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Première Section. Chap. 7-11

 
Table des matières

 

1.re Partie. 1.er Traité

1.re Section. Chap. 1-6

1.re Section. Chap. 7-11

2.me Section. Chap. 1-4

2.me Section. Chap. 5-8

Introduction

 

2.me Traité. Logique

1.re Partie

2.me Partie

3.e Partie

4.e Partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 7.

Du Sommeil, des songes, de la mêmoire et de L’imagination, Lors­que l’ame est bornée aux Sensations du toucher.

 




La Curiosité

 

98. avec les autres sens, la Statue purement passive, (73.) n’avoit aucun moyen pour se procurer la Jouissance d’un Etat agréable : avec le Tact au Contraire elle a Toujours la faculté de faire de nouvelles decouvertes : Elle devient par là susceptible de Curiosité ; c. à. d. du desir de quelque chose de nouveau. Or stimulé par l’experience de quelques Succès, et Stimulant à son Tour les facultés de la statue, ce desir sera, non pas un nouveau principe de leur develloppement, mais un nouveau degré d’ac­tivité ajouté à Linteret, leur moteur Constant. (8.)


Etat de sommeil

 

|[103] 99. Soumise aux impulsions de la Curiosité, la Statue maniera tout ; sera dans une agitation Semblable à celle qu’on remarque dans les enfants, Lorsqu’ils commencent à sçavoir marcher. Cependant Ses membres eprouvent une Lassitude qui n’avoit pû etre prevûe, Ses desirs Semoussent, elle suspend tous Ses mouvements, les idées ne Jettent qu’une Lueur qui diminue insensiblement, enfin toutes les facultés S’assoupissent, et la Statue Dort.

100. Le Sommeil retablit les forces, les idées reparoissent, et Se Fixent ; le Mouvement renaît, et la statue est reveillée. portant aussitost ses mains Sur elle-même, et Sur ce qui l’environne, elle a du plaisir à Se recon­noitre, et à retrouver les objets qui Lui Sont familiers. La Curiosité Lui redonnant de l’action, elle va se fatiguer de nouveau, Jusqu’à ce quelle soit obligée de Ceder encore au Sommeil.



maniere dont est Connu L’etat de sommeil






maniere dont est connue la durée du sommeil.

 

101. À force de passer par ces Etats Si differents, la Statue se fera L’habitude de les prevoir, et ils ne L’etonneront plus. Celui du Sommeil est néanmoins |[104] Si Extraordinaire, qu’elle ne peut le distinguer de celui de la veille, que par l’espece de Secousse que lui donnent ses fa­cultés au moment où les forces lui Sont rendues : Si elle les reprenoit par degrés insensibles, comme elle les perd quand le Sommeil la Saisit, elle ne Remarqueroit pas le passage de L’un de ces Etats à L’autre ; mais rappellant les premiers degrés de L’affoiblissement que la Conduite à L’inaction totale d’où elle Sort, pour Passer brusquement à L’exercice de toutes Ses facultés, elle est frappée de cette opposition, et croit reprendre une nouvelle vie. Elle ne connoit donc l’etat de Sommeil, que par ce qui le fait Cesser, C. à. d. qu’il lui est tout à fait inconnu, et il en est de même de sa durée. la Statue n’ayant eprouvé aucune Succession d’idées, pend.t qu’elle a dormi, et ne connoissant rien au dehors qui puisse mesurer la durée, independament de cette Succession, elle |[105] doit ignorer, non Seulement combien son Sommeil a duré, mais encore s’il a rééllement duré. (42.).




à L’idée de [de] L’etendue se rattachent toutes les autres idées

 

102. avec les autres Sens, la Statue pouvoit etre privée par notre volonté, de toute espece de Sensations : il suffisoit Pour cela, qu’on eloignât d’elle tout ce qui peut en etre L’occassion ; mais avec le Tact, il n’est qu’un Sommeil Profond qui puisse la reduire à n’avoir que des idées : (95.) dans toute autre circonstance, elle sent toujours les Parties de son corps, et ce qui le Supporte ; Elle a donc constament La sensation de L’etendue ; Or, Se trouvant dans tous les objets, cette Sensation devient comme la base ou le Soutient de toutes les autres ; (on doit se rappeller toujours que la statue regarde Ses Sensations comme etant les qualités de ce qui n’en est que L’occassion, C. à. d. des corps (66.) ainsy au lieu d’appercevoir sim­plem.t en elles-mêmes la chaleur, la Solidité &.a, la Statue n’apperçoit plus que |[106] de L’etendue chaude ou Froide, solide ou fluide ; Ensorte que les Sensations de toutes especes sont Liées dèslors à celle de L’eten­due ; Or, celle-ci, etant Toujours actuelle, il en resulte qu’avec le Tact, la statue Tient toujours aussi le Bout de la chaine de ses idées ; La mêmoire, avec ce Sens, doit par Consequent avoir plus de ressources, qu’avec les autres, soit separés, soit reunis. (6.–55.).



imagination

 

103. accoutumée à reunir ses sensations sur les objets exterieurs, (66.) à les y Circonscrire, à les y Considerer separément et ensemble, la statue, après avoir connue plusieurs objets, pourra prendre quelques por­tions de chacun, et les supposer Ensuite reunies et Circonscrites dans un Seul tout : C’est ainsy que, demembrant par l’idée des hommes et des Bêtes, et Joignant les parties prises des uns à celles prises des autres, on a formé des satyres, des syrenes, le sphinx et la chymere. pour faire ces Composés Bisarres, il faut se |[107] rappeller, comme S’ils etoient pre­sents, les objets qui doivent y Contribuer de quelqu’un de leurs membres, reunir Ensuite ces parties disparates et S’en representer enfin L’assem­blage, Comme S’il etoit réél et present. Or La premiere et la derniere de ces operations sont l’effet de cette mêmoire vive qui retrace les choses, comme si elles etoient presentes, et que nous avons appellée imagination. (18.) la seconde de ces mêmes operations est une Suite de cette faculté qu’a la Statue par le tact, de combiner Ses sensations, de les Circonscrire et d’en faire des Ensembles dont la nature n’offre point de modele. cette Faculté s’appelle aussi imagination ; mais ce mot Se prend alors dans sa plus grande Etendue ; Et c’est en ce sens qu’il est le plus usité.

bons et mau­vais ef­fets de L’ima­gi­na­tion

 

104. L’imagination pouvant ecarter des objets les qualités qui de­plaisent, et les embellir de celles qu’on y desire, il est aisé de voir com­bien cette faculté peut procurer des Jouissances à la Statue. |[108] Ce­pen­dant Si, Esclave des Plaisirs, elle s’y abandonne Sans mesure, la douleur sera le fruit de Ses excès. mais attentive aux Leçons de l’ex­perience, elle assujettira Sa Conduite à une regle, (70.) pour ne pas Se laisser seduire par L’imagination qui dèslors ne pourra la dominer, que pendant le Som­meil.






le Tact ne peut dissiper seul L’illusion des songes.

 

105. Dans cet Etat, La mêmoire et Limagination peuvent etre assès reveillées, pour avoir quelque exercice, mais non pas pour Suivre L’ordre de la Liaison des idées ; Et cest de là que viennent les Songes. (49.) or ouvrant à Limagination une plus vaste Carriere, (103.) l’usage du tact rendra aussi L’illusion des Songes plus complette ; elle pourra même l’etre au Point, que L’erreur soit prise pour la verité. En effet Veiller, pour la Statue, C’est Toucher des objets, et reflechir Sur ce que le Tact lui en fait Connoitre ; Elle ne pourra donc que croire très réélles les Combi­naisons qui Lui seront presentées par l’imagination.

Cependant ce Jugement sera bientost |[109] Contredit, et ce Sera Là une Source d’inquietudes par la Statue. Supposons en effet qu’elle S’endorme dans un Lieu où elle n’a rien trouvé de nuisible, et où, par Consequent elle a cru pouvoir Se coucher Sans defiance. Les Songes accourus, elle Se sent aussitost dechirée par des Epines, appuyée Sur des Cailloux mou­vants qui lui font Faire autant de chutes, que de Pas ; Or ignorant qu’elle est dans L’erreur d’un Songe, elle doit Juger que L’endroit où elle S’etoit crûe en Sureté, est rééllement dangereux ; Et, Si, dans ce moment, on la reveille, elle a de la Peine à Se Persuader qu’elle peut avoir de la Con­fiance. Cependant elle S’y Livrera peu à peu, pour la perdre de nouveau, lorsque le Sommeil ramenera les Songes ; Elle passera tour à Tour de la Securité à la crainte, Jugeant Contradictoirement du même objet, sans Sçavoir quand est ce qu’elle Se Trompe ; Et cet Etat durera Jusqu’à ce que la Vûe se Joindra au Toucher. mais en attendant que nous Puissions voir |[110] La Statue reconnoitre Les songes, Tachons d’en entrevoir Les Causes.



Cause des songes.

 

106. Pour cela nous Supposerons, et cette Supposition ne sçauroit etre rejettée, que les impressions des objets passent des organes exterieurs au Cerveau (qui doit les transmettre à L’ame) par L’entremise des fibres dont Se Composent ces organes ; que par une suite de leur destination, ces fibres doivent excite[r] Les Sensations qui leur Sont analogues, toutes les fois qu’elles Sont Ebranlées ; Et qu’enfin elles peuvent etre ebranlées par d’autres causes, que par la presence des objets, Telles, par exemple, que des impulsions internes, occassionnées par L’agitation des humeurs, ou par le mouvement irregulier qu’eprouve quelquefois le sang, dans les vaisseaux où il circule. Or, cela Posé, on conçoit aisement que, pour amener L’etat de Songe, il Suffit que, Parmi les fibres qui ont Contribué à transmettre toutes les impressions relatives à deux ou Plusieurs objets, et à leurs dependances, |[111] il y en ait certaines d’Ebranlées, de part et d’autre, Tandis que les autres demeurent en repos. dèslors en effet il arrivera que des idées Separées pendant la veille, Se presenteront réunies pendant le Sommeil, et reciproquement. ainsy, dans L’hypotheze du N.o precedent, il a dû arriver que les fibres qui avoient Transmis les Sen­sations d’epines, de cailloux et de chutes, auront été remuées dun coté ; et que, Parmi celles qui avoient fait connoitre le lieu où tout cela se trouvoit, et celui où L’on S’etoit couché, celles appropriées à reproduire L’image de ce dernier, auront Seules été mises en mouvement, ce qui a dû faire Juger que ce Lieu où L’on s’etoit cru en sureté, etoit en effet très dange­reux.

Que des impulsions internes puissent agir Sur les Fibres, et reproduire ainsy les vibrations qui leur Sont analogues, c’est Là un Fait Constaté par l’experience. Si, etant dans L’obscurité, |[112] on Se presse le Coin de L’œil avec le doigt, on eprouve à Linstant la Sensation de La lumiere ; cette Pression fait donc Sur les fibres du nerf optique, ce que la presence d’un corps Lumineux y feroit. Or Les accidents dont est Susceptible la Circulation des humeurs, peut produire sans contredit, de semblables Effets. Telle est la cause qu’on Peut assigner à ces combinaisons extra­ordinaires d’idées, qui, dans le Sommeil, Constituent Les songes, et dans la Veille, L’etat de [?demeure]. (17.) voici maintenant ce que l’on peut conjecturer Sur ce qui fait oublier ou rappeller les Songes.

Conjectures sur le souvenir et L’oubli des Songes.

 

107. Lorsque les Songes contredisent d’une maniere frappante, les Juge­ments d’habitude, ils produisent un etonnement dont L’impression peut etre Telle, que les idées dont il est le Resultat, se Lient à la Chaine des Connoissances, avec Tant de force, que le souvenir s’en Conserve, après le reveil. Si au Contraire l’impression Produite |[113] par l’etonne­ment est trop Foible, pour operer La Liaison des idées, ou si, L’ayant operée, cette impression est Suivie d’un Sommeil assès prolongé et assès pro­fond, pour empecher que la Liaison dont il Sagit, ne Se Consolide, le Souvenir alors ne retrace aucune idée. Enfin Si l’impression et le Som­meil qui l’a Suivie, ont été, L’une assès forte, pour operer une espece de Liaison, et l’autre trop peu profond, pour la detruire en entier, on Se rappellera dans ce dernier cas, ou une partie du Songe, ou simplement qu’on en a fait un.

 

 

 

 

Chapitre 8.

De La maniere dont L’oûie, Le Goût et L’odorat apprennent à Juger des objets exterieurs.

 

 

 

108. Pendant que la Statue n’a eprouvé des Sensations, que par le moyen du Toucher, elle a pû oublier celles des odeurs et des sons. char­mée |[114] de voir ses anciennes modifications se reunir aux nouvelles, elle se felicite de cet accroissement de Jouissances qui ont aggrandi son etre ; mais elle ne Soupçonnera pas encore que les objets qu’elle a Connus par le Tact, Sont la Cause des sensations qu’elle a retrouvées : Elle en Juge comme autrefois, C. à. d. qu’elle les regarde, comme des manieres d’etre d’elle-même. (3).

maniere dont les sen­sations de L’oûie, du Goût et de L’odo­rat sont rap­por­tées aux ob­jets qui en sont l’oc­cassion

 

109. Cependant le hazard lui fait saisir un objet propre à faire naître La sensation d’une odeur ou d’un son. Or l’approchant et l’eloignant alterna­tivement de l’oreille et du nez, elle eprouve que la Sensation cesse et se reproduit tour à Tour, et que Successivement elle augmente ou diminue en Vivacité. Voyant donc que le sentiment est toujours produit, lorsque l’objet qu’elle tient, est present, et qu’il est eteint, dèsque l’objet est absent, elle Juge que non Seulement L’odeur ou le son viennent de ce |[115] corps ; mais qu’ils y sont rééllement. de ce qu’elle sent, elle passe à ce qui est.


de ce qui Fait Confondre les Jugements avec les sen­sations.

 

110. La Statue Se fait dans la Suite, une Telle habitude de ces Juge­ments quelle les repete, dèsqu’elle eprouve les Mêmes sensations ; et finit par les confondre avec elles. Or il arrive de Là que, Sentant Comme elle Juge, et Jugeant les Sons et les odeurs dans les Corps, (109.) les sen­sations Cessent d’etre Ses propres modifications, pour devenir celles des corps qui les occassionnent (66.).

difficulté de re­former les Juge­ments d’ha­bi­tude

 

111. Cependant ce ne doit pas Etre sans Surprise, que la statue se voit determinée à porter des Jugements si opposés à ceux en vertu desquels, avant de Jouir du Tact, elle regardoit ses sensations, comme Ses manieres d’etre, (3.) Elle doit avoir, Sans doute, autant de Peine à renoncer à son ancienne maniere de Juger, que nous en avons nous-mêmes à L’adopter ; mais Lhabitude une fois Formée, la Contradiction ne se |[116] fait plus Sentir.

maniere dont les sensations pro­pres à l’un sens peuvent etre attri­buées à un autre.

 

112. après Que la Statue s’est depouillée de Ses propres manieres d’etre, pour les regarder Comme les qualités des Corps, (ce quelle a fait en Con­fondant ses Jugements avec ses Sensations) (110.) il ne doit pas nous paroitre etonnant que, par l’effet de la même cause, elle attribue à L’oûie et à L’odorat des idées qui n’appartiennent qu’au Tact, et à L’un des deux premiers sens, des idées qui n’appartiennent qu’à L’autre. mais il faut examiner Comment il arrive, dans ces Cas, que les Jugements se con­fondent avec les sensations, et Comment ensuite ils peuvent s’en dis­tinguer ; or, pour cela, il suffit de faire les suppositions Suivantes :

maniere dont les Jugements se Confondent avec les sen­sations.

 

113. que L’odeur de Rose, soit, par exemple, soit toujours dans un Triangle, et L’odeur de Jasmin, dans un quarré : Ces odeurs se Lieront |[117] Tellement avec la figure avec laquelle, elles se trouvent toujours, que la Statue ne pourra plus Sentir L’odeur de rose, ou toucher un quarré, qu’elle ne Se represente aussitost un triangle dans la Rose, ou qu’elle ne sente L’odeur du Jasmin dans le quarré, C. à. d. qu’elle croira sentir une figure dans une odeur, et toucher une odeur dans une figure.

Que, d’un autre coté, le même son accompagne Toujours la même odeur ; et bientost la statue ne sentira plus L’odeur, qu’elle ne croie en­tendre aussi le son, et reciproquement. voila Comment les Jugements se Confondent avec les sensations, et voici Comment ils s’en distinguent.


maniere dont ils s’en dis­tinguent

 

114. Si L’on a vû la statue Lier à des figures triangulaires ou quarrées, des idées de son ou de Couleur, C’etoit parce que la simplicité de ces figures lui |[118] permettoit de Se les representer avec facilité. mais Lorsque les figures sont Compliquées, cette faculté n’est plus la même : le tact, dans ce cas, ayant dû porter plusieurs Jugements, pour Se faire L’idée de chacune de ces figures, ces Jugements ne peuvent pas se reproduire tous, à L’instant où la sensation se fait ; et par Là ils s’en distinguent nécéssairement.

il arrivera, Sans doute, que la Statue, Jugera quelquefois d’une odeur ou d’un son, par la premiere impression qu’elle eprouvera, en touchant un objet ressemblant par quelqu’endroit à ceux où elle avoit trouvé toujours ce son ou cette odeur, et à l’egard desquels ses Jugements s’etoient Con­fondus avec ses Sensations ; mais ses Erreurs, relevées bientost après par le Tact, l’avertîront de la necessité où elle est, pour les eviter, de revenir sur les Jugements du Toucher, qui, par là se distingueront de la Sensation.


nouvelles idées gen.les relatives aux sons et aux odeurs.

 

|[119] 115. distinguant Les Corps par les odeurs et Les Sons qu’ils pro­duisent, la Statue en forme differentes Classes, à raison de ces qualités. elle les divise d’abord en Corps odoriferents, et en Corps sonores. dis­tin­guant ensuite differents Sons et differentes odeurs, elle forme diverses autres Classes de corps odoriferents et de corps sonores. et Tandis qu’avant La même odeur ou le même son n’etoient que des idées in­di­viduelles, ils Sont devenus idées générales par la Reunion du Toucher à L’oûie et à L’odorat ; parce que la statue les regarde depuis lors, comme des qualités communes à plusieurs objets (31.).

 

 

 

 

maniere dont avec le se­cours du Tou­cher, L’oûie et L’o­do­rat Jugent des dis­tances.

 

116. La Statue, avec le Tact, se rendra habile à discerner les odeurs me­lées, (23.) et les sons reunis ; non seulement parce que, manquant de la Vûe, elle les Etudie avec moins de distraction, que nous (21.) mais encore parce que liant ces sortes de Sensations à celles du Toucher, elle peut distinguer |[120] Les Sons et les odeurs, Comme les Corps qui les pro­duisent : (23.) la finesse de Loûie et de L’odorat pourra même arriver à un tel degré, que La Statue Jugera quelques fois des distances, par le seul moyen de ces organes.

Commençant à faire des experiences Sur les objets qui sont à la portée de sa main, La Statue doit croire qu’en etendant le Bras, elle peut Saisir, les corps qui lui transmettent les Sensations qu’elle eprouve. comment en effet Jugeroit-elle ces corps plus Loin puisqu’elle n’a encore pû rapporter les odeurs et les Sons, qu’à ceux qu’elle a Touchés ? cependant elle sent et entend, sans que Sa main ait rien rencontré. Etonnée de ce Phenomene, la statue avance d’un ou plusieurs pas, et rencontre enfin L’objet quelle sçait etre la Cause de ses Sensations : Elle s’en eloigne et s’en rapproche à plusieurs reprises ; |[121] Cet exercice Souvent repeté lui fait apper­ce­voir que les impressions Transmises par ce corps, deviennent plus vives, à mesure qu’elle avance, et qu’elles S’affoiblissent ensuite, à mesure quelle recule ; Or Liant ainsy La difference graduée des im­pressions, à celle des distances, la Statue Juge enfin de celles-ci par celles-Là : C. à. d. que les Jugements se confondent encore ici avec les Sensations. plus la Statue comparera la varieté des Sons et des odeurs, à celle des distances et même des Situations, plus elle sera Capable de bien Juger des unes et des autres sans le Secours actuel du Tact. ceci est Confirmé par les exemples remarquables que fournissent les aveugles, de la finesse de L’oûie, et Les chiens, de celle de L’odorat.

 

 

117. Pour exercer le Goût, seul, on devroit ne rendre Sensible que l’in­terieur de l[a] bouche, et supposer que les saveurs transmises par l’air Environnant sont propres à nourrir la Statue. mais Lorsque ce sens |[122] est reuni au Toucher, la faim peut etre Soulagée par d’autres moyens ; Et le goût conduit par le Tact, apprend d’autant plus vite à Se procurer des aliments, qu’ils sont plus nécéssaires à la Conservation de L’individu.


maniere dont le goût ap­prend à Con­noitre les ob­jets qui lui sont ana­logues

 

L’inquietude produite par le besoin de se nourrir, met en mouvement toutes les parties du Corps, et surtout celles qui sont L’organe immediat du sens qui occassionne la Souffrance. La statue alors Saisit de la main tout ce qui se presente, porte à la bouche tout ce qu’elle a saisi, imprime les dents sur tout ce qui peut etre mordu, et Continue cet exercice, Jusqu’à Ce quelle trouve quelque chose qui la soulage.

Tel est L’admirable artifice par lequel la nature instruit L’enfant nou­veau Né à se nourrir, dèsquil Est hors du sein de La mere. L’inquietude lui fait prendre le mamelon, et mouvoir les Levres de toutes sortes de manieres, Jusqu’à ce |[123] quil en ait trouvé une Qui fasse couler le Suc que ses besoins reclament : Lorsque ceux-ci renaîtront, Les mêmes mou­ve­ments seront executés avec un pareil Succès.




idées et Juge­ments relatifs au Goût, lors­quil Est Joint au Tou­cher.

 

118. La Statue, comme on l’a vû, en agira aussi de cette maniere. mais trouvant que les Saveurs se perdent et Se reproduisent Suivant quelle Eloigne ou qu’elle approche les objets de Sa bouche ; C. à. d. qu’elles sont plus ou moins vives, à mesure qu’ils en sont plus ou moins près ; Elle se connoitra un[e] nouvel organe ; elle se depouillera de ses modi­fications en ce genre (3.) pour en revetir les objets qui n’en sont que la Cause occassionnelle ; (66.) elle portera, en un mot, tous les Jugements que nous lui avons deja vû porter, lorsqu’elle a exercé L’oûie et L’odorat avec le Toucher, et se fera de nouvelles idées générales (115.–116.).

 

|[124]

 

 

Chapitre 9.

de La maniere dont la Vûe apprend du Tact à Juger des distances, des grandeurs, des figures, des Situations et du mouvement des Corps.

 

 

 

119. il a été reconnu (60.) que Lorgane de la Vûe ne pouvoit pas, de lui-même rapporter ses sensations aux corps environnants, qui en sont L’oc­cassion ; que, bornée à ce Sens, la Statue se croiroit simplement Lumiere colorée, comme elle ne se croyoit qu’odeur, quand elle etoit bornée à L’odorat. (3.)

on a vû encore (65.) qu’avec le secours du Tact, L’ame s’elance au dehors, et qu’aussitost elle attribue aux objets exterieurs, ses propres manieres d’etre (66.).

Nous avons Vû Enfin, (67. et suiv.t) qu’avec le Tact, ont Commencé pour la statue, les idées d’etendue, de grandeur &.a

il se mele aux sen­sa­tions de­pendantes d’un sens, des Juge­ments qui ne de­pendent pas de L’usage de ce sens.

 

|[125] 120. il suit donc de Là que, quand, par la Vûe, nous Croyons Juger de ces mêmes choses, il se mele aux Sensations transmises par cet organe, des Jugements qui n’ont pû etre Portés, que par le Secours du toucher, et que nous attribuons au premier de ces sens ce qui ne Convient qu’au Second. Si ces Jugements ne portent pas avec eux des Caracteres qui en fassent reconnoitre la Source, C’est que, devenus habituels, ils se confondent avec la Sensation qui les accompagne Toujours (112.).

Si, en effet, au lieu d’ouvrir Successivement Les organes de la Statue, on lui donnoit à la fois L’usage de Loûie et de L’odorat, par exemple ; et qu’on eût, en même Temps, L’attention de n’exercer Jamais ces deux Sens Separément, il arriveroit un Phenomene semblable à celui qui a été observé plus haut, (113.) C. à. d. que n’entendant Jamais un Son, sans |[126] Sentir une odeur, et que, cessant de Sentir, dèsqu’elle Cesseroit d’entendre, La Statue ne manqueroit pas de croire que Les Sons Lui viennent par le Nez ou les odeurs par les Oreilles. elle ne demele donc ce qui appartient à chacun de ces organes, que parce qu’elle les a exercés Separément ; Or comme il arrive que la Vûe et le Toucher agissent Souvent ensemble, il doit arriver aussi que les Jugements de L’un se confondent facilement avec les Sensations de l’autre.

La Condition de ces deux organes n’est cependant pas la même relative­ment à ces meprises. La Vûe agissant Toujours avec le Tact, tandis qu’au contraire celui-ci agit souvent seul, il est clair pour tout le monde, que les sensations de Lumiere et de Couleur ne peuvent Point appartenir au dernier ; pendant qu’il est ordinairement impossible de reconnoitre que certaines idées attribuées à la Vûe, |[127] n’appartien[nen]t rééllement qu’au Tact. pour faire ce discernement entre les attributions de ces deux organes, il faudroit que le Tact fût exercé separément de la Vûe, ce qui n’a Lieu que dans ceux qui, nés aveugles, acquierent, à un certain age, L’usage des yeux. dans le Cas Contraire, qui est Celui du Commun des hommes, ces deux sens sont exercés ensemble, de la maniere dont nous l’avons remarqué : et c’est pour cela quil est Si difficile de discerner ce qui appartient à la Vûe, de ce qui est propre au Tact. cette difficulté seroit la même dans L’hypotheze où ces deux organes seroient exercés en­semble, de Telle maniere, qu’on ne vît Jamais rien sans le Toucher, et qu’on ne Touchât rien sans le Voir : d’après ce qui a été deja dit ailleurs, (113.) on sent Que les mains Paroitroient alors voir et Toucher, et les yeux toucher et Voir.


les Jugements d’ha­bitude ne se Font pas re­mar­quer.

 

121. quant à la difficulté de |[128] Reconnoitre nos Jugements dans ce qui est passé en habitude, elle est prouvée par L’experience de tous Les Jours : nous faisons à chaque instant, Sans attention, des choses que nous n’avons appris à faire, que Par une Suite de Jugements Souvent repetés, mais que l’habitude formée par leur Multiplicité, ne laisse plus remar­quer.






il est prouvé par l’ex­pe­rience que les idées de dis­tance, de gran­deur &.a ne peuvent venir que du Tact.

 

122. L’œil est donc evidement L’eleve de la main, par rapport aux dis­tances, aux grandeurs &.a, cependant lorsqu’elle a été Enoncée pour la premiere fois, cette verité a passé pour un Paradoxe ; et il est à presumer qu’elle auroit Resté enfouie, si, à la force des raisons que L’etayoient, ne s’etoient pas reunies les experiences suivantes.

un Jeune homme de quatorze ans, aveugle-né, acquit l’usage de la Vûe, par l’operation de la Cataracte. Le Tact ayant été Long |[129] Temps exercé Seul, en Lui, et son intelligence, au moment de l’operation, etant assès develloppée, pour Lui faire reconnoitre ce quil devoit d’idées au nouvel organe qu’il avoit acquis, Son Temoignage vainquit La Re­pu­gnance qu’on avoit à Croire que nous n’avons pas toujours vû, Comme l’on voit dans les differents ages qui succedent à L’enfance ; et qu’aux Sensations de la vûe, se melent, à notre insçu, des Jugements qui ne peuvent venir originairement que de celles du Tact.

develloppe-
ment de L’experience rapportée.

 

123. Or Voici les resultats du Compte que Rendit ce Jeune homme, des sensations quil devoit au nouvel Organe qu’on lui avoit donné.

I. il ne distingua dans les premiers Temps qui suivirent l’operation, ni distances, ni grandeurs &.a

II. Lorsqu’il Commença à les appercevoir |[130] les objets Lui parurent toucher la Surface de L’œil (on mit un an d’intervalle de L’operation d’un Œil, à celle de L’autre.)

III. Tous les objets Lui parurent, dans le Commencement, d’une gran­deur etonnante ; et il avoit de la peine à se persuader que la Vûe pût Jamais Lui Faire appercevoir que Sa Chambre etoit plus Petite, que la maison quil savoit etre beaucoup plus grande.

IV. il S’accoutuma ensuite, peu à peu, à detacher les objets de la Sur­face de Son œil, et à Créér une Espace dans lequel il les rangea. Bientost après il Commença à Juger de leur forme et de leur Grandeur ; mais il Lui fallut beaucoup d’experiences, Pour en distinguer, à la vûe, le haut et le bas, ainsy que pour discerner ce qu’au Tact, il avoit Jugé Rond, de ce que, par le même moyen, il avoit Jugé angulaire.

|[131] V. Ce ne Fut qu’après deux mois de Tatonnements, quil apperçut que la peinture representoit des reliefs sur des Surfaces planes ; et alors, trouvant la main et L’œil en Contradiction, il demandoit auquel de deux il devoit S’en rapporter, pour n’etre pas dans L’erreur.

VI. Après L’operation de la Seconde Cataracte, il vit du nouvel œil tout en grand, mais moins cepend.t que lors de L’operation de la premiere : avec les deux yeux Ensemble, il vit les objets plus grands, qu’avec le premier gueri ; mais non pas doubles.

