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Chap. I. Des substantifs.

Table des matières

 

 

 

 

Section troisième. Grammaire française.

Chap. I. Des substantifs.

Chap. II. Des modificatifs.

Art. I-II

Art. III

Art. IV-VIII

Section quatrième. Art de raisonner.

Chap. I. Des idées.

Chap. II. Du jugement.

Chap. III. Du raisonnement.

Chap. IV. De la méthode.

Conclusion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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CHAPITRE PREMIER.

DES SUBSTANTIFS.

 

Surtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée ;
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux.
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoullé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un mauvais écrivain. (Boil., Art poët.)

 

Substantifs physiques.

 

901. Les substantifs sont les noms des substances, c’est-à-dire, les mots adoptés pour désigner une substance (408). Si cette substance est un être existant dans la nature et par la nature, comme lune, Buffon, planète, astre, homme, animal, rivière, etc. ; le mot qui la désigne, ou le nom qu’on lui a donné, est un substantif physique.

Substantifs artificiels.

 

902. D’autres substantifs sont destinés à désigner les différens produits de nos arts et de notre industrie ; produits dont la nature fournit la matière, mais qui reçoivent différentes formes des mains de l’homme, tels que épée, bague, vaisseau, durandal, |17 l’anneau de Gygès, Argo ; et l’on peut les nommer substantifs artificiels, pour les distinguer des précédens (410.)

Substantifs abstraits.

 

903. Quelquefois, par un effet de nos abstractions (87), nous considérons un attribut, ou une qualité, sans faire attention à la substance qui est modifiée : nous considérons, par exemple, la faculté de voler en elle-même, abstraction faite de tels ou tels oiseaux qui nous en ont donné l’idée ; la propriété d’être blanc, sans songer au papier, à la neige, au linge sur lesquels nous avons remarqué la blancheur ; nous séparons de l’âme la qualité d’être modérée : et envisageant ces diverses modifications abstractivement, en elles-mêmes, et sans faire attention aux substances que nous en avons vues modifiées, nous les classons dans notre entendement comme des êtres susceptibles eux-mêmes de modifications, conséquemment comme des substances abstraites, et nous formons de cette manière les substantifs vol, blancheur, modération. Ceux-ci ne désignent ni des êtres physiques existant autour de nous dans la nature, ni des produits matériels de nos arts et de notre industrie, mais des êtres qui n’ont qu’une existence intellectuelle dans notre |18 entendement, et dont nous n’avons pu nous former une idée que par abstraction : car il n’y a rien dans la nature qui s’appelle ou vol, ou blancheur, ou modération, il y a seulement des êtres qui volent, qui sont blancs, ou modérés. C’est pour cela que nous faisons de ces substantifs une classe à part, et que nous les appelons substantifs abstraits, afin que leur nom fasse toujours facilement reconnaître leur origine.

Noms propres.

Noms com­muns.

 

904. Dans chacune de ces trois espèces de substantifs, il y a des noms propres et des noms communs : les noms propres sont ceux qui ne conviennent qu’à un seul individu, qui ne désignent qu’un seul individu, qui ne réveillent l’idée que d’un seul ; les noms communs ou appellatifs conviennent à plusieurs individus de la même espèce, expriment les propriétés communes à plusieurs, réveillent l’idée générale, ou particulière, que nous nous sommes formée, en observant successivement les mêmes propriétés dans plusieurs individus (86). Ainsi, parmi les substantifs physiques, lune, Buffon, Gave, sont des noms propres, puisqu’ils désignent exclusivement le satellite particulier qui tourne autour de la terre, l’homme immortel qui a rendu l’étude de l’histoire naturelle si intéressante, et la rivière |19 qui coule à Pau : et planète, homme, animal, rivière, sont des noms communs ou appellatifs, puisque le premier sert à nommer tous les globes opaques qui tournent dans l’espace autour du soleil ; le second, tous les individus de l’espèce humaine indistinctement ; le troisième, tous les êtres vivans et organisés ayant la faculté de se mouvoir et de se reproduire ; et le quatrième, toutes les rivières quelconques.

Parmi les substantifs artificiels, Durandal, l’anneau de Gygès, Argo, sont des noms propres ; le premier, ne pouvant désigner que l’épée individuelle d’un ancien chevalier ; le second, qu’un seul anneau particulier ; le troisième, que le vaisseau construit par les argonautes : épée, bague, vaisseau sont des noms communs, puisque chacun de ces mots désigne indifféremment tous les individus d’une même espèce.

Enfin, parmi les substantifs abstraits, la blancheur du papier que j’ai sous les yeux est un nom d’individu, blancheur en général est un nom d’espèce, couleur est un nom de genre, ou le nom d’une espèce supérieure ; et ainsi des autres.

 

 

905. Il faut se rappeler ici ce que nous avons développé ailleurs, que les noms |20 communs sont des noms de genres et d’espèces (412), la manière dont nous nous sommes formé les idées de classes, d’ordres, d’espèces, d’individus, et dont nous avons appris à les nommer (414) ; comment le nom d’une classe est commun à toutes les espèces inférieures, tandis que le nom propre ne convient qu’à un individu (415) ; pourquoi la plupart des substantifs sont des noms communs, et non pas des noms propres (416, 418) ; et comment, malgré cela, on vient à bout d’exprimer des idées particulières, et même de désigner des individus par le moyen d’un petit nombre de modificatifs convenablement appliqués aux noms communs (419).

Substantifs personnels.

 

906. Les mots je, me, moi, nous ; tu, te, toi, vous ; il, elle, la, lui, ils, eux, elles ; les, leur ; se, soi, sont aussi des substantifs, puisque ce sont des noms de substance (408, 901), puisqu’ils désignent ou la personne qui parle en son nom ou au nom de plusieurs autres, ou celles à qui l’on adresse la parole, ou les personnes ou les choses de qui l’on parle ; et comme leur emploi principale est d’exprimer l’idée précise de la relation de chaque individu à l’acte de la parole, nous en formons une quatrième espèce, sous le |21 nom de substantifs personnels, pour les distinguer de ceux des trois autres espèces (422).

907. Nous avons recherché ailleurs pourquoi les substantifs personnels de la première et de la seconde personne ne sont point affectés de la distinction du genre (426), et pourquoi ils sont les seuls substantifs qui aient des cas dans notre langue et dans les autres langues analogues (427) ; excepté qui (973).

Substantifs numéraux.

 

908. Les noms de nombres partitifs, la moitié, le tiers, le centième, etc., le tout et sa partie ; les noms collectifs couple, dixaine, vingtaine, centaine, etc., et les noms des chiffres zéro, un, deux, etc., sont de véritables substantifs (901, 455). Comme ils sont relatifs aux nombres, on peut les appeler substantifs numéraux.

Substantifs elliptiques.

 

909. Enfin il y a dans notre langue des substantifs que nous nommerons elliptiques, parce qu’ils expriment tout à la fois l’idée d’une substance, comme tous les substantifs (901), et une autre idée accessoire mais implicite qui détermine certaine vue de l’esprit. Tels sont,

On.

 

1.o On, qui n’est que l’abréviation, la syncope du mot homme, et que l’on emploie ou pour désigner en général l’espèce |22 humaine, ou pour indiquer des individus de cette espèce sans aucune précision numérique. On naît, on meurt, sans avoir songé à mettre le temps à profit : on chante, on rit, on se déchire, et voilà tout.

On ne se souvient que du mal ;
L’ingratitude règne au monde ;
L’injure se grave en métal,
Et le bienfait s’écrit sur l’onde.

Autrui.

 

2.o Autrui, qui renferme manifestement, quoiqu’implicitement, l’idée d’homme, avec l’idée accessoire d’un autre. Si l’on savait se mettre à la place d’autrui, on serait plus indulgent et plus compatissant ; c’est-à-dire, à la place de tel autre homme, ou des autres hommes. Autrui exprime donc l’idée d’homme, substantif, et celle d’autre, modificatif : c’est donc un substantif elliptique.

Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable !
       Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait.         (La Font., fab. 1, l. 7.)

Ce.

 

3.o Ce, lorsqu’il ne précède pas un substantif avec lequel il puisse s’accorder en genre et en nombre ; car alors ce mot désigne une substance vague, ou physique, ou abstraite, souvent connue par les circonstances du discours, ou par d’autres |23 moyens. Ce qui console le plus les infortunés, c’est de n’avoir rien à se reprocher : phrase qui équivaut à ceci : ce, la satisfaction de n’avoir rien à se reprocher, est la chose qui console le plus, etc. L’idée exprimée par les mots n’avoir rien à se reprocher est donc considérée comme un être unique, comme une substance qui est désignée par le mot ce : ce mot est donc un substantif (901).

Le singe avait raison. Ce n’est pas sur l’habit
Que la diversité me plaît ; c’est dans l’esprit. (La Font., liv. 9, fab. 3.)

       Mais n’accordez à vos désirs,
Si vous avez dessein d’être long-temps heureuse,
Que ce que la nature a d’innocens plaisirs. (Pavillon.)

