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Chap. II. Du jugement.

Table des matières

 

 

 

 

Section troisième. Grammaire française.

Chap. I. Des substantifs.

Chap. II. Des modificatifs.

Art. I-II

Art. III

Art. IV-VIII

Section quatrième. Art de raisonner.

Chap. I. Des idées.

Chap. II. Du jugement.

Chap. III. Du raisonnement.

Chap. IV. De la méthode.

Conclusion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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CHAPITRE II.

DU JUGEMENT.

 

Nàm silet in dubiis, donec lux clarior umbras
Dispulerit : quùm splendor adest, testatur adesse,
Judicii tùm certa sui ; et quod judicat, hoc est. (Antiluc., lib. 1, ver. 564.)

 

Jugement ; ce que c’est.

 

 

1210. Sous le nom d’idées on entend toutes les affections de l’âme qui perçoit ou qui se représente les objets, sans rien affirmer ou nier relativement à ces objets. Telle est l’idée de cette tour qui paraît ronde, quoiqu’elle soit quarrée (1208). Mais si l’on affirme que cette tour est réellement ronde, on passe de l’idée au jugement. Ainsi, si en comparant deux idées, on aperçoit qu’elles se conviennent, et qu’on affirme cette convenance, ou cette identité ; ou bien, si l’on aperçoit qu’elles ne se conviennent pas, et qu’on affirme leur disconvenance, ou leur non identité, cette opération de l’entendement dans l’un et l’autre cas s’appelle jugement (65, 66).

Il suppose deux idées.

 

 

1211. Tout jugement suppose donc deux idées ; celle de l’objet dont on juge, et celle de ce que l’on juge de cet objet. Dans l’exemple cité n.o 1208, il y a l’idée de la |302 tour et celle de la rondeur ; jusque-là point de jugement ; il n’y a que les idées qui doivent, pour ainsi dire, en être les matériaux. Mais il y a de plus une opération de l’entendement par laquelle nous prononçons la convenance, ou la coexistence de ces deux idées ; nous unissons l’objet de l’une avec ce qu’exprime l’autre. Le jugement est donc le résultat de l’attention que nous donnons à deux idées, et c’est par lui que nous exprimons les impressions que les objets font sur nous.

Il y a deux termes dans un jugement.

 

 

1212. Il semble donc, et l’on a cru pendant long-temps qu’il y a trois termes dans un jugement ; 1.o l’idée de l’objet dont on juge, et qu’on appelle le sujet ; 2.o l’idée de ce que l’on juge appartenir ou ne pas appartenir au sujet, idée que l’on nomme attribut, parce que c’est cette idée qu’on attribue ou qu’on n’attribue pas au sujet ; 3.o on considérait comme une troisième partie du jugement l’acte de l’entendement qui prononce cette convenance ou cette disconvenance entre le sujet et l’attribut, et le mot qui exprimait cet acte de l’entendement était appelé lien, ou copule, ou énonciation.

Mais nous nous sommes convaincus, en |303 faisant l’analyse de la proposition (630, 631), qui n’est qu’un jugement écrit ou articulé de vive voix, que puisqu’il n’y a dans la nature que des substances et des modifications, et que les mots en peuvent exprimer que les idées que nous puisons dans la nature, il ne peut y avoir que deux classes générales de mots, les noms des substances et les noms des modifications, ou les substantifs et les modificatifs (405) ; nous ne devons donc pas admettre trois termes distincts dans le jugement ; il ne peut renfermer que deux idées, celle de la substance ou du sujet, et celle de la modification que notre entendement lui attribue ou lui refuse, c’est-à-dire celle de l’attribut. En portant un jugement quelconque, nous ne faisons, en effet, qu’affirmer l’existence réelle ou intellectuelle de tel sujet avec telle modification : c’est à quoi se réduit tout jugement en dernière analyse ; et il n’y a là que deux idées distinctes, celle du sujet et celle de la modification sous laquelle nous l’apercevons. Dans ce jugement Socrate fut sage (387), il y a trois mots, mais il n’y a et il ne peut y avoir que deux idées, celle de Socrate, et celle de son existence intellectuelle dans notre entendement, avec |304 la modification exprimée par l’adjectif sage : il est impossible d’y trouver autre chose, non plus que dans tout autre jugement quel qu’il soit. Si nous disions simplement : Socrate fut, ce serait encore un jugement renfermant deux idées, celle de Socrate et l’affirmation de son existence passée, puisque ce jugement équivaut à celui-ci : Socrate fut existant, ou Socrate exista. Dans celui-ci on n’affirme que l’existence de Socrate, sans aucune autre modification que cette même existence, qui est la modification commune nécessaire à tous les êtres : dans celui-là, on affirme son existence avec une autre modification déterminée, qui n’est pas nécessairement réunie avec l’existence : ces deux jugemens sont donc différens quant au résultat, quant au sens, quant à la pensée qu’ils expriment, mais ils ne sont composés l’un et l’autre que des mêmes élémens, de l’idée du sujet et de celle de l’attribut.