VII. Enfin il Fut Long temps embarrassé pour diriger ses yeux Sur les objets qu’il vouloit regarder.

Ces faits ne permettent plus de douter que La Vûe ne donne immediate­ment par elle-même des idées de distance, de Grandeur, de figure &.a mais il faut |[132] Connoitre L’explication de ce merveilleux Pheno­mene ; et nous allons la donner.

124. La main, à L’aide d’un, de deux ou de plusieurs Bâtons, nous fait Juger des distances, des grandeurs et des Situations. Or, Sous les rapports de la Vision, les rayons de la Lumiere sont Tellement aux yeux, ce que des bâtons sont à La main, que l’on explique parfaitement la maniere dont, au moyen de ces Rayons, les yeux Jugent des objets, par celle dont en Juge la main, par le moyen de ces Bâtons.

rapports d’ana­logie dans la maniere dont L’œil et La main Jugent des dis­tances, des gran­deurs et des si­tuations.

 

La difference qu’à cet egard il y a entre L’œil et la main, c’est que celle-ci connoit par elle-même la Longueur et la direction des Bâtons, et qu’elle peut rapporter à L’une des extremités ce quelle sent à L’autre ; Tandis que L’œil au Contraire n’a, par |[133] Lui-même, aucune Ressource pour Se donner Ces Connoissances que par Consequent il doit puiser ailleurs. Dèsque la Vision presente des Problemes analogues à ceux du Toucher, et que ceux-ci Servent à la Solution des autres, il faut, avant de S’occuper de ce qui est relatif à la Vûe, examiner Comment avec des bâtons, la main peut Juger des distances, des grandeurs et des situations.



maniere dont à L’aide d’un bâ­ton, La main Juge des dis­tances

 

125. Au moment où pour la premiere fois, la statue Touche un bâton, elle ignore s’il est etendu, elle ne peut donc pas Juger de la distance des corps sur lesquels il repose ; et c’est à la partie qui repond à la main, qu’elle doit rapporter toutes les sensations qu’il Transmet. Jusque là le Bâton est à la main, ce qu’un Rayon de Lumiere est à L’œil. si L’on donne au bâton des inclinaisons differentes, les impressions qu’il fera, le seront aussi ; mais ignorant qu’il |[134] est etendu, La Statue ne peut pas Juger quil est incliné.

Cependant par l’effet d’une Cause quelconque, La Statue parcourt d’une main le bâton qu’elle tient de L’autre ; elle L’incline de differentes manieres, en Comparant aux diverses directions qui les occassionnent, les impressions quelle eprouve ; elle appuye ensuite ce Bâton sur quelque corps environnant. Or aussitost Elle eprouve une certaine resistance, qu’en parcourant de nouveau tous les points de la Longueur du Bâton, elle est obligée de rapporter à L’extremité qui est opposée à la main ; et dans le même instant elle Juge par le Tact, de la distance, et de la dureté du corps sur lequel le bâton porte, ainsy que de la Situation de celui-ci. on voit que deja L’œil n’a pas les mêmes ressources, que la main.

126. mettons maintenant un bâton dans chaque Main de la statue : |[135] il Lui faudra quelques temps, pour apprendre à Juger de leur direction respective. en attendant, elle ne sçaura pas S’ils Se Croisent, ni dans quel Sens leurs extremités S’approchent ou Seloignent ; Elle Confondra le haut et le bas des objets Sur Lesquels les bâtons porteront ; mais dès­quelle Sçaura Juger de la difference des directions, par celle des im­pressions, elle Jugera aussi de la Situation des bâtons et par Suite, de celle des objets sur lesquels ils S’appuyent.



maniere dont La main Juge des situations avec deux bâtons.

 

Lorsqu’en Effet elle Sentira que les Bâtons se Croisent, elle en conclura nécéssairement que l’extremité de celui qu’elle tient de la main droite, doit repondre à Sa gauche, et reciproquement. Elle Jugera par Consequent que les corps auxquels ces bâtons repondent, sont Toujours dans une Si­tuation contraire à celle de ses mains ; que par Consequent encore, quand ses mains |[136] Sont dans une Situation verticale, le haut du Corps que les bâtons Touchent, repondra à La main placée en bas, et le bas de ce même corps, à la main placée en haut. d’où il Suit que Si elle avoit quatre mains, ou un plus grand nombre, elle pourroit Juger à la fois Sur chaque objet, de tous les rapports de Situation.

 

 

127. deux bâtons, en se Croisant, forment des angles opposés egaux ; mais les Cotés opposés à ces angles, Sont toujours de differente grandeur, excepté dans le seul cas où le point d’intersection se trouve à egale dis­tance des quatre extremités des deux Bâtons. ainsy pour Juger avec exac­titude de la grandeur des corps qu’elle Touche avec deux bâtons, la Statue devroit Sçavoir determiner L’intervalle que laissent entre les deux ex­tremités eloignées d’elle, deux bâtons qui se Croisent, par L’intervalle qui se trouve entre les deux Extremités qu’elle Tient.

maniere dont la main Juge de la grandeur des corps par le moy­en de deux Bâtons.

 

Connoissant L’angle formé par ces Bâtons, et la Longueur des |[137] Cotés, un Geometre determineroit facilement et avec precision, Linter­valle dont il sagit ; mais la Statue qui n’a aucune Theorie, ne peut deter­miner ce même intervalle qu’en Tatonnant.

Elle Connoit La Longueur des bâtons, leur inclinaison respective, le point où ils se Croisent ; et Jugeant par suite de Ses experiences, que les extremités eloignées s’approchent ou S’eloignent dans la même pro­por­tion, que les extremités qu’elle tient, elle parvient à Se faire une espece de Geometrie, Sans se douter qu’elle est guidée par les principes de cette sçience ; et Enfin elle Juge de la grandeur des corps par le moyen de deux bâtons.


L’œil avec le se­cours de la Geo­metrie et de l’op­tique ne pourroit pas Ju­ger seul des Gran­deurs.

 

128. il faut observer encore ici que, malgré que les rayons forment des angles, Comme les bâtons, L’œil ne peut pas de Lui-même arriver au resultat où La main est parvenue ; et la Raison en est Sensible : L’œil n’a pas, comme La main, la faculté de Connoitre la Longueur des Cotés, dans les angles dont il Sagit ; il ne sçait |[138] pas même Se diriger Seul, sur les objets : (123. – VII.) quand on supposeroit donc à La Statue des Con­noissances de Geometrie et d’optique, il lui seroit Toujours Impossible de Juger des grandeurs par les angles que forment les Rayons, puisqu’elle ne peut pas Connoitre dans ces angles ce que ces deux Sçiences y Supposent Connu. (127.)

encore moins des distances
des Situations
des Figures
&.a

 

129. Or, à combien plus forte raison, est-il permis de dire que ces angles formés par les rayons visuels, ne peuvent pas Faire Juger immediatem.t des distances, des Situations &.a ; lorsqu’on Sçait 1.o Que la pluspart des hommes ignorent L’existence même de ces angles, et que cependant ils Jugent de tout cela avec autant d’exactitude, que les Savants ; Lorsque 2.o on a l’experience qu’une tour grande et quarrée, nous paroit, vûe de Loin, petite et ronde ; Lorsqu’enfin nous sçavons qu’un objet, à des distances differentes, mais rapprochées, nous paroit Toujours de La même gran­deur, |[139] quoique néanmoins il Soit Constant que les angles formés dans L’œil, doivent devenir doubles et triples, suivant ces diverses dis­tances.

instruits de la Maniere dont, avec des bâtons, la main peut Juger de la distance, de la grandeur et de la Situation des objets, et Convaincus que la Vûe ne peut pas Juger immediatement de ces mêmes choses, Essayons de Sçavoir Comment elle peut apprendre du tact à former des Jugements dans ce Genre.

maniere dont le Tact fait rap­por­ter au dehors les sen­sa­tions de
Lu[m]iere et de couleur

 

130. La Statue Jouissant à la fois de la Vûe et du toucher, porte La main Sur ses yeux ; et à Linstant Les Couleurs disparoissent. elle retire La main, et les couleurs se reproduisent : dèslors, au Lieu de les prendre, Comme avant, pour ses propres manieres d’etre, (3.–108.) elle doit Juger qu’il en est de cette sensation Comme de celles du Tact, c. à. dire, quelle sent les Couleurs au bout de ses yeux ; elle ne Juge donc encore ni des distances, ni des grandeurs &.a (123. – I.).

Tout doit Pa­roi­tre immense Lors­que la Vûe n’a pas en­core été instruite par le Tact.

 

|[140] 131. Les Couleurs disparoissant, lorsque La main est placée sur la Surface de L’œil, Cest Sur cette Surface que la Statue croit les Voir. (123. – II.) Or, n’appercevant rien au delà, elle n’imagine pas comment quelque Chose pourroit Lui paroitre plus grand ou plus petit. et ne demelant point de bornes dans la Surface qu’elle voit, elle doit la Voir immense (123. – III.).


Comment la Vûe detache la Lumiere et les Cou­leurs de la sur­face des yeux.

 

132. Jusqu’ici La Statue n’a donc pû discerner, à La Vûe, ni distances, ni grandeurs &.; mais Continuant de porter la main Sur ses yeux, et de l’en retirer, ces mouvements Lui font paroitre plus Lumineuse ou plus obscure, la surface qu’elle voit. elle Juge alors que ces Changements sont occassionnés par les mouvements de sa main, et que par Consequent cette surface ne touche pas Son œil ; puisque la main qui la fait changer, ne le Touche pas elle-même.






maniere dont la Vûe aidée du Tact re­pand les couleurs sur les objets

 

133. Cette experience doit deconcerter les premieres idées de la Statue ; mais elles vont etre fixées par de nouvelles experiences. Elle rencontre un corps |[141] Par hazard : et, le couvrant de Sa main ; une Couleur est Substituée à une autre ; elle promene La main Sur ce Corps ; Et une couleur lui paroit Se mouvoir sur une autre. cette decouverte Procure à la Statue une Surprise qui lui fait multiplier Ses experiences. Elle cherche à toucher tous les corps dont elle se Sçait environnée ; afin de reconnoitre Si c’est d’eux, que lui viennent les Surfaces colorées qu’elle voit. Or Trouvant en Effet que chaque fois qu’elle Touche quelque corps, ces Surfaces disparoissent, se reproduisent et se meuvent, en Suivant les mouvements de sa main, elle Juge enfin que les Couleurs sont sur Sa main, et dans les objets qu’elle saisit (123. – IV.) ce Jugement Souvent repeté, devient habituel : la surface qui touchoit d’abord Ses yeux, se repand Sur les Corps, et n’est plus vû que Là.


Comment les yeux ap­prennent à se diri­ger sur les objets.

 

134. Parvenue à eloigner de son œil cette Surface Colorée, et à la voir sur des objets dont le Tact lui a deja |[142] appris à Connoitre La gran­deur, la figure et La situation ; La Statue doit S’accoutumer à diriger les yeux d’après les mouvements de la main, afin que, dans l’espace Créé devant eux, (123. – IV.) ils puissent voir tout ce que La main touche.


maniere dont avec le se­cours du Tact la Vûe Juge des dis­tances.

 

135. Ces habitudes acquises, la statue peut Commencer à mesurer à la Vûe, les distances des objets qu’elle Voit. il Lui Suffit pour cela d’appro­cher et d’eloigner alternativement la main et ces objets ; d’observer les differentes impressions de Lumiere et de couleur, qu’elle reçoit des Corps dans ces divers mouvements, et de Lier ces impressions aux variations des distances qui Peuvent toutes alors etre Mesurées par les positions de son bras, dont l’extension entiere mesure la plus grande.








......................
....des Figures

 

136. C’est en Liant ainsy aux idées acquises par le Tact, les impressions que font Sur elle la Lumiere et les |[143] Couleurs Reflechies par les corps soumis à son examen, que La statue Parvient à Juger aussi des Figures, elle ne verra donc pas un globe (123. – V.), la premiere fois qu’il Sera representé à ses regards : L’impression reçue alors ne peut Lui representer tout au plus, qu’un Cercle plat melé d’ombre et de Lumiere ; parce quelle n’a pas encore pû faire les Liaisons dont on vient de parler. Mais Promenant La main Sur ce corps Spherique, et y trouvant du relief, à l’idée de convexité, Transmise par le Tact, elle Lie les impressions pro­duites par ce melange d’ombre et de Lumiere ; et alors elle Juge que la Couleur qu’elle Voit Sur le corps qu’elle touche, prend de la rondeur et du Relief. Ce Jugement Souvent repeté, devient Tellement habituel, que la Statue voit un Globe, toutes les fois qu’elle porte sa Vûe sur une Sur­face qui lui Fait eprouver des impressions Semblables. Elle apprendra à Voir toutes les autres figures dans |[144] leur ensemble, et à les discerner les unes des autres, en Etudiant de la même maniere les impressions que L’œil en recevra, pendant que le Tact Lui en fera Sentir en detail les angles, les Contours et les faces.

 

 

137. il ne Suffit pas en effet de donner son attention à L’ensemble, pour reussir dans cette etude : il faut au Contraire la Fixer successivem.t Sur chacune des parties de cet ensemble ; et ce n’est que quand la mêmoire peut retracer en un instant tous les Jugements particuliers, qui ont été portés Sur ces parties examinées en detail, qu’on peut les Voir toutes à la fois, Cest pour cette raison qu’au premier Coup d’œil qu’on Jette sur un Tableau, on le voit très imparfaittement, et qu’on ne le Voit bien tout entier que, quand après avoir Consideré à part chacune de ses parties, tous les Jugements qui ont été le resultat de cet examen analytique, (91.) sont retracés à |[145] La Fois. il en est de même de la maniere dont on Juge de tout ensemble un peu Complexe : un Cercle composé d’une Douzaine de personnes, par exemple, presente une idée vague de multitude, Jusqu’à ce qu’on les a Parcourues une à une, et avec une Lenteur qui laisse Remar­quer la suite des Jugements, et qui permette à la mêmoire de les Saisir, pour les retracer ensuite Simultanément.




C’est le Tact qui apprend à L’œil à voir les objets dans leur vraie situation

 

138. L’œil etant Fixé par la main Sur les differentes parties d’une figure, il doit les appercevoir où le toucher Lui dit quelles Sont ; et alors ses Jugements sur la Situation des objets, doivent etre Conformes à ceux que le Tact en a deja portés. les rayons Croisés dans /la/ prunelle, Tracent dans la retine, il est vrai, une image renversée ; mais comme, sans le secours du toucher, L’œil n’appercevroit qu’en Lui-même, (130.) et qu’alors il n’y auroit pour Lui ni haut, ni bas, il doit repeter les Jugements du Tact qui la fait |[146] S’elancer au dehors, (133.) et Voir les objets dans la Situation où celui-ci les Lui presente.

à ne pas voir double.

 

139. Comme Le Renversement de L’image dans la retine n’empeche pas que la Statue ne voie les objets dans la Situation que le Tact leur a recon­nue, la duplicité de cette image n’empeche pas non plus que les objets ne soient vûs Simples. (123. – VI.) forcés par la main de rapporter leurs sen­sations au dehors, (130) les yeux doivent les rapporter, chacun sur L’objet unique que la main Touche ; ils doivent donc Juger comme elle, et par Consequent ne pas voir double Ce qu’elle leur dit etre simple.

à Juger des Grandeurs

 

140. ils doivent par la même raison, Juger aussi de la Grandeur des ob­jets Sur lesquels la main leur fait rapporter leurs sensations, Et en Juger Comme elle. Voyant en Effet les Couleurs sur les corps que La main Touche, ils doivent |[147] appercevoir une Surface colorée egale à celle du corps qui la reflechit et dont La main a deja mesuré les dimensions. ainsy malgré que limage augmente ou diminue à mesure que les Corps sont plus ou moins rapprochés des yeux, (129.) ceux-ci, ne faisant que repeter les Jugem.ts du Tact, ne peuvent attribuer aux objets, que la grandeur qui leur est accordée par La main. Comme ils ne les voient ni doubles ni renversés, malgré que L’image qui les leur Peint, soit cepen­dant L’un et l’autre.

...du Mouve­ment

 

141. enfin c’est aussi du Tact que la Vûe apprend à voir le mouvement des Corps. instruits par la main à r[e]partir leurs Sensations Sur les objets, (133.) les yeux doivent S’accoutumer à Suivre ces objets Sur les diffe­rents points de l’espace que la main leur fait parcourir ; Or c’est Là ce qui leur fait appercevoir le mouvement.

Concluons donc que, pour Juger des distances, des grandeurs, des fi­gures, des |[148] Situations et du mouvement des corps, la Vûe a né­cés­sairement besoin des Leçons du Toucher ; (135. – 136. – 138. – 140. – 141.) mais comme nous n’avons fait rouler ces Leçons que Sur les objets qui etoient Sous la main, il nous reste à voir Comment L’œil Jugera à de plus grandes distances, et à observer les Phenomenes que L’eloignement fera naître.

La Vûe ne peut s’etendre lors­qu’on com­mence à voir qu’à la dis­tance que la Longueur du bras mesure.

 

142. Jusqu’ici La Statue n’a porté Sa vûe, que Sur une enceinte qui S’etendoit en tout Sens, à deux pieds ou environ : elle Sçait quil existe un Espace bien plus grand, mais n’ayant encore Vû, ni pû voir sous le rap­port de la distance et de la grandeur Veritables, (143.) que ce qu’elle a vû et Touché en même Temps, cette connoissance ne peut pas lui rendre vi­sible un espace dans lequel aucun des Jugements du Tact n’a pû se Lier avec les Sensations de Lumiere et de Couleur. (135.)

elle eprouve les appa­rences du Phenomene de la Voute celeste, malgré quelle ne s’etende qu’à cette petite dis­tance.

 


143. ne voyant que dans cette Enceinte, la Statue rapportera à la cir­con­ference qui la borne, tous les objets eloignés ; |[149] Elle les verra Sur une Surface Lumineuse, concave, immobile, tant qu’elle L’est elle-même, et fuyant devant elle, lorsqu’elle avance : il en est d’elle à cet egard, comme de nous relativement à la Voute du Ciel : nous y voyons les astres appliqués, et nous y appercevons des Mouvements, lorsque nous en faisons nous-mêmes.

Elle Juge de la Fi­gure et du mou­ve­ment des ob­jets placés au de­là de cette dis­tance.

Elle ne Juge pas de leur veritable grandeur.





Elle Juge le même objet grand et petit

 



Elle voit ces objets figurés ; parce qu’elle a deja appris à Juger des figures par les seules impressions de la Lumiere ; (136.) elle suit leurs mouvements ; parce qu’elle les voit repondre à differents points de L’enceinte ; (141.) elle les voit augmenter ou diminuer, à mesure quils S’approchent ou S’eloignent ; (129.) mais elle ne Juge pas de leur veri­table grandeur ; et la raison en est sensible.



En effet la Statue n’a encore appris à Juger des grandeurs, qu’en Liant aux Jugements du Tact, les impressions Transmises par les objets placés à la Portée de la main. n’ayant donc pas encore pû Lier ces impressions relativement à des grandeurs eloignées, elle doit Juger de ces Grandeurs, |[150] d’après les habitudes qui lui Font Juger de celles qui Sont Sou­mises à l’examen du Tact, C. à. d. par les impressions qu’elle reçoit ; or ces impressions Varient à raison des distances qui rendent L’image plus grande ou plus petite ; (129.–140.) L’impression des Petites images doit donc Lui faire paroitre les objets Petits, et reciproquement ; ainsy le même objet lui paroitra successivem.t grand et Petit, à raison des diverses distances où il sera placé.