       ..................... C’est folie
       De compter sur dix ans de vie.
       Soyons bien buvans, bien mangeans,
Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans. (La Font., lib. 6, fab. 19.)

Nous croyons inutile d’observer que dans la phrase ce vain bruit qu’on appelle Renommée, et dans quelques autres semblables, ce est modificatif et non pas substantif.

Ceci, cela.

 

4.o Ceci, qui désigne une substance antérieurement connue, ou que l’on indique du geste, et qui est rapprochée ; cela, qui en |24 désigne une semblable, mais plus éloignée. Ceci (c’est-à-dire, ce que nous venons de dire) s’accorde avec les principes ; cela (c’est-à-dire, cette chose qu’on a dit précédemment, ou qu’on indique) ne peut cadrer.

     J’en sais beaucoup de par le monde,
     A qui ceci conviendrait bien ;
De loin, c’est quelque chose ; et de près, ce n’est rien. (La Font., liv. 4, fab. 10.)

Ceci s’adresse à vous, esprits du dernier ordre,
Qui, n’étant bons à rien, cherchez sur tout à mordre. (La Font., liv. 5, fab. 16.)

Personne.

 

5.o Personne, qui, avec l’idée principale d’homme, exprime l’idée implicite de tous les individus, ou de plusieurs individus pris distributivement. Personne ne chérit plus que moi sa patrie, c’est-à-dire, ni Pierre, ni Jacques, ni André, ni, etc.

Ne faut-il que délibérer ?
La cour en conseillers foisonne :
Est-il besoin d’exécuter ?
L’on ne rencontre plus personne. (La Font., liv. 2, fab. 2.)

Quiconque.

 

6.o Quiconque, qui signifie tout homme qui ; ainsi ce mot exprime principalement une substance (homme), et deux idées accessoires exprimées par les mots tout, qui. |25 Quiconque a l’habitude d’observer, sait que, pour vivre en paix avec soi-même, il faut ne jamais perdre le droit de s’estimer.

Le temps est assez long pour quiconque en profite ;
Qui travaille et qui pense en étend la limite. (Voltaire.)

Quant à l’humeur contredisante,
Je ne sais s’il avait raison :
Mais, que cette humeur soit ou non
Le défaut du sexe et sa pente,
Quiconque avec elle naîtra,
Sans faute avec elle mourra,
Et jusqu’au bout contredira,
Et, s’il peut, encor par delà. (La Font., liv. 3, fab. 16.)

 

 

7.o Quoi, qui équivaut à quelle chose, ou à laquelle chose ; il renferme donc l’idée de chose, qui est une substance indéterminée, et une modification (quelle ou laquelle).

Comme vous êtes roi, vous ne considérez
Qui, ni quoi : rois etdieux mettent, quoi qu’on leur die (a) [6].
       Tout en même catégorie. (La Font., liv. 5, fab. 18.)

Rien.

 

|26 8.o Rien, qui est relativement aux choses, ce que personne est par rapport aux hommes, un nom distributif qui signifie aucune chose, ni celle-là, ni celle-ci, ni cette autre, etc. : il exprime donc principalement l’idée de chose ; c’est donc un substantif. Rien ne sied mieux que l’indulgence, la simplicité et la modestie.

Le tout souvent dépend d’un rien,
Un rien est de grande importance ;
Un rien produit de grands effets ;
En amour, en guerre, en procès,
Un rien fait pencher la balance.
Un rien nous pousse auprès des grands,
Un rien nous fait aimer des belles,
Un rien fait sortir nos talens,
Un rien dérange nos cervelles.
D’un rien de plus, d’un rien de moins
Dépend le succès de nos soins.
Un rien flatte, quand on espère,
Un rien trouble, lorsque l’on craint.
Amour, ton feu ne dure guère,
Un rien l’allume, un rien l’éteint. (Panard.)

Qui, lequel.

 

9.o Qui, lequel, etc., qui expriment principalement l’idée du sujet qui précède, celle de l’antécédent, et par conséquent d’une substance, avec une idée accessoire de conjonction, de liaison entre deux phrases, ou deux parties de phrase : ces mots réveillent |27 donc l’idée d’un substantif déjà exprimé, qu’ils remplacent, et ils ont de plus la propriété d’une conjonction (428).

       Heureux qui vit chez soi,
De régler ses désirs, faisant son seul emploi !

Pour heureux l’homme qui, ou lequel vit, etc.

Chacun, chacune.