Sujet et attri­but logiques.

 

 

1213. On ne peut trouver que les mêmes élémens logiques dans tout jugement, quel que soit le nombre des mots nécessaires pour l’énoncer, ou pour le convertir en proposition. Dans celui-ci, par exemple, cité par Dumarsais : différer de profiter de |305 l’occasion, c’est souvent la laisser échapper sans retour, il n’y a qu’un sujet logique et qu’un attribut logique : l’idée totale exprimée par ces mots différer de profiter de l’occasion, est le sujet logique ; et l’idée totale exprimée par ceux-ci est souvent la laisser échapper sans retour, est l’attribut logique : il n’y a que ces deux idées dans le jugement dont il s’agit ; on juge que la seconde convient à la première ; on aperçoit que la seconde est une des idées composantes de la première, et l’on prononce la perception de ce rapport. Puisqu’on ne prononce que la perception d’un seul rapport, il n’y a qu’un seul jugement ; s’il n’y a qu’un seul jugement, il ne peut y avoir que deux idées, ou simples, ou composées, mais considérées chacune dans le moment comme étant un être unique. Plus de deux idées totales supposeraient la perception de plus d’un rapport, et par conséquent plus d’un jugement.

Nous disons plus de deux idées totales considérées chacune comme un être unique ; car dans le jugement ci-dessus énoncé il y a un beaucoup plus grand nombre d’idées partielles : dans l’idée unique qui forme le sujet logique il y a l’idée de délai, celle de profit, celle d’occasion ; dans l’idée composée qui |306 fait l’attribut logique il y a l’idée d’une répétition fréquente (souvent), celle de laisser, etc. ; et néanmoins différer de profiter de l’occasion ne forme qu’une seule idée composée, considérée ici comme un être unique ; est souvent la laisser échapper sans retour ne forme qu’une autre idée composée, considérée dans le moment comme un autre être unique ; c’est la perception du rapport entre ces deux idées totales qui constitue le jugement, et ce jugement n’a que deux élémens comme si chacune des deux idées qui le composent était une idée simple.

Avec un peu d’attention on peut se convaincre facilement que ce n’est ni l’idée seule de délai, ni celle de profit, ni celle d’occasion qui est le sujet logique du jugement : car ce n’est pas de toute espèce de délai qu’il s’agit ici, c’est du délai de profiter ; différer de profiter laisse encore le sujet logique incomplet et dans un vague qu’il faut déterminer ; profiter de quoi ? de l’occasion ; différer de profiter de l’occasion est donc l’idée composée, mais unique, dont on aperçoit le rapport avec l’idée de l’attribut ; elle forme donc le sujet logique, et ce sujet est unique comme si l’on disait : l’occasion négligée est souvent perdue sans |307 retour. De même, ce n’est ni l’idée seule d’existence (est), ni celle d’une répétition fréquente (souvent), ni aucune des autres idées partielles exprimées par les mots laisser, échapper, sans retour, qui constituent séparément l’attribut logique, mais c’est seulement l’idée composée qui résulte de la réunion de toutes ces idées partielles : avec la seule idée d’existence pour attribut, on aurait le jugement : différer de profiter de l’occasion, c’est ; jugement incomplet, qui n’est pas celui dont il s’agit : avec l’idée d’existence et celle d’une fréquente répétition, on aurait : différer de profiter de l’occasion, c’est souvent ; jugement qui ne diffère du précédent qu’en ce que l’idée d’existence, qui se trouve dans l’attribut, est modifiée par celle d’une répétition fréquente ; et en continuant à analyser de la même manière, on trouve que l’attribut logique est l’idée composée, mais unique, exprimée par les mots est souvent la laisser échapper sans retour, puisque c’est cette idée totale et complète dont on aperçoit le rapport avec celle qui forme le sujet.