 

 

144. mais elle acquerra bientost le moyen de reconnoitre cette erreur, et de la prevenir. Elle veut saisir un de ces objets placés au delà de son hori­zon, C. à. d., hors de L’enceinte dans laquelle elle est renfermée. Surprise de porter la main dans le vide, Lorsqu’elle croyoit Saisir un corps qui lui paroissoit appliqué à cette Circonference, elle avance de quelques Pas, rencontre ce Corps, et le Juge à |[151] la Vûe ; Tel quelle le Reconnoit au Toucher. Elle recule, L’objet lui paroit encore le même ; elle essaye de le saisir de nouveau, il n’est plus Sous la main ; Elle revient, il se laisse re­prendre ; et ces experiences souvent repetées accoutument enfin la statue à Voir les Corps au delà de L’enceinte où avant /auparavant/, elle les croyoit appliqués.


elle la previent Ensuite.

 

En s’exerçant ainsy, elle a pû Juger de la distance qui la separoit de ce corps, et observer la difference des impressions qu’il fait Sur elle. Cepen­dant Comme elle a connu sa grandeur au Toucher, le souvenir qui lui reste de cette grandeur, fait que, sans avoir egard à la difference des im­pressions, elle lui conserve cette même grandeur, Lorsqu’elle n’en Juge ensuite qu’à la Vûe et à une certaine distance.

Tandis donc qu’avant /auparavant/, un objet ne pouvoit pas lui Paroitre S’approcher ou s’eloigner, et que dans ce cas, elle devoit en appercevoir Successivement plusieurs de differentes grandeurs, |[152] quand il n’y en avoit rééllement qu’un qui se mouvoit directement par rapport à elle, il lui est maintenant aisé de Juger de ces Mouvements et de leurs Effets par les impressions de Lumieres, qu’elle a appris à Lier aux idées de distance, de grandeur et de Mouvement, C. à. d. que tandis qu’avant /auparavant/ elle voyoit autant d’objets individuellement differents, qu’elle eprouvoit des impressions differentes, les impressions differentes de la même Espece ne lui montrent plus maintenant qu’un Seul individu plus au moins rappro­ché, d’une Grandeur determinée et se mouvant en Tel ou Tel Sens. il est vrai que limpression relative au mouvement doit etre la même, soit que l’objet s’approche de la Statue, soit qu’elle aille vers lui ; Comme il nous semble voir la Lune, par exemple, aller, pour ainsy dire, à la rencontre d’un nuage, pour S’y Cacher ; tandis que c’est le nuage qui va rééllement vers la Lune. mais le Sentiment qu’a la statue de son propre repos, ne lui permet pas de se meprendre sur ce mouvement.

 

 

145. Cependant quel que Soit le souvenir que la Statue Conserve de la |[153] Grandeur d’un objet, il ne peut pas toujours empecher que cette grandeur ne diminue à Ses yeux, Lorsque L’objet S’eloigne d’une Cer­taine distance.


de ce qui di­mi­nue les appa­rences de Gran­deur.

 

un Corps n’est visible en Effet, qu’autant que chacune de Ses parties fait une impression distincte dans L’organe de la Vûe ; or, d’après la cons­truction de cet organe, ces impressions se font par les angles que forment les rayons, en entrant dans l’œil, pour Se rendre à La retine ; il Faut donc, pour que l’objet Soit visible, que les differents angles qui doivent le ren­dre Tel, soient tracés distinctement. Or quand les objets sont Placés à une Certaine distance, les angles Cessent d’etre distincts, et leurs Cotés même se Confondent ; Les Parties que ces Angles devoient rendre vi­sibles, cesseront par Consequent de l’etre ; Celles dont elles remplissoient L’in­tervalle se Confondront alors, et Les extremités de l’objet se rap­proche­ront.

Mais Comme L’œil n’a pû apprendre à Juger de la grandeur des objets, qu’en apprenant à demeler leur[s] |[154] Parties, et à les voir les unes hors des autres ; et que, dans ce cas-ci, il ne peut point acquerir ces Con­nois­sances ; puisque plusieurs de ces Parties ne font aucune impression sur Lui ; et qu’il est impossible que L’œil remarque dans Ses sensations ce qui n’y est pas, il Lui est impossible aussi de Juger de la vraie grandeur de L’objet, il doit le voir plus ramassé, plus petit & plus confus.

Le souvenir de cette Grandeur ne peut par Consequent la faire conserver à l’objet eloigné, qu’autant que les angles visuels demeurent distincts ; Et attendu que ces Angles s’alterent insensiblement, à mesure que les dis­tances Croissent, tout objet qui S’eloigne paroit diminuer aussi par degrés insensibles.

La Vûe par­vient à Juger des ob­jets sans le Se­cours du Tact.

 

146. La Vûe n’a Jugé Jusqu’ici des objets qu’avec le Secours du Tact ; mais elle en Jugera seule, dèsqu’une fois elle aura Lié certaines idées de distance, de figure et de Grandeur, à certaines impressions de Lumiere : il suffira que ces impressions se reproduisent, pour |[155] qu’elle puisse Ju­ger des objets qui les occassionnent, quoiqu’elle ne les ait Jamais connus au Tact.

Erreurs aux­quelles elle est sujette.

 

Ses Jugements, dans ce Genre, seront cependant Sujets à bien de meprises, après même qu’elle aura Fait le plus d’experiences pour eviter des Erreurs. accoutumée à Lier L’idée de proximité, par exemple, à Limpression d’une Lumiere Vive, et L’idée d’eloignement à L’impres­sion d’une Lumiere Foible, elle croira plus Près qu’ils ne Sont, les corps qui reflechissent la Lumiere d’une maniere distincte ; et plus Eloignés, ceux qui la reflechissent Confusement.


Elle se trouve en Con­tra­dic­tion avec le Tact


Elle ne peut plus s’en rap­porter au Tact pour faire ces­ser la Con­tra­diction

 

147. Les yeux pourront même Se Trouver tellement en Contradiction avec le Tact, qu’il leur sera impossible de se mettre d’accord avec Lui. accoutumés par l’etude que, Sous la direction de la main, ils ont faite d’un Globe, par exemple, à Lier une idée de Convexité ou de relief à L’impression d’un Certain melange d’ombre et de Lumiere, ils verront ce relief sur la Toile Peinte, Tandis que la Main n’y Trouvera qu’une |[156] Surface plane. C’est celle-ci qui a raison sans doute ; mais il ne depend plus des yeux de s’en rapporter à leur maitre. après avoir Souvent Jugé de Concert avec le Tact, que Telles impressions etoient Produites par un corps Convexe, ces Jugements sont devenus habituels ; et ils se repetent Si rapidement, qu’ils Se Confondent avec la Sensation, (110.) C. à. d. que Sentir cette impression, et Juger que le corps qui L’occassionne, est Con­vexe, sont deux actes qui n’en font plus qu’un.


elle pourroit dès­lors tomber dans des Er­reurs quil Lui seroit im­pos­sible de re­con­noitre

 

L’effet de cette contradiction entre L’œil et La main, pourroit même etre Tellement menagé, que la Statue seroit exposée à des erreurs inevitables, si elle avoit à distinguer à la vûe, les reliefs rééls, de ceux que produit le Pinceau : il ne faudroit, pour l’y faire Tomber, que la placer en presence d’un certain Nombre de reliefs peints, et d’autant de Corps veritablement Convexes : Les impressions etant les mêmes, les Jugement[s] le seroient aussi ; Lors donc que la reponse de la Statue seroit Juste, le hazard |[157] Seul Pourroit l’avoir dictée ; et forcée alors de reconnoitre la Superiorité du Tact, elle n’oseroit, Sans doute, plus S’en rapporter qu’à Lui.

Elle peut etre en Con­tra­diction avec elle-même

 

148. Mais ce n’est pas Tout : la Vûe que nous venons de trouver en Contradiction avec le Tact, peut l’etre encore avec elle-même. une Tour vûe d’une Certaine distance, Paroit à la Statue petite et ronde, Et Cepen­dant d’une moindre distance, elle lui paroit grande et quarrée. (129.) La Statue Se Trompe-T’elle, ou S’est-elle trompée ? pour le Sçavoir, il Faut qu’elle approche et quelle Touche.


On n’est pas au­thorisé pour cela à accuser les sens d’etre Trompeurs.

 

Les Philosophes qui ont Soutenu que les idées ou les Connoissances derivées des Sens, avoient une origine qui les rendoit toujours Suspectes d’erreur, portoient cet exemple, comme une preuve de leur Pretention ; mais l’on en voit bien vite la Futilité : l’erreur dans ce cas-Là vient uniquement de ce qu’à la Suite de certaines Sensations, on Porte des Jugements dont ces Sensations ne sont pas le motif ; de ce qu’on rend |[158] la Vûe Juge d’une matiere Qui n’est pas de son ressort ; de ce qu’on S’en rapporte à L’œil, Lorsqu’on ne devroit écouter Que la main.


le Temoignage du Tact peut etre sup­pleé par celui des Connois­sances acquises avec son Se­cours.

on peut Juger de la distance par l’idée de la Gran­deur

par la Neteté de L’image que Trace L’im­pres­sion de L’objet

 

149. ayant été le Seul instituteur des yeux, le Tact peut Seul aussi attester la Verité de leur Temoignage. cependant lorsqu’elle est privée de ce Secours, la Statue peut le Suppléér à peu près par le moyen de Ses Connoissances Acquises. Les idées de distance, de grandeur et de Figure qu’on doit Primitivement au Tact, Se Combinant dans la Suite de dif­ferentes manieres, Contribuent à rendre plus Surs les Jugements de la Vûe. on Juge par exemple quelques fois de l’eloignement d’un objet, Par l’idée qu’on a de sa grandeur : S’il paroit à la Vûe, de la grandeur qu’on lui a trouvée au Toucher, on le Juge près ; et Loin au Contraire, si le Tact l’a reconnu Précédemment plus grand, qu’il ne le paroit actuellement à la Vûe. Ces Jugements sont appuyés Sur ce que les apparences de grandeur |[159] varient à raison des distances. (143.) d’autres fois on determine la distance par la Neteté avec laquelle les figures S’offrent à la Vûe, (145.) et Sans avoir aucun egard aux impressions relatives à la grandeur : L’ob­servation ayant appris que ce qui est Eloigné, Se voit plus Con­fuse­ment, tandis qu’on apperçoit d’une maniere distincte, les objets rappro­chés, l’idée d’eloignement s’est Liée à la Vûe Confuse des figures, Comme l’idée de proximité, à leur Vûe distincte ; et l’on Juge en Con­sequence.

