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ARTICLE PREMIER.
DE L’ADJECTIF.
Consuetudo verò certissima loquendi magistra. (Quint.)
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Définition.
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935. Tout mot qui sert à désigner une qualité quelconque d’une substance, est un adjectif ; et il est facile de reconnaître, dans notre langue, si un mot est adjectif, en s’assurant s’il forme un sens en le réunissant avec le mot personne, ou le mot chose (909, 10o) : ainsi insipide, agréable, sage, habile, sont des adjectifs, puisqu’on peut dire chose insipide, personne sage, chose agréable, personne habile.
Le mot adjectif vient du mot latin adjectus, ajouté : tout adjectif est effectivement toujours ajouté à un substantif exprimé, ou sous-entendu, auquel il donne une qualification, ou dont il exprime la manière d’être, et comme toute modification suppose une substance modifiée, tout adjectif, dans le discours, suppose toujours un substantif auquel il se rapporte.
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Adjectifs physiques.
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|49 936. Il y a autant d’adjectifs qu’il y a de qualités, ou de modifications que notre entendement peut considérer dans les substances. Ceux qui expriment des qualités sensibles, comme blanc, noir, doux, amer, aigre, sec, humide, rude, poli, dur, etc., peuvent être appelés adjectifs physiques.
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Adjectifs métaphysiques.
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937. Mais les mots mon, ton, son, notre, votre, leur, n’expriment pas une qualité physique et permanente des êtres, mais un rapport d’appartenance, ou de propriété, comme dans ces vers :
Elle me prend mes mouches à la porte ; Miennes je puis les dire. (La Font., liv. 10, fab. 7.)
.... Dieu prodigue ses biens A ceux qui font vœux d’être siens. (La Font., liv. 7, fab. 3.)
Les mots grand, petit, moindre, différent, pareil, semblable, etc., n’expriment pas non plus une qualité physique des objets, puisqu’aucun n’est, par lui-même, ni grand, ni petit, ni différent, ni, etc., et que nous ne pouvons lui donner ces qualités que par comparaison. Tous ces adjectifs, et autres semblables, expriment donc des vues particulières de notre esprit, ou des qualités que nous ne pouvons reconnaître dans les |50 substances que par comparaison, par réflexion : nous pouvons donc les nommer adjectifs métaphysiques.
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Noms de nombre.
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938. Les noms de nombre expriment des modifications particulières relatives à la précision numérique, avec quelques nuances différentes.
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Cardinaux.
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Ceux qu’on nomme cardinaux déterminent la quotité des individus avec une précision numérique : un, deux... cent... mille francs ; c’est précisément tel nombre d’individus, sans plus, ni moins.
Quelques-uns, quelques, plusieurs, sont des adjectifs de cette même espèce, mais qui n’expriment la quotité que d’une manière vague et indéterminée. Tous expriment la totalité des objets, mais sans en préciser le nombre.
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Ordinaux.
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Les noms de nombre qu’on nomme ordinaux, déterminent, non pas la quotité des individus, mais leur ordre, ou leur rang, avec la précision numérique : le cinquième jour du troisième mois de l’année ; le vingtième arbre de cette file, etc.
Quantième et dernier appartiennent à cette espèce : ils expriment aussi l’ordre des objets, mais sans y joindre l’idée de la précision numérique : le dernier terme d’une pro- |51 gression signifie bien qu’on parle du dernier de tous les termes, mais n’indique pas combien il y en a avant lui : le quantième du mois peut être le 1.er, le 10, le 15, etc., selon les circonstances.
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Multiplicatifs.
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939. Double, triple... centuple, expriment la multiplication progressive des objets, avec la précision numérique. Multiple et simple (lorsque ce dernier est l’opposé de multiple) expriment aussi une idée de multiplication, mais le premier ne l’exprime que d’une idée vague, sans précision numérique : c’est le genre, dont les espèces sont double, triple, quadruple, etc.
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Autres adjectifs. Aucun, aucune.
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940. Aucun, aucune, désignent tous les individus d’une espèce pris distributivement et dans un sens négatif (a) [15]: aucun motif ne peut justifier l’ingratitude, c’est-à-dire, ni celui-ci, ni celui-là, ni tel autre ; il y a exclusion pour tous successivement.
Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire. (La Font., liv. 10, fab. 14.)
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Autre.
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|52 Autre exprime une modification précise de diversité : autre temps, autres mœurs : il ne le cède à nul autre, c’est-à-dire à aucun de tous ceux qui ne sont pas lui.
Pendant qu’un philosophe assure Que toujours par les sens les hommes sont trompés, Un autre philosophe jure Qu’ils ne nous ont jamais dupés. (La Font., liv. 7, fab. 18.)
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Ce, cet, etc.
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Ce, cette, cet, ces, modifient les substantifs par une idée précise d’indication : cet arbre que vous voyez ; cette brebis qui paît là-bas.
Nous avons vu (909, 3.o) dans quel cas ce est substantif.
On écrit ce devant les substantifs qui commencent par une consonne ou par un h aspiré (899), et cet, pour éviter l’hiatus, devant ceux qui commencent par une voyelle, ou par un h muet. Ces mots, qu’on appelle communément pronoms démonstratifs, ne sont pas des pronoms, puisqu’ils sont suivis du substantif qu’ils indiquent, et que conséquemment ils ne tiennent pas la place du nom. On pourrait les appeler adjectifs démonstratifs, ou mieux indicatifs, puisqu’ils servent à indiquer les objets comme avec le doigt.
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|53 Ce monseigneur du lion-là Fut parent de Caligula. (La Font., liv. 7, fab. 7.)
Cet homme, disent-ils, était planteur de choux, Et le voilà devenu pape : Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux : Mais que vous sert votre mérite ? La fortune a-t-elle des yeux ? Et puis, la papauté vaut-elle ce qu’on quitte ? Le repos ? Le repos, trésor si précieux, Qu’on en faisait jadis le partage des dieux ! Rarement la fortune à ses hôtes le laisse. Ne cherchez point cette déesse, Elle vous cherchera : son sexe en use ainsi. (La Font., liv. 7, fab. 12.)
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Certain.
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Certain, certaine, modifient le substantif sous un point de vue différent, selon qu’ils sont placés avant, ou après : dans le premier cas, ils désignent d’une manière vague quelqu’individu de l’espèce indiquée par le substantif. Certains grammairiens ont décidé, pour quelques-uns d’entre les grammairiens.
De tout ce que dessus, j’argumente très-bien Qu’ici bas maint talent n’est que pure grimace, Cabale, et certain art de se faire valoir, Mieux su des ignorans que des gens de savoir. (La Font., liv. 11, fab. 5.)
Certaine fille, un peu trop fière, Prétendait trouver un mari |54 Jeune, bien fait et beau, d’agréable manière, Point froid et point jaloux. Notez ces deux points-ci. (La Font., liv. 7, fab. 5.)
Ce même adjectif, placé après le substantif, équivaut à constaté, avéré. C’est un fait certain. Il a des moyens certains de parvenir à son but.
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Chaque.
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Chacun, chacune, sont des substantifs (909, 10.o) ; chaque, qui est adjectif, exprime tous les individus d’une collection successivement, et dans un sens affirmatif, par opposition à aucun, aucune, qui expriment la même distribution successive dans un sens négatif (940). Chaque jour nous conduit à la mort. Chaque vertu porte avec elle sa récompense.
Par des vœux importuns nous fatiguons les dieux, Souvent pour des sujets même indignes des hommes. Il semble que le ciel, sur tous tant que nous sommes Soit obligé d’avoir incessamment les yeux ; Et que le plus petit de la race mortelle, A chaque pas qu’il fait, à chaque bagatelle, Doive intriguer l’Olympe et tous ses citoyens, Comme s’il s’agissait des Grecs et des Troyens. (La Font., liv. 8, fab. 5.)
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Même.
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Même, placé avant le substantif, le modifie sous le rapport de l’identité. Les hommes de bien ont partout la même sévérité de |55 principes, la même attention sur leur conduite, la même indulgence pour leurs semblables. Voilà les mêmes personnes que j’ai rencontrées hier.
Ne reconnaît-on pas en cela les humains ? Dispersés par quelqu’orage, A peine ils touchent le port, Qu’ils vont hasarder encor, Même vent, même naufrage. (La Font., liv. 10, fab. 15.)