On se persuade facilement qu’il n’y a que deux idées, celle du sujet et celle de l’attribut, dans les jugemens tels que celui-ci : |308 or corrompt, parce qu’il n’y a que deux mots dans la proposition qui l’énonce : cependant que d’idées partielles n’y a-t-il pas dans l’idée complexe du sujet or ! celles de l’étendue, de la divisibilité, de la dureté, de la fusibilité, de la malléabilité, de la couleur jaune, etc., etc. (1184). L’idée totale de l’attribut corrompt ne renferme-t-elle pas aussi l’idée de l’existence (corrompt pour est corrompant), attribut essentiel de tous les êtres, une foule d’idées morales, et de plus une acception figurée du mot corrompt, qui est pris ici dans un sens moral et non pas dans un sens physique. Si l’on convient que ce jugement ne renferme que deux idées,qu’il n’est que la perception de la convenance de l’idée complexe de corruption morale, et de l’idée complexe de la substance désignée par le mot or, on doit convenir également qu’il en est absolument de même de tout autre jugement, quel que soit le nombre des idées partielles qui constituent l’idée composée du sujet, et de celles qui constituent l’idée composée de l’attribut.

Ainsi dans l’analyse du jugement on ne trouve qu’un sujet logique et qu’un attribut logique, une idée de substance et une |309 idée de modification, comme dans l’analyse de la proposition on ne trouve que des substantifs et des modificatifs (405) ; et par ce moyen, l’analyse de la parole est en harmonie parfaite avec l’analyse de la pensée qu’elle exprime.

L’idée de l’existence est inséparable de tout attribut.

 

 

1214. Les formes du verbe être à qui l’on a exclusivement attribué la fonction particulière d’exprimer l’acte de l’entendement qui juge que l’attribut convient au sujet, n’expriment elles-mêmes qu’une modification ; modification tellement indispensable à toutes les substances, qu’on n’en peut concevoir aucune qui ne l’ait, et tellement préalable à toutes les autres, que, avant de juger qu’une chose est avec telle autre modification, il faut avoir jugé déjà qu’elle est : et parce qu’on n’a pu concevoir aucun jugement dans lequel ne se trouvât le verbe être, ou explicitement énoncé, ou déguisé, on en a conclu que ce verbe avait la prérogative exclusive d’exprimer l’acte de l’entendement qui constitue proprement le jugement, et l’on a ainsi mal-à-propos supposé trois idées élémentaires ; tandis qu’on devait se contenter de conclure que l’idée de l’existence, ou réelle, ou intellectuelle, appartenant généralement et |310 préalablement à tous les sujets quelconques, elle est leur attribut inséparable, et qu’on ne peut leur en reconnaître aucun autre que conjointement avec celui-là. C’est pour cela que nous avons appelé le verbe être le modificatif commun (440).

Il n’y a donc dans le jugement qu’un sujet et qu’un attribut, et point de troisième idée élémentaire ; et il n’y a dans la proposition que des substantifs et des modificatifs (405), et point de mot qui doive s’appeler lien, copule ou énonciation.

L’essence du jugement con­siste dans l’af­firmation.