experiences qui le prouvent

 

Ainsy malgré que deux arbres vûs dans le Lointain, paroissent de la même grandeur, on Jugera L’un plus Eloigné que l’autre, S’il Se peint moins distinctement que Celui-ci. C’est pour cette Raison encore qu’une mouche passant rapidement, paroit un oiseau eloigné ; Parce que L’image Confuse qu’elle Laisse appercevoir, est semblable à celle d’un Oiseau Eloigné. C’est enfin sur cette raison qu’est fondée en |[160] Partie La magie de la Peinture qui, Lorsqu’elle nous fait voir un cheval dans L’en­foncement, et n’occupant pas plus d’espace qu’un mouton, ne produit cette illusion, qu’en Peignant plus Confusement les traits de L’image qu’elle veut nous faire voir Eloignée.


par la Con­si­dera­tion des objets placés entre ce­lui qu’on ob­serve et L’obser­va­teur




par les idées Liées aux mou­ve­ments de L’ob­jet

 

Enfin on peut encore connoitre avec plus de precision, les distances et par consequent les grandeurs, (puisqu’ainsy quil vient d’etre dit, on Juge de celles-ci par celles-là.) en observant, lorsqu’on le peut, les objets pla­cés entre celui qu’on fixe et soi. Si l’on est separé de ces objets par des Bois, des champs et des rivieres, on doit le Juger Loin et grand ; parce que La mesure connue des intermediaires, determine celle de sa distance, et la distance fait supposer la Grandeur. mais Si une Elevation interposée, cache les Bois ou les champs, on ne pourra Juger de la distance de L’ob­jet, qu’autant que quelque Circonstance puisse Faire determiner sa gran­deur, ainsy un Cheval immobile |[161] Pourra dans ce Cas ne pas paroitre plus grand qu’une poule, mais s’il se meut, ses mouvements le font con­noitre : le Souvenir de Sa Grandeur ordinaire La lui fait alors Conserver ; (144.) et en La Comparant à L’impression actuelle, on Juge qu’il est à une grande distance.



Phenomene
de la Voute celeste plus devellop­pée.

 

on voit donc qu’avec le Secours des Connoissances acquises, on peut, à la vûe, Juger assès exactement de la distance de tout ce qu’on a origi­nairem.t connu par le Tact ; mais on doit voir aussi que dèsquil manque, on ne peut Plus determiner aucune distance. ainsy les Cieux paroitront à la Statue comme à nous, former une voute qui S’appuye sur les mon­tagnes, et qui ne s’etend pas au delà des Terres que son Œil embrasse ; parce qu’entre le Ciel et ces Terres, ou ces montagnes, elle n’apperçoit aucun intermediaire ; Les arbres Plantés sur les hauteurs Lui sembleront Toucher le Ciel ; les astres Lui paroitront appliqués à cette |[162] Voute, et par Consequent tous à la même distance ; puis que n’ayant aucun moyen direct, pour en determiner les distances respectives, et ne pouvant pas en Juger indirectement non plus, par L’idée de leurs Grandeurs qu’elle n’a pas pû Connoitre, elle doit Supposer que tous Sont egalement eloignés d’elle ; Comme elle Supposoit tout à la portée de Sa main, (143.) quand elle n’avoit pas appris à voir plus Loin, ou à donner plus de pro­fondeur à L’espace.

idées de la gran­deur et de la pe­ti­tesse


relatives

absolues.


maniere dont ces idées deviennent absolues.

Contradiction qui en est la Suite.

 

150. Familiarisée avec les grandeurs, la statue les Compare entr’elles. quelqu’une de celles qui lui Sont les plus familieres, devient la mesure Commune de toutes les autres, le Terme constant de toutes ses Compa­raisons. elle ne Jugera donc pas que les objets sont absolument grands, ou absolument Petits ; mais tout ce qui excedera sa hauteur, par exemple, lui paroitra grand, et elle verra petit tout ce qui |[163] sera au dessous. La grandeur et la petitesse deviendront cependant des idées absolues ; Parce que les Comparaisons qui les Lui Faisoient Voir relatives, etant une fois devenues habituelles, ne se Laissent plus Remarquer, pas même dans le moment où elles determinent ses Jugements ; et par l’influence de cette habitude, il arrive que la statue, Sans S’en douter, Juge differemment sur le même objet : une pyramide de 20 Pieds vûe à coté d’une autre de 10, lui paroitra absolument grande, et absolum.t Petite, Lorsqu’elle sera à coté d’une de 40 : La Statue ne Soupçonnera cependant pas que ce soit la même ; parce qu’elle n’a pas remarqué la comparaison qu’elle en a Faite successivement avec deux autres Pyramides ; comparaison toutes fois qui a determiné ses deux Jugements.

une grandeur quel­conque sert à Faire Juger d’une autre.

 

il Faut même observer qu’elle en portera de semblables, toutes les fois qu’elle pourra avoir pour Terme de Comparaison une grandeur quel­conque, et quoique les objets ne soient pas, comme dans le cas |[164] prudent, de la même espece que ceux auxquels elle pourra les comparer : ainsy le même cheval Lui paroitra plus petit dans une vaste plaine, que dans un Pays coupé par des Coteaux, parce que, vû dans cette plaine, le cheval est comparé à une grandeur plus considerable ( ?? /l’etendue de cette plaine/) que celle à laquelle il L’est dans un Pays Coupé par des Coteaux. d’où il suit que les grandeurs doivent diminuer d’autant plus à la Vûe, qu’elles sont plus eloignées, et surtout plus elevées, Puisque, dans les deux cas, l’objet est comparé avec un espace qui devient toujours plus grand.





Prééminence de la vûe sur les autres sens dans les choses même dont elle ne Juge pas im­me­diate­m.t


Elle acquiert plus de saga­cité que les autres sens.

 

151. Tels Sont les moyens par lesquels la Statue apprend à Juger à la vûe, des distances, des grandeurs, des figures, des situations et du mouve­ment des corps. or plus elle se Sert de ses yeux, plus l’usage lui en de­vient Commode : La facilité qu’ils |[165] ont exclusivement de saisir à la fois L’ensemble de plusieurs Corps, d’atteindre ce qui est inaccessible, de sonder la Profondeur de lespace, Jusqu’aux bornes que l’imagination peut Seule depasser, les rend Tellement Superieurs aux autres Sens, que la Sta­tue doit les Consulter par preference pour Suppléér à L’imperfection de ceux-ci. Les idées acquises par la Vûe se Lient en consequence si etroite­ment à toutes les autres especes de sensations, qu’il n’est Plus possible de penser aux objets odoriferents, Savoureux, Sonores ou pal­pables, Sans les revêtir aussitost des couleurs par lesquelles ils ont affecté la vûe, et Sans rappeller les impressions qui ont fait Juger à la Vûe, de leurs distances, de leurs situations &.a La Statue s’applique donc moins à Juger de ces differents rapports par les autres sens qui, moins exercés par Consequent, deviennent moins propres aussi à acquerir les |[166] Connoissances dont ils auroient été Susceptibles : ils perdent de leur finesse, à mesure que la Vûe acquiert plus de Sagacité.


Conclusion du Chapitre.

 

152. Les Phenomenes observés dans le compte rendu par l’aveugle-Né, de L’histoire de ses Sensations, après qu’il eut acquis L’usage de la Vûe, se trouvent exactement Conformes à la Theorie qui vient d’etre devellop­pée, (130. jusqu’à 141. incl.) on peut donc S’arretter à cette Theorie, comme à [à] une doctrine confirmée par l’experience, et Conclure que c’est du Tact, que L’œil apprend à Juger des distances, des Grandeurs, des Figures, des situations et du mouvement des Corps.

 

 

 

 

Chapitre 10.me

Des idées de la durée, lorsque la Vûe est reunie au Toucher : de la maniere dont se distingue alors l’etat de Songe de celui de veille, et dont se mesure La durée du Sommeil.

 


surprise que doivent cau­ser les Phe­no­menes des re­vo­lu­tions so­laires, lors­qu’on ne les ob­serve pour la premiere Fois ; que quand on a deja atteint un cer­tain age.

 

153. voyant le Jour cesser, dèsque |[167] le Soleil disparoit, la statue Juge que cet astre est le principe de la Lumiere. On Conçoit l’etat de Surprise et de Tristesse dans Lequel Elle a dû Tomber, lorsqu’à Son premier coucher le Soleil l’a Privée du Spectacle ravissant dont ses rayons Com­mençoient à la Faire Jouir. Sa desolation a dû ressembler à celle de Ces sauvages de L’amerique, lorsque pendant une eclipse, ils craignirent de perdre la Lune que Colomb les avoit menacés de leur Enlever.

Cependant elle Succombe à la Lassitude, et le reveil lui rend ensuite la Lumiere avec le Soleil. Or, après avoir soigneusement observé la Suc­cession reguliere des Jours et des nuits, elle Juge avec Confiance que ces Revolutions |[168] Sont dans l’ordre de la nature : elle ne Craint plus de perdre le Soleil pour toujours ; Et, lorsquil a disparu, elle croit qu’il re­pa­roitra.

ces Revolu­tions donnent l’idée du pos­sible.

 

L’habitude de Juger sur de Tels motifs est le Fondement des idées que la Statue se fait de la possibilité : elle croit possible aujourd’huy ce qu’elle a vû arriver hier, par cela Seul qu’elle l’a vû arriver. Or Jugeant ainsy de la possibilité des choses, sans Connoitre les Causes qui doivent concourir à les reproduire, elle doit etre entrainée dans bien d’erreurs. (46.)

elles de­viennent la mesure de
la durée.

 

154. Les revolutions du Soleil etant un Phenomene trop interessant, pour n’etre pas attentivement observé, la statue ne manquera pas d’en con­si­derer le cours. or la Succession de ses idées lui Faisant remarquer |[169] L’intervalle qu’il y a, d’un coté, entre le Lever et le Coucher, et de l’autre, entre le Coucher et le Lever de cet astre, le Soleil devient pour elle la mesure du Temps, et marque La durée des etats par où elle passe. autre fois une Sensation, quelque peu, ou quelque long temps qu’elle durât, n’etoit qu’un instant pour la statue ; et ces instants tous egaux à son Egard, formoient une Succession où il lui etoit impossible de remarquer de la Lenteur ou de la Rapidité ; maintenant au Contraire elle compare la durée de ses differentes sensations à lespace que le soleil a parcouru, et par ce moyen, elle Juge que Certains de ses Etats ont passé plus ou moins rapidement que d’autres.

C’est ainsy qu’ayant d’abord Jugé des revolutions solaires par Sa propre durée, elle Juge ensuite de sa durée par ces mêmes revolutions. et bientost |[170] L’habitude de ce Jugement ne lui Laisse plus Soupçonner que c’est par la Succession de Ses idées, qu’elle connoit uniquement la durée. (92.)

Maniere de bien Juger de la du­rée.

 

155. En rapportant aux differentes revolutions du Soleil, les evenements qu’elle rappelle, et ceux qu’elle est accoutumées à prevoir, la Statue en Saisit la Suite et voit mieux dans le passé et dans l’avenir. Sans cette attention, la durée ne peut que Se [?monter] Confusement. nous sçavons en Effet par l’experience que L’histoire seroit un Cahos impossible à de­brouiller, si l’on n’avoit divisé la durée en Siecles, années, mois, Jours et heures, et si L’on n’avoit Lié chaque evenement à celles de ces divisions qui lui Sont Correspondantes.

Trois choses Concourent donc aux Jugements que nous portons sur la durée 1.o La Succession de nos idées 2.o La Connoissance des revolutions |[171] Solaires. 3.o Enfin la Liaison des Evenements à ces Revolutions.

Pourquoi le temps paroit plus Long à cer­tains hommes qu’à d’autres

 

156. nous avons deja Vû (43.) qu’une Portion donnée de durée peut Paroitre plus Longue à certains hommes, qu’à d’autres ; mais ce Pheno­mene s’expliquera mieux par ce qui vient d’etre dit. La fatigante uni­for­mité de l’etat de désœuvrement fait remarquer avec une attention plus Suivie, les revolutions diurnes du Soleil ; tandis qu’au Contraire la varieté de l’etat actif laisse à peine observer Ces revolutions. Or dans le premier cas, les Jours doivent paroitre Longs et les années très Courtes ; mais dans le 2.d, c’est Linverse : Les Jours Paroissent Courts ; parce qu’on n’a point fait attention à ce qui les mesure : Les années paroissent Longues ; parce que la Suite encore existante des choses utiles qu’on a faites, et qui se sont Liées aux |[172] Revolutions dont Se Compose L’année, rappelle en detail le nombre de ces Revolutions qui, toutes Semblables dans L’etat oisif, ne Laissent rien après elles, qui puisse en [?retracer] la Succession.


Maniere de me­surer la durée du sommeil

 

157. S’etant Endormie, quand le Soleil etoit encore à L’orient, et re­veil­lée, Lorsqu’il descendoit vers L’occident, la Statue Jugera que Son som­meil a eû une certaine durée. Si elle ne Se rappelle aucun Songe, elle croira avoir duré sans avoir Pensé. cette idée cependant pourra etre une Erreur ; puis qu’ainsy que nous l’avons Vû, (107.) l’on ne Conserve pas toujours le Souvenir des Songes. mais si elle se les rappelle, la succession qu’elle aura remarquée alors dans Ses idées, sera un nouveau moyen pour S’assurer de la durée de Son sommeil. (92.–157.)






Maniere de re­con­noitre L’illu­sion des Songes.

 

|[173] 158. il a été remarqué (105.) que, bornée au Tact, la statue ne Pouvoit pas reconnoitre L’illusion des Songes. La Connoissance qu’elle avoit des objets dont elle se trouvoit environnée avant, et après, le Sommeil, etoit Contredite sans doute d’une maniere Frappante par les Songes ; et c’est par Là que cette illusion peut etre constatée ; mais il Falloit de plus que la Statue Pût reconnoitre qu’elle eprouvoit ces Etats Si differents, dans le même Lieu, et que de plus il n’etoit point Survenu dans ce Lieu d’autres objets, que ceux qu’elle y trouvoit habituellem.t. Or Le Tact ne pouvoit pas Seul lui donner cette connoissance, mais la Vûe Jointe au Toucher, la lui donne, en lui [?montrant] à la fois la multitude et la position respective des objets qui remplissent |[174] les Lieux où elle est pendant le Sommeil, Comme pendant la Veille. ensorte que la Con­tra­diction frappante qu’elle remarque entre les Songes, et L’etat de Veille qui les a precedés, et qui les Suit, ne pouvant etre attribuée ni à un Changement de Lieu, ni à l’apparition d’aucun corps Etranger, la Statue peut d’autant plus regarder cette Contradiction, comme l’effet d’une illusion, que plus accoutumée à rapporter Ses Sensations au dehors, elle n’y trouve de realité qu’autant qu’elle decouvre des objets auxquels elle peut les rapporter encore.

 

 

 

 

Chapitre 11.e

Observations Sur la Reunion, de chaque Sens avec le Toucher.

 



Toutes les idées se Lient à celles qui Viennent du Toucher.

 

159. Lorsque les corps agissent en |[175] même Temps Sur le Tact, et un autre sens quelconque, les idées d’espace, de grandeur et de Figure, sont Tellement Liées par des Jugements aux Sensations de Lumiere ou de Couleur, de Son, d’odeur et de Saveur, que, quand ces sensations se renouvellent, ces Jugements originaires du Tact sont repetés, lors même qu’il n’agit plus ; Ensorte que malgré La Statue, malgré L’inaction du Toucher, se trouve, relativement à l’espace, les grandeurs et les Figures, avec les mêmes idées qu’elle avoit, lorsque ce sens agissoit avec quel­qu’autre. C’est ainsy que, dans les Songes, les idées de couleur, de Lumiere &.a sont reveillées, lorsque les sensations auxquelles elles ont été Liées, sont retracées elles-mêmes.


L’idée de L’eten­due est la base qui sou­tient le sys­teme de toutes les autres


le Tact con­tribue plus que chacun des autres sens au devellop­pem.t de nos Con­nois­sances

 

Or il Suit de Là que, rapportant |[176] Ses Sensations aux objets, comme si elles en etoient les qualités, (66.) La statue ne peut plus s’en rappeller, en imaginer ou en eprouver aucune, qu’aussitost elle ne Se represente des Corps ; c. à. d. que toutes les sensations se Lient à L’idée de L’etendue. cette idée devient donc la base de toutes les autres : (102.) c’est Sur elle que Sont pour ainsy dire rangées toutes les Richesses qui forment le depot Confié à la mêmoire. L’on peut dire par Consequent que L’usage du tact nous Facilite celui de nos Connoissances, puisque par lui nous tenons toujours le bout de la Chaine qu’elles Forment ; nous rendant toujours presente l’idée de la Statue L’etendue, il nous donne le moyen de reveiller celles de toute autre espece ; puisquil n’en est aucune qui ne se Lie |[177] à celle-là.





L’usage du Tact aug­mente le nom­bre des idées Gé­né­rales.

 

160. nous avons deja remarqué (115.) que, par la reunion de plusieurs Sens avec le Tact, la Statue Se Faisoit plus d’idées générales ; mais cette observation peut recevoir ici un plus grand develloppement. le Toucher Faisant Connoitre à la Statue chaque nouvel organe qui Se montre en elle, et lui Faisant attribuer aux Corps, tout ce qu’avant /auparavant/ elle prenoit pour Ses propres modifications, chaque son, chaque couleur &.a devient par l’usage du Tact, une qualité Commune à plusieurs objets, (31.) la statue doit encore Considerer alors dans les qualités des objets, les rapports qu’elles ont à ces differents organes, |[178] et distinguer par Consequent autant d’especes de Sensations, qu’elle Se reconnoit d’or­ganes qui le sont. Ces idées d’abord assès Générales, le deviendront en­core plus, Si la statue Considere les qualités des Corps, Sans avoir egard aux cinq differentes manieres dont elle en acquiert la Connoissance. ne formant qu’une Classe de toutes les impressions que les corps font Sur elle, elle a la notion générale de Sensation ; Et cette idée croitra en géné­ralité, à mesure que la Statue passera de l’usage de deux Sens à celui de trois, de quatre et enfin de Cinq.




augmente les Jouis­sances, ecarte les im­pressions des­agréables. il donne plus de Finesse aux autres sens.

 

161. privée du Toucher, la Statue ne pouvoit se procurer |[179] Les Jouissances relatives à chacun des Sens, qu’autant que L’imagination en reveilloit le Souvenir : elle ne pouvoit même que difficilement se Sous­traire aux impressions desagréables qu’elle recevoit ; (14.–21.) mais depuis qu’elle a L’usage du Tact, elle peut facilement se procurer les objets dont elle recherche les impressions, et fuir les autres. (21.) la vûe n’attendra plus qu’ils agissent sur elle, elle sçaura se diriger vers eux. les autres sens plus exercés acquerront plus de finesse, et leur discernement sera plus etendu ; mais l’imagination aussi sera alors moins active ; (ib.) il est vrai que ce qu’elle perd de ce coté, est heureusement et avan­tageuse­ment compensé |[180] par ce qu’elle gagne de l’autre.


il rend les autres sens solidaires les uns des autres

 

162. Lorsque reduite à L’usage de quelque sens, autre que le Toucher, la Statue sentoit le besoin d’une odeur, d’un Son &.a les Facultés de L’ame pouvoient Seules etre mises en action pour les procurer ; mais après la reunion du Tact, il n’en est plus de même : Les organes deviennent tous Solidaires entr’eux, pour satisfaire aux besoins de chacun : La Vûe s’etu­die à decouvrir sous le Buisson, la violette que L’odorat recherche, et la main va L’y Cueillir ; Ensorte que le desir est alors la direction de toutes les facultés, soit de L’ame, soit du corps, vers l’objet |[181] dont la privation produit une Souffrance.