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Chap. IV. De la méthode.

Table des matières

 

 

 

 

Section troisième. Grammaire française.

Chap. I. Des substantifs.

Chap. II. Des modificatifs.

Art. I-II

Art. III

Art. IV-VIII

Section quatrième. Art de raisonner.

Chap. I. Des idées.

Chap. II. Du jugement.

Chap. III. Du raisonnement.

Chap. IV. De la méthode.

Conclusion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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CHAPITRE IV.

DE LA MÉTHODE .

 

Disce etiàm, pulchri si tibi cura ordinis ulla est. (Hyer., Vid. Art. poet.)

 

Ce que c’est que la méthode.

 

 

1315. La méthode est l’art de disposer ses idées et ses raisonnemens dans une série si naturelle, qu’on sente plus facilement leur liaison successive et réciproque, qu’on aperçoive de suite leur enchaînement mutuel, et que l’on puisse, à l’aide de l’accroissement de lumière qui résulte de cet enchaînement, découvrir soi-même la vérité, ou la faire entendre aux autres avec moins de fatigue et plus de succès.

Nécessité de l’ordre.

 

 

1316. Soit qu’on ait pour objet la recherche de la vérité, soit qu’on ait pour but de la démontrer aux autres, l’ordre est absolument indispensable : c’est lui qui rapproche les idées, qui les lie, qui ménage les reflets de lumière qui doivent rejaillir des unes sur les autres par ce rapprochement, qui met en état de remarquer sans fatigue les rapports qu’il est essentiel de ne pas laisser échapper, et qui rend ainsi beaucoup plus facile l’exercice des opérations de l’âme. |406 Notre plaisir augmente à mesure que nous saisissons les rapports de toutes ces idées faciles à apercevoir ; notre âme est satisfaite de se sentir occupée sans trop d’efforts ; et notre attention, facilement soutenue par la liaison des idées et toujours excitée par le désir d’un nouveau succès aussi peu coûteux, fait taire notre paresse, naturellement ennemie de tout ce qui exige de la contention d’esprit.

Défauts à éviter pour mettre de l’ordre dans ses discours.

 

 

1317. Puisque l’objet de l’ordre doit être de faciliter l’exercice des opérations de l’entendement et la connaissance de la vérité, il faut éviter en général les digressions, qui détournent l’attention du but principal ; les divisions trop multipliées, qui l’embarrassent au lieu de la soulager (129) ; les longueurs, qui la fatiguent sans utilité ; et les répétitions inutiles, qui ne peuvent manquer de la dégoûter.

Attachons-nous donc, autant qu’il sera possible, à une marche simple et naturelle, qui nous élève graduellement des idées les plus simples et les plus faciles aux idées les plus composées, et qui nous fasse bien saisir le progrès des vérités par la liaison intime qu’elles ont entr’elles, par la lumière qu’elles se prêtent mutuellement, par l’ordre naturel |407 dans lequel elles se présentent, et par la perception rapide et facile de ce que l’une ajoute à l’autre.

Deux sortes de méthodes.

 

 

1318. Mais cet ordre, toujours nécessaire, peut être établi de deux manières, soit dans la recherche, soit dans l’exposition de la vérité. On peut commencer par des principes généraux, par des axiomes (1251) ; passer de ceux-ci à leurs conséquences médiates ; de ces conséquences aux vérités qui ont une connexion intime avec elles, et ainsi de suite, en descendant, jusqu’à ce qu’on parvienne à la vérité particulière qu’on veut découvrir ou démontrer : et cette manière de procéder s’appelle méthode synthétique, ou synthèse.

Ou bien, on part d’abord de la proposition particulière dont on est actuellement occupé ; on en cherche les rapports avec toutes les vérités collatérales ; de celles-ci, on remonte aux vérités ou plus générales, ou qui exigent plus d’abstractions de la part de notre entendement ; et l’on continue à passer ainsi des idées les plus faciles aux plus composées, en en saisissant toujours les rapports, jusqu’à ce qu’on soit parvenu aux idées les plus générales : et cette manière de procéder s’appelle méthode analytique, ou simplement analyse.

 

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§. I.er DE LA SYNTHÈSE.

 

Probationes enim efficiunt sanè ut causam nostram meliorem esse putent. (Quint., Inst. orat., lib 6, cap. 2, n. 1.)

 

Synthèse, mé­thode de com­position.

 

 

1319. Le mot synthèse est composé de deux mots grecs qui signifient composition : aussi cette méthode s’appelle-t-elle méthode de composition. On l’appelle aussi méthode de doctrine, parce que c’est celle qu’emploient communément ceux qui enseignent. Les géomètres, par exemple, commencent par définir les termes pour n’y laisser aucune ambiguité, bien convaincu, que rien n’est plus contraire à la justesse du raisonnement que l’indétermination des signes (1309) ; puis ils établissent des principes évidens, des axiomes tels que celui-ci : un tout est égal à toutes ses parties réunies ; et enfin ils prouvent la proposition qu’ils ont en vue, soit par le moyen des axiomes, soit par le secours des définitions.

De même, si pour enseigner une branche quelconque de l’histoire naturelle, on commence par faire connaître les classes, ensuite les genres contenus dans chaque classe, puis les espèces de chaque genre, et enfin les individus de chaque espèce, on suit la méthode synthétique.

Abus de cette méthode.

 

 

|409 1320. Cette méthode peut être utile ; mais il est facile d’en abuser, et bien des auteurs en ont réellement abusé. Comme les démonstrations mathématiques sont rigoureuses, et que ces démonstrations sont appuyées sur des axiomes, des définitions, des lemmes, des théorêmes et d’autres propositions générales, bien des gens ont cru qu’il n’y avait qu’à suivre la même marche dans toutes les sciences, pour être aussi rigoureusement conséquent qu’un mathématicien, et qu’il suffisait d’entasser avec un grand appareil des axiomes, des lemmes, des théorêmes, des corollaires, des définitions et des demandes, pour que la vérité se trouvât nécessairement au bout de cet étalage pompeux et imposant.

C’est ainsi qu’ont raisonné, ou déraisonné, Spinosa, l’auteur de l’ouvrage sur la prémotion physique, et beaucoup d’autres. La vérité et les sciences n’ont rien gagné à tout cela : on a pris des propositions vagues pour des axiomes, on a décoré du nom de définition des notions vagues et peu précises, et l’on n’a fait que cacher les vices du raisonnement sous l’apparence séduisante de l’ordre le plus exact et sous les formes bien ou mal appliquées d’une |410 méthode reconnue rigoureuse chez les mathématiciens.

Réflexions sur la méthode des géomètres.

 

 

1321. Mais si cette méthode est exacte chez ceux-ci, ce n’est pas à cause de sa manière de procéder : ce n’est pas parce qu’on commence par des principes généraux pour descendre à des cas particuliers ; mais c’est qu’on saisit avec soin et rigoureusement la liaison et les rapports des idées, et la connexion intime ou l’identité qui existe entre les différentes parties d’une démonstration, et que cette liaison et cette identité sont bien plus faciles à saisir dans les mathématiques, à cause de la clarté des idées qui en sont l’objet, et de la précision des signes qu’on y emploie. Sans ces deux avantages, la méthode synthétique ne réussirait pas mieux entre les mains des géomètres qu’entre celles des métaphysiciens, et cela prouve, comme nous l’avons déjà observé, que la justesse du raisonnement ne consiste pas dans telle ou telle forme, ne dépend pas de telle ou telle méthode, et qu’il n’y a ni ne peut y avoir qu’une seule manière de bien raisonner, qui consiste toujours à montrer dans une gradation simple et facile à saisir la génération successive des idées et leurs rapports, à |411 écarter toutes les notions vagues, et à apercevoir sans efforts l’identité entre les différentes parties d’un raisonnement.

Autre incon­vénient de la synthèse.

 

 

1322. La synthèse a d’ailleurs l’inconvénient de nous présenter les sciences par l’extrémité la plus éloignée, s’il est permis de s’exprimer ainsi, de nous faire commencer par où ont fini les inventeurs et ceux qui ont reculé les limites de la science, et de nous conduire ensuite à reculons jusqu’au point d’où ils sont partis. Car elle commence par des maximes générales, par des principes fondamentaux, qui ne peuvent être que le résultat d’un très-grand nombre d’abstractions : il a fallu examiner et comparer une grande quantité d’idées avant que de former ces maximes et ces principes ; ils ont été le résultat et non pas le commencement et la base des méditations des premiers auteurs ; et, nous faire commencer nos recherches par où ils les ont terminées, c’est nous mener en sens inverse. Les hommes ne se sont formé les idées abstraites de différentes espèces, qu’après avoir examiné un grand nombre d’individus et avoir reconnu dans tous une propriété commune ; ils n’ont formé les genres, qu’en reconnaissant une autre propriété commune |412 à toutes les espèces (122-126) ; et ainsi de suite : ce n’est donc pas par les idées générales qu’ont dû commencer les spéculations de ceux qui, les premiers, ont observé la nature ; puisqu’ils n’ont pu arriver à ce point qu’après un très-grand nombre d’observations ; et la synthèse, en nous faisant commencer nos études par les genres et les espèces, nous fait prendre une route opposée à celle des fondateurs de la science, et ne donne à notre entendement, pour premier aliment, que des idées abstraites qui n’ont aucun modèle dans la nature (86, 87), au lieu de lui faire considérer la nature elle-même telle qu’elle est.

Utilité des prin­cipes généraux.

 

 

1323. Il ne faut pas conclure de là que les principes généraux, que les idées abstraites de classes, de genres et d’espèces, sont des choses inutiles, et encore moins que ce sont des abstractions dangereuses : nous avons indiqué ailleurs (120) de quelle utilité elles peuvent être. Mais nous croyons qu’il n’est pas naturel que nous commencions par là nos études, puisque ce ne sont pas là les idées qui se présentent le plus facilement et le plus naturellement à nous. Lorsqu’en avançant dans la carrière nous aurons créé, pour ainsi dire, nous-mêmes |413 ces principes généraux par nos propres abstractions, nous pourrons les considérer comme l’extrait de notre travail, comme le sommaire de nos observations, comme des espèces de milliaires placés sur notre route, qui puissent nous indiquer à propos et l’endroit où nous en sommes et l’espace que nous avons parcouru. Alors nous les entendrons d’autant mieux, que nous les aurons formés nous-mêmes, que nous connaîtrons parfaitement la route qui y conduit, et que nous ne serons jamais tentés de les prendre pour autre chose que pour des abstractions.

Comment s’est introduit l’usage des prin­cipes gé­néraux.

 

 

1324. L’usage des propositions générales s’est introduit de bonne heure dans les sciences, parce qu’étant le résultat de plusieurs connaissances particulières elles soulagent la mémoire, donnent plus de précision et de rapidité au discours, et présentent en peu de mots le fruit d’une longue réflexion. D’ailleurs les premières découvertes ayant été faites sans le secours d’aucune méthode, puisque toute méthode suppose des progrès déjà faits, et ceux qui firent ces découvertes ne pouvant pas indiquer la route qu’ils avaient suivie, ils n’eurent d’autre ressource pour en démontrer la |414 certitude, que d’en faire voir l’identité avec des propositions générales dont personne ne contestait la vérité : on en conclut facilement que ces propositions générales étaient l’unique et la vraie source de nos connaissances, et on leur donna le nom de principes, comme qui dirait commencement ou germes de nos connaissances. De là naquit la synthèse.

Cependant, puisque ces principes, ces propositions générales ne sont que le résultat de plusieurs connaissances particulières, il est évident qu’ils ne peuvent nous faire connaître que les connaissances mêmes dont ils sont le résultat, ne nous faire descendre graduellement qu’à celles qui nous ont servi à nous élever jusqu’à eux, et que, par conséquent, celles-ci sont connues avant le principe, et qu’elles y sont implicitement renfermées. La synthèse seule ne peut donc pas nous conduire aux découvertes.

 

 

 

 

 

 

§. II. DE L’ANALYSE.

 

Intrandum est in rerum naturam, et penitùs quid ea sit pervidendum. (Cic., de Finib.)

 

Idée de l’ana­lyse.

 

 

1325. L’analyse est l’art de décomposer un objet, pour en reconnaître les parties |415 élémentaires et les considérer chacune séparément, et de les recomposer ensuite avec les mêmes élémens pour observer ces élémens dans leur ensemble : c’est la méthode la plus sûre pour se procurer la connaissance exacte d’un objet quelconque.

Exemple.

 

 

1326. Pour connaître le jeu d’une machine, on la démonte, on la décompose pièce par pièce ; puis on examine attentivement et séparément comment chaque partie est faite, jusqu’à ce qu’on en ait une connaissance bien exacte : et, en les remettant ensuite à leur place, on observe avec soin comment chacune agit sur les autres, quel est le mouvement qu’elle reçoit et qu’elle imprime ; et l’on connaît ainsi avec précision quel est le résultat de leur ensemble.

De même, pour connaître un corps, il faut en observer successivement les qualités, en nous servant séparément de chacun de nos sens, et rassembler ensuite ces qualités dans l’ordre dans lequel elles existent ensemble. En décomposant, on se ménage les moyens de connaître avec moins d’efforts et plus de précision chaque qualité séparément ; et en recomposant, on peut aussi connaître avec plus d’exactitude le tout |416 qui résulte de la réunion de toutes ces qualités.

Utilité de l’analyse.

 

 

1327. La même méthode peut être employée avec le plus grand succès à tous les objets de nos recherches et de nos spéculations. Rien n’est plus propre à nous procurer des connaissances exactes et précises sur un objet quelconque, que l’art de le décomposer d’abord dans ses parties principales ; de descendre de celles-ci aux parties secondaires, et des parties secondaires successivement aux parties les plus simples, aux élémens ; de considérer alors attentivement et séparément chaque élément, de l’observer sous toutes les faces, sous tous les rapports ; de les comparer attentivement les uns aux autres, et de les réunir ensuite de nouveau, par la pensée, de la même manière qu’ils se trouvent réunis dans l’objet de nos spéculations, afin d’en mieux connaître l’ensemble. Par ce moyen, l’attention se fatigue moins, la vue de l’esprit, moins partagée, est plus claire et plus distincte, la confusion et le désordre disparaissent, toutes les forces de l’entendement à la fois sont réunies et fixées successivement sur chaque idée, et la connaissance de chacune est plus distincte, plus précise, |417 plus sûre, plus complète et plus approfondie.

Elle est appli­cable à toutes les sciences.

 

 

1328. Toutes les sciences ont pour élémens des idées simples que nous avons acquises ou par sensation, ou par réflexion (113). L’analyse nous fournit les moyens les plus sûrs de remonter jusqu’à ces idées, et d’en avoir une connaissance bien exacte, bien déterminée, en les considérant d’abord séparément, et puis ensemble ; d’en former différentes compositions pour les comparer par tous les côtés qui peuvent en faire apercevoir les rapports, et d’avoir ainsi des idées complexes (118) bien connues, bien distinctes. De cette manière, nous connaissons parfaitement la nature et la génération des idées dont nous voulons nous occuper ; et à mesure que nous poussons nos recherches et notre méditation plus loin, nous apercevons toujours de nouveaux rapports et nous découvrons de nouvelles vérités. Nous nous trouvons toujours dans un pays parfaitement connu, dont toutes les routes et les issues nous sont familières : nous pouvons à volonté en parcourir tous les recoins, revenir sur nos pas, ou aller en avant : et, les derniers rapports que nous avons aperçus |418 nous mettant à même d’en découvrir d’autres, nous nous élevons insensiblement, et d’une manière toujours sûre, aux notions les plus composées, et nous nous formons un système solide et bien assorti de connaissances exactes et lumineuses.

Est propre à étendre nos connaissances.

 

 

1329. Nos connaissances, quelles qu’elles soient, ne se composent jamais que de la perception distincte des différens rapports qui sont ou entre des idées simples, ou entre des idées complexes, ou enfin entre des idées simples et des idées complexes. L’analyse, par sa marche tout à la fois sûre, claire et facile, nous mettant à même de distinguer parfaitement ces différentes espèces d’idées, et nous donnant une notion bien précise de chacune d’elles en particulier, nous facilite conséquemment les moyens d’apprécier avec exactitude les rapports qui sont entr’elles, et par-là nous met sur le chemin des découvertes et agrandit la sphère de nos connaissances.

A déterminer les idées sim­ples.

 

 

1330. Les idées simples une fois bien déterminées ne peuvent donner lieu à aucune erreur. Car nos erreurs à cet égard ne peuvent avoir que deux causes : elles peuvent venir, ou de ce que nous retran- |419 chons d’une idée quelque chose qui lui appartient, parce que nous ne la voyons pas distinctement dans son entier ; ou de ce que nous y ajoutons quelque chose qui ne lui appartient pas, parce que, par habitude ou par trop de précipitation, nous jugeons qu’elle renferme ce qu’elle ne contient réellement pas. Nos erreurs peuvent donc être en plus ou en moins. Mais si, par le moyen d’une analyse exacte, nous avons bien reconnu les idées simples, si nous avons appris à les bien distinguer des notions complexes, il est impossible que nous tombions dans ces erreurs : et il ne pourra pas arriver que nous retranchions quelque chose d’une idée simple, puisque nous n’y distinguerons point de parties, ou que nous y ajoutions quelque chose, puisqu’alors nous cesserions de la considérer comme simple.

Les idées com­plexes.

 

 

1331. Il semble, au premier coup d’œil, qu’il est plus difficile de se garantir des erreurs relativement aux idées complexes : néanmoins, si nous les avons faites ou revues avec toutes les précautions nécessaires, si nous les avons déterminées avec soin, nous n’y verrons sûrement que ce |420 qu’elles renferment, sans être jamais tentés d’y ajouter, ni d’en retrancher, pas plus qu’un calculateur n’est tenté de prendre une dixaine pour la collection de onze unités, ni une centaine pour la collection de quatre-vingts unités seulement : de sorte que, quelques combinaisons que nous fassions des idées simples entr’elles ou avec des idées complexes, nous apercevons distinctement tous leurs rapports, sans jamais leur en attribuer d’autres que ceux qui leur appartiennent.

L’analyse doit être faite avec soin.

 

 

1332. Mais pour être en droit de compter sur ces heureux résultats de l’analyse, il faut qu’elle soit exacte et bien faite. Analyser un objet, c’est le décomposer pour en connaître les élémens et les différentes parties, et ensuite l’ensemble : il faut donc suivre et examiner les idées partielles en détail et avec ordre. Décomposer au hasard, c’est se borner à faire quelques abstractions : ne pas décomposer toutes les qualités d’un objet, c’est ne faire qu’une analyse incomplète ; et enfin ne pas les suivre dans l’ordre qui peut faire connaître plus facilement et ces qualités séparément, et leurs différentes combinaisons, et leur ensemble, c’est faire |421 des analyses peu instructives et souvent très-obscures.

Imitons ces hommes qui, pour connaître la structure d’un corps organisé, le dissèquent avec soin dans son entier ; observent tous les muscles et les décomposent jusqu’à la plus petite fibre ; suivent les artères et les veines jusqu’à leurs dernières ramifications ; distinguent et étudient les organes de la nutrition, de la respiration et de la reproduction ; visitent tous les os, en examinent la forme, la grandeur, les articulations ; et qui enfin, après avoir exactement reconnu la forme, la position, la place, les fonctions de chaque partie, et la dépendance des unes à l’égard des autres, ont une connaissance parfaite du corps qu’ils ont examiné. Ce que nous ne pouvons pas faire avec le scalpel, nous pouvons toujours le faire par la pensée : décomposons donc entièrement un objet pour le bien connaître, et distribuons-en les parties de manière à pouvoir mieux les considérer, soit chacune en particulier, soit dans leurs rapports respectifs et dans leur dépendance réciproque, soit dans leur ensemble. Cette distribution aura l’avantage de ne fixer notre |422 attention que sur un petit nombre d’idées à la fois, et toujours dans la gradation la plus natnrelle [sic], la plus simple ; et elle nous facilitera les moyens de composer et de décomposer les notions, jusqu’à ce que nous les ayons comparées sous tous les rapports.

Analyse com­plète en elle-même.

 

 

1333. Une analyse est complète en elle-même, lorsqu’elle remonte aux qualités primitives, les embrasse toutes et ne présuppose rien. Ainsi lorsqu’un géomètre détermine le nombre et la grandeur des angles et des côtés d’un polygone, il faut une analyse complète en elle-même, puisqu’il ne présuppose rien, et qu’un polygone déterminé ne peut avoir que tel nombre d’angles et de côtés. Ces sortes d’analyses nous procurent des connaissances absolues, et nous font connaître les chose telles qu’elles sont : nous savons par exemple, qu’un quarré a quatre côtés égaux et quatre angles droits.

— complète relative­ment à nos connais­sances.