 

 

1215. Suffit-il donc de deux idées l’une à côté de l’autre pour former un jugement, et d’un substantif suivi d’un modificatif pour constituer une proposition ? A ce prix, Socrate sage, table ronde seraient deux jugemens et deux propositions ; ce qui serait renverser tous les principes.

Deux idées, l’une à côté de l’autre, ne constituent pas plus un jugement, que deux quantités, l’une à côté de l’autre, ne constituent une équation ; il faut de plus le prononcé du rapport, de la convenance ou de la disconvenance entre ces deux idées, et c’est ce prononcé qui distingue le jugement de la simple apposition de deux idées, comme le prononcé de l’égalité de |311 deux quantités distingue une équation de la simple juxtà-position de deux quantités. Dans Socrate sage, table ronde, mon entendement aperçoit bien Socrate avec la modification exprimée par l’adjectif sage, et table avec la forme que désigne le mot ronde ; mais ce n’est pas sur le rapport de ces idées qu’il prononce, ou, pour mieux dire, il ne prononce rien : il réunit ces idées deux à deux, ou comme une chose convenue, non contestée, ou comme le résultat de quelque jugement antérieur, et n’en fait pas la matière d’un jugement actuel. Au lieu qu’en disant : Socrate fut sage, la table est ronde, voilà deux affirmations positives, deux prononcés bien distincts de la perception de la convenance entre Socrate et sage, entre table et ronde, et voilà alors, et seulement alors, deux jugemens bien formels et deux propositions. Si l’on dit : la république, à peine naissante, entourée d’ennemis extérieurs, agitée par des factions intestines, entraînée souvent à des mesures outrées par un concours de circonstances malheureuses, toujours grande dans ses revers, toujours généreuse dans ses victoires, etc., etc. ; voilà bien des idées les unes à la suite des autres, et il |312 n’y a pas un seul jugement, parce qu’il n’y a pas une seule affirmation, pas un seul prononcé formel de la perception de la convenance entre deux idées : ajoutez seulement triompha, ou fut triomphante, ou se consolida, ou se serait consolidée, ou un autre verbe quelconque au mode affirmatif, ou au mode conditionnel, et vous aurez un jugement et une proposition.

Cette affir­mation est ex­primée par les formes du mode affirmatif ou du mode con­ditionnel.

 

 

1216. Ce qui constitue le jugement, ou ce qui peint l’acte de l’entendement qui juge, c’est donc une forme quelconque d’un verbe, au mode affirmatif, ou au mode conditionnel (1011) ; et l’on doit reconnaître dans une suite d’idées autant de jugemens distincts qu’il y a de fois le verbe être, exprimé ou sous-entendu, et au mode affirmatif ou au mode conditionnel ; et par conséquent autant de propositions différentes dans un discours prononcé, ou écrit, qu’il y a de verbes à une forme quelconque de l’affirmatif ou du conditionnel.

Nous disons de l’affirmatif ou du conditionnel seulement : car il n’y a que les différentes formes de ces deux modes, qui indiquent, énoncent, ou affirment, positi- |313 vement ou conditionnellement (497, 498, 1011, etc.), la perception du rapport entre deux idées, ou simples, ou composées. Les formes des modes impératif, optatif, interrogatif, etc., ne peuvent faire un sens complet, un jugement, qu’en les supposant précédées de quelque forme de l’affirmatif ou du conditionnel d’un autre verbe. J’ai lu les mémoires de l’institut national, voilà un jugement, j’ai lu, ou j’ai été lisant, au mode affirmatif. Je les aurais lus, s’ils m’étaient tombés sous la main, voilà un autre jugement ; c’est une affirmation conditionnelle ; j’affirme positivement que je les aurais lus, si cette condition avait eu lieu.