 

10.o Chacun, chacune, sont aussi des substantifs, puisqu’ils ne peuvent pas se lier avec un substantif sans le secours d’une préposition, ou de tout autre moyen nécessaire pour construire deux substantifs ensemble. On ne peut pas dire : chacun homme, chacune femme ; il a exhorté chacun soldat de la troupe ; il a marqué chacune brebis du troupeau, etc. ; au lieu qu’on dit chaque homme, chaque femme, etc. Chaque est donc d’une espèce différente, il est adjectif ; et chacun, chacune sont des substantifs.

L’étude de notre langue n’est déjà que trop compliquée ; il faut la simplifier, s’il est possible ; et l’un des moyens d’y parvenir, c’est de classer exactement les mots. Nous croyons, avec quelques auteurs, qu’on pourrait établir pour règle de ne reconnaître pour adjectifs que les mots qui font un sens en les joignant avec le mot chose, ou personne.

Chacun, chacune, désignent tous les individus d’une collection, pris distributivement, |28 et dans un sens affirmatif ; au lieu que aucun, aucune (qui sont des adjectifs) (940), expriment la même distribution dans un sens négatif. Chacun se plaint de son sort ; c’est-à-dire, chaque individu de l’espèce humaine, ce qui signifie tous, l’un après l’autre ; aucun ne se plaint de son esprit.

Chacun a son défaut, où toujours il revient ;
      Honte, ni peur n’y remédie. (La Font., liv. 3, fab. 7.)

Chacun se dit ami ; mais fou qui s’y repose.
      Rien n’est plus commun que le nom,
      Rien n’est plus rare que la chose. (La Font., liv. 4, fab. 17.)

Y.

 

11.o Y est évidemment substantif dans les vers précédens, ainsi que dans toutes les phrases semblables, puisqu’il signifie à cela, à cette chose-là.

Tout.

 

 

12.o Tout est souvent substantif, ainsi que dans les vers suivans :

L’accoutumance ainsi nous rend tout (a) [7] familier.
Ce qui nous paraissait terrible et singulier,
        S’apprivoise avec notre vue,
        Quand ce vient à la continue. (La Font., liv. 4, fab. 10.)

Vouloir tromper le ciel, c’est folie à la terre.
Le dédale des cœurs en ses détours n’enserre
|29 Rien qui ne soit d’abord éclairé par les dieux.
Tout ce que l’homme fait, il le fait à leurs yeux,
Même les actions que dans l’ombre il croit faire. (La Font., liv. 4, fab. 19.)

Dans le premier exemple, tout signifie tous les objets, quels qu’ils soient ; et dans le second, toutes les actions quelconques ; ce mot est donc substantif (a) [8]. Nous verrons dans la suite qu’il est quelquefois adjectif (938), et quelquefois adverbe (1144).

Ainsi, tous les mots, dont nous avons parlé dans ce numéro, réveillent l’idée d’une substance ; ils sont donc substantifs : de plus, ils expriment une idée accessoire renfermée implicitement dans le même mot ; ils sont donc substantifs elliptiques.

 

 

 

 

 

 

DES NOMBRES ET DES GENRES.

 

Et numerosque modosque ediscere.(Horat., lib. 2, epist. 2.)

 

Un nom com­mun désigne l’espèce ou le genre.

 

910. Un nom propre ne peut jamais désigner que le seul individu auquel il a été approprié (904). Un nom commun désigne l’espèce en général, ou chaque individu d’une espèce successivement, ou indistinc- |30 tement ; dans les propositions : l’éléphant est industrieux ; le castor a des mœurs sociales ; le singe est adroit ; le cheval est belliqueux ; le chien est fidèle, les noms communs éléphant, castor, singe, cheval, chien, expriment chacun une espèce. Chacune de ces propositions exprime et affirme que telle propriété est commune à chaque individu de telle espèce, sans désigner nommément tel individu plutôt que tel autre ; et c’est comme si l’on disait : chaque individu de l’espèce désignée par le mot éléphant, est industrieux ; et de même des autres propositions.

Manière d’ap­proprier un nom commun à un individu.

 

911. Pour approprier un nom commun à un individu déterminé de l’espèce que ce nom commun désigne, il faut accompagner ce nom de quelques modificatifs qui fassent que l’idée totale ne puisse convenir qu’au seul individu que l’on veut désigner ; et dire : l’éléphant qui est à la ménagerie de Paris ; le castor que j’ai vu telle part ; le singe attaché à telle fenêtre ; le cheval de Turenne ou d’Achille ; le chien de mon ami : alors chaque phrase désigne un individu déterminé, et ne désigne que lui ; et c’est comme si l’on disait : celui-là seul des individus de l’espèce de l’éléphant qui est à la ménagerie, etc.

Définition des nombres.

 

912. Ainsi, soit avec les noms propres, soit avec les noms communs convenablement |31 accompagnés de modificatifs, on peut exprimer un individu déterminé (419). Mais pour exprimer plus d’un individu de la même espèce, comment nous y prendrons-nous ? C’est ici l’un des artifices les plus admirables de la théorie des langues : avec un léger changement dans la terminaison d’un nom commun, ce nom exprime la même idée principale et de plus l’idée accessoire de quotité, l’idée de nombre. Eléphant, castor, singe, chien, ne désignent chacun qu’un individu, ou que chaque individu de ces espèces respectives, d’une manière vague : éléphans, castors, singes, chiens, expriment chacun plus d’un individu de son espèce, tout nombre d’individu au-dessus d’un. Ces mots comparés respectivement, quant au matériel, ne diffèrent que par un léger changement dans la terminaison, que par un s ajouté à la fin de chacun : et comparés, quant à l’idée qu’ils expriment, on voit qu’ils expriment dans les deux cas la même idée principale, et de plus l’idée accessoire de quotité ou de nombre ; un, dans le premier cas ; tout nombre au-dessus d’un, dans le second. C’est-là ce qu’on appelle les nombres.

Ainsi, en termes de Grammaire, les nombres sont des terminaisons qui ajoutent à l’idée principale, exprimée par un nom, l’idée accessoire de pluralité (431).

Singulier et Pluriel.

 

|32 913. Nous n’avons, dans notre langue, que deux nombres ; le singulier, qui désigne unité ; et le pluriel, qui marque pluralité, c’est-à-dire d’une manière générale, tout nombre d’individus au-dessus d’un.

Si l’on a besoin de préciser ce nombre, il faut se servir des modificatifs deux, trois, quatre, etc. ; quelques, plusieurs, la plupart, tous, etc., etc., etc.

Noms propres sans pluriel.

 

914. Les noms propres étant essentiellement individuels (904), ne peuvent pas être susceptibles de l’idée accessoire de pluralité : aussi ils sont sans pluriel, excepté dans les cas suivans.

Première exception.

 

1.o On considère quelquefois tous les individus d’une même famille, portant le même nom, comme formant une espèce particulière au milieu de l’espèce humaine, à cause de la parenté et de cette communauté de nom ; et ce nom s’étend à tous les individus de la famille, comme le nom d’homme s’applique à tous les individus de l’espèce humaine : on dit alors les Ptolémées, les Césars, etc., comme qui dirait : tous les individus qui ont successivement ou simultanément porté le nom de Ptolémée, de César, etc.

Deuxième exception.

 

2.o D’autres fois on applique, par antonomase (279), un nom célèbre à tous ceux |33 qui se distinguent par la qualité, ou par le genre de mérite de celui qui le premier porta ce nom ; alors ce mot, qui n’était dans l’origine qu’un nom propre, devient un nom commun, susceptible de pluriel. Ainsi l’on dit les Cicérons, pour les grands orateurs ; les Turennes, pour les grands capitaines, etc.

Et vous croyez déjà, dans vos rimes obscures,
Aux Saumaises futurs préparer des tortures. (Boileau.)

Manière de for­mer le plu­riel des noms com­muns.

 

915. Occupons-nous maintenant de la manière de former le pluriel des noms communs.

Si un substantif est terminé au singulier par l’une des trois consonnes s, x, z, il s’écrit au pluriel exactement de la même manière qu’au singulier : un fils, les quatre fils d’Aymon ; le choix, les choix ; le nez, les nez ; une voix, des voix, etc., etc.

Règle géné­rale.

 

916. Hors le cas précédent, on forme généralement le pluriel des substantifs en ajoutant un s à la fin de chacun : un citoyen, les citoyens ; un nom, des noms ; la bataille de Marengo, les batailles de Fleurus et de Jemmapes ; l’armée d’Italie, les armées de l’Empire, etc., etc.

Exceptions.

 

|34 917. Exceptons de cette règle générale, 1.o quelques substantifs qui se terminent au pluriel par un x au lieu d’un : la loi du talion, les loix de Solon et de Lycurgue ; presque tous les substantifs terminés au singulier par les diphtongues au, eu, ou, sont dans cette exception : le troupeau, les troupeaux ; le couteau, les couteaux ; l’aveu, les aveux ; un bijou, des bijoux ; etc. Néanmoins clou, matou, trou, suivent la règle générale (916) ; des clous, deux gros matous, des trous.