Ce même mot, placé après le substantif, ne sert qu’à lui donner une sorte d’énergie : c’est alors un mot explétif (765). Lui-même, il a voulu panser les blessures de son ami. Il ne s’en rapporte qu’à lui-même. C’est la même vertu, et c’est la vertu même, ont un sens différent.
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage. Hé-bien ! défendez-vous au sage De se donner des soins pour le plaisir d’autrui ? Cela-même est un fruit que je goûte aujourd’hui. (La Font., liv. 11, fab. 8.)
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Nul.
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Il en est de même de nul, nulle, qui expriment une modification bien différente selon qu’ils sont placés avant ou après le substantif auquel ils se rapportent ; placés avant le substantif, ils expriment tous les |56 individus distributivement et dans un sens négatif, comme aucun, aucune (940). Nul n’est exempt de faiblesses. Nulle circonstance ne peut nous autoriser à haïr nos semblables.
Nul animal, nul être, aucune créature Qui n’ait son opposé : c’est la loi de nature. (La Font., liv. 12, fab. 8.)
Après le substantif, cet adjectif exprime une idée de non valeur, de néant. Ce contrat est nul. Ses torts sont nuls. Toutes vos chicanes sont nulles.
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Quel.
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Quel, quelle modifient le substantif qu’ils précédent par l’idée d’une qualité vague et indéterminée. Ces adjectifs sont employés dans les phrases interrogatives, qui ont pour but de mieux reconnaître cette qualité indéterminée. Quelles erreurs avez-vous découvertes dans ce calcul ? Quelle croyez-vous que soit son opinion ?
N’ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueurs : Quelle l’eut-on trouvée au fort de ses faveurs ? (La Font., liv. 12, fab. 27.)
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Quelconque.
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Dans les propositions négatives, quelconque est à peu près synonyme de nul, ou d’aucun.
|57 Il n’y a pas de motif quelconque qui puisse nous autoriser à négliger nos devoirs. Le vrai sens de quelconque est quel qu’il soit : il peut être remplacé par nul, ou par aucun dans les propositions négatives, parce que la négation y est déjà, indépendamment de l’idée exprimée par le mot quelconque.
Dans les propositions positives, l’adjectif quelconque ne peut pas être remplacé par nul, ni par aucun, parce qu’il n’emporte pas avec soi la valeur d’une négation, et qu’il signifie simplement quel qu’il soit. Les bruits quelconques sont toujours avidement reçus et répétés par les oisifs.
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Tel.
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Tel, telle, expriment tantôt un rapport d’indication, et tantôt un rapport de comparaison. Tel individu croit ne mériter que des éloges, qui est généralement blâmé ; voilà un rapport indicatif. Sa prudence est telle que je l’avais prévue ; voilà un rapport de comparaison.
Telle est la montre qui chemine A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein. Ouvrez-la, lisez dans son sein ; Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde, La première y meut la seconde, Une troisième suit ; elle sonne à la fin. Au dire de nos gens, la bête est toute telle. (La Font., liv. 10, f. 1.)
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Adjectifs pris substantivement.
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|58 941. Tout, ainsi que nous l’avons vu, est tantôt substantif, comme dans ce vers :
Tout doit, dans notre cœur, céder à l’équité.
tantôt adjectif numéral (938). De même ce est tantôt substantif et tantôt adjectif, selon les circonstances (909 3.o, 940).
Dans ces propositions : un homme colère est dangereux ; une ruse politique retombe souvent sur son auteur ; une conduite sacrilège est inexcusable, les mots colère, politique, sacrilège sont des adjectifs, puisqu’ils modifient respectivement les substantifs homme, ruse, conduite. Ces mêmes mots sont substantifs dans la proposition suivante : la colère et une fausse politique peuvent conduire à commettre un sacrilège, puisque chacun de ces mots est le nom d’un être ; d’une substance abstraite.
Dans ces vers de Boileau :
Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable ; Il doit régner partout, et même dans la fable. (Art poët.)
Le mot vrai est un substantif abstrait ; tandis que le même mot est adjectif dans un événement vrai, un fait vrai, un rapport vrai.
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Remarque sur la classification des mots.
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|59 942. Il ne faut donc pas classer les mots individuellement d’une manière absolue, de sorte que nous les considérions toujours comme adjectifs, ou comme substantifs, lorsque nous les aurons reconnus tels dans une ou dans plusieurs circonstances ; il faut, dans chaque phrase que nous analysons, classer les mots conformément au rôle qu’ils y jouent, aux fonctions qu’ils y remplissent et à l’espèce d’idée dont ils sont le signe dans cette phrase. Les mots, n’étant que les signes des idées, ne peuvent et ne doivent être classés que comme les idées, et conséquemment si le même mot exprime une idée de substance, ou réelle, ou intellectuelle, dans un cas, et une idée de modification dans un autre ; là il est substantif, puisqu’il est nom de substance ; et ici il est modificatif, puisqu’il est nom de modification.
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Adjectifs devenus substantifs par ellipse.
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943. Observons encore que bien des adjectifs sont devenus substantifs par ellipse. Toutes les langues ont une tendance naturelle à l’ellipse, parce que toutes elles tendent à exprimer la pensée aussi rapidement qu’il est possible, sans nuire cependant à la clarté et à l’intégrité de cette expression (751) : de là vient que, dans les phrases souvent |60 répétées, on ne conserve que l’adjectif, on supprime le substantif, et que, par cette suppression, l’adjectif devient un vrai substantif, susceptible de modification comme tout autre.
La mort ne surprend point le sage, Il est toujours prêt à partir. S’étant su lui-même avertir Du temps où l’on se doit résoudre à ce passage. Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps. (La Font., liv. 8, fab. 1.)
Ainsi nous disons une brune, une blonde pour une beauté, ou une fille, ou une femme brune, ou blonde ; et les mots brune et blonde, adjectifs lorsqu’ils sont réunis à l’un de ces substantifs, sont des substantifs eux-mêmes, susceptibles de modification : la brune est plus piquante que la blonde.
Nous disons le mâle, la femelle, les petits ; ces trois mots sont là substantifs : ils sont adjectifs dans un oiseau mâle, le corbeau femelle, ils sont très-petits. Il est probable qu’on disait originairement l’individu mâle, l’individu femelle de telle espèce, le substantif a disparu pour abréger ces locutions, parce que cette suppression ne nuit point à la clarté ; et ces adjectifs sont devenus substantifs par ellipse.
|61 Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile, Et le beau souvent nous détruit. (La Font., liv. 6, fab. 9.)
Probablement on disait autrefois la force armée, ou la troupe armée ; on ne dit plus que l’armée ; et le mot armée, participe adjectif, est devenu substantif.
Nos mots substantif, adjectif, que nous répétons si souvent dans ce traité, sont dans la classe des adjectifs, lorsque nous disons un nom substantif, ou nom adjectif, et si l’ellipse supprime le mot nom, ces mêmes mots appartiennent à la classe des substantifs : un substantif abstrait, un adjectif métaphysique.
Les Algébristes ont trouvé long et traînant de dire les quantités données, la quantité inconnue, la lettre éliminée, les lignes coordonnées, la ligne courbe, l’équation proposée, l’équation transformée, la courbe développée, etc., etc. Ils disent par ellipse, les données, l’inconnue, l’éliminée, les coordonnées, la courbe, la proposée, la transformée, la développée ; et voilà autant d’adjectifs devenus substantifs.
Avec un peu d’attention, on se convaincra facilement qu’il en est de même dans toutes les sciences, dans tous les arts, dans tous |62 les discours ; que partout le besoin d’énoncer sa pensée aussi rapidement qu’il est possible fait recourir à l’ellipse, toutes les fois que la construction elliptique ne nuit pas à la clarté de l’expression de la pensée ; et que par là bien des adjectifs deviennent substantifs. La nature ne demande que le nécessaire, la raison veut l’utile, l’amour-propre recherche l’agréable, et la passion exige le superflu (Salvin).
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Genres des adjectifs.
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944. Puisque les adjectifs expriment chacun une des modifications du substantif qu’ils accompagnent, ils doivent, ainsi que les substantifs, avoir les deux genres.
1.o Tous ceux qui sont terminés par un e muet s’écrivent et se prononcent au féminin exactement comme au masculin. Un garçon sage, une fille sage ; un brugnon insipide, une pêche insipide ; un événement désagréable, une aventure désagréable.
2.o Pour trouver la terminaison féminine des adjectifs qui ne sont pas terminés par un e muet, il faut écrire un e muet à la fin : vrai, vraie ; fini, finie ; décidé, décidée ; ardent, ardente ; niais, niaise, etc., etc.
Il faut excepter de cette seconde règle,
1.o Les adjectifs gros, gras, épais, sot, nul, net, etc., qui ne se contentent pas de prendre |63 l’e muet à la fin, pour former le féminin, mais qui, outre cela, redoublent la consonne finale : gros-se, gras-se, épais-se, sot-te, nul-le, net-te, etc.
2.o Les adjectifs beau, nouveau, fou, mou, dont les féminins sont belle, nouvelle, folle, molle. Autrefois on disait au masculin bel, nouvel, fol, mol ; l’on emploie encore ces terminaisons masculines devant les substantifs qui commencent par une voyelle ou par un h muet, et l’on dit par euphonie, un bel enfant, le nouvel an, un fol amour, pour éviter l’hiatus désagréable de beau enfant, nouveau an, fou amour.
On dit aussi vieil, ou vieux ; le vieil homme, un vieux renard : le féminin est vieille.
3.o Les adjectifs bref, naïf, rétif, soporatif, dormitif, exclusif, natif, palliatif, etc., font au féminin brève, naïve, etc. C’est encore l’effet de l’euphonie : breffe, naïffe, etc., seraient trop durs dans la prononciation.
4.o Les adjectifs public, caduc, turc, etc., ont pour terminaison féminine publique, caduque, turque, etc. : ainsi le c final conserve le son fort qu’il a au masculin, et ce son fort ne peut être représenté, dans |64 notre orthographe, que par la syllabe que, puisque la syllabe ce aurait un son bien différent.
Sec, qui a la même finale, fait au féminin sèche, et non pas sece, ni seque.
5.o La terminaison féminine des adjectifs bénin, malin, est bénigne, maligne.
6.o Les adjectifs terminés en eur ont la terminaison féminine en euse : dormeur, dormeuse ; trompeur, trompeuse ; boudeur, boudeuse, etc. ; néanmoins le féminin de pécheur est pécheresse ; celui de directeur, directrice ; celui d’acteur, actrice ; celui de tuteur, tutrice ; celui d’Empereur, Impératrice... ; auteur se dit également d’un homme et d’une femme.
7.o Ceux qui sont terminés au masculin en x ont aussi le féminin en se : jaloux, jalouse ; périlleux, périlleuse ; dangereux, dangereuse (a) [16] ; savoureux, savoureuse, etc. ; cependant les féminins de doux, roux, sont douce, rousse.
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Nombres des adjectifs.
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945. Par la même raison que la plupart des adjectifs ont des terminaisons différentes |65 pour les deux genres, ils doivent en avoir aussi pour les deux nombres, afin qu’ils varient dans le matériel selon qu’ils expriment la modification d’un seul individu, ou de plusieurs de la même espèce.
Le pluriel des adjectifs se forme d’après les mêmes règles que nous avons établies pour la formation du pluriel des substantifs (915, 917).
Certains adjectifs terminés en al n’ont point de pluriel masculin ; tels que frugal, paschal, pastoral, etc., etc.
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Place des adjectifs. |
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946. On ne peut guère établir de règle générale sur la place que l’adjectif doit avoir relativement au substantif auquel il se rapporte : quelques-uns se placent toujours avant, grand parleur, petit étourdi, brave héros, jeune soldat ; d’autres se placent toujours après le substantif, comme quelconque (940), et les suivans : plaisirs imaginaires, langage obscur, table ronde, etc.
On peut dire, en général, que les adjectifs physiques, qui expriment la forme ou la couleur des objets, se placent ordinairement après les substantifs ; ainsi l’on dit table ronde, et non pas ronde table ; étoffe bleue, et non pas bleue étoffe ; drapeau tricolore, et non pas tricolore drapeau ; bonnet |66 blanc, et non pas blanc bonnet, malgré l’autorité du proverbe.
Nous disons ordinairement, parce que les adjectifs qui expriment une qualité, non pas adventice, mais inhérente au sujet, essentielle au sujet, peuvent se placer avant le substantif ; ainsi l’on dit : le noir corbeau, la verte prairie, la verte feuillée, etc.
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Significations différentes selon que l’adjectif est placé avant ou après le substantif.
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947. Quelques adjectifs, réunis à des substantifs, ont une signification bien différente selon qu’ils sont placés avant ou après le substantif dont ils expriment une modification.
Une sage-femme est une accoucheuse ; une femme sage est celle dont la conduite est conforme aux lois de la pudeur et à ses devoirs.
Un rouge-bord est un verre de vin (par figure) ; un bord rouge n’est qu’une bordure rouge mise à quelque chose.
Un pauvre homme est un homme sans mérite, sans talens, sans caractère ; un homme pauvre est un homme sans fortune. Souvent un riche est un pauvre homme.
Un galant homme est un homme loyal, bienfaisant, capable de bons procédés ; un homme galant est celui qui est assidu à faire sa cour aux dames. Un homme galant n’est|67 pas toujours un galant homme. On ne dit pas une galante femme ; une femme galante est toujours prise en mauvaise part.
Un honnête homme a des mœurs, de la probité, tient à sa parole ; un homme honnête a des manières polies et de la courtoisie. Celui-ci a des dehors prévenans, agréables, qui séduisent ; celui-là a les qualités essentielles qui font la sûreté du commerce entre les hommes, il ne manque jamais à la justice.
Un grand homme est supérieur aux autres par ses vertus, par son génie, par ses talens ; un homme grand n’est supérieur que par sa taille. Le grand Alexandre n’était pas un homme grand. Néanmoins l’adjectif grand, placé avant le substantif homme, signifie aussi exclusivement un rapport de grandeur physique lorsqu’un autre adjectif vient après le mot homme : ainsi l’on dit : c’est un grand homme brun..., à cheveux roux..., à mine patibulaire.
Un vilain homme est un homme difforme, laid, dégoûtant ; un homme vilain est un avare, un égoïste. Il n’est pas rare qu’un bel homme soit un homme vilain.
Un plaisant homme est un original, qui a des allures, des manières, des idées qui ne |68 sont pas communes ; un homme plaisant aime à badiner, à plaisanter et réussit à faire rire.
Un brave homme a de la douceur, de la bonté ; un homme brave a du courage. On dit par ellipse, un brave, comme on dit un plaisant ; et alors ces deux mots sont des substantifs (943).
Une grosse femme a la taille épaisse et beaucoup d’embonpoint ; une femme grosse est enceinte. Les médecins disent qu’une grosse femme devient difficilement femme grosse.
Un triste discours est sans mérite ; un discours triste porte l’empreinte de la tristesse, de la mélancolie.
Un furieux taureau est d’une grande taille ; un taureau furieux est emporté par la rage.
Un certain fait est un fait indéterminé ; un fait certain, est un fait avéré.
Voyez (940) d’autres exemples relatifs aux adjectifs même, nul. |
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DEGRÉS DE SIGNIFICATION DANS LES ADJECTIFS.
Da veniam scriptis quorum non gloria nobis Causa, sed utilitas officiumque fuit.(Ovid., lib. 3, epist. 9.)
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948. La modification qu’exprime un adjectif peut être dans un degré plus ou moins étendu, plus ou moins éminent : quoique la laine soit blanche, ainsi que le coton, celui-ci a plus de blancheur que celle-là, et si l’on exprimait la couleur de l’un et de l’autre par l’adjectif blanc, blanche, sans y rien ajouter, on n’exprimerait pas cette différence dans la vivacité de la couleur : il faut, pour la précision des idées et pour l’exactitude du langage, que chaque adjectif puisse, par des moyens quelconques, rendre ces nuances différentes.
Si je dis, par exemple, la rose est belle, j’affirme seulement que la beauté convient à la rose, sans exprimer quel est ce degré de beauté, et sans la comparer à celle d’aucune autre fleur. Mais si je dis ; la rose est plus belle que l’anémone, j’affirme non-seulement que la rose a de la beauté, comme dans la proposition précédente, mais encore qu’elle en a plus que l’anémone : il y a ici le résultat d’une comparaison ; c’est un degré d[e] |70 plus. Lorsque je dis, la rose est très-belle, je lui donne un degré encore plus éminent de beauté. Enfin, en disant : la rose est la plus belle de toutes les fleurs, je lui suppose le degré le plus éminent de beauté, puisque j’affirme que la sienne est supérieure à celle de toutes les autres fleurs.
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Adjectifs français qui ont un vrai comparatif et un superlatif.
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949. Voilà donc des nuances ou des degrés bien distincts dans la signification de l’adjectif beau, belle ; et il est facile de voir que chaque adjectif peut avoir les mêmes nuances dans la modification particulière qu’il exprime. Ce sont des différens degrés de signification de chaque adjectif, qu’on nomme positif, comparatif et superlatif.
Dans plusieurs langues, ces trois degrés sont distingués dans le matériel même de l’adjectif par une différence dans la forme ; ce qui est incontestablement un avantage ; dans la nôtre, on vient de voir que l’adjectif belle est invariablement le même dans chacune des quatre propositions ci-dessus, et qu’il n’exprime différens degrés de beauté qu’avec le secours des mots accessoires plus, très, la plus. Nous n’avons qu’un très-petit nombre d’adjectifs qui aient une terminaison différente, ou plutôt une forme tout à fait différente, selon le degré de signification que |71 l’on veut exprimer. Tels sont : bon, meilleur, excellent ou le meilleur, petit, moindre ou plus petit, très-petit, mauvais, pire ou plus mauvais, le pire ou le plus mauvais, très-mauvais. L’application constante à l’étude est la meilleure des méthodes pour échapper à l’ennui, et souvent au vice.
Il est bon de parler et meilleur de se taire ; Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés. (La Font., liv. 8, fab. 10.)
Cette fable contient plus d’un enseignement. Nous y voyons premièrement Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience, Sont, aux moindres objets, frappés d’étonnement ; Et puis, nous y pouvons apprendre Que tel est pris qui croyait prendre. (La Font., liv. 8, fab. 9.)
Notre condition jamais ne nous contente : La pire est toujours la présente. (La Font., liv. 6, fab. 11.)
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Positif.
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950. Un adjectif est au positif, lorsqu’il n’est employé que pour exprimer simplement une qualité, sans en déterminer l’étendue, et sans la comparer avec la même qualité dans une autre substance, comme quand on dit : la vertu est aimable.
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Comparatif.
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951. Mais si l’on compare une qualité d’une chose ou d’une personne, avec la même |72 qualité dans un autre sujet, l’adjectif qui exprime cette qualité est au comparatif, parce qu’il exprime le résultat d’une comparaison (948). Or il peut arriver que cette qualité comparée soit dans un moindre degré, dans l’un des deux sujets que dans l’autre, alors c’est un comparatif d’infériorité ; ou qu’elle soit égale dans les deux, et c’est un comparatif d’égalité ; ou qu’elle soit dans un degré plus éminent dans l’un des deux sujets que dans l’autre, et c’est un comparatif de supériorité.
Pour marquer un comparatif d’infériorité, on met l’adverbe moins avant l’adjectif, et la conjonction que après : la science est moins estimable que la vertu ; le Gave est moins profond que la Garonne.
Pour exprimer un comparatif d’égalité on place l’adverbe aussi avant l’adjectif, et la conjonction que après. La paresse est aussi condamnable que tout autre vice.
Celui-ci se croyait l’hyperbole permise. J’ai vu, dit-il, un chou plus grand qu’une maison. Et moi, dit l’autre, un pot aussi grand qu’une église. Le premier se moquant, l’autre reprit : tout doux ; On le fit pour cuire vos choux. (La Font., liv. 9, fab. 1.)
On exprime aussi un comparatif d’égalité |73 par le moyen de l’adjectif même. Il a la même franchise, la même candeur qu’un enfant bien né.
Si, au lieu de comparer la même qualité dans deux sujets différens, on compare deux qualités différentes du même sujet quant à leur intensité, on exprime le comparatif d’égalité en mettant autant que entre les deux adjectifs qui expriment les deux qualités comparées. Hoche, brave autant qu’humain, réussit à pacifier la Vendée. On pourrait dire aussi : Hoche, aussi brave qu’humain.
Pour exprimer un comparatif de supériorité, il faut mettre l’adverbe plus avant l’adjectif, et la conjonction que après. La vertu est plus estimable que la science.
Qui t’a dit qu’une forme est plus belle qu’une autre ? Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ? (La Font., liv. 12, fab. 1.)
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Superlatif.
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952. Lorsque la qualité dont on parle est dans un degré éminent, l’adjectif qui la désigne est au superlatif. Quelquefois on exprime ce degré éminent sans aucun rapport aux autres sujets qui peuvent avoir la même qualité, comme quand on dit : la rose est très-belle ; alors c’est un superlatif absolu, |74 parce qu’on énonce d’une manière absolue une qualité dans un degré éminent, mais sans aucune relation, sans aucune comparaison avec les autres substances qui ont la même modification dans quelque degré que ce soit.
Je conclus de cette aventure, Qu’il ne faut pas tant d’art pour conserver ses jours : Et, grâce aux dons de la nature, La main est le plus sûr et le plus prompt secours. (La Font., liv. 10, fab. 16.)
Ces deux derniers superlatifs, le plus sûr, le plus prompt, ne sont pas comme le précédent : ils expriment, au moins implicitement, une comparaison entre le secours de la main, du travail, et tous les autres genres de secours, et prononcent que celui de la main est le plus sûr et le plus prompt de tous. C’est alors un superlatif relatif, parce qu’il indique une relation aux autres choses semblables.
Ainsi il y a une comparaison dans le superlatif relatif, comme dans le comparatif ; mais avec cette différence que dans celui-ci, on ne compare la qualité d’un sujet qu’avec la qualité d’un autre sujet de la même espèce : la rose est plus belle que l’anémone : |75 au lieu que, dans le superlatif relatif, on compare la modification d’un sujet avec la modification semblable de tous les sujets de la même espèce, et on affirme qu’elle est supérieure. La rose est la plus belle de toutes les fleurs.
Ne soyons pas si difficiles : Les plus accommodans, ce sont les plus habiles. On hasarde de perdre, en voulant trop gagner ; Gardez-vous de rien dédaigner, Surtout quand vous avez à peu près votre compte. (La Font., liv. 7, fab. 4.)
Ainsi, pour exprimer un superlatif absolu, il faut placer l’adverbe très avant l’adjectif ; et pour exprimer un superlatif relatif, il faut y mettre les mots le plus, ou la plus, le mieux, ou la mieux, selon le genre de la chose dont on parle.
La ruse la mieux ourdie Peut nuire à son inventeur ; Et souvent la perfidie Retourne sur son auteur. (La Font., liv. 4, fab. 11.)
On exprime aussi un superlatif absolu en plaçant l’adverbe fort avant l’adjectif :
Un mari fort amoureux, Fort amoureux de sa femme. (La Font., liv. 9, fab. 15.)
|76 et un superlatif relatif de cette autre manière :
Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami : Mieux vaudrait un sage ennemi. (La Font., liv. 8, fab. 10.)
car, si rien n’est aussi dangereux, la chose dont on parle est donc la plus dangereuse de toutes.
Racine et Molière ont mal à propos supprimé l’article les dans certains superlatifs relatifs :
Chargeant de mon débris les reliques plus chères. (Bajaz., act. 3, sc. 2.)
Mais je veux employer mes efforts plus puissans. (L’Étourdi, act. 5, sc. 12.)
Si vous leur dérobez leurs conquêtes plus belles. (La même, sec. 12.)
il faut les plus chères, les plus puissans, les plus belles.
Nos superlatifs illustrissime, révérendissime, sérénissime, éminentissime, ont conservé la formation latine : quant à rarissime, habilissime, etc., ils ne sont usités que dans le style familier.
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DE L’ACCORD OU CONCORDANCE ENTRE L’ADJECTIF ET LE SUBSTANTIF.
In dicendo vitium vel maximum esse à vulgari genere orationis, atque à consuetudine communi abhorrere. (Cicer., lib. 1, de Orator. n. 12.)
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Accord en genre et en nombre.