 

 

1334. Si une analyse n’est pas complète en elle-même, mais seulement relativement aux connaissances que nous avons, elle est alors réellement incomplète en soi, elle ne remonte qu’aux qualités secondaires, aux phénomènes, aux effets, et ne peut pas nous rapprocher des principes. Telles sont |423 les analyses des objets sensibles, dont nous ne connaissons pas et dont nous ne pouvons pas connaître toutes les qualités. Je ne peux pas faire l’analyse du fer, par exemple, qu’en détaillant toutes les qualités qu’on a découvertes dans ce métal ; mais je n’en connais pas mieux ce qu’il est en lui-même, et je ne peux jamais m’assurer d’en connaître toutes les qualités, sans qu’il m’en échappe aucune. Ces sortes d’analyses ne peuvent pas pénétrer dans la nature des choses, et ne nous font connaître que ce qu’elles sont à notre égard ; c’est-à-dire, qu’alors nous n’avons pas des connaissances absolues, mais seulement nous en avons de relatives.

L’analyse ne peut pas ap­pré­cier tous les rapports.

 

 

1335. Une analyse exacte est donc la méthode la plus sûre pour raisonner avec justesse, lier nos idées, donner à nos connaissances la base la plus solide, et nous conduire à des découvertes avec d’autant plus de facilité et de certitude que nous saurons mieux employer cette méthode. A la vérité, elle ne peut pas apprécier tous les rapports ; mais alors il faut savoir nous arrêter là où les idées nous manquent, et nous garantir ainsi des mauvais raison- |424 nemens, fondés sur des idées vagues, et sur des notions ou nulles, ou mal déterminées, ou peut-être fausses. Continuons notre analyse tant que nous apercevrons des rapports bien marqués, tant que nous aurons des idées claires et distinctes ; arrêtons-nous dès que la lumière viendra à nous manquer, et convenons franchement que nous n’y voyons plus aussi clair ; et n’essayons pas de déterminer des rapports, lorsque les deux termes ne nous sont pas suffisamment connus. Que dirait-on d’un calculateur qui voudrait évaluer un rapport arithmétique, ou géométrique, dont il ne connaîtrait ni l’antécédent, ni le conséquent, ou dont il ne connaîtrait que l’un des deux termes ? Peut-on se croire obligé à moins de justesse et à moins de précision dans les autres sciences ? Et puisque, dans tous les cas, la vérité n’est autre chose qu’un rapport exact et fondé aperçu entre deux idées (1233), n’y a-t-il pas une inconséquence inconcevable à apprécier ces rapports avec la plus rigoureuse précision, lorsqu’il est question de quantités, et à se contenter de les entrevoir à peu près avec une blamable légèreté lorsqu’il s’agit d’autre chose ?

L’analyse est la méthode la plus con­ve­nable pour l’ex­posi­tion de la vé­ri­té.

 

 

|425 1336. Puisque l’analyse est la méthode la plus propre pour nous conduire sûrement dans la recherche de la vérité, il est naturel de conclure qu’elle est aussi la plus convenable pour exposer la vérité, quand on l’a découverte. Celui que nous voulons instruire est dans la même position où nous étions avant d’avoir fait des découvertes, d’avoir acquis les connaissances que nous voulons lui communiquer : la route qui nous y a conduit le plus facilement et le plus sûrement doit avoir pour lui les mêmes avantages qu’elle a eus pour nous ; et il est absurde de croire que, pour démontrer des vérités déjà découvertes, il faille suivre un chemin tout opposé à celui qui nous a procuré et facilité les moyens de les découvrir. Au lieu de se contenter de convaincre par des démonstrations, ne vaut-il pas mieux éclairer celui qu’on instruit tout en produisant la conviction dans son esprit, et lui apprendre par-là le secret de faire des découvertes lui-même ? Peut-on douter qu’il ne soit aussi utile et aussi commode pour les élèves qu’il l’a été pour les inventeurs, de commencer à ne raisonner que sur des idées simples et faciles ; de les combiner ensuite peu à peu |426 pour en apercevoir successivement tous les rapports, et de s’élever ainsi insensiblement et sans efforts jusques aux notions les plus composées, toujours précédés par la clarté, convaincus par l’évidence, et rassurés sur l’exactitude et la précision des connaissances acquises ? Néanmoins l’usage en a décidé autrement. De temps immémorial, la synthèse est la méthode généralement adoptée dans les écoles pour enseigner : et c’est peut-être de là qu’est venu le proverbe prendre le chemin de l’école, pour dire le chemin le plus tortueux, le plus long, le plus propre à nous faire divaguer et à nous faire arriver le plus tard possible.