2.o Les noms terminés en al, ou en ail, terminent leur pluriel en aux : un cheval, cent chevaux ; un animal, les animaux ; le travail, les travaux de la campagne.

Lorsque le mot travail signifie une machine sur quatre piquets où l’on attache les bœufs et quelquefois les chevaux pour les ferrer, son pluriel est des travails.

Signal, les signaux de la marine ; le canal du midi, les canaux.

3.o Le pluriel de portail (a) [9], détail, éventail, épouvantail, est portails, détails, éventails, épouvantails.

|35 4.o Aïeul, ciel, œil ; font au pluriel, des aïeux, les cieux, les deux yeux.

On dit néanmoins des ciels-de-lit (a) [10], et non pas des cieux-de-lit, parce que ce substantif a alors une signification différente ; et des œils-de-bœuf pour désigner des espèces de fenêtres rondes.

On voit par ces détails qu’il y a une grande irrégularité dans la formation des pluriels des noms communs ; et que, cette formation ne pouvant pas être ramenée à des règles générales et invariables, il faut, pour parler correctement, apprendre ces choses là par la lecture et par l’usage.

Noms sans pluriel. Noms des vertus et des vices.

 

918. Il est à remarquer que les noms des vertus et des vices, ceux des besoins habituels, et ceux des métaux, n’ont pas de pluriel.

La douceur, la probité, la frugalité, etc., etc. ; la brutalité, l’intempérance, etc., ne sont usités qu’au singulier. Dans cette phrase : il lui a dit des douceurs, le mot douceurs n’exprime plus une habitude du caractère, mais des propos flatteurs, caressans.

Le mot honneur n’a de pluriel que lorsqu’il signifie des dignités, des places honorables : et c’est pour cela qu’on peut dire |36 avec vérité que l’honneur vaut mieux que les honneurs, et que les honneurs étouffent souvent l’honneur.

L’avare soif de l’or a fermé tous les cœurs ;
L’honneur se voit fermer le chemin des honneurs. (Clément, sat. 4.)

Noms des besoins.

 

919. Il en est de même des noms des besoins, tels que la faim, la soif, le sommeil, la lassitude, etc. La raison en est que, quoiqu’il puisse y avoir différens degrés de douceur, de probité, de faim, de lassitude, il n’y a pas néanmoins plusieurs probités différentes, plusieurs faims, etc. ; et que chacune de ces vertus étant une, comme chacun de ces vices et de ces besoins, les noms qui les expriment ne sont pas susceptibles de l’idée accessoire de pluralité (914).

Noms des métaux.

 

920. Quant aux noms des métaux, chacun d’eux exprime une substance, qui, quoique composée de parties, est toujours considérée comme une masse individuelle et homogène, et conséquemment doit être toujours désignée par le nombre singulier. On ne dit donc pas les ors, les argens ; et, si l’on dit quelquefois les fers, cela s’entend, non du métal qui porte ce nom, mais des |37 fers du cheval, ou des fers à lisser, ou etc., ou figurément des chaînes.

Noms sans singulier.

 

921. D’autres substantifs, au contraire, ne sont usités qu’au pluriel ; comme les vêpres, les ténèbres, les gens, les pleurs, etc.

Noms qui ont un sens diffé­rent au sin­gulier et au pluriel.

 

922. D’autres enfin ont un sens différent selon qu’ils sont employés au singulier, ou au pluriel. Nous avons déjà fait cette remarque, relativement au mot honneur (918). En voici quelques autres dans le même cas.

Ordre.

 

Ordre, lorsqu’il signifie arrangement, n’a jamais de pluriel. L’ordre de bataille. L’ordre que nous mettons dans nos affaires et dans notre domestique, est la conséquence ainsi que l’image de celui qui règne dans nos idées et dans nos affections.

 Ordre, pris pour commandement, s’emploie au singulier, ou au pluriel, selon les circonstances. Il a reçu l’ordre de partir. Il a exécuté ponctuellement les ordres qu’il avait reçus.

Ciseau.

 

Chacun sait qu’un ciseau n’est pas le même outil que des ciseaux.

Instruction.

 

 

Instruction, au singulier, signifie des connaissances, des lumières acquises, ou à acquérir. Ce n’est que par un travail assidu, constant et opiniâtre que l’on acquiert de l’instruction.

|38 Instructions, au pluriel, exprime les renseignemens que l’on donne à quelqu’un que l’on charge d’une commission, ou de la poursuite d’une affaire. On lui a donné toutes les instructions nécessaires avant son départ. Un ambassadeur ne s’écarte pas des instructions qu’il a reçues.

Expérience.