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953. Nous avons vu ailleurs (541) que les adjectifs doivent avoir, quant à leur matériel, un rapport particulier, une sorte de ressemblance avec les substantifs, afin de faire sentir, même par leur forme, qu’ils expriment les modifications de ces substantifs : c’est ce rapport de ressemblance qu’on appelle concordance. Le substantif exprime le sujet d’une proposition ; il présente, pour ainsi dire, à l’esprit le personnage principal du tableau ; les adjectifs et les autres modificatifs particuliers (931) nous en peignent la forme, la couleur, l’attitude et toutes les autres modifications que nous avons intérêt de faire envisager aux autres ; et le verbe en exprime ou l’action, ou l’état. Pour qu’il y ait une unité, une harmonie parfaite entre toutes les parties d’un même tableau, il faut que les adjectifs et que les autres modificatifs particuliers, par leurs inflexions relatives aux genres et aux |78 nombres, s’adaptent parfaitement au substantif avec lequel ils ne font qu’un, avec lequel ils n’expriment qu’une même substance diversement modifiée ; et que le verbe, par ses terminaisons variées selon les nombres et les personnes, indique qu’il n’y a que tel ou tel personnage qui agisse, ou qui soit dans telle situation (543). Voilà la cause de la concordance de l’adjectif avec le substantif, et du sujet avec le verbe.
L’adjectif doit donc prendre la terminaison qui convient au genre et au nombre du substantif qu’il modifie ; et le verbe, celle qui convient à la personne et au nombre du sujet. C’est pour obéir à cette loi, fondée en raison, que la plupart des adjectifs ont des inflexions différentes pour les deux genres et pour les deux nombres (944, 945).
Que ne sait point ourdir une langue traitresse Par sa pernicieuse adresse ? Des malheurs qui sont sortis De la boîte de Pandore, Celui qu’à meilleur droit tout l’univers abhorre, C’est la fourbe à mon avis. (La Font., liv. 3, fab. 6.)
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Accord d’un adjectif avec deux substantifs différens.
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954. Lorsqu’un même adjectif se rapporte à deux substantifs au singulier, on doit le |79 mettre au pluriel, parce qu’il est commun ou à deux personnes, ou à deux choses, et que deux individus font un pluriel (9,3 [sic]) : voilà pour le nombre. Quant au genre, si les deux substantifs sont du même genre, soit masculin, soit féminin, l’adjectif prend la terminaison qui convient au genre commun : l’égoïsme et le libertinage sont également ennemis du bonheur et méprisés par tout le monde.
L’humanité et la bienfaisance sont généralement estimées.
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Adjectifs se rapportant à deux substantifs de différent genre.
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955. Si l’un des substantifs est masculin singulier, et l’autre féminin singulier, l’adjectif qui s’y rapporte est toujours mis au pluriel et au masculin, parce que, ne pouvant pas s’accorder en genre (953) avec les deux substantifs à la fois, il doit prendre naturellement la terminaison qui convient au genre masculin, non pas parce que ce genre est le plus noble, comme le disent certains grammairiens, mais parce que la forme du masculin a été probablement la forme primitive de tout adjectif, et qu’il est plus naturel d’adopter cette forme de préférence dans tous les cas semblables à celui dont il s’agit. Ainsi l’on dit : l’ambition et le |80 repos sont tout à fait opposés, et non pas opposées.
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Exception.
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956. Cependant lorsque l’adjectif est précédé immédiatement de deux ou de plusieurs substantifs de différens genres, qui désignent des choses et non pas des personnes, il prend la terminaison qui convient au genre et au nombre du dernier substantif seulement. On doit donc dire : la plupart n’ont qu’une politesse et une cordialité affectée, et non pas affectées ; j’avais les pieds et la tête nue, et non pas nus ; Robespierre s’était acquis un pouvoir et une autorité absolue ; ou, Robespierre s’était acquis une autorité et un pouvoir absolu.
On dirait, au contraire : leur politesse et leur cordialité sont affectées ; mes pieds et ma tête sont nus ; le pouvoir et l’autorité de Robespierre étaient absolus. Dans ces dernières propositions l’adjectif ne suit pas immédiatement les substantifs ; il en est séparé par les verbes sont et étaient ; de là la différence dans la forme de l’adjectif.
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REMARQUES SUR QUELQUES ADJECTIFS ET SUBSTANTIFS.
...... Populumque falsis Dedocet uti Vocibus............ (Horat., lib. 2, od. 2.)
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Chacun.
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957. Il leur a dit à chacun leur fait, et il a dit à chacun son fait, n’ont pas exactement le même sens. Dans la première proposition, leur a un sens collectif, de manière que le fait dont il est question paraît être commun à tous ceux à qui l’on parle ; c’est le même fait pour tous ; c’est le leur. Dans la seconde, au contraire, son a un sens individuel, un sens distributif, en sorte que le fait dont il s’agit peut être particulier à chacun, c’est le sien propre.
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L’un, l’autre.
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958. L’un, l’autre ont une signification différente, selon qu’ils sont, ou qu’ils ne sont pas unis par la conjonction et ou par la préposition à.
Ils se détruisent l’un et l’autre signifie que chacun se détruit de son côté, sans indiquer que l’un est la cause de la destruction de l’autre.
Le feu et l’eau se détruisent l’un l’autre signifie que chacun des deux détruit l’autre ; |82 ils sont cause réciproque de leur destruction mutuelle.
En ce monde, il se faut l’un l’autre secourir. Si ton voisin vient à mourir, C’est sur toi que le fardeau tombe. (La Font., liv. 6, fab. 16.)
Les cerfs de Norwège traversent, dit-on, des bras de mer à la nage, en appuyant leurs têtes sur la croupe les uns des autres ; et non pas des uns, des autres, ni les uns, les autres.
Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau, Toujours divers, toujours nouveau ; Tenez-vous lieu de tout ; comptez pour rien le reste. (La Font., liv. 9, fab. 2.)
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous : Ne vous êtes-vous pas l’un à l’autre des loups. (La Font., liv. 12, fab. 1.)
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Quelque.
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959. L’adjectif quelque (938), ainsi que tous les autres, s’accorde en genre et en nombre avec le substantif. Quelques richesses que l’on ait, de quelques avantages que l’on jouisse, on n’est jamais heureux si l’on ne sait pas réprimer ses passions.
Mais ce mot est adverbe lorsqu’il est suivi immédiatement d’un adjectif, et alors il est invariable, soit que cet adjectif soit |83 au singulier, soit qu’il soit au pluriel. Quelque riches que nous soyons, que sommes-nous si nous manquons de vertus ? et non pas quelques : quelques riches signifie quelques-uns d’entre les riches : quelque riches veut dire : pour si riches que nous soyons.
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Quel, que.
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960. Il ne faut pas confondre l’adjectif quelque, dont nous venons de parler (959), toujours médiatement suivi de la conjonction que (quelques richesses que, etc.), avec l’adjectif quel, quelle, toujours immédiatement suivi de la même conjonction.
Quelles que soient nos richesses, quelle que soit notre habileté, que sommes-nous ! etc. En pareil cas, il ne faut jamais dire telles que soient nos richesses, telle que soit notre habileté, etc. Cette faute, quoiqu’extrêmement commune, n’est pas moins une faute grave, que l’on doit éviter avec soin.
Quel que soit le plaisir que cause la vengeance, C’est l’acheter trop cher que l’acheter d’un bien Sans qui les autres ne sont rien. (La Font., liv. 4, fab. 13.)
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Leur.
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961. Lorsque leur est adjectif possessif (937), on l’écrit par un s à la fin (leurs), |84 si le substantif auquel il se rapporte est au pluriel ; est lorsqu’il est substantif personnel (906), il s’écrit invariablement (leur). On doit leur savoir bon gré d’avoir fait leurs efforts pour garantir leur pays d’une invasion. Le premier leur est un substantif personnel (pour à eux) ; le second et le troisième sont des adjectifs possessifs (pour, les efforts propres d’eux, le pays d’eux).
Il leur (à eux) apprit, à leurs (d’eux) dépens, Que l’on ne doit jamais avoir de confiance En ceux qui sont mangeurs de gens. (La Font., liv. 10, fab. 4.)
Deux démons, à leur gré, partagent notre vie, Et de son patrimoine ont chassé la raison. Je ne vois pas de cœur qui ne leur sacrifie. Si vous me demandez leur état et leur nom, J’appelle l’un amour, et l’autre ambition. (La Font., liv. 10, fab. 10.)
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Mon épée, mon âme, etc. solécismes, par euphonie.
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962. Au lieu de dire ma opinion, ta amitié, sa épée, etc. ; ainsi que l’exige la règle de la concordance de l’adjectif avec le substantif (953), nous faisons des solécismes, par euphonie (380), et nous disons : mon opinion, ton amitié, son épée, etc. Ce sont des idiotismes irréguliers (794).
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Remarque sur l’emploi des adjectifs possessifs.
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963. Il faut dire : cette maison est agréable, j’en admire la position, l’architecture, les |85 dehors ; et non pas j’admire sa position, son architecture, etc.
Je me suis promené alentour, et non pas dans ses entours.
Voilà un bel arbre, les fruits en sont excellens ; et non pas ses fruits sont excellens.
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Règle générale.
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A cet égard, on peut établir pour règle générale que, lorsqu’il s’agit de personnes, ou de choses personnifiées, il faut employer toujours l’adjectif possessif son, sa, ses, leur, leurs ; et que, lorsqu’il s’agit des choses inanimées, et qui ne sont pas personnifiées, il faut se servir de en, toutes les fois que cela est possible. La raison en est, ce semble, que les adjectifs possessifs son, sa, etc. ; exprimant une possession personnelle, un rapport de propriété, ne peuvent être employés que pour les individus susceptibles de propriété, tels que les personnes ou les choses personnifiées. Ainsi, en parlant d’une femme, il faut dire sa tête est belle ; et, en parlant d’une statue, ou d’un tableau, la tête en est belle. On dit d’un père : ses enfans sont aimables ; et, en parlant d’une ville, les habitans en sont actifs, industrieux.
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Exception.
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964. Mais si l’on ne peut pas employer le mot en, lorsqu’il est question de choses |86 inanimées et non perfectionnées, soit parce que le discours en deviendrait obscur, soit pour toute autre cause, il faut se servir des adjectifs possessifs son, sa, etc., et l’usage y autorise. Ainsi quoiqu’on dise, en parlant du Gave : le lit n’en est pas profond ; on peut dire : il sort souvent de son lit ; il a sa source à la cataracte de Gavarnie ; parce que, dans ces dernières phrases, il est impossible d’employer le mot en.
De même, quoique l’on dise de quelques arbres : les fruits en sont excellens ; on est obligé de dire : ils portent leurs fruits chacun dans sa saison. Enfin, quoique l’on dise : si la ville a ses agrémens, la campagne a aussi les siens ; on doit dire, en changeant la construction : les agrémens en sont préférables à ceux de la ville ; et non pas : ses agrémens sont, etc.
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Il fut un de ceux qui fit ou qui firent.
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965. Doit-on dire : il fut un de ceux qui contribua, ou qui contribuèrent le plus au gain de la bataille ? L’usage a adopté la seconde manière, et avec raison : car le sens est le même que si l’on disait : il fut au nombre de ceux qui contribuèrent, etc. On doit dire aussi : le bon emploi du temps est une des choses qui contribuent le plus à |87 notre bonheur, c’est-à-dire, est une chose parmi celles qui contribuent, etc.
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Vingt-un, vingt et un, etc.
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966. On écrit et l’on prononce indifféremment vingt-un, ou vingt-et-un ; trente-un ou trente-et-un, et ainsi de suite jusqu’à quatre-vingt-un exclusivement ; car on ne dit jamais quatre-vingt-et-un.
On ne met jamais la conjonction et dans les nombres vingt-deux, vingt-trois, etc. ; trente-quatre, quarante-cinq, etc. ; et ce serait une faute de dire : vingt-et-deux, vingt-et-sept, trente-et-quatre, etc.
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Cent, vingt.
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967. Cent, lorsqu’il est question de plusieurs centaines, et vingt dans quatre-vingt, se terminent par un s lorsqu’ils sont immédiatement suivis d’un substantif ; ainsi l’on dit : douze cents hommes, quatre-vingts arbres, quatre-vingts abricots. Mais si cent et quatre-vingt sont immédiatement suivis d’un autre nombre, ils ne prennent jamais d’s à la fin, et l’on doit dire et écrire : trois cent soixante soldats, quatre-vingt-quinze gendarmes, et non pas trois cents soixante, quatre-vingts-quinze.
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Millésime.
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968. Pour exprimer la date des années, ou le millésime, on écrit toujours mil, et non pas mille. L’an mil huit cent.
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Mille.
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969. Mille, tant qu’il est adjectif, modi- |88 fiant les objets sous le rapport d’une précision numérique (938), est invariable et ne s’écrit jamais par un s ; deux mille, vingt mille, cent mille, etc.
La discorde a toujours régné dans l’univers : Notre monde en fournit mille exemples divers. (La Font., liv. 12, fab. 8.)
Lorsque mille est un substantif, exprimant une mesure itinéraire, il est susceptible des deux nombres (912, 913), et s’écrit par un s à la fin lorsque l’expression de la pensée l’exige. Sa campagne est située à trois milles à l’est de Pau ; il a fait une course à deux milles au-delà de Tarbes.
Il faut donc se garder de dire : faites-lui milles amitiés de ma part : elle lui a fait milles aveux : ces phrases sont aussi absurdes que si l’on disait : faites-lui lieues amitiés de ma part ; elle lui a fait myriamètres aveux.
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Demi.
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970. Lorsque le mot demi est immédiatement suivi d’un substantif, il s’écrit sans e muet à la fin : une demi-douzaine de pêches, une demi-heure, une demi-livre, etc. Mais, lorsqu’il est placé après un substantif, on écrit et l’on prononce demie : une douzaine et demie, une heure et demie, etc.
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Substantif collectif.
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|89 971. Si un substantif collectif est suivi d’un autre substantif au singulier, les verbes et les adjectifs qui le suivent se mettent aussi au singulier. La plupart du monde se laisse aisément prévenir : une multitude innombrable de peuple se rendit à l’assemblée.
Si le substantif qui suit est au pluriel, le verbe et l’adjectif suivant se mettent au pluriel. La plupart des gens se laissent aisément prévenir.
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La plupart.
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972. Lorsque la plupart est seul, on met après lui le pluriel. La plupart prétendent ; la plupart sont d’avis.
Quelquefois, au lieu de dire la plupart des hommes, on dit : les hommes, pour la plupart.
Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre ; Leur apparence impose au vulgaire idolâtre. (La Font., liv. 4, fab. 14.)
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Qui.
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973. Le substantif qui (908 9.o) ne s’emploie que pour des personnes, jamais pour des choses : il ne faut pas dire : qui sont les fruits que vous mangez ? mais quels sont les, etc. De même, il faut dire : qui sont ces hommes qui passent ; et non pas quels sont, etc. Qui est plus relatif à l’individualité ; quel, se rapporte à l’espèce : ainsi |90 quand on dit : qui sont ces personnes ? on connaît l’espèce, et l’on demande à connaître les individus ; et quand on dit : quels sont les fruits ? c’est l’espèce qu’on cherche à connaître et non pas les individus ; voilà pourquoi qui s’emploie dans le premier cas, et quels dans le second. Lorsqu’on dit de quelqu’un : quel homme est-ce ? ce n’est pas son nom qu’on demande à connaître, mais son caractère, ses mœurs, etc.
Qui a aussi des cas, (dont, que), comme les substantifs personnels (427, 907).
Celui qui met un frein à la fureur des flots Sait aussi des méchans arrêter les complots. (Rac., Athal.)
Et les difficultés dont on est combattu Sont les dames d’atour qui parent la vertu. (Molière, l’Étourdi, act. 5, sc. 11.)
Celui-ci, non moins téméraire, Avec un fer pointu qu’il dresse sur son toit, Va dans la main des dieux, éteindre le tonnerre. (Aub., liv. 5, fab. 13.)
Il ne se faut jamais moquer des misérables : Car, qui peut s’assurer d’être toujours heureux ? (La Font., liv. 5, fab. 17.)
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ARTICLE II.
Noster sermo articulos..... habet. (Quintil. lib. 1.)
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974. Nos articles le, la, les, n’ont aucune signification par eux-mêmes ; leur unique usage est, en s’identifiant avec les mots devant lesquels on les place, de donner à ceux-ci une acception particulière, et de marquer le mouvement de l’esprit vers l’objet particulier de son idée (470).
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Utilité des articles.