Avez-vous lu les mémoires de l’institut ? équivaut à je demande, je suis en peine de savoir si vous avez lu, etc.... Lisez-les avec soin, c’est-à-dire, je veux que vous les lisiez, ou je vous conseille de les lire. Que vous les méditiez suppose je veux, ou je désire, ou je croyais, ou j’avais supposé, ou j’ai pensé, en un mot une forme quelconque de l’affirmatif ou du conditionnel. Ainsi il n’y a que les formes de ces deux modes, ou énoncées, ou sous-entendues, qui décèlent un jugement et conséquemment une proposition.

Conséquences.

 

 

|314 1217. Recueillons maintenant les résultats de tout ce qui précède.

1.o Un jugement est l’affirmation ou le prononcé de la perception de la convenance entre deux idées, simples, ou composées, considérées actuellement comme étant chacune un être unique (1113).

2.o Tout jugement consiste toujours à affirmer qu’on perçoit qu’une idée est une des idées composantes de celle à laquelle on la compare ; que l’idée totale de l’attribut est une des idées composantes du sujet, et que celle-là est renfermée dans l’idée totale qu’on a de celui-ci. Et conséquemment toute proposition se réduit à affirmer, au moyen des formes de l’affirmatif ou du conditionnel, exprimées ou sous-entendues, que l’idée simple ou composée qu’exprime l’attribut est une des idées qui composent l’idée totale qu’exprime le sujet.

Socrate fut sage signifie : l’idée d’être sage, ou d’avoir été sage est une des idées qui composent l’idée totale que je me suis faite de Socrate.

Différer de profiter de l’occasion, c’est souvent la laisser échapper sans retour, affirme que l’idée d’être laissant échapper souvent sans |315 retour, entre dans l’idée que je me suis formée de différer de profiter de l’occasion ; comme ce jugement l’or est jaune, affirme que l’idée de la couleur jaune est une des idées partielles qui entrent dans l’idée complexe de la substance appelée or.

Avez-vous lu les mémoires de l’institut, ou son équivalent : je demande si vous avez lu les mémoires de l’institut, affirme que l’idée d’être demandant actuellement si vous avez lu les mémoires de l’institut est une des idées qui entrent dans l’idée totale que j’ai actuellement de moi (je).

3.o Une proposition n’étant que l’énonciation d’un jugement (223, 624), il ne peut y avoir dans le discours qu’autant de propositions énoncées ou sous-entendues qu’il y a de jugemens exprimés : et puisqu’il ne peut y avoir de jugement qu’autant qu’il y a affirmation (1215), et que l’affirmation n’est exprimée que par les formes de l’affirmatif, ou du conditionnel (1216), il n’y a de propositions dans le discours qu’autant que l’on y trouve de fois quelque forme exprimée ou sous-entendue de l’affirmatif ou du conditionnel.

4.o Une proposition est vraie lorsque l’idée exprimée par l’attribut est comprise dans |316 l’idée qu’exprime le sujet ; et elle est fausse, lorsque cela n’est pas : et cette règle est aussi simple qu’elle est exacte, puisque toute proposition se réduit à affirmer que l’idée exprimée par l’attribut est une des idées partielles qui composent l’idée totale du sujet.

Nous disons affirmer : car un jugement négatif se réduit à affirmer que tel sujet n’est pas avec telle modification, ou que n’être pas de telle manière est une des idées composantes du sujet. Je ne suis pas aussi grand que vous, signifie : l’idée de n’être pas aussi grand que vous est une des idées partielles qui entrent dans l’idée totale que j’ai de moi.

N’insultez pas aux malheureux, ou, en suppléant le mode affirmatif (1216), il est de votre devoir de ne pas insulter aux malheureux, signifie : l’idée de nous abstenir d’insulter aux malheureux est une des idées partielles qui constituent l’idée totale de votre devoir.

 

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DES CAUSES DES ERREURS OU NOUS TOMBONS DANS NOS JUGEMENS.

 

..... Frustrà vitium vitaveris illud,
Si te aliò pravus detorseris.(Horat., lib. 2, sat. 2.)

