantes. C’est ainsi que Cicéron, au lieu de dire que les domestiques de Milon tuèrent Clodius, dit : « ils firent ce que tout maître voudrait que ses esclaves fissent en pareille occasion ». Souvent, pour ne pas dire : il est mort, nous disons : il n’est plus, j’ai eu le malheur de le perdre.

L’antiphrase.

 

302. Plusieurs grammairiens ont distingué |252 une autre espèce de trope, qu’ils appellent antiphrase, ou contre-vérité : mais tous les exemples qu’ils rangent sous ce nom se rapportent à l’euphémisme ou à l’ironie, et il est conséquemment inutile de distinguer une espèce de trope de plus. Par exemple, Pont-Euxin, ancien nom de la mer Noire, signifie mer hospitalière ; et tout le monde sait que cette mer est très-orageuse, et que les bords en étaient jadis habités par des hommes féroces. Mais les anciens lui avaient donné ce nom, ou par ironie, ou bien par un euphémisme qui leur était inspiré par la superstition, espérant se rendre cette mer favorable en lui donnant un nom flatteur.

On peut en dire autant du nom d’Euménides donné aux trois Furies infernales : ce mot signifie bienfaisantes ; et il a probablement été appliqué aux Furies par la même raison qui nous porte à dire à quelqu’un, dont nous connaissons toute la rancune et tout l’emportement : vous, qui êtes si bon, vous ne voudrez pas nuire à une personne innocente.

 

|253

 

 

XIII. LA PÉRIPHRASE.

 

Omnia enìm stolidi magis admirantur, amantque
Inversis quæ sub verbis latitantia cernunt,
Veraque constituunt quæ bellè tangere possunt
Aures, et lepido quæ sunt fucata sonore.

Étymologie et définition.

 

303. Périphrase est la même chose que circonlocution. Quintilien met cette figure au rang des tropes ; et avec raison, puisque si les tropes tiennent la place des expressions propres, la périphrase tient aussi la place ou d’un mot, ou d’une phrase entière. La périphrase est, en effet, une figure par laquelle on exprime en plusieurs mots, ce qu’on aurait pu dire quelquefois en un seul.

Emploi des périphrases.

 

304. On se sert de périphrases, ou par nécessité, ou par bienséance, ou pour une plus grande clarté, ou enfin pour l’ornement du discours.

1.o Par né­cessité.

 

305. 1.o Par nécessité. Lorsque la langue n’a pas de mot propre pour exprimer une idée, on est forcé d’employer plusieurs termes. C’est ce qui arrive surtout dans les traductions, parce que la langue du traducteur n’a pas toujours d’expression propre qui réponde à chaque expression de |254 l’original. Le latin, par exemple, n’a pas d’expression qui signifie perruque ; pour rendre ce mot en latin, il faudrait donc dire une chevelure empruntée, ou factice, ou artificielle, et user conséquemment de périphrase.

2.o Par bien­séance.

 

306. 2.o On a recours à la périphrase pour envelopper des idées basses ou peu honnêtes, ou pour adoucir des images trop dures, ou pour écarter des idées désagréables ; et alors cela retombe dans l’euphémisme (301).

3.o Pour une plus grande clar­té.

 

307. 3.o Pour une plus grande clarté. Quand on prononce le nom d’une chose, l’esprit ne se porte pas plus sur une qualité que sur une autre ; il n’aperçoit la chose que d’une manière peu précise, et dans un certain lointain. Au lieu que, en substituant une périphrase au nom de la chose, l’esprit démêle quelques-unes des qualités qui la distinguent, l’aperçoit d’une manière plus distincte, et la saisit avec plus de précision et de facilité. C’est pour cela que les définitions et les analyses peuvent être considérées comme des périphrases. D’ailleurs, par ce moyen, on substitue l’image, le tableau de la chose, au nom même, tout simple, et tout isolé de la chose ; ce qui |255 convient au discours fleuri, et principalement à la poésie.

Ce tyran des esprits, enfant de leur faiblesse,
De qui chacun se plaint, et que chacun caresse,
Le bruit, cet imposteur qui captive nos sens,
De ses maux éloignés lui fait des maux présens. (Bréb., Phars,. l. 1.)

Le bruit est impropre ; c’est la renommée que le poëte a voulu dire.

Un intendant ! Qu’est-ce que cette chose ?
     Je définis cet être un animal
Qui, comme on dit, sait pêcher en eau trouble,
Et plus le bien de son maître va mal,
Plus le sien croît, plus son profit redouble. (La Font.)

Je définis le peuple un animal étrange,
Dont, au moindre sujet, le cerveau se dérange,
Dont l’œil toujours se fixe à des objets nouveaux,
Qui, sur le goût, enfin, sans cesse prend le change. (Aub., liv. 4, fab. 16.)

Cependant cet oiseau qui prône les merveilles,
Ce monstre composé de bouches et d’oreilles,
Qui, sans cesse volant de climats en climats,
Dit partout ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas ;
La renommée enfin....              (Boil., Lutr., ch. 2.)

Mais il faut que ces définitions et ces |256 analyses aient un rapport direct et marqué avec la chose qu’on veut exprimer, et avec le point de vue sous lequel on veut la faire envisager. Ainsi Bossuet dit : « celui qui règne dans les cieux, de qui relèvent les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté, l’indépendance, est aussi celui qui fait la loi aux rois (a) [49], et qui leur donne, quand il lui plaît, de grandes et de terribles leçons ». Cette périphrase, ce développement de quelques attributs de l’être suprême fait plus d’impression que si Bossuet se fût simplement contenté de nommer Dieu.

4.o Pour l’or­nement du discours.

 

308. 4.o Le plus souvent on emploie les périphrases pour l’ornement du discours, et principalement dans la poésie. Les poëtes expriment, par exemple, de mille manières les différentes parties du jour, par des périphrases, dont le ton est différent selon le caractère du poème où on les emploie. On va s’en convaincre par des exemples.

Au point de la clarté naissante,
L’aurore pâle et languissante,
|257 Quand la porte du jour s’ouvrit,
De nuages noirs se couvrit,
Tâchant, par ses couleurs funèbres,
A continuer les ténèbres.
Sous ces tristes manteaux de deuil,
Elle parut la larme à l’œil. (Sarras., Pomp. funèb. de Voitu.)

L’astre heureux et brillant de la mère d’amour
De l’aurore vermeille annonce le retour. (Segr., églo. 3.) (a) [50].

 

 

|258 Qu’en ses plus beaux habits, l’Aurore, au teint vermeil,
Annonce à l’univers le retour du soleil ;
Et que, devant son char, ses légères suivantes
Ouvrent de l’Orient les portes éclatantes. (Segr., églo. 5.)

L’Aurore cependant, au visage vermeil,
Ouvrait dans l’Orient le palais du soleil :
La nuit en d’autres lieux portait ses voiles sombres,
Les songes voltigeans fuyaient avec les ombres. (Volt., Henr., ch. 6.)

Voilà bien des manières d’exprimer le lever de l’aurore : en voici d’autres pour la chute du jour.

Que la nuit, couvrant tout de ses plus sombres voiles,
Cache même à nos yeux ses plus claires étoiles. (Segr., églo. 5.)

Les ombres cependant, sur la ville épandues,
Du faîte des maisons descendent dans les rues. (Boil., Lutr., ch. 2.)

|259

Mais la nuit aussitôt, de ses ailes affreuses,
Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses,
Revole vers Paris, et hâtant son retour,
Déjà de Montlhéry voit la fameuse tour. (Le même, ch. 3.)

Voici le temps exprimé par une périphrase.

Ce vieillard qui, d’un vol agile,
Fuit, sans jamais être arrêté,
Le temps, cette image mobile
De l’immobile éternité,
A peine, du sein des ténèbres,
Fait éclore les faits célèbres,
Qu’il les replonge dans la nuit :
Auteur de tout ce qui doit être,
Il détruit tout ce qu’il fait naître
A mesure qu’il le produit. (Rous., od. 2, liv. 3.)

Boileau, pour dire qu’il a 58 ans, emploie la périphrase suivante :

 

 

Mais aujourd’hui qu’enfin la vieillesse venue,
Sous mes faux cheveux blonds déjà toute chenue,
A jeté sur ma tête, avec ses doigts pesans,
Onze lustres complets surchargés de trois ans. (a) [51].

|260 Et ailleurs, pour exprimer qu’il n’est pas encore bien vieux, il dit :

Tandis que libre encor, malgré les destinées,
Mon corps n’est point courbé sous le faix des années ;
Qu’on ne voit point mes pas sous l’âge chanceler,
Et qu’il reste à la Parque encor de quoi filer (a) [52].

Un autre poëte peint ainsi l’or par une périphrase :

       Vous connaissez bien ce métal
Qui, servant seul de poids au mérite des hommes,
Follement adoré par tous tant que nous sommes,
       Est le fléau le plus fatal
Dont le ciel puisse armer sa fureur vengeresse ;
Ce métal séduisant qui fait tant d’envieux,
       Que l’intérêt couve des yeux
       Au sein de la douce mollesse ;
       Qui, nourrissant notre fierté,
       Donne aux laides de la beauté,
       Aux roturiers de la noblesse,
       Aux méchans de la probité ;
Que chacun veut ravir par force ou par adresse,
Qu’on appelle or enfin.           (Aubert, liv. 1, fab. 4.)

309. On peut juger, par la diversité de |261 ces exemples, quel est l’emploi fréquent et varié que l’on fait de la périphrase, et se convaincre qu’elle doit avoir un ton bien différent, selon le caractère des ouvrages où on l’emploie.

 

 

 

 

XIV. L’ONOMATOPÉE.

 

Omnia sed numeris vocum concordibus aptant,
Atque sono quæcumque canunt imitantur, et aptâ
Verborum facie.        (Hyeron., vid. Art. poët.)

Définition.

 

310. Si le son matériel d’un mot exprime le son naturel de ce qu’il signifie, c’est une onomatopée ; comme le glou glou de la bouteille, le cliquetis des armes, le hennissement des chevaux, le trictrac, le coucou, etc. Le poëte Ennius avait exprimé le son de la trompette par le mot taratantara (a) [53], et la célèbre Sévigné le pas des chevaux par les mots trà, trà, trà. « L’archevêque de *** revenant hier fort vite de St.- Germain, voici ce qui lui arriva. Il allait à son ordinaire comme un tourbillon ; il passait au travers de Nanterre, trà, trà, trà. Il rencontre un homme à cheval ; gare, gare. Ce pauvre homme veut se ranger, |262 son cheval ne le veut pas ; enfin le carrosse et les six chevaux renversent, cul-par-dessus tête, le pauvre homme et le cheval, et passent par-dessus, et si bien par-dessus que le carrosse en fut versé et renversé. En même-temps, l’homme et le cheval, au lieu de s’amuser à être roués, se relèvent miraculeusement et remontent l’un sur l’autre.... ».

Harmonie imi­tative.

 

311. Quelquefois c’est l’harmonie d’une phrase entière, qui, par sa lenteur ou sa rapidité, par la rudesse ou par la douceur des sens, et par l’espèce particulière des syllabes dont elle est composée, peint, aussi naturellement qu’il est possible, la chose dont on parle : c’est ce qu’on appelle harmonie imitative. Les exemples en sont très-fréquens dans les bons auteurs, et principalement dans les poëtes. Ce n’est pas ici le lieu d’en parler (a) [54].

L’onomatopée n’est pas un trope.

 

|263 312. L’onomatopée n’est pas un trope, |264 puisque les mots y conservent leur signification propre. Nous avons cru néanmoins devoir la faire connaître succinctement.

 

 

 

 

DES SYNONYMES.

 

Les esprits médiocres ne trouvent pas l’unique expression, et usent de synonymes. (La Bruy., ch. 1.)

Sunt finitima omninò, sed tamen differt aliquid. (Cicer., Tusc., lib. 2.)

Définition.

 

313. Deux ou plusieurs mots sont synonymes, lorsqu’ils ont la même signification, et qu’ils expriment exactement la même idée, avec les mêmes nuances précises.

Il n’[y a] point de synonymes par­faits.

 

314. D’après cette définition, y a-t-il réellement des synonymes ? « Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, dit La Bruyère, il n’y en a qu’une qui soit la bonne : tout ce qui ne l’est point, est faible et ne satisfait pas un homme d’esprit qui veut se faire entendre. » (ch. 1.)

« S’il y avait des synonymes parfaits, dit Dumarsais, il y aurait deux langues dans une même langue. Quand on a trouvé le signe exact d’une idée, on n’en cherche pas un autre. Les mots anciens et les mots nouveaux d’une langue sont synonymes : maints est synonyme de plusieurs ; |265 mais le premier n’est plus en usage ; c’est la grande ressemblance de signification qui est cause que l’usage n’a conservé que l’un de ces termes, et qu’il a rejeté l’autre comme inutile ». (Trait. des trop.)

A quoi Girard ajoute : « Qu’une fausse idée de richesses ne vienne pas ici faire parade de la pluralité et de l’abondance. J’avoue que la pluralité des mots fait la richesse des langues ; mais ce n’est pas la pluralité purement numérale. C’est celle qui vient de la diversité, telle qu’elle brille dans les productions de la nature....... je ne fais donc cas de la quantité des mots que par celle de leur valeur. S’ils ne sont variés que par les sons, et non pas par le plus ou moins d’énergie, d’étendue, de précision, de composition, ou de simplicité, que les idées peuvent avoir, ils me paraissent plus propres à fatiguer la mémoire, qu’à enrichir et à faciliter l’art de la parole. Protéger le nombre des mots sans égard au sens, c’est, ce me semble, confondre l’abondance avec la superfluité. Je ne saurais mieux comparer un tel goût qu’à celui d’un maître d’hôtel qui ferait consister la magnificence d’un festin dans le nombre des plats, |266 plutôt que dans celui des mets. Qu’importe d’avoir plusieurs termes pour une même idée ? N’est-il pas plus avantageux d’en avoir pour toutes celles qu’on souhaite d’exprimer ? » (Préfa. des synonym. pag. 12).

En quels sens certains mots sont syno­nymes.

 

315. Il n’y a donc point de synonymes parfaits. Néanmoins on dit quelquefois que telle et telle expression sont synonymes. Que faut-il penser de cette manière de parler ? Le même Girard va nous l’apprendre. « Pour acquérir la justesse, dit-il, il faut se rendre un peu difficile sur les mots, ne point s’imaginer que ceux qu’on nomme synonymes, le soient dans toute la rigueur d’une ressemblance parfaite, en sorte que le sens soit aussi uniforme entr’eux que l’est la saveur entre les gouttes d’eau de la même source ; car, en les considérant de près, on verra que cette ressemblance n’embrasse pas toute l’étendue et la force de la signification ; qu’elle ne consiste que dans une idée principale, que tous énoncent, mais que chacun diversifie à sa manière par une idée accessoire qui lui constitue un caractère propre et singulier. La ressemblance que produit l’idée générale, fait donc les mots syno- |267 nymes ; et la différence qui vient de l’idée particulière, qui accompagne la générale, fait qu’ils ne le sont pas parfaitement, et qu’on les distingue comme les diverses nuances d’une même couleur ». (Préf. des synon. pag. 10.) « Je ne disconviens pas qu’il n’y ait des occasions où il est assez indifférent de choisir ; mais je soutiens qu’il y en a encore plus où les synonymes ne doivent ni ne peuvent figurer l’un pour l’autre, surtout dans les ouvrages médités et composés avec réflexion. S’il n’est question que d’un habit jaune, on peut prendre le souci, ou la jonquille ; mais s’il faut assortir, on est obligé de consulter la nuance ». (Le même).

Il est néces­saire d’étudier les synonymes.

 

516. [sic] Il est donc bien essentiel d’étudier les synonymes et de distinguer avec soin la propriété des termes et leurs différences délicates, pour pouvoir mettre dans ses discours toute la précision et la netteté qu’exige la justesse la plus métaphysique. Nous recommandons expressément la lecture réfléchie des synonymes français de Girard et de ceux de Roubaud ; et nous nous contenterons ici de montrer, par quelques exemples, les nuances délicates qui se |268 trouvent dans les significations respectives des expressions synonymes (a) [55].

 

 

 

 

Egoïste, Homme personnel.

 

 

317. « On confond ordinairement ces deux mots : cependant, avec un air de ressemblance, ils se distinguent par des |269 traits bien marqués. L’égoïste est l’homme qui parle sans cesse de lui, qui dit toujours moi. L’homme personnel est celui qui rapporte tout à lui, à sa personne, ou qui n’est conduit que par son intérêt personnel.

L’égoïste ne parle que de lui, et l’homme personnel ne songe qu’à lui. Le premier se met toujours au milieu de la scène, et le second au centre des choses. L’un, tout occupé de lui-même, veut vous occuper de lui ; l’autre, quelquefois occupé de vous, ne s’en occupe que pour lui. L’amour-propre de l’égoïste est plus vain ; celui de l’homme personnel est plus profond. Le premier est ridicule ; le second est redoutable.

L’égoïste parle, et vous le connaissez : vous ne connaissez pas toujours l’homme personnel, même quand il parle. Je vois que le premier ramène tout à lui : j’ai de la peine à reconnaître que le second rapporte tout à lui. Je suis fâché de rencontrer l’égoïste ; je ne veux rien avoir à démêler avec l’homme personnel.

L’égoïste est un sot, ou le sera : l’homme personnel peut être un sot, mais est toujours un homme dangereux. Il y a dans |270 l’égoïste beaucoup de petitesse d’esprit avec un grand fonds d’amour-propre : il y a dans l’homme personnel un fonds d’amour-propre, ou plutôt de cupidité inépuisable ; celui-là cherche des sots qui l’admirent, et celui-ci des dupes qui l’écoutent. L’égoïste est un fléau dans une assemblée ; l’homme personnel est votre ennemi, le mien, celui de la société en général. L’égoïste peut aimer quelque chose, il n’est pas méchant ; l’homme personnel n’aime que lui, c’est un mauvais cœur.

Je ne dis pas que l’égoïste ne soit pas un homme personnel ; je ne dis pas que l’homme personnel ne soit pas un égoïste : ils sont tous les deux pleins d’eux-mêmes ; il est naturel que leur amour-propre abonde et déborde en tout sens. Mais l’homme personnel est bien maladroit s’il est égoïte [sic] ». (Roubaud).

 

 

 

 

Rêve, Songe.

 

 

318. « Le mot rêve n’a pas par lui-même un rapport nécessaire avec le sommeil ; on rêve en dormant, mais on rêve aussi tout éveillé, lorsqu’on se livre à des pensées vaines, bizarres, extravagantes. Rêver signifie donc proprement s’imaginer toute |271 sorte de choses, vaguer d’un objet à l’autre sans aucune suite, rouler dans son esprit des pensées décousues et disparates.

Songe est évidemment tiré du mot latin somnium. Le songe est donc une chose propre au sommeil ; songer, c’est faire des songes ; et si l’on se sert de ce verbe pour penser ou rêver à quelque chose, c’est en le détournant de sa signification propre et primitive.

L’homme éveillé fait des rêves, on ne dira pas qu’il fait des songes. Les rêves du délire ne s’appellent pas des songes. Les chimères, les imaginations, les idées fantastiques d’un visionnaire ressemblent assez à des songes ; mais elles ne sont que des rêves.

Rien ne ressemble plus aux songes de la nuit que les rêves du jour ; c’est toujours le travail d’une imagination échauffée. Les rêves du jour produisent souvent les songes de la nuit ; et les songes de la nuit sont aussi quelquefois l’objet des rêves, ou des rêveries du jour.

Les visionnaires, qui voient dans leurs extases tout ce qu’ils imaginent, sont d’autant plus persuadés de la réalité de |272 leurs visions, qu’ils ont fait ces rêves les yeux ouverts, et qu’ils ne peuvent les confondre avec des songes.

Occupez-vous, et vous ferez peu de rêves ; point d’excès, et vous ne ferez point de songes ». (Roubaud).

 

 

 

 

Décence, Bienséance, Convenance.

 

 

319. « La décence est un état, une façon de paraître qui doit (selon l’ancienne expression française), ou qui décore : la bienséance, un état, une manière, qui est séante, qui sied bien, qui est à sa place : la convenance, un état qui cadre, qui va bien avec, qui convient.

La décence est, à la lettre, la manière dont on doit se montrer pour être considéré, approuvé, honoré : la bienséance, est la manière dont on doit être dans la société, pour y être bien, à sa place, comme il faut : la convenance, est la manière dont on doit disposer, arranger, assortir ce qu’on fait pour s’accorder avec les personnes, les choses, les circonstances.

La décence regarde l’honnêteté morale ; elle règle l’extérieur, selon les bonnes mœurs. La bienséance concerne l’honnêteté |273 civile ; elle règle nos actions selon les mœurs et les usages de la société. La convenance pure s’attache aux choses moralement indifférentes en elles-mêmes ; elle règle des arrangemens particuliers, selon les bienséances et les conjonctures.

Une femme est habillée avec décence, lorsqu’elle l’est sans immodestie ; avec bienséance, lorsqu’elle l’est suivant son état ; avec convenance, lorsqu’elle l’est selon la saison et les circonstances.

La décence est en général une, et la même partout ; car il n’y a pas deux sortes de pudeur et de modestie. La bienséance varie selon le sexe, l’âge, la condition, l’état des personnes ; car ce qui sied à un homme, à un jeune homme, à un militaire, n’est quelquefois pas séant pour une femme, pour un vieillard, pour un magistrat. La convenance s’accommode aux conjonctures ; car ce qui convient dans un temps, dans une occasion, à telle personne, ne convient pas toujours et à tous.

L’observation de la décence annonce l’homme pur, ou modeste ; celle des bienséances, l’homme honnête et poli ; celle |274 des convenances, l’homme soigneux et sage.