 

 

Expérience peut exprimer une qualité morale, qui est le résultat de nos études, de nos réflexions et de nos observations sur les événemens dont nous avons été les témoins, ou dans lesquels nous avons joué un rôle ; et, dans ce sens, ce substantif est toujours au singulier. Dans le cours de la vie, on n’acquiert guère de l’expérience qu’à ses dépens.

Mais lorsque ce mot exprime les épreuves, les opérations que l’on fait pour découvrir les secrets de la nature, ou pour perfectionner les arts, il s’emploie au singulier, ou au pluriel, selon qu’on veut parler d’une ou de plusieurs de ces épreuves. La chimie s’est perfectionnée par de nouvelles expériences.

Politesse, etc.

 

Politesse, civilité, honnêteté, etc., sont toujours au singulier lorsque ces substantifs expriment des qualités morales (918, 919) : des politesses, des civilités, des honnêtetés, |39 sont des actes, des témoignages extérieurs de ces qualités.

Genres.

 

923. Les substantifs français sont classés en deux genres, le genre masculin et le genre féminin. Il est probable qu’originairement il n’y a eu que les noms des animaux qui aient été ainsi classés ; les noms des mâles auront été du genre masculin, et les noms des femelles du genre féminin : ceux des autres substances auraient dû n’être d’aucun genre relatif au sexe, et former un troisième genre distinct sous le nom de genre neutre (a) [11], adopté dans quelques langues. Néanmoins, par analogie, ou par extension, on a aussi classé les noms des substances inanimées dans le genre masculin, ou dans le genre féminin. Le matériel des mots, leur terminaison, des circonstances particulières, quelquefois le hasard, souvent le caprice, ont déterminé cette classification ; et la preuve de cette dernière assertion, c’est que le substantif navire, autrefois féminin, est aujourd’hui masculin.

924. D’après ces considérations, il est impossible d’établir des règles pour faire distinguer les genres des substantifs. Ce n’en |40 est sûrement pas une que de dire que les substantifs sont masculins ou féminins, selon qu’ils sont précédés de l’article le, ou de l’article la, puisqu’avant de leur associer tel ou tel article il faut en connaître préalablement le genre : il n’y a que l’usage et les bons livres qui puissent donner cette connaissance.

Substantifs tantôt mas­culins tan­tôt fé­mi­nins.

 

925. Quelques-uns de nos substantifs sont tantôt masculins et tantôt féminins.

Amour.

 

Amour, qui est masculin, est quelquefois féminin au pluriel, de folles amours.

Gens.

 

On dit : Ce sont de bien bonnes gens, et voilà des gens bien malheureux.

Comté, etc.

 

On dit : un comté, un duché, et une duché-pairie, une comté-pairie, la Franche-Comté.

Délice.

 

Délice est masculin au singulier : c’est un délice ! quel délice de vivre en paix avec soi-même ! délices, au pluriel, est féminin. Heureux ! qui fait de la vertu ses plus chères délices.

Automne.

 

On dit : un bel automne, et une automne froide et pluvieuse.

Orgue.

 

Orgue est masculin au singulier. Un bel orgue ; et féminin au pluriel.

Exemple.

 

Exemple, en fait de modèle d’écriture, est toujours féminin : on lui donne chaque jour des nouvelles exemples à copier. Dans tout |41 autre cas ce substantif est masculin : il faut s’accoutumer de bonne heure à imiter les bons exemples, et ne pas s’occuper des mauvais. Une belle exemple d’écriture bâtarde. Un bel exemple de dévoûment à la patrie.

Evangile.

 

Lorsqu’il s’agit de la portion de l’évangile qu’on lit à la messe, ce substantif est féminin : l’évangile de tel jour est longue, est touchante. Hors ce cas, évangile est masculin.

Couple.

 

 

Couple est masculin, lorsqu’il s’agit de deux personnes unies par les liens du mariage, ou par les nœuds de l’amitié. Il n’y a que la mort qui puisse séparer un couple aussi bien assorti. Ce substantif est féminin lorsqu’il sert à désigner deux choses de même espèce qu’on met ensemble : une couple d’œufs.

Mais si ces deux choses doivent aller nécessairement ensemble, comme les bas, les souliers, les boucles, etc., on doit dire une paire (a) [12] : on peut dire néanmoins une couple de paires de bas, de boucles, de souliers, etc., pour signifier deux paires.

 

 

|42 Couple est encore féminin lorsqu’il désigne le lien dont on attache les chiens de chasse : les chiens ont rompu la couple.
   

926. Nous avons déterminé ailleurs (426), pourquoi les substantifs personnels de la première et de la seconde personne ne sont pas susceptibles de la différence de terminaison qui caractérise les genres. Nous ne reviendrons pas sur cet objet.

Remarque sur les noms des animaux.

 

927. Une chose à remarquer, c’est que ls mâles, les femelles, et souvent les petits des espèces d’animaux qui contribuent le plus ou à l’utilité, ou à l’agrément de l’homme, sont distingués par des noms différens (a) [13] ; au lieu que dans les espèces moins rapprochées de l’homme, et moins utiles, ou à ses plaisirs, ou à ses besoins, le mâle et la femelle sont désignés par un seul et même |43 substantif, tantôt masculin, tantôt féminin, sans égard au sexe de l’individu qu’on veut nommer, et que, pour désigner les petits, il faut employer une périphrase (b) [14].

Et cela est naturel. Ce sont les besoins qui ont contribué à enrichir les langues (10) : avec de nouveaux besoins naissent de nouvelles idées, qui, pour être communiquées à nos semblables, exigent, ou que l’on crée de nouveaux mots, ou que l’on donne une acception nouvelle à des mots déjà usités.

Or, comme les objets dont nous nous entretenons fréquemment sont ceux que nous avons besoin de désigner avec le plus de précision, pour éviter des méprises fréquentes, il a fallu créer des mots nouveaux pour désigner ces objets. Qu’on imagine un moment que nous n’avons que le seul mot bœuf, par exemple, pour désigner indistinctement tous les individus de cette espèce de quadrupèdes ; il est facile de voir que |44 chaque fois que nous voudrions parler de ces animaux, il faudrait ou user de circonlocution pour désigner avec précision le mâle, ou la femelle, ou les petits, ou nous exposer à être mal entendus. Le laboureur, vingt fois par jour, se trouverait dans le même embarras, ou tomberait dans le même inconvénient. Aussi, non contents des substantifs taureau, bœuf, vache, génisse, veau, les laboureurs, pour désigner chaque individu avec une exacte précision, donnent-ils le plus souvent à chacun un nom propre, tiré de la couleur de l’individu, ou de toute autre circonstance. Tant il est vrai que c’est le besoin de communiquer ses idées avec précision, qui fait créer les mots et qui enrichit les langues !

 


 

Notes

[6] (a) Mot jadis usité pour dise :

Colas est mort de maladie,
Tu veux que j’en pleure le sort.
Que diable veux-tu que j’en die ?
Colas vivait ; Colas est mort.

[7] (a) C’est-à-dire, tout objet. (Note de l’éditeur.)

[8] (a) Cette conclusion est-elle juste ? Je ne pense pas qu’un adjectif qui se rapporte à un substantif sous-entendu, change pour cela de nature. (Note de l’éditeur.)

[9] (a) Portail ne doit se dire que de la grande porte d’une église ou d’un temple ; dans tout autre cas, il faut dire grande porte, porte d’entrée, ou porte cochère.

[10] Et non pas surciel, comme dans certains pays.

[11] (a) Du mot latin neuter, ni l’un, ni l’autre.

[12] (a) Dans plusieurs provinces on dit une paire de culottes pour désigner une seule culotte ; ce qui est une faute. Une paire de culottes signifie deux culottes ; il faut dire une culotte de casimir, une culotte de velours, et n’employer le mot paire que lorsqu’on veut parler de deux culottes.

[13] (a) Le coq, la poule, le chapon, la poularde, le poulet, les poussins : que de substantifs pour des individus d’une même espèce !..... Le verrat, la truie, le cochon, le porc, les pourceaux.... Le cheval, la jument, le poulain, la pouliche, le coursier, la haquenée.... Le taureau, le bœuf, la vache, la génisse, le veau.... Le sanglier, la laie, les marcassins.... Le cerf, la biche, les faons.... Le lièvre, la hase, les levrauts.... Le lapin, la lapine, les lapereaux... Le lion, la lionne, les lionceaux.... L’âne, le baudet, l’ânesse, l’ânon.... Le bélier, le mouton, la brebis, l’agneau.... Le bouc, la chèvre, le chevreau, etc., etc., etc.

[14] (a) On dit également corbeau (substantif masculin) pour désigner le mâle et la femelle. Le mot pie (féminin) désigne les individus des deux sexes, et l’on est forcé de dire la femelle du corbeau ; le mâle de la pie. Il faut dire aussi, par périphrase, les petits du corbeau, de la pie, du geai, du merle, etc., etc. Pour l’espèce de l’aigle, nous avons les aiglons, pour désigner les petits.