Un vrai philosophe est un homme qui raisonne juste ; qui est toujours en garde contre les causes de l’erreur ; qui ne suit, dans la conduite de la vie, que la raison et la vertu ; qui cherche, en chaque chose, à connaître la vérité, et à remonter jusqu’aux premiers principes. (Fleur., Trait. des étud.)

 

La précipi­tation.

 

 

1218. L’une de ces causes est la précipitation. Nous avons le plus grand intérêt à connaître la convenance ou la disconvenance de deux idées : mais loin d’y donner toute notre attention, nous nous contentons de les comparer avec une légèreté blamable ; loin de les examiner avec soin, nous ne les observons que superficiellement ; et, au lieu de différer quelque temps à nous déterminer, pour pouvoir mûrir notre jugement et l’appuyer sur tous les degrés possibles de certitude, nous nous hâtons de prononcer, parce que l’impatience nous gagne, que notre paresse naturelle repousse toute recherche et toute réflexion, et que nous aimons mieux nous exposer à l’inconvénient, souvent très-grave, de porter un |318 jugement faux, que de rester dans le doute. Est-il étonnant qu’avec de telles dispositions on juge si souvent de travers ? Accoutumons-nous donc à ne prononcer qu’avec une lenteur salutaire, et retenons l’assentiment de notre esprit jusqu’à ce que nous ayons mûrement examiné les idées, et employé tous les moyens pour en connaître les rapports.

Les préjugés.

 

 

1219. Les préjugés sont une autre source féconde de faux jugemens. Ce sont, ainsi que l’exprime le nom lui-même, des jugemens portés d’avance, et qui sont entrés tout faits dans notre tête, sans le concours de notre raison, sans l’assentiment de notre âme, ou du moins sans examen, sans attention, sans discussion préliminaire. Ils sont les fruits pernicieux et funestes d’une éducation mal dirigée, des mauvaises lectures, des habitudes que nous avons contractées, ou des circonstances où nous nous sommes trouvés ; et souvent la suite de l’autorité et de l’ascendant que quelqu’un a pris sur nous à une époque quelconque de notre vie. Ils consistent à considérer comme naturelle, comme évidente, comme fondée sur la raison, la liaison de certaines idées, uniquement parce qu’elles sont entrées en même temps |319 dans notre esprit par l’effet de quelqu’une des causes dont nous venons de parler : et accoutumés que nous sommes à considérer ces idées comme devant être nécessairement liées, nous les envisageons comme des principes certains, comme des fanaux qui doivent nous éclairer dans la carrière du raisonnement.

Examen utile des préjugés.

 

 

1220. Puisque les préjugés sont des jugemens que nous avons adoptés, et auxquels notre raison n’a pas concouru, il peut y en avoir de vrais, il peut y en avoir de faux. Mais fussent-ils tous vrais, nous ne devons pas les prendre pour base de nos jugemens, puisque, n’étant pas convaincus de la solidité de cette base, n’ayant pas donné notre assentiment après un mûr examen, nous nous exposons volontairement au danger de mal raisonner. Il faut donc, avant tout, faire la revue exacte et successive de tous les préjugés qui se sont glissés dans notre esprit, aux différentes époques de notre vie, et par différentes causes ; examiner avec toute l’attention dont on est capable les idées sur lesquelles ils sont fondés, et ne conserver que ceux qui seront appuyés sur des motifs suffisans de certitude.

Les passions.

 

 

1221. Les passions aussi nous portent sou- |320 vent à porter de faux jugemens. « Quelqu’étendue et quelque pénétration qu’ait l’esprit, dit Mallebranche, si avec cela il n’est exempt de passions et de préjugés, il n’y a rien à espérer. Les préjugés occupent une partie de l’esprit et infectent tout le reste. Les passions confondent toutes les idées en mille manières, et nous font presque toujours voir dans les objets tout ce que nous désirons d’y trouver. La passion même que nous avons pour la vérité nous trompe quelquefois, lorsqu’elle est trop ardente ; mais le désir de paraître savant est ce qui nous empêche le plus d’acquérir une science véritable. » (Recher. de la vér., li. 2, par. 2, ch. 6.)