L’homme qui se respecte gardera infailliblement la décence : celui qui respecte les autres déférera toujours à la bienséance : celui qui respecte l’opinion et l’ordre consultera, dans l’occasion, la convenance.

La décence demande une grande attention sur soi ; la bienséance, beaucoup d’attention aux autres ; la convenance, beaucoup d’attention aux alentours ». (Roubaud).

 

 

 

 

Infamie, Ignominie, Opprobre.

 

 

320. « L’étymologie de ces trois mots n’est rien moins qu’indifférente pour fixer les nuances qui les distinguent.

Infamie est formé de in, particule négative, et de fama, réputation, d’où sont venus famé, diffamé, infame, etc. Ignominie est formé de la même négation in et de nomen, nom. Opprobre de ob, devant, en face, et de probrum, blâme, honte, affront.

Selon la force des termes, l’infamie ôte donc la réputation : l’ignominie souille le |275 nom, ou donne un mauvais renom : l’opprobre assujétit aux reproches, et soumet aux outrages.

Un jugement frappe d’infamie le criminel qu’il condamne. L’opinion d’une humiliation profonde, attachée aux peines des crimes bas, fait l’ignominie. L’abondance de l’infamie et de l’ignominie versées, pour ainsi dire, à pleines mains, consomme l’opprobre.

Les idées de honte et de blâme sont communes à ces trois termes : l’infamie aggrave ces idées par celles de décri, de flétrissure, de déshonneur ; l’ignominie, par celles d’humiliation, d’avilissement, de turpitude ; l’opprobre, par celles de rebut, d’avanie, de scandale.

L’infamie est attachée à certaines actions ; un homme qui a des sentimens d’honneur ne s’y livrera pas. L’ignominie se répand sur une lâche abjection ; celui qui a le sentiment de sa dignité d’homme n’y descend point, ne s’y livre point. L’opprobre poursuit le personnage indigne des moindres égards de la société ; celui à qui il reste quelque sentiment, ne trouve pas de plus grand supplice que de vivre, |276 quand on est tombé dans cet état ». (Roubaud).

321. Nous jugeons inutile de citer un plus grand nombre d’exemples ; ceux qu’on vient de lire suffisent pour montrer combien il est essentiel de distinguer la signification propre de chaque mot, afin que chacun soit mis à sa place, et dans la circonstance où celui-là seul peut exprimer l’idée précise que l’on a intention d’exprimer. Ce n’est que par une analyse exacte et lumineuse que l’on vient à bout de découvrir la signification précise des mots ; et souvent, pour cela, il est utile d’avoir recours à leur étymologie, comme dans les exemples ci-dessus.

 

 

 

 

DES HOMONYMES.

 

.................... Ast alii sex
Et plures, uno conclamant ore. (Juven., sat. 7, 166.)

 

 

322. Les synonymes sont caractérisés par l’identité du sens principal, malgré la différence matérielle de ces mots. Les homonymes, au contraire, sont caractérisés par la diversité des sens principaux, malgré l’identité ou la ressemblance dans le matériel. |277 Aussi l’abus des homonymes est-il la ressource la plus facile, la plus ordinaire et la plus dangereuse de la mauvaise foi, ou de l’ignorance.

Définition des homonymes.

 

323. On appelle homonymes les mots qui sont identiques ou du moins très-semblables, quant au matériel, c’est-à-dire, quant aux syllabes dont ils sont composés (132), et qui ont néanmoins des sens différens.

Homonymes univoques.

 

324. Il y a donc deux sortes d’homonymes ; 1.o ceux dont le matériel est identique, et qu’on peut appeler homonymes univoques, du mot latin univocus ; comme le mot coin, qui exprime ou un fruit, ou un angle, ou un instrument à fendre du bois, ou un instrument avec lequel on marque les monnaies et les médailles (241). Il en est de même des mots son, sceau, fléau et de plusieurs autres. Ceci ne doit pas s’appliquer aux mots qui ont des significations différentes selon qu’ils sont employés au propre, ou au figuré (242) ; il faut, pour qu’ils soient homonymes, qu’ils aient des acceptions différentes (241) au propre, comme les mots que nous venons de citer.

Homonymes équivoques.

 

2.o Ceux qui ne sont pas identiques quant au matériel, mais qui n’ont entr’eux que des différences très-légères, ou dans la |278 prononciation, ou dans l’orthographe, ou dans l’une et dans l’autre, quoiqu’ils aient des sens tout différens ; et l’on peut les appeler homonymes équivoques. Ainsi vōler, signifiant dérober, et vŏler, aller en l’air, ne diffèrent que par la prononciation de la première syllabe, qui est longue dans le premier cas, et brève dans le second ; il en est de même de tâche, (pensum), et de tache (macula). Les suivans diffèrent par leur orthographe : ceint, qui a une ceinture ; saint, qui a de la sainteté ; sain, qui a de la santé ; seing, signature. Les mots poids, pois, poix ; penser, panser ; et beaucoup d’autres sont dans la même catégorie.

325. L’emploi des homonymes univoques ne peut pas induire en erreur, pourvu qu’on emploie toujours le même mot dans le même sens : sans cela, on avancerait une proposition qui serait nécessairement fausse dans l’une des acceptions de ce mot.

326. Quant aux homonymes équivoques, il faut une grande exactitude dans la prononciation et dans l’orthographe pour ne pas présenter un sens louche, ou même ridicule, en articulant ou en écrivant un mot pour un autre mot qui aurait un sens tout différent ; comme si l’on écrivait penser un |279 cheval ou une plaie, ou panser à un projet, etc.

Paronomase.

 

327. C’est sur l’emploi des homonymes équivoques qu’est fondée la figure appelée paronomase, mot qui signifie ressemblance, et que nous appelons en français allusion, ou jeu de mots (a) [56]. Nous en avons cité divers exemples (258, 299). En voici encore un :

Ci gît monseigneur de Marca,
Que le plus grand des rois marqua
Pour le prélat de son église ;
Mais la mort, qui le remarqua,
Et qui se plaît à la surprise,
Tout aussitôt le démarqua.

Quelquefois cette figure n’est pas fondée sur une froide allusion d’un mot à un autre, |280 mais sur une pensée ; et alors elle n’est pas blâmable. Tel est ce vers de Corneille :

Ton bras est invaincu (a) [57], mais non pas invincible. (Cid.)

et celui-ci de Molière :

Et fourbe fourbissime.

et le suivant de Bertaud :

Et plutôt être dit insensé qu’insensible.

 

|281

 

 

CHAPITRE III.

DE L’ÉTYMOLOGIE.

 

Veras hìnc ducere voces. (Hor. Art. poet.)

Il est à craindre que notre paresse ne nous flatte quelquefois d’être condamnés à une plus grande ignorance que nous ne le sommes effectivement. (Fontenelle, préf. de l’Hist. de l’Acad. des Scienc.)

Sens primitif du mot éty­mologie.

 

328. Ce mot, dérivé du grec, signifie le vrai sens d’un mot. Les Grecs, dont la langue riche, abondante en inflexions grammaticales, se prêtait à tous les besoins de leur génie, par la facilité qu’elle leur donnait de composer des mots, s’occupèrent de bonne heure à analyser leur langue, pour remonter des mots dérivés ou composés aux mots radicaux ou simples, et pour distinguer les acceptions métaphoriques d’avec le sens primitif : et comme ils ne connaissaient guère que leur langue, ils donnèrent à ce genre de recherches le nom d’étymologie, qui veut dire, connaissance du vrai sens des mots (Etumos, vrai ; logos, parole).

Signification actuelle de ce mot.

 

329. Lorsque les Latins étudièrent leur langue, ils s’aperçurent, qu’il ne suffisait |282 pas d’en analyser les mots, comme avaient fait les Grecs : ils durent chercher les origines de leur langue dans la langue grecque, dont la leur était formée en partie ; il fallut donc décomposer non pas simplement les mots, mais les langues. Les recherches s’étendirent conséquemment beaucoup plus ; et quoiqu’elles devinssent souvent indifférentes pour la connaissance du vrai sens des mots, on leur conserva l’ancien nom d’étymologie. Aujourd’hui on donne ce nom à toutes les recherches sur l’origine des mots. L’étymologie est donc l’art de remonter à l’origine des mots, de débrouiller la dérivation, l’altération et le déguisement de ces mêmes mots, de les dépouiller de ce qui, pour ainsi dire, leur est étranger ; de découvrir les changemens qui leur sont survenus, et, par ce moyen, de les ramener à la simplicité de leur origine, et d’en fixer le véritable sens.

Autre sens du même mot.

 

330. On donne aussi quelquefois le nom d’étymologie au mot primitif, ou à la racine, relativement à ses dérivés. Dans ce sens, mort est l’étymologie de mortalité ; lex, legis, de légiste ; rivus, ruisseau, de dérivé, dérivation, etc.

Utilité de l’étymologie.

 

331. Outre que l’étude de l’étymologie peut fournir des vues curieuses et philoso- |283 phiques sur l’origine des langues, sur leurs progrès successifs et sur le mélange des différens idiomes (a) [58], elle peut devenir d’une application usuelle, et prêter à la logique des secours pour appuyer nos raisonnemens sur des fondemens solides. Locke et Condillac ont prouvé que le langage est une espèce de calcul, dont la Grammaire, et même la logique, en grande partie, ne sont que les règles : mais ce calcul est bien plus compliqué, sujet à bien plus d’erreurs et de difficultés, que le calcul des nombres. Une des principales difficultés est l’espèce d’impossibilité où les hommes se trouvent de fixer avec précision le sens de la plupart |284 des mots, auxquels ils n’ont appris à lier des idées que par une habitude contractée dans l’enfance, sans aucune réflexion, et seulement à force d’entendre répéter les mêmes sons dans des circonstances, qui, quoiqu’elles paraissent semblables, ne le sont jamais entièrement. Les métaphores (286) multipliées, soit par le besoin, soit par une espèce de libertinage de l’imagination, ont rendu cette étude de plus en plus difficile. Néanmoins tout l’artifice de ce calcul ingénieux, c’est-à-dire, tout l’art du raisonnement est fondé sur l’emploi des mots dans leur signification véritable et précise. L’usage d’un même mot dans deux sens différens convertit tout raisonnement en sophisme (1309), et ce genre de sophisme, peut-être le plus commun de tous, est la source la plus féconde comme la plus ordinaire de toutes nos erreurs. Un des moyens les plus sûrs, et peut-être le seul, de les éviter, ou de les reconnaître, et de parvenir un jour à ne rien affirmer de faux, serait de n’employer aucun terme dont le sens ne fût exactement connu et défini (1188) : et il n’est pas douteux que l’étymologie ne soit souvent d’un grand secours pour fixer ce sens d’une manière bien précise.

L’étymologie est utile pour con­naître le sys­tême gé­néral d’une langue.

 

|285 332. L’application directe de l’art étymologique est la recherche des racines, ou des origines d’une langue en particulier. Ces recherches, poussées aussi loin qu’elles peuvent aller, sans que l’on se permette des conjectures trop arbitraires, sont une partie aussi essentielle qu’intéressante de l’analyse d’une langue, c’est-à-dire, de la connaissance du systême complet, de cette langue, de ses racines, de ses élémens, des combinaisons variées qu’ils ont subies et de celles dont ils sont susceptibles, et enfin des différentes acceptions, soit primitives, soit figurées, qu’ils ont reçues, etc. Par-là, on acquiert la facilité de comparer les langues entr’elles sous toute sorte de rapport.

Sert à re­mon­ter aux prin­cipes de la Grammaire générale.

 

333. C’est de cette comparaison analytique des langues que découlent les règles de la Grammaire générale, à laquelle tous les peuples sont assujétis en croyant ne suivre que les caprices de l’usage, et dont la Grammaire de chaque langue n’est qu’une application particulière. L’art étymologique, en suivant les expressions dans tous leurs passages d’une signification à l’autre, en découvrant la liaison secrète des idées qui a facilité ce passage, et en analysant les combinaisons que les hommes ont faites des |286 signes déjà inventés, découvre ce calcul des mots par lequel on a formé, composé, analysé toute sorte d’abstractions inaccessibles aux sens et à l’imagination, précisément comme les nombres exprimés par plusieurs chiffres, sur lesquels cependant les calculateurs s’exercent avec facilité.

Manière de re­monter à l’éty­mologie des mots.

Dérivés.

 

334. Si le mot, dont on cherche l’étymologie, est un dérivé, il faut le dépouiller des terminaisons et des inflexions grammaticales qui le déguisent. Ainsi il est facile de voir que le substantif changement est dérivé du verbe changer ; que l’adjectif graduel, graduelle, qui exprime ce qui se fait ou qui vient par degrés successifs, est dérivé du mot latin gradus qui signifie degré ; que l’adverbe graduellement a la même racine, etc., etc.

Composés.

 

335. Si c’est un mot composé, dont on cherche l’étymologie, il faut le dériver dans ses différentes parties (a) [59] ; chercher ensuite |287 le sens de chaque partie, et l’on aura ainsi celui du mot composé. Le mot vraisemblable, par exemple, est évidemment composé des deux mots vrai et semblable ; ce mot signifie donc ce qui est semblable au vrai, qui ressemble à la vérité ; de cet adjectif dérive l’adverbe vraisemblablement. Circonstance est composé de deux mots latins, de circùm (autour) et de stare (être, être placé) ; circonstance, d’après son étymologie, signifie donc ce qui est autour : et l’on n’emploie ce mot qu’au figuré ; les circonstances d’un fait, c’est-à-dire, ce qui l’a accompagné, ce qui a été autour de ce fait.

Mots dérivés des langues an­ciennes.

 

336. Chaque langue tient plus ou moins de celles qui ont concouru à sa formation. Pendant que la nôtre et les autres langues modernes se formaient, tous les actes s’écrivaient en latin ; et dans ceux qui se sont conservés, le mot latin indique souvent l’origine du mot français correspondant, que nous aurions eu de la peine à reconnaître, |288 sans cela, à cause des altérations successives de la prononciation (a) [60] c’est ainsi qu’on a appris que métier vient de ministerium ; marguillier, de matricularius, etc. On trouve une foule d’étymologies de ce genre dans le Glossaire de Ducange.

Mots pris des langues mo­dernes.

 

337. Chaque langue emprunte tous les jours des mots nouveaux de celles des peuples avec lesquels on a des relations. Nous avons pris des Anglais club, jockey, budget, etc., etc. ; des Italiens, le nom et l’usage de la boussole, svelte, etc., etc. ; des Espagnols, media noche, etc. C’est surtout lorsqu’une nation reçoit d’une autre quelqu’art nouveau, qu’elle en adopte aussi les termes. L’art de la verrerie nous est venu de Venise, et les termes de cet art, en grand nombre, sont italiens. La plupart des mots techniques de la minéralogie sont allemands : et comme les Grecs sont ceux qui ont le plus anciennement écrit sur les sciences et sur les arts, les objets scientifiques ont des noms grecs dans toute l’Europe. Plusieurs mots de la langue espagnole sont arabes.

Fausses éty­mologies.

 

|289 338. Tout ce que nous venons de dire montre combien il faut de connaissances étendues et variées pour retrouver la véritable étymologie de la plupart des mots. Si ce n’est qu’à force de suppositions qu’on y parvient, il faut la rejeter : car toute supposition semblable renfermant un degré d’incertitude, la multitude de ces incertitudes doit détruire toute assurance raisonnable. C’est pour avoir négligé ce principe que Ménage a donné quelquefois des étymologies ridicules, comme celle d’Alfana qu’il fait venir d’Equus : et c’est à ce propos qu’un poëte a fait cette épigramme plaisante :

 

 

Alfana vient d’equus, sans doute :
Mais il faut avouer aussi
Qu’en venant de là jusqu’ici
Il a bien changé sur la route. (De Cailli.)

339. C’est par le secours de l’étymologie qu’on distingue les racines et leurs dérivés, les simples et les composés.

 

 

 

 

DES RACINES ET DES DÉRIVÉS.

 

Hoc fonte derivata ....
In patriam, populumque fluxit. (Horat., lib. 3, od. 6.)

Racines, ou mots radicaux.

 

340. On appelle, en général, racine ou |290 mot radical tout mot dont un ou plusieurs autres sont formés, soit par dérivation, soit par composition : néanmoins, pour éviter la confusion, il vaut mieux appeler racines génératrices les mots primitifs à l’égard de leurs dérivés ; et racines élémentaires, les mots simples à l’égard de leurs composés.

Racines gé­né­ratrices, ou mots primitifs.

 

341. Un mot est racine génératrice, ou mot primitif relativement à tous ceux qui en sont formés, et qui diffèrent de celui-là par la différence de leurs inflexions, quant au matériel ; comme l’idée qu’ils expriment chacun, diffère, par quelqu’idée accessoire, de l’idée originelle exprimée par le mot primitif.

Ainsi le mot ami est le primitif des mots amitié, amical, amicalement : tous ces dérivés renferment dans leur matériel le primitif ami, et ils ont de plus quelques syllabes qui différencient leurs inflexions respectives, et par où leurs terminaisons sont distinguées et entr’elles et d’avec celle de leur racine commune. Quant au sens, ils expriment aussi tous l’idée fondamentale d’une bienveillance fondée sur l’estime et sur la vertu : mais à cette idée primitive les dérivés ajoutent chacun une autre idée accessoire. Car ami exprime le sujet qui éprouve ce sentiment, |291 ou celui qui en est l’objet ; c’est un nom substantif : amitié exprime ce sentiment de bienveillance d’une manière abstraite, et comme un être réel ; c’est un substantif abstrait : amical, amicale servent à qualifier les témoignages de cette bienveillance ; c’est un adverbe (a) [61].

Il en est de même des mots amant, amour, amoureux, amoureuse, amoureusement.

Tous les mots dont nous venons de parler ont pour syllabe génératrice la syllabe am, qui se retrouve pareillement dans les mots correspondans de la langue latine et dans ceux de quelques langues modernes : et cette syllabe vient probablement d’un mot grec, qui signifie ensemble, racine qui exprime bien l’affinité de deux cœurs réunis par une bienveillance commune.

342. Quoique les mots ennemi, inimitié |292 ne soient pas simplement dérivés, mais composés, nous en parlerons ici pour les rapprocher d’une de leurs racines élémentaires. Cette racine est évidemment ami, amitié ; et l’autre est la syllabe in, ou en, qui marque souvent le contraire ou l’opposé dans la composition des mots. Ainsi ennemi signifie le contraire ou l’opposé d’ami ; inimitié exprime le sentiment contraire de l’amitié.

343. Les mêmes observations peuvent se faire sur les mots patrie, patriote, patriotique, patriotiquement, et sur toutes les autres racines génératrices comparées à leurs dérivés respectifs (340).

Compatriote est évidemment composé de la préposition latine cum, qui signifie avec, et du mot patriote ; en sorte que compatriote signifie, avec patriote, c’est-à-dire, qui a la même patrie.

Dérivation ; ce que c’est.

 

344. Sans multiplier davantage les exemples, que l’on peut trouver facilement dans tous les ouvrages sur l’étymologie, nous pouvons conclure que la dérivation est la manière de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l’usage pour exprimer les idées accessoires, propres à modifier l’idée fon- |293 damentale, dont ce mot primitif est l’expression.

345. C’est par la dérivation qu’on forme, dans chaque langue, les augmentatifs et les diminutifs.

 

 

 

 

DES AUGMENTATIFS ET DES DIMINUTIFS.

 

Augescunt aliæ..... aliæ minuuntur (Lucret.)

Ce qu’on en­tend par aug­mentatifs.

 

346. On appelle augmentatif un mot dérivé qui exprime une chose plus grande que celle qui est désignée par le mot primitif. Ainsi coutelas est un augmentatif formé du mot couteau.

Par diminutifs.

 

347. Les diminutifs sont les mots dérivés qui expriment une chose plus petite que celle qui est désignée par les mots primitifs correspondans. Ainsi monticule est un diminutif de mont, ou de montagne ; globule, l’est de globe ; maisonnette, de maison ; perdreau, de perdrix ; dindonneau, de dindon, faisandeau, de faisan ; préau, de pré ; croustille, de croûte ; bleuâtre, verdâtre, rougeâtre, etc., sont des diminutifs de bleu, vert, rouge, etc. Tous ces diminutifs sont des diminutifs physiques (a) [62].

Diminutifs de sentiment.

 

|294 348. Il y en a d’autres qui sont des diminutifs de sentiment, de manière que, par la seule inflexion donnée aux mots, nous exprimons un sentiment de compassion, ou de tendresse ; comme lorsque nos anciens auteurs disaient rossignolet, agnelet, fleurette, herbette, etc. Nous disons trembloter, formé de trembler ; vivoter, de vivre ; buvoter, sautiller, etc., etc.

Augmentatifs physiques et de sentiment.

 

349. Il y a de même des augmentatifs physiques, et des augmentatifs de sentiment : d’excellent, excellentissime ; de révérend, révérendissime ; de savant, savantasse ; de couteau, coutelas.

La langue fran­çaise ne s’ac­com­mode guère des aug­men­tatifs ni des dimi­nutifs.

 

350. Les Italiens et les Espagnols ont plus d’augmentatifs et de diminutifs que nous (a) [63].

|295 « La langue française, comme dit Bouhours, n’aime pas à être riche en babioles et en colifichets ». Ronsard, Lanoüe et la fameuse mademoiselle de Gournai firent tous leurs efforts pour introduire dans notre langue ces mots mignons : mais l’usage ou refusa de les admettre, ou s’en défit bientôt.

Modifications ajoutées à l’idée primitive.

 

351. Considérons maintenant les changemens que les augmentatifs et les diminutifs font subir à l’idée primitive exprimée par le mot dont ils dérivent.

A l’idée exprimée par le mot vivre, le diminutif vivoter ajoute l’idée accessoire de peine, de difficulté, de gêne ; c’est vivre petitement et avec peine.

A l’idée primitive exprimée par le verbe trembler, trembloter ajoute l’idée accessoire |296 d’une diminution sensible dans les mouvemens causés par le tremblement.

Si du verbe pleurer l’usage permettait de faire l’augmentatif pleurasser, et les diminutifs pleuroter et pleurnicher, chacun de ces trois derniers verbes ajouterait aussi une idée accessoire à l’idée primitive exprimée par le verbe pleurer.

Les idées accessoires, exprimées par les augmentatifs et par les diminutifs, influent donc tellement sur les idées primitives, exprimées par les mots qui leur servent de base, qu’elles en font une tout autre idée.

Modifications relatives aux temps, aux nombres et aux personnes.

 

352. D’un autre côté, si de vivre je forme je vis, tu vis, il vit, nous vivons, vous vivez, ils vivent, je conserve dans toutes ces formes la même idée principale exprimée par le mot vivre, et j’y ajoute seulement, par des inflexions particulières de ce mot, les idées accessoires des personnes et des nombres. Il en serait de même de je vivote, tu vivotes, etc., il tremblotte, etc., nous pleurassons, etc., vous pleurotez, etc., ils pleurnichent.

Si du même mot vivre, je forme je vivais, je vécus, je vivrai, tu as vécu, il vivrait, nous vécûmes, etc. ; à l’idée générale exprimée par le mot vivre, et à l’idée accessoire |297 des personnes et des nombres, j’ajoute encore une autre idée accessoire, celle des époques, des temps. Je pourrais faire les mêmes observations sur les formes correspondantes des verbes vivoter, trembler, trembloter, etc.

Deux sortes de dérivation.

 

353. Il y a donc deux sortes de dérivation : l’une (351), par des inflexions particulières, sert à modifier l’idée primitive par des accessoires d’augmentation ou de diminution ; et celle-là, on peut la nommer philosophique, parce que la nature des idées est du ressort de la philosophie.

L’autre, par d’autres inflexions, sert à exprimer les différens points de vue exigés par l’ordre de l’énonciation (352) ; et on peut l’appeler grammaticale ; parce que ce qui est relatif à cette énonciation est du ressort de la Grammaire.

Dérivation philosophique.

 

354. La dérivation philosophique est donc la manière de faire prendre à un mot, au moyen de ses différentes inflexions, les formes établies par l’usage ou déduites de l’analogie, pour exprimer les idées accessoires qui peuvent modifier en elles-mêmes l’idée primitive, sans rapport à l’ordre de l’énonciation (351, 353).

Dérivation grammaticale.

 

355. La dérivation grammaticale est la |298 manière de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l’usage, pour exprimer les idées accessoires qui peuvent présenter l’idée principale sous différens points de vue relatifs à l’ordre de l’énonciation (352).

 

 

 

 

DES SIMPLES ET DES COMPOSÉS.

 

Studio adjungatur usus frequens, qui omnium magistrorum præcepta superat. (Tull. De Orat.)

Définition du mot simple.

 

356. Un mot est simple relativement à ceux qui en sont formés ; ceux-ci sont les composés, dont chaque mot simple est, en quelque sorte, l’élément.

Composition ; ce que c’est.

 

357. La composition, en termes de Grammaire, est la manière de faire prendre à un mot, au moyen de son union avec quelqu’autre mot ou avec quelque syllabe, les formes établies par l’usage, pour exprimer les idées particulières que l’on veut associer à celle que ce mot exprime.

Élémens des mots com­posés.

 

358. Il est souvent utile de chercher les élémens des mots composés afin d’en connaître la signification d’une manière plus précise. Parasol est composé de parer (garantir) et de sol (soleil) ; on trouve de |299 même les élémens de parapluie, paratonnerre, parachute, etc. Dans tous les mots terminés par le mot mètre, tels que baromètre, thermomètre, hygromètre, endiomètre, électromètre, anémomètre, etc., le dernier élément mètre signifie mesure, et le premier élément exprime, dans chaque composé, la chose qu’il s’agit de mesurer. Tous ceux dont l’un des élémens est phile, dérivé du grec, signifient amateur, qui aime : théophile, amant de dieu ; philadelphe, qui aime ses frères ; philosophe, qui aime la sagesse. Phage, dérivé du grec, ou vore, dérivé du latin, signifient l’un et l’autre mangeurs : ictiophage, mangeur de poissons ; granivore, mangeur de grains ; omnivore, qui mange tout ; carnivore, qui se nourrit de chair. Phore, dérivé du grec, signifie qui porte : Théophore, porte-dieu ; Christophore, ou Christophe, porte-christ, etc., etc., etc.

Particules pré­positives ou pré­fixes.

 

359. Outre les composés dont nous venons de parler et dont les élémens sont aisés à distinguer, il y en a d’autres à la tête desquels sont des prépositions, ou intactes, ou déguisées, qu’on appelle particules prépositives, ou préfixes, comme étant placées à la tête des composés, et qui donnent à chacun de ceux-ci un sens particulier.

A ou ad.

 

|300 360. Ainsi a ou ad, emprunté de la préposition latine ad, marque une tendance vers un but physique ou moral. Aguerrir, rendre propre et accoutumé à la guerre ; anéantir, réduire au néant ; adjoindre, joindre à. Avocat s’écrivait et se prononçait autrefois advocat, composé de la préposition ad et du participe vocatus, comme qui dirait appelé à parler pour autrui, à défendre la cause d’autrui ; dans les mots affamer, acquérir, accumuler, appauvrir, et autres, la lettre d de la préposition ad se change, par contraction, dans la consonne initiale de l’autre mot élémentaire auquel elle est réunie, et devient, par cette raison, ou f, ou p, ou c, ou... etc. Nous verrons d’autres exemples d’un semblable changement (378).

Ab ou abs.

 

Ab ou abs, préposition latine, marque la séparation : abjuration, abjurer, abnégation, abstraire (trahere abs), abstraction, abstrait, absolution (solutio abs), absoudre, etc., etc.

Anti ou ante.

 

361. Anti ou ante marque une priorité : antidate, antidater ; antécédent (ante cedens, devant marchant) ; antécesseur, antépénultième, antérieur, antériorité ; antichambre, anticiper, anticipation. Dans ces mots, et dans |301 beaucoup d’autres, la préposition anti ou ante vient de la préposition latine ante qui signifie avant.

Dans d’autres composés anti marque opposition, contrariété, parce qu’il dérive d’un mot grec qui a ce même sens : antiscorbutique ; antipathie, l’opposé de sympathie ; antipodes, antithèse, antéchrist, antichrétien, antiphilosophique,etc., etc.

Cum.

 

362. La préposition latine cum, qui signifie avec, entre dans la composition d’un grand nombre de mots français ; mais elle s’écrit diversement, à cause de la contraction, selon la contexture de l’autre mot élémentaire auquel elle est réunie, c’est-à-dire, selon la consonne initiale de ce mot. Ainsi dans les composés coopérer, coopération, cohabiter, cohabitation, cohéritier, etc. (pour cum-opérer, cum-habiter, cum-héritier, avec opérer, avec habiter, etc.), le m disparaît et l’u se change en o, par euphonie : dans colliger, collection, etc., le m se change en l par contraction, et l’u en o par euphonie : dans confédération, contemporain, connexion, etc., le m se change en n et l’u en o. Colporteur n’a pas les mêmes élémens ; il est formé de col et de porteur, et signifie porteur au col, au cou.

Contre.

 

|302 363. La préposition contre, élément de plusieurs composés, exprime une opposition : contredire, contradiction, contrevenir, contravention, contremander, etc. Contrefaire signifie imiter contre la vérité. Dans contresigner, contreseing, contre veut dire auprès.

Dé.

 

364. Tantôt la particule sert à étendre la signification du mot auquel elle est jointe ; comme dans déclarer, découper, détremper, etc. ; tantôt elle marque la suppression de l’idée énoncée par le mot auquel elle est jointe, comme dans détromper, débarrasser (pour désembarrasser), débarquer (désembarquer), décamper, défaire, déloyal, déréglement, dépourvu, etc.

Dés.

 

Il en est de même de dés ; désennuyer, désaccorder, déshériter, déshonneur, désintéressement, désunion, désordre, etc.... Il paraît même que et dés sont la même particule dans ces différens composés, et qu’on y ajoute seulement un s, par euphonie (379), lorsque le mot simple commence par une voyelle ou par un h muet.

Di.

 

365. Di est ordinairement une particule extensive. Dilater, c’est donner beaucoup d’étendue ; diminuer, c’est rendre plus menu, etc.

Dis.

 

Dis est souvent une particule négative. |303 Discordance, disgrâce, disparité, disparaître, etc. Quelquefois elle marque seulement diversité ; comme dans disputer (diversa putare), distinguer (dis tingere). Dans diffamer, difficile, difforme, le s se change en f par contraction (378).

E et ex.

 

366. E et ex sont des prépositions latines qui, dans la composition des mots, expriment une idée accessoire d’extraction, ou de séparation. Ebrancher, ôter les branches ; écervelé, qui est sans cervelle ; effréné, qui est sans frein ; énerver, ôter la force aux nerfs ; excéder, aller au-delà des bornes ; exhéréder, ôter l’héritage ; exister, être hors du néant ; exterminer, mettre hors des termes, ou des bornes, etc., etc.

En.

 

367. La préposition en marque quelquefois la position : encaisser, mettre en caisse ; encadrer, entasser, envisager, etc., etc. Souvent elle exprime une disposition : endormir, enrichir, ensanglanter, enivrer, etc. Dans embaumer, empaler, emmaillotter, etc., le n se change en m par contraction (378).

Entre.

 

368. Entre conserve quelquefois, dans les mots composés, le sens qu’il a comme préposition ; comme dans entre-temps, intervalle de temps entre deux actions ; entremise, entremets (ce qui est servi entre d’autres |304 mets), entrelarder, etc. Quelquefois elle signifie mutuellement ; comme dans entrelacer, entrelacement, s’entre-frapper, s’entr’égorger, s’entre-nuire, s’entre-suivre ; les jours et les nuits s’entre-suivent. Quelquefois enfin, ce mot signifie à demi, ou imparfaitement ; comme dans entr’ouïr, ouïr imparfaitement ; entr’ouvrir, ouvrir à demi ; entrevoir, voir imparfaitement ; entrebaillé, laisser une porte entrebaillée, etc.

In ou en.

 

369. La préposition latine in, rendue par en dans certains composés, marque tantôt position, comme dans infuser, inoculation, intrus, inscrire, etc. ; tantôt disposition, comme dans innover, inciter, influence. In et en ont la même signification dans inclination et enclin, inflammation et enflammé, injonction et enjoindre, etc. Quelquefois in et en sont des particules privatives, ou négatives, qui marquent la privation ou le contraire de ce qui est exprimé par le mot simple : inimitié, ennemi, inanimé, inconstance, indocilité, inégal, ingrat, inutile, inséparable, etc. Dans imbiber, imbécille, immodeste, illuminer, illicite, irruption, irrévérent, etc., le n se change en l, ou en m, ou en r, par contraction (378).

Més, mé.

 

370. Més, qui s’écrit par euphonie |305 (380), devant les mots qui commencent par une consonne, est une particule privative, mais dans un sens moral, et exprime quelque chose de mauvais. Méconnaître, et ses dérivés ; mécontent, comme qui dirait mal content ; mécréant, médire, méfaire, mégarde, se méprendre, mépris, mésaise, mésestimer, mésintelligence, messéant, mésuser, etc. Les Italiens emploient mis, et les Allemands miss, dans le même sens que notre més (a) [64].

Par, per.

 

371. Par ou per marque une idée accessoire de plénitude ou de perfection : parfait, fait entièrement ; un ouvrage fait et parfait, parachever ; parvenir, venir jusqu’au bout ; persécuter, suivre avec acharnement, etc., etc.

Pré.

 

372. Pré vient de la préposition latine præ, et a, comme elle, un sens ou d’antériorité, ou de supériorité ; prévoir, voir d’avance ; préambule, d’après son étymologie, promenade au devant, ce mot ne s’emploie qu’au figuré ; précéder (præ cedere, marcher devant) ; prématuré (mûr avant le temps, employé au figuré) ; précoce, précompter, prédire, prédominer, prévaloir ; préliminaire (de præ et |306 de limen, seuil, placé devant le seuil, ne s’emploie que figurément) ; etc., etc.

Re, ré.

 

373. La syllabe re est ordinairement réduplicative, et alors elle ne prend l’accent aigu qu’avant les mots simples qui commencent par une voyelle, ou par un h muet : réaction, réajourner, réassigner, réitérer, réorganiser, réunir, réhabiliter, réédifier, etc. Avant les mots simples qui commencent par une consonne, on écrit et l’on prononce re, par un e muet : rebâtir ; rebattre souvent la même chose ; rebondir, rechercher, recommencer, etc. Si l’on écrit réchauffer, c’est probablement parce que c’est pour rééchauffer.

Remarque.

 

374. Il faut observer que certains mots ont un sens tout différent selon qu’ils sont précédés de la particule re, ou de la particule . Repondre, c’est pondre une seconde fois ; répondre, c’est répliquer à un discours. Reformer, c’est former de nouveau ; réformer ; c’est donner une meilleure forme. Repartir, c’est ou répliquer, ou partir pour la seconde fois, ou partir après être arrivé ; répartir, c’est distribuer en plusieurs parts : ces mots sont donc des homonymes équivoques (324, 2.o).

Sub, sur, sous

 

375. Les prépositions sub ou sous et sur |307 conservent le sens qu’elles ont dans les mots composés où elles entrent ; subvenir ; les plumes subalaires (de sub et de ala, Buffon) ; soumettre (pour sous-mettre) ; survenir, surcharger, surfaire, etc.

Trans.

 

376. Trans est une préposition latine qui signifie au-delà, à travers, entre ; elle a le même sens dans les mots composés. Transférer (transferre, à travers ou au-delà, porter) ; transporter, transformer, transgresser, transmettre, transposer, transparent, transpercer, transpirer, etc.

Utilité de ces observations.

 

377. Ces observations ne doivent paraître ni minutieuses, ni inutiles : elles peuvent faciliter les moyens de connaître le sens exact et précis des mots ; connaissance aussi indispensable pour éviter les erreurs dans les raisonnemens, que celle des nombres l’est pour éviter les méprises dans le calcul.

 

 

 

 

DE LA CONTRACTION.

 

Tanta est quærendi cura decoris. (Juven. Sat. 6, 500.)

Définition.

 

378. Nous avons déjà parlé plusieurs fois de la contraction. On appelle ainsi le changement d’une ou de deux lettres finales de |308 l’un des élémens d’un mot composé, occasionné par la lettre initiale de l’autre élément : ainsi, au lieu de inraisonnable, on dit irraisonnable, le n de la préposition in se change en ; au lieu de inlégitime, inlégal, etc., on dit illégitime, illégal, le même n se change en l. Dans embaumer, empaler, imbiber, imbécille, immodestie, etc., le même n se change en ; c’est donc la consonne finale de la particule prépositive, qui, attirée, en quelque sorte, par la consonne initiale du mot qui la suit, pour ne faire avec elle qu’un tout, prend la nature de celle-ci, et c’est probablement un effet du mécanisme de l’organe de la parole, mécanisme par lequel nous prononçons plus facilement deux consonnes semblables que des consonnes diverses, surtout lorsque celles-ci exigent, l’une, le mouvement des dents, et l’autre, celui du gosier ou de toute autre partie de l’organe de la parole ; ou peut-être ce changement se fait-il par euphonie, car irraisonnable, illégal, embaumer, etc., sont bien plus doux à prononcer que inraisonnable, inlégal, inbaumer.

Autre effet de la contrac­tion.

 

379. La contraction produit souvent un effet encore plus remarquable, surtout dans les langues anciennes. L’esprit, fortement |309 occupé d’un mot principal, et vivement attiré par lui, donne à un autre mot, voisin de celui-là, une terminaison différente de celle qu’il devrait avoir selon les règles de la syntaxe ; en sorte que la terminaison du mot principal, dont l’esprit est préoccupé, attire pour le mot corrélatif une terminaison analogue, qui n’est pas la terminaison régulière que ce dernier devrait avoir. Ainsi l’on donne à un mot un cas, un genre, ou un nombre contraires à ce qu’exigerait la concordance (a) [65]. Et ceci est une suite, non pas du mécanisme de l’organe de la parole, mais de l’influence qu’ont sur nous les idées accessoires ; l’esprit, dirigeant sa vue plus particulièrement sur un mot, donne à d’autres mots une terminaison analogue, lors même que ceux-ci devraient en avoir une |310 différente. On rapporte [co]mmunément cette espèce particulière d’attraction à l’hellénisme.

 

 

 

 

DE L’EUPHONIE.

 

Impetratum est à consuetudine ut peccare suavitatis causâ liceret (Cicer.)

Étymologie et définition.

 

380. Euphonie signifie en grec voix bonne, c’est-à-dire, prononciation facile, agréable ; et cette facilité tient au mécanisme et à la disposition des organes de la parole. C’est pour cela que nous disons en français : mon âme, ton épée, son amie, parce que ma âme, ta épée, sa amie, qui sont conformes aux règles de la concordance, seraient plus difficiles à prononcer, à cause de la difficulté qu’ont les organes de la parole à former deux fois de suite et sans interruption le même son, ou deux sons très-ressemblans.

Lettres eu­phoniques.

 

381. C’est pour faciliter cet agrément ou cette aisance dans la prononciation, que lorsqu’un mot finit par une voyelle, autre qu’un e muet, et qu’il est suivi d’un autre mot qui commence par une voyelle, ou par un h muet, on insère entre deux, contre les principes de la syntaxe, une consonne qui mette plus de liaison, et par conséquent plus de facilité dans le jeu des organes de |311 la parole. Ces consonnes ainsi insérées s’appellent lettres euphoniques. Ainsi, au lieu de dire : m’aime-il ? y a-il bien long-temps ? on dit : m’aime-t-il ? y a-t-il bien long-temps ? dira-t-on pour dira-on ? et ainsi de même dans tous les cas semblables. Le t est dans ces exemples la lettre euphonique.

L est aussi souvent employé comme lettre euphonique ; comme quand on dit : si l’on veut, pour si on veut ; et l’on me dit que, au lieu de et on me dit que, etc.

Communes à toutes les langues.

 

382. L’emploi des lettres euphoniques est connu dans toutes les langues (a) [66], ce qui prouve encore, comme nous l’avons déjà dit, que c’est une suite du mécanisme des organes de la parole ; d’autant plus qu’on préfère souvent l’euphonie à l’exactitude rigoureuse des règles. Impetratum est à consuetudine, dit Cicéron, ut peccare suavitatis causâ liceret. (Orat. c. 97.)

Accent eu­phonique.

 

383. Quelquefois c’est un accent, et non pas une articulation qui produit l’euphonie, et l’on pourrait l’appeler accent euphonique. |312 Ainsi l’on dit : puis-je voir ma patrie heureuse ! Par-je trop haut ? Eus-je mille fois plus de pouvoir, je n’en abuserais pas ; au lieu de puisse-je, parle-je, eusse-je, expressions qui seraient conformes aux règles de la grammaire, mais plus difficiles à prononcer, à cause de deux e muets consécutifs.

Il faut observer, à ce propos, qu’on ne doit jamais placer le substantif personnel je après certains verbes monosyllabes. Il ne faut pas dire : mens-je ? sens-je ? Il faut dire : est-ce que je mens ? est-ce que je sens ? On dit néanmoins puis-je ? suis-je ? dis-je ?

 

 

 

 

DE LA FORMATION.

 

Id totum genus situm in commutatione verborum. (Cicer. de part. orat.)

Définition.

 

384. On appelle formation la manière de faire prendre à un mot toutes les formes dont il est susceptible, pour lui faire exprimer toutes les idées accessoires que l’on peut joindre à l’idée fondamentale qu’il exprime.

Première es­pèce de for­ma­tion.

 

385. Or, ces idées accessoires, subordonnées à l’idée fondamentale renfermée dans la signification d’un mot, résultent quelquefois de la génération même des mots, |313 c’est-à-dire, de la dérivation (354), et de la composition (357), plutôt que de leurs formes grammaticales relatives à l’énonciation de l’ordre de la pensée ; et de là naît une première espèce de formation, dont nous avons parlé 351, et ensuite 354 sous le nom de dérivation philosophique ; parce que les idées en elles-mêmes en sont l’objet immédiat.

Deuxième es­pèce de for­mation.

 

386. Dans l’autre espèce de formation, ou, pour parler plus exactement, dans la formation considérée sous un autre point de vue, on suppose les mots tout faits, on en montre l’emploi dans le discours, et l’on enseigne les diverses inflexions destinées par l’usage à marquer les différentes relations des mots à l’ordre de l’énonciation : c’est celle dont nous avons parlé sous le nom de dérivation grammaticale (355) ; et nous nous en occuperons encore en parlant de la construction et de la syntaxe, et dans le chapitre suivant.

 


 

Notes

[1] (a) La trachée-artère, appelée vulgairement le sifflet, est un canal composé de cerceaux cartilagineux, situé dans la partie moyenne et antérieure du cou, devant l’æsophage. La partie supérieure de la trachée s’appelle le larynx.

[2] (b) La glotte est une fente qui est dans le larynx, par laquelle l’air descend et remonte, quand on respire, qu’on parle, ou qu’on chante. Elle est garnie de plusieurs muscles, au moyen desquels on peut l’étrécir ou l’élargir à volonté. Elle est couverte par un cartilage doux et mince, appelé l’épiglotte.

[3] (a)

Felix qui propriis ævum transegit in arvis.....
Indocilis rerum, vicinæque nescius urbis
          Aspectu fruitur liberiore poli. 
Frugibus alternis non consule computat annum ;
          Autumnum pomis, ver sibi flore notat.
Idem condit ager soles, idemque reducit,
          Metiturque suo rusticus orbe diem.
Ingentem meminit parvo qui germine quercum,
          Æquævumque videt consenuisse nemus. (Claudian. De Sene Veronensi.)

[4] (a)

Nam veræ voces tùm demùm pectore ab imo
Ejiciuntur, et eripitur persona, manet res. (Lucret. lib. 3.)

[5] (a)

Pallida morsæquo pulsat pede pauperum tabernas
     Regumque turres. (Lib. 1, od. 4.)

[6] (a) Manière d’enseigner et d’étudier les belles-lettres. (Tome 2, page 246.)

[7] (a) Omnia conveniunt, rerumque simillima imago est. (Hyeron. Vida, Art. poët. lib. 2.)

[8] (b) Id quoque imprimis est custodiendum, ut quo ex genere |202 caperis translationis, hoc desinas. Multi enim, quùm initium à tempestate sumpserint, incendio aut ruinâ finiunt : quæ est inconsequentia rerum fœdissima. (Quint. Inst. orat. lib. 8.)

[9] (a) On en trouve un grand nombre de ce genre dans les bons auteurs.

Ira furor brevis est : animum rege qui, nisi paret,
Imperat ; hunc frænis, hunc tu compesce catenâ, etc., etc. (Horat. lib. 1, epist. 2.)

[10] (I) [sic] Les exemples en sont faciles à citer en grand nombre :

Si quâ sede sedes, quæ sit tibi commoda sedes,
        Illâ sede sede, nec ab illâ recede.
Grammaticam scivit multos docuitque per annos.
        Declinare tamen non potuit tumulum. (Epitaph. Despauterii.)

|206

Commirus hîc jacet non re sed nomine mirus ;
        Qui patriâ Turo, moribus Huro fuit.
Uxores ego tres vario sum tempore nactus,
        Tùm juvenis, tùm vir, factus et indè senex :
Propter opus prima est validis mihi juncta sub annis,
        Altera propter opes, tertia propter opem. (Pasquier, épitaphe de Bèze.)

Quæ tibi cum pedibus ratio ? quid carmina culpas ?
        Scandere qui nescis, versiculos laceras ! (Claudian. in podagrum.)

Lætitiæ flendæ contendunt cum lætandis mæroribus. (St.-August.)

Transit ab R Gerbertus in R, fit papa regens R.

(Gerbert, dans le X.e siècle, fut archevêque de Rheims, puis de Ravenne, et enfin pape de Rome ; et voilà le fondement de ce jeu de mots.)

In vita mitis, in morte mutus. (St. August.)

............................... Trabeata per urbes
Ostentatur anus, titulumque effæminat anni. (Claudian. in Eutrop. lib. 1. loquens de Ennucho consule.)

Tu telas non tela pati. (Ibid.)

............................... Animoque supersunt
Jàm propè post animam. (Sidon. Apollin. loquens de Gallis.)

|207

Un sort errant ne conduit qu’à l’erreur. (Gresset.)

Ah ! voici le poignard, qui du sang de son maître
S’est souillé lâchement : il en rougit, le traître ! (Théophile.)

Sénèque dit que le poignard qui avait blessé Pauline rougissait d’avoir blessé une femme. Et Pline, que le sang humain, pour se venger du fer, y fait venir la rouille. (Lib. 34, cap. 14.)

Il est inutile de multiplier les citations de cette nature. Contentons-nous de les terminer par cette sentence de Denys d’Halicarnasse : Tumor et omne quod studio fit indecorum est.

[11] (a) Précieuses ridic., sc. 9.

[12] (b) Id.                       id.

[13] (c) Id., sc. 6.

[14] (a) Discours académique.

[15] (a)

................. Sermones ego mallem
Repentes per humum. (Horat. epist. 2, lib. 1.)

[16] (a) Numquàm aliud natura, aliud sapientia dixit. (Juven. Sat. 19.)

[17] (a) Ludere par impar, equitare in arundine longâ. (Horat. 2. Sat. v. 3.)

[18] (a)

Tum Cererem corruptam undis cerealiaque arma
Expediunt fessi rerum. (Æneid. 1, 181.)

Cujus ab alloquiis anima hæc moribunda revixit,
           Ut vigil infusâ Pallade flamma solet. (Ovid. Trist. 4. el. 5.)

[19] (a) Quò ambulas, tu, qui Vulcanum in cornu conclusum geris ? (Plaut. Amphit. act. 2, sc. 1.)

.... Furit ... Vulcanus ... (Æneid. 5, 662.)

Aut dulcis musti Vulcano decoquit humorem. (Georg. 1. 295.)

Pugnatum est vario Marte, ancipiti Marte, æquo Marte. (Passim. apud. auct. Latin.)

[20] (b)

                                       Receptus
Terrâ Neptunus classes aquilonibus arcet. (Art. poët. 63.)

[21] (a) Implentur veteris Bacchi. .... (Æneid. lib. 1, v. 215.)

Sine Cerere et Libero friget Venus. (Terent. Eun. act. 4, sc. 5.)

[22] (a) Nec habet Pelion umbras. (Metamor. 1. 12.)

[23] (b) Pallentes habitant morbi, tristis que senectus. (Æneid. lib. 6, v. 275.)

[24] (c) Autour d’un Caudebec j’en ai lu la préface. (Boil.)

[25] (a) Toutes ces espèces de métonymie, ainsi que celles du n.o 263, ne sont que des expressions elliptiques. On dit lire Buffon, pour lire les ouvrages de Buffon ; un Raphaël, pour un tableau peint par Raphaël ; un Pagnon, pour un drap de la fabrique de Pagnon ; un Caudebec, pour un chapeau fait à Caudebec ; et ainsi des autres. Ces figures ne sont donc que des ellipses, et elles sont un effet de la tendance inévitable qu’ont toutes les langues à l’ellipse, tendance dont nous parlerons plus bas (751).

[26] (a) Cedant arma togæ ; concedat laurea linguæ. (Cic.)

[27] (a)

.......... Fuimus Troës, fuit Ilium, et ingens
Gloria Teucrorum :     (Virg. Enéïde.)

Et jam summa procul villarum culmina fumant,
Majoresque cadunt altis de montibus umbræ. (Id. eclo.)

[28] (a)

Quid non mortalia pectora cogis
Auri sacra fames ? (Virg. Æneid.)

[29] (b) L’adjectif seule n’est pas placé convenablement ; il faudrait : c’est la vertu seule qui, etc. ; ou c’est la vertu qui seule, etc.

[30] (c)

.................... Micat inter omnes
Julium sydus, velut inter ignes
            Luna minores. (Horat. Od.)

[31] (a)

Ditibus indulgent epulis, vacuant que profundo
Aurum immane mero. (Stat. Thebaï. liv. 5.)

.......................... Ille impiger hausit
pumantem pateram, ac pleno se proluit auro. (Virg. Æneid. lib. 1, v. 739.)

[32] (a) Quò te, Mœri, pedes ? an quò via ducit in urbem ? (Virg. ecl. 9.)

[33] (b) Abundabat multitudine hominum Pænus [sic]. (Tit. Liv. lib. 1.)

[34] (c) Intùs Nerò, forìs Cato. (S. Hyeron., epist. 13.)

[35] (a) Irus et est subitò, qui modò Cræsus [sic] erat. (Ovid. Trist. 3, eleg. 7.)

[36] (b) Non distat Cræsus [sic] ab Iro. (Proper. lib. 3, éleg. 4.)

[37] (a) Vomens frustis esculentis gremium suum et totum tribunal implevit. (Cic. 2. Phil. 63.)

..................... Geminique minantur
In cælum scopuli. (Virg. Æneid. 1. 166.)

.................. Fulminis ocyor alis. (Ibid. 5. 319.)

[38] (a)

.................... Si solveret ignis
Quas dedit immanes vili propondere massas,
Argenti potuere lacus et flumina fundi. (Claud. de laud. stilic. lib. 3.)

Illa vel intactæ segetis, etc. (Æneid. 7. 809.)

Quæ Charybdis tam vorax ? Charybdim dico ? Quæ si fuit, fuit animal unum. Oceanus medius fidius vix videtur tot res, tàm dissipatas, tàm distantibus in locis positas, tàm citò absorbere potuisse. (Tull. 2. Philip. 67.)

[39] (a) Qui t’a fait, faute ; il faudrait qui t’a faite... vétille, ville, pile, quille, quatre rimes semblables* trop rapprochées... quille est trop éloigné de sa rime analogue vétille... Ce héros si parfait, n’est qu’un remplissage de mauvais goût, une vraie cheville. (Note de l’auteur.)

* Vétille ne rime point avec ville ; pile ne rime point avec quille. La lettre l est mouillée dans vétille et dans quille ; elle ne l’est point dans ville, dans pile. (Note de M. de V..... sur le mot semblables.)

[40] (a) In totum autèm metaphora brevior est quàm similitudo ; eoque distat, quod ea comparatur rei quam volumus exprimere, hæc pro ipsâ re dicitur. (Quint., Inst. orat, lib. 8, cap. 6.)

[41] (a)

Dixeris egregiè notum si callida verbum
Reddiderit junctura novum. (Horat., Art. poet., 47.)

[42] (b) Metaphora enim aut vacantem occupare locum debet, aut, si in alienum venit, plus valere eo quod expellit. (Quint., Inst. orat., lib. 8, cap. 6.)

[43] (c) Invadunt urbem somno vinoque sepultam. (Æneid., 2, 265.)

[44] (a) Præcipuèque ex his oritur sublimitas..... quùm rebus sensu carentibus actum quemdam et animos damus ; qualis est Pontem indignatus Araxes (Æneid., 8. v. 728).... Ut modicus atque opportunus ejus usus illustrat orationem, ità frequens et obscurat, et tædio complet, continuus verò in allegoriam et ænigmata erit. (Quint., lib. 8, cap. 6.)

[45] (a) ... Galathea, thymo mihi dulcior Hyblæ (Virg., Eglo. 7, 37.)

 .. Ego Sardois videar tibi amarior herbis. (Ibid. 41.)

Hîc jacet unoculus visu, præstantior Argo,
      Nomen Joannes cui Ninivita fuit. (Epitaph., Joan. Despaut.)

[46] (a)

O navis referent in mare te, etc. (Horat., Od.)
Fatorum toleramus onus. Nil nautica prosunt
Turbatæ lamenta rati ; nec segnibus undæ
Planctibus, aut vanis mitescunt flamina votis.
Nùnc instare manu, toto nunc robore niti.
Communi pro luce decet ; succurrere velis,
Exhaurire fretum, varios aptare rudentes,
Omnibus et docti jussis parere magistri. (Claudi. De Bel. Get.)

[47] (a) Hæc allegoria, quæ est obscurior, ænigma dicitur : vitium meo quidem judicio ; si quidem dicere dilucidè, virtus. (Quint. Inst. orat., lib. 8, cap. 6.)

[48] (a) En voici quelques autres de ce mauvais genre. Monahorum cellæ jàm non sunt eremiticæ sed aromaticæ. (Saint-Bern.) .... Hoc agant in cellis quod angeli in cœlis. (Idem.) .... Cella sit tibi cœlum (Saint Bonav.) In quibus tanta facilitas quanta felicitas erit. (Saint Aug.)

Orta salo, suscepta solo, patre edita cælo,
Æneadum genitrix, hîc habito alma Venus. (Auson.)

Je parie que l’auteur était bien satisfait d’avoir trouvé ce cliquetis, salo, solo, cælo. A ce compte, il serait aisé d’avoir de l’esprit et même du génie.... Un Français appelle les bâtimens irréguliers des solécismes en pierre ; les romans, des bateleurs en papier ; les sentences, le poivre blanc de la |249 diction ; les longues queues des habits des dames, les hyperboles de drap ; etc., etc., etc. Quelle recherche ! quelle afféterie !

[49] (a) La loi aux rois, cacophonie désagréable qu’il faut éviter avec soin.

[50] (a)

Jamque rubescebat radiis mare, et æthere ab alto
Aurora in roseis fulgebat lutea bigis. (Æneid., lib. 7, 25.)

.... Quùm primùm crastina cælo
Puniceis invecta rotis aurora rubebit. (Ibid., 12, 76.)

Jàm summum radiis stringebat Lucifer Æmum,
Festinamque rotam solutò properantior urget. (Claud., in Rufin., l. 2.)

Mitior alternum Zephyri jàm bruma teporem
Senserat, et primi laxabant germina flores. (Id., in Eutrop., l. 2.)

.......... Jàm solis habenæ
Bis senos torquent hyemes, cervicibus ex quo
Hæret triste jugum.             (Id., de Bel. Gildonico.)

Exoritur pudibunda dies, cælumque retexens
Aversum Lemno jubar et declivia Titan
Opposita juga nube refert.   (Stati. Thebaïd., lib. 5.)

Vertitur intereà cælum, et ruit Oceano nox,
Involvens umbrâ magnâ terramque, polumque. (Æneid., 2, 250.)

|258

Tempus erat quo prima quies mortalibus ægris
Incipit, et dono Divûm gratissima serpit. (Æneid. 2. v. 268.)

Cœperat humanos alto sopire labores
Nox gremio, pigrasque sopor diffuderat alas. (Claud., in Rufin, lib. 2.)

Humentes jàm noctis equos, Lethæaque somnus
Fræna regens, tacito volvebat sydera cursu. (Claud., de Bel. Gildon.)

At Stilico, Zephyris quùm primùm bruma remitti
Et juga diffusis nudari cœpta pruinis.   (Ibid.)

[51] (a)

Post ubi jàm validis quassatum est viribus ævi
Corpus, et obtusis ceciderunt viribus artus,
Claudicat ingenium, delirat linguaque mensque. (Lucret.)

....................... Gelidus, tardante senectâ,
Sanguis hebet, frigentque effetæ in corpore vires. (Æneid., 5, 395.)

[52] (a)

Dùm nova canities, dùm prima et recta senectus,
Dùm superest Lachesi quod torqueat et pedibus me
Porto meis, nullo dextrum subeunte bacillo. (Juven., sat. 3.)

[53] (a) At tuba terribili sonitu taratantara dixit.

[54] (a)

Continuò ventis surgentibus, aut freta ponti
Inc[i]piunt agitata tumescere, et aridus altis,
Montibus audiri fragor, resonantia latè
Littora misceri, et nemorum increbrescere murmur. (Virg.)

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum. (Æneid., 8. v. 596.)

|263

........................... Agmine cervi
Pulverulenta fuga glomerant.... (Æneid. 8.)

Quinquaginta atris immanis hiatibus hydra... (Id.)

Monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademptum. (Id.)

Illi inter sese multâ vi brachia tollunt
In numerum, versantque tenaci forcipe massam, etc. (Æneid., 8. v. 452.)

Immani horrendum rictu sævire draconem. (Anti-Lucr., 8.)

Nil nisi fæcundosque greges, armentaque monstrat
Læta boum ; saltant pecudes, pecudumque magistri. (Ibid., 1.)

Aspice ut erecto flet lympha inclusa canali,
Quam subtùs retinent postes. Si quandò reclusis
Laxetur valvis, subitò fluit acta suapte
Pondere præcipitans. (Ibid., 2, v. 690.) etc., etc., etc.

Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris le monarque indolent. (Boil.)

Traçat, à pas tardifs, un pénible sillon. (Le même.)

La lime mord l’acier et l’oreille en frémit. (Racine fils.)

D’une subite horreur ses cheveux se hérissent. (Boil.)

Sa croupe se recourbe en replis tortueux. (Racin.)

Etc., etc., etc.

          S’odian dà nembi i tuoni
Scoccar fremendo orribile tempestà. (Fili di Sciro, act. 1, sc. 1.)

Rimbomba il tuono, etc., etc.

[55] (a) Quis erat qui putaret ad eum amorem, quem ergà te habebam, posse aliquid accedere ? Tantùm accessit, ut mihi nùnc denique amare videar, anteà dilexisse. (Cic., epist. ad familiar., lib. 9, epist. 14.) Voilà une différence entre amare et diligere.

Quid ego tibi commendem eum quem tu ipse diligis ? Sed tamèn ut scires eum non à me diligi solùm, verùm etiàm amari, ob eam rem tibi hæc scribo. (Id., lib. 13, epist. 47.)

Interest aliquid inter laboremet dolorem ; sunt finitimaomninò, sed tamen differt aliquid :labor est functio quædam vel animi, vel corporis, gravioris operis vel muneris. Dolor autèm motus asper in corpore.... Aliud, inquàm, est dolere, aliud laborare. Quùm varices secabantur Cn. Mario, dolebat ; quùm æstu magno ducebat agmen, laborabat. (Cic., Insc.)

Propter similitudinem agendi, et faciendi, et gerendi, quidam error his qui putant esse unam : potest enim quis aliquid facere et non agere ; ut poëta facit fabulam et non agit ; contrà actor agit et non facit, et sic à poëta fabula fit et non agitur, ab actore agitur et non fit. Contrà Imperator, qui dicitur res gerere, in eo neque agit, neque facit, sed gerit, id est, sustinet : translatum ab his qui onera gerunt quòd sustinent. (Varro., de Ling. latin.)

Fugit sed non effugit. (Saint-Bern.)

[56] (a) In gremio mentem et mentum deponeres. (Cic., Philip.)

Parvo et mimo et pravo, facie magis quàm facetiis ridiculus. (Altia.)

Quæ nocent, docent (Herodot.)

Non vitiosus homo es, Zoïle, sed vitium. (Morti.)

Nàm risu inepto res ineptior nulla est. (Cat., corn., 37.)

Legis litterâ vetantur potiùs quàm vitantur. (Saint August.)

[57] (a) L’académie avait d’abord rejeté ce mot ; elle a fini par l’adopter. (Note de l’éditeur.)

[58] (a) Il n’y a point de langue qui n’ait emprunté un grand nombre de mots des autres langues, soit anciennes, soit modernes. Voici, par exemple, des mots anglais empruntés du latin : Inthe [sic] interim, conspicuous, regular, observable, a series, some queries,the genius, etc... As I began this critical season with a caveat to the ladies. (Spect., n.o 395.) etc., etc....

Il en est de même des mots espagnols suivans : los espiritus, puestoque (posito quod, qui est notre puisque) ; impetus, etc. ; et en général, dans cette langue, tous les mots qui commencent par al sont pris de l’arabe.

En français, jockey, boulingrin, redingote, etc., etc., sont pris de l’anglais, beaucoup d’autres mots dérivent du grec, du latin, de l’espagnol, etc.

[59] (a) En espagnol, antojos (lunettes) est composé de ante, ojos devant les yeux.... L’anglais a un très-grand nombre de mots composés : « Navigation and ship-building are arts so complicated » (Hist. of amer., book, 1.) ; mot à mot : navigation et vaisseau-construisant sont arts si compliqués. A twelve-month, un douze mois, pour dire un an ; a coffee-house, un caffé-maison, un caffé ; a flower-garden, un fleur |287 jardin, un parterre ; a church-yard, une église-cour, un cimetière ; tasteless, goût moins, sans goût ; careful, soin plein, soigneux ;careless, soin moins, sans souci ; foot-man, pied-homme, laquais ; foot-soldier, pied-soldat, fantassin ; merciful, merciless, etc.

[60] (a) Parole vient de parabola (basse latinité) ; d’où est venu parabolare (capitulaires de Charles-le-chauve) ; puis paroler (roman de la Rose) ; et enfin parler.

[61] (a) En latin, amicus, amica, amicitia, amice.... amor, amans, amantèr, etc.... En italien, l’amice, l’amica, amichevolvente..... amante, innamorato, innamorata, etc.... En espagnol, amigo, amiga,etc....

[62] (a) En latin, homo, homuncio, homunculus, homulus.... |294 Canere, cantare, cantitare, cantarire : canere, chanter, sans idée accessoire ; cantare, avec une idée d’augmentation ; cantitare, avec une idée de répétition ; cantarire, avec l’idée d’un desir vif.... La fameuse épitaphe de l’empereur Adrien est presqu’en entier composée de diminutifs :

Animula, vagula, blandula ;
Hospes comesque corporis,
Quæ nùnc abibis in loca ?
Pallidula, rigida, nudula,
Nec, ut soles, dabis joca.

[63] (a) En italien

......... Io che non son fauciullo
Sebben ho volto fauciullesco. (Prol. d’el Aminta.)

|295

Quando lei tenerella ei tenerello
Seguiva ne le caccie.
Pazzarella che sei. (At. 1, sc. 1.)

Cappello, cappellone, cappellaccio ; sala, salone, salaccia ; povero, povevelto, poverino, poverello ; riuscelletto, etc, etc., etc.

En espagnol, hombre, hombrou, hombrazo, hombronazo, hombrachon ; hombrecito, hombrecillo, hombrezuelo; mentirosito ; alborotadito ; limosnita ; pequenũelo ; plovisnar, de uover, etc., etc., etc.

[64] (a) Misconoscer, miscontento, miscredente, misfatto, etc.

[65] (a)

                Mediocribus esse poëtis.
Nec homines, nec dî, nec concessere columnæ. (Horat., Art. poet.)

Poëtis a attiré mediocribus.... Urbem, quam status, vestra est (Æneid.) ; quam a attiré urbem, au lieu de urbs.... Populo ut placerent quas fecisset fabulas (Terent. Andr.), au lieu de fabulæ.... Animal providum et sagax, quem vocamus hominem, au lieu de quod, quem attiré par hominem.... Benevolentia, qui est amicitiæ fons (Cicero) ; qui pour quæ. Sanctius et la méthode de Port-Royal citent un grand nombre d’autres exemples.

[66] (a) Prosum, profui, profueram, profuissem, profuisse, composés de pro et de sum, etc. Dans pro-d-esse, pro-d-est, pro-d-eram, pro-d-ero, pro-d-erim, on remarque la lettre euphonique d, etc., etc.