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975. Tous les substantifs, excepté les noms propres, sont des noms de classes, de genres ou d’espèces (412). Pour pouvoir approprier le nom d’une classe à un genre inférieur, ou celui d’un genre à une espèce particulière, ou enfin celui d’une espèce particulière à un individu, on a besoin de l’accompagner de quelques modificatifs qui déterminent ce nom commun à n’exprimer que précisément ce que l’on a en vue (419). Les articles sont au nombre des modificatifs nécessaires pour produire cet effet ; mais ils ne suffisent pas tout seuls. Dans la proposition : l’homme est mortel, l’homme (pour le homme) désigne l’espèce ; c’est une proposition universelle. Dans celle-ci : l’homme |92 est noir, l’homme ne désigne que les individus de l’espèce qui habitent une partie des côtes occidentales de l’Afrique ; c’est une espèce comprise dans la précédente, inférieure à la précédente, et la proposition est une proposition particulière. Enfin, dans cette autre : l’homme que j’ai vu ce matin, l’homme indique un individu ; c’est une proposition individuelle. Dans ces trois propositions l’article est le même (le), le substantif, le sujet est aussi le même (homme) : donc, si la première est universelle et convient à toute l’espèce ; la seconde, particulière et applicable seulement à une partie de cette espèce ; et la troisième, singulière et propre à un seul individu, ce n’est pas par l’influence de l’article seul, puisqu’il est le même dans les trois cas, mais bien par l’effet combiné de l’article et des autres modificatifs de la phrase. L’article se borne donc à marquer le mouvement de l’esprit vers tel objet, et à fixer l’attention des autres sur cet objet. Il marque l’importance du mot qui va le suivre (476).
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L’article substantifie les verbes et les adjectifs.
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976. Aussi n’y a-t-il que les substantifs, c’est-à-dire, les seuls mots qui puissent être sujets d’une proposition, qui soient précédés de l’article : et si les verbes et les adjectifs |93 prennent l’article, par cela seul ils changent de nature et deviennent de vrais substantifs. L’avare se refuse le boire et le manger. Voilà un adjectif et deux verbes devenus substantifs, et qui sont précédés de l’article. La discorde vint, dit La Fontaine, avec
Que-si-que-non, son frère, Avecque Tien-et-mien, son père. (La Font., liv. 6, fab. 20.)
Un rat des plus petits voyait un éléphant Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent De la bête de haut parage, Qui marchait à gros équipage. (La Font., liv. 8, fab. 15.)
On peut se convaincre facilement que cette observation s’applique à tous les adjectifs ou participes devenus substantifs par ellipse (940) : le beau, le bon, le vrai, le plaisant, etc. On dit aussi en termes de peinture le faire, et voilà un autre infinitif devenu substantif par l’apposition de l’article.
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Ne suffit pour appliquer le nom d’une espèce à un individu.
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977. L’article précède donc toujours les substantifs, et ne peut être appliqué aux adjectifs, aux verbes, aux participes, sans les rendre substantifs : néanmoins il ne suffit pas seul pour approprier le nom d’une classe à un genre, celui d’un genre à une espèce, |94 ni celui d’une espèce à un individu déterminé ; il ne fait qu’y concourir, et pour compléter cette détermination, on est forcé, comme [d]ans les sciences naturelles, d’ajouter au nom commun une phrase qui resserre en quelque sorte l’étendue de sa signification, et le borne à n’exprimer précisément que l’objet qu’on a en vue.
Dans la botanique, par exemple, on désigne le genre d’une plante en ajoutant au nom de la classe à laquelle ce genre appartient, la phrase qui exprime le caractère distinctif de ce genre ; on l’applique à l’espèce, en y ajoutant encore la phrase qui détermine le caractère propre de l’espèce ; et enfin à l’individu, par le moyen de la phrase qui exprime les caractères particuliers de l’individu (480). Il en est absolument de même dans tous les discours relatifs à un objet quelconque, et plus les phrases déterminatives, que l’on emploie, sont claires et appropriées au sujet, plus on s’énonce avec précision et avec justesse.
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Noms propres sans articles.
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978. D’après cette théorie, les noms propres, n’étant ni des noms de classe, ni des noms d’espèce, mais des noms individuels, n’ont besoin ni de l’article, ni de la phrase déterminative pour être appropriés à l’in- |95 dividu auquel ils appartiennent chacun respectivement ; ils le désignent exclusivement, ils lui sont propres et ne peuvent pas convenir à d’autres : aussi l’usage constant est-il de ne pas mettre d’article devant un nom propre.
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Première exception.
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979. Si l’on dit quelquefois la Dugazon, la Sainval, etc. ; il y a ellipse, et c’est comme si l’on disait : l’actrice, ou la comédienne Dugazon, etc. ; et si nous disons : le Tasse, l’Arioste, le Dante, le Corrège, etc., nous sous-entendons poëte ou peintre. Ces locutions sont imitées des Italiens.
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Deuxième exception.
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980. D’autres fois nous exprimons une qualité éminente, dans laquelle un individu a excellé, par le nom propre de cet individu : alors ce nom propre devient figurément nom d’espèce ; et, lorsqu’on veut l’appliquer à d’autres individus, on est forcé de le faire précéder par l’article et d’y ajouter la phrase déterminative. Ainsi nous disons : Washington a été le Fabius-Cunctator de son pays ; Fabius-Cunctator signifie ici cette espèce particulière de capitaines, qui, par leur prudence, par leur sage lenteur et malgré l’infériorité de leurs forces, ont su résister à un ennemi victorieux et puissant. Washington a été ce capitaine-là pour son |96 pays ; il a été le Fabius-Cunctator de son pays. Mirabeau a été le Démosthène de la France ; le Démosthène, c’est-à-dire l’orateur le plus véhément et le plus éloquent. Buffon est le Pline français, etc.
J’ai lu chez un conteur de fables, Qu’un second Rodilard, l’Alexandre des chats, L’Attila, le fléau des rats, Rendait ces derniers misérables. (La Font., liv. 3, fab. 18.)
Dans ces exemples et dans tous les autres semblables, les noms propres ne sont plus noms propres, ils sont noms d’espèce ; et voilà pourquoi l’article précède, et la phrase déterminative vient après : le Fabius-Cunctator de son pays ; le Démosthène de la France ; l’Alexandre des chats ; l’Attila des rats (482, 483, 484.) Ainsi ces exceptions confirment la règle, loin de la détruire.
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Élision.
Apostrophe.
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981. On supprime la lettre e dans l’article masculin le, et la lettre a dans l’article féminin la, devant les mots qui commencent par une voyelle, ou par un h muet : ainsi l’on dit : l’âme pour la âme, l’embonpoint pour le embonpoint, l’issue pour la issue, l’homme pour le homme, l’heure pour la heure, etc. Cette suppression d’une lettre |97 dans un mot (suppression qui a lieu aussi pour d’autres mots, outre les articles), s’appelle élision. Alors, à la place de la lettre supprimée, ou élidée, on met une apostrophe, c’est-à-dire une petite virgule (’) qui se met un peu au-dessus de la place que la lettre supprimée devrait occuper.
Cependant la voyelle e ne s’élide pas dans l’article masculin le, ni la voyelle a dans l’article féminin la, devant les noms de nombre onze, onzième, huit, huitième ; et l’on dit le onze ou le onzième du mois, la onzième semaine après la pentecôte ; le huit du mois.
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Articles réunis en un seul mot avec les prépositions de ou à.
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982. Les articles le ou les, précédés de la préposition de ou de la préposition à, se confondent avec chacune d’elles, pour ne former ensemble qu’un seul mot par contraction ; de manière qu’à la place des deux mots de le, on dit du ; à la place de à le, on met au ; pour de les, on met des ; et pour à les, on dit aux. Les devoirs du citoyen, pour de le citoyen ; favorable au peuple, pour à le peuple ; la bravoure des soldats, pour de les soldats ; soumis aux lois, pour à les lois.
On commença par dire d’abord del pour de le, al pour à le, dels pour de les, als pour à les, comme cela se pratique encore |98 dans le Languedoc ; et puis successivement on adopta la manière actuelle d’écrire et de prononcer ces mots composés.
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Suppression de l’article, lorsque l’adjectif précède le substantif.
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983. On supprime l’article, lorsque l’adjectif précède le substantif qu’il modifie. Il faut donc dire : de belles fleurs (et non pas des belles fleurs) font plaisir ; il y a d’anciens philosophes qui ont pensé, et non pas il y a des anciens, etc. ; de grands hommes ont cru et non pas des grands hommes, etc.
................. De pareilles erreurs Ne produisent jamais que d’illustres malheurs. (La Font., liv. 10, f. 10.)
Que j’ai toujours haï les pensers du vulgaire ! Qu’il me semble profane, injuste et téméraire ; Mettant de faux milieux entre la chose et lui, Et mesurant par soi ce qu’il voit en autrui ! (La Font., liv. 8, fab. 26.)
Si Boileau a dit, en parlant d’Alexandre,
Heureux ! si de son temps, pour de bonnes raisons, La Macédoine eût eu des petites-maisons !
c’est que petites n’est pas considéré ici comme adjectif, mais comme l’une des parties élémentaires du substantif composé petites-maisons, qui exprime une idée unique, une seule substance, comme si nous avions un seul mot simple pour désigner l’hôpital des fous. |99 Il n’est pas question effectivement des maisons qui sont petites : il s’agit d’une habitation qui a une destination particulière, et que l’on désigne par le mot composé petites-maisons. Aussi Boileau s’est bien gardé de dire pour des bonnes raisons, comme il a dit des petites-maisons.
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Exception.
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984. Néanmoins, quoique l’adjectif précède le substantif, on ne supprime pas l’article lorsque le substantif ainsi modifié est pris dans toute l’étendue de sa signification, c’est-à-dire, lorsque le sens permet d’y ajouter les mots tous ou toutes ; ainsi l’on doit dire : j’aime le parfum des belles fleurs, puisque le sens est de toutes les belles fleurs. Les opinions des anciens philosophes, c’est-à-dire, de tous les anciens philosophes ; les actions des grands hommes, comme qui dirait de tous les grands hommes.
Au lieu que, lorsque le substantif, modifié par l’adjectif qui le précède, n’est pas pris dans toute l’étendue de la signification, c’est-à-dire, lorsque le sens est le même que si l’on y ajoutait les mots quelques-uns ou quelques-unes d’entre, l’article doit toujours être supprimé. De belles fleurs parent mieux que des diamans, parce que le sens est quelques-unes d’entre les belles fleurs. Il |100 y a d’anciens philosophes qui ont pensé, c’est-à-dire, quelques-uns d’entre, etc.
L’article est nécessaire dans les premières propositions parce qu’elles sont universelles, et que l’attribut convient à tous les individus de l’espèce indiquée. J’aime le parfum des belles fleurs (pour de les belles fleurs) (982) ; c’est-à-dire, de tous les individus compris dans la classe désignée par les mots belles fleurs.
Dans les autres, au contraire, l’article est supprimé, parce que ce sont des propositions particulières, et que l’on ne parle que d’un nombre indéterminé d’individus de l’espèce, et non pas de tous. De belles fleurs parent mieux que des diamans ; c’est-à-dire, quelques-unes des fleurs comprises dans l’espèce des belles fleurs. Ici la préposition de a un sens extractif, et sépare de l’espèce entière un certain nombre d’individus pour en faire le sujet de la proposition de.
Nous croyons qu’en faisant bien attention à cette analyse, on pourra toujours reconnaître avec facilité dans quels cas on doit supprimer ou employer l’article à la suite de la préposition de.
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Suppression |101 de l’article devant le sujet ou devant le complément.
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985. La suppression de l’article devant |101 le sujet ou devant le complément direct d’un verbe donne quelquefois au style un air de vivacité et certain ton original qui plaît, sans que l’expression de la pensée en soit moins claire, ni moins précise. On peut s’en assurer dans les proverbes suivans : pauvreté n’est pas vice ; contentement passe richesse ; bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée, etc., et dans ces vers de La Fontaine :
Plus fait douceur que violence. (Liv. 6, fab. 3.)
Chien hargneux a toujours l’oreille déchirée. (Liv. 10, fab. 9.)
Fortune aveugle suit aveugle hardiesse. (Liv. 10, fab. 14.)
..... Si Dieu m’avait fait naître Propre à tirer marrons du feu, Certes marrons verraient beau jeu. (Liv. 9, fab. 17.)
Imprudence, babil, et sotte vanité, Et vaine curiosité Ont ensemble étroit parentage ; Ce sont enfans tous d’un lignage. (Liv. 10, fab. 3.)
Essayez de substituer les articles, et dites : la pauvreté n’est pas un vice ; le contentement passe la richesse, etc. ; et vous allez voir comment ce style si rapide va devenir traînant et languissant.
|102 On ne peut pas approuver de même ces vers de Pierre Corneille :
J’ai tendresse pour toi, j’ai passion pour elle. (Nicom., act. 4, sc. 3.)
A-t-elle montré joie ? etc. (Perthard, act. 2, sc. 4.)
C’est que l’auteur ne s’est pas contenté de supprimer l’article, il a encore supprimé la préposition de, qui est absolument indispensable pour la régularité de la construction. Il faut dire : de la tendresse, de la passion, de la joie.
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Le, la, les ne sont pas toujours articles.
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986. Les mots le, la, les, ne sont pas toujours articles dans notre langue ; ils ne le sont que lorsqu’ils sont immédiatement suivis d’un substantif. Par exemple, si l’on dit : que pensez-vous de la nouvelle pièce ?Je ne la connais pas. Que disent les papiers nouvelles ? Je les ai ou je ne les ai pas lus. Le premier la et le premier les sont articles ; ils sont suivis immédiatement d’un substantif. Le second la et les deux autres les ne sont point articles ; ils sont complément direct, celui-là du verbe je connais (je ne la connais pas, pour je ne connais pas elle, la pièce), et les deux autres du verbe j’ai lu (j’ai lu eux ou je n’ai pas lu eux, les papiers nouvelles.)
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Pronoms.
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|103 On appelle communément ces mots, ainsi que quelques-uns de ceux dont nous avons parlé aux n.os 937, 940, pronoms, parce qu’ils sont mis à la place d’un nom ; comme dans ces exemples, la pour elle est mis à la place de la nouvelle pièce, et les pour eux est mis à la place des papiers nouvelles ; ce qui dispense de répéter ces substantifs.
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Le, remplaçant des adjectifs, est invariable.
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987. Lorsque le est à la place d’un ou de plusieurs adjectifs, il demeure invariable, c’est-à-dire, qu’il ne change point de forme, quels que soient le genre et le nombre des adjectifs qu’il remplace. Fût-il jamais une créature plus malheureuse que je ne la suis ? le et non pas la. Elle était fière des vertus de son mari ; et elle le pouvait être. Si l’on demande à une femme : êtes-vous malade ? Elle doit répondre : je le suis, ou je ne le suis pas ; et non pas : je la suis. Êtes-vous bien fatigués, nous le sommes ou nous ne le sommes pas ; et non pas : nous les sommes.
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Le, remplaçant un substantif, en prend le genre et le nombre.
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988. Mais si le mot le est mis à la place d’un substantif, il doit prendre le genre et le nombre de ce substantif. Ainsi une femme à qui l’on demanderait : êtes-vous la malade que je suis venu voir ? doit répondre : je la suis, c’est-à-dire, je suis cette personne, la |104 même que vous cherchez. Êtes-vous la mariée ? je la suis, c’est-à-dire, je suis la personne mariée dont vous parlez. Au lieu que si l’on demandait : êtes-vous mariée ? il faudrait répondre : je le suis ou je ne le suis pas, et non pas la. Sont-ce là vos enfans ? oui, ce les sont, ou, mieux encore, ce sont eux. Etait-ce bien là votre pensée ? pouvez-vous douter que ce ne la fut ?
Marché fait, les oiseaux forgent une machine Pour transporter la pélerine. Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton. Serrez bien, dirent-ils, gardez de lâcher prise ! Puis chaque canard prend ce bâton par un bout. La tortue enlevée, on s’étonne partout De voir aller, en cette guise, L’animal lent et sa maison Justement au milieu de l’un et l’autre oison. Miracle ! criait-on : venez voir dans les nues Passer la reine des tortues. La reine ! vraiment, oui ; je la suis en effet. (La Font., liv. 10, fab. 3.)
De même, il faut dire : si le public a eu de l’indulgence pour moi, je le dois, etc. ; tandis qu’en construisant la phrase différemment, on dirait : l’indulgence que le public a eue pour moi, je la dois, etc. ; parce que, dans le premier cas, le mot le se rapporte à la phrase : le public a eu de l’indulgence, |105 et qu’une phrase n’ayant point de genre, le modificatif le, qui en réveille l’idée, doit être invariable : au lieu que, dans le second cas, le mot la se rapporte au substantif indulgence, dont il doit conséquemment adopter le genre et le nombre.
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