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Deuxième Section. Chap. 5-8

 
Table des matières

 

1.re Partie. 1.er Traité

1.re Section. Chap. 1-6

1.re Section. Chap. 7-11

2.me Section. Chap. 1-4

2.me Section. Chap. 5-8

Introduction

 

2.me Traité. Logique

1.re Partie

2.me Partie

3.e Partie

4.e Partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

Chapitre 5.

de La maniere dont L’homme isolé peut S’Elever à La Con­nois­sance d’une premiere Cause ou de Dieu, L’Etre Supreme.

 



polytheisme fruit de L’igno­rance

 

196. on a observé (180.) que se voyant dans la dependance de tous les objets qui L’environnent, La statue S’est humiliée devant eux ; qu’elle leur a presqu’adressé des prieres ; Et qu’en un mot, ils ont été ses pre­mieres divinités. cette notion grossiere de notre dependance a été Tou­jours et partout le principe du Polytheisme, C. à. d. de l’opinion qui admet la pluralité des Dieux. il ne faut donc, pour detruire cette Erreur, que rectifier les premieres idées qu’on se fait de cette dependance, et le develloppement de ses Facultés intellectuelles conduit Lhomme à ce But, pour peu qu’il soit attentif.



dependance des Etres entr’eux.

 

La statue a reconnu que dans ses Peines |[230] et ses plaisirs, elle de­pend de L’action des objets qui Sont tous, ou des Corps brutes, ou des Vegetaux, ou Enfin des animaux. mais Considerant ensuite ces objets dans les Rapports qu’ils ont entr’eux, elle voit qu’à leur Tour, ils obeissent à L’action de tout ce qui les environne : C. à. d. qu’elle apper­çoit partout des Effets, et nulle part, des causes. Supposons en effet qu’elle Soit blessée par la chute d’un Corps : Elle Souffre à Loccassion du Choc ; mais elle voit, en y reflechissant, que ce corps qui l’a meurtrie, n’a en Lui-même, aucun principe d’action ; quil faut celle d’un autre Corps, pour le mettre en mouvement et le rendre capable de Nuire ; elle observe La même Chose au Sujet d’un Second Corps, d’un Troisieme et ainsy desuitte et Sans fin.



ils semblent etre une serie de Causes et d’effets

 

En examinant de même les Animaux et Les Vegetaux, qui, de tous les objets, Sont ceux qui L’interessent d’avantage, |[231] Soit par la ressem­blance plus marquée qu’ils ont à elle, soit par leur utilité, soit enfin par le mal qu’elle En peut redouter, elle observera que les Générations de tous ces Etres se Succedent dans un ordre Constant, et qu’elles forment comme une Chaine dont chaque génération est un anneau. Tous ces anneaux paroitront produits les uns par les autres : celui qui precede Semble La Cause de Celui qui Suit ; Celui-ci à son Tour paroitra L’etre d’un autre ; et enfin toute la Chaine se montrera Comme une suite non interrompue de Causes et d’effets, d’effets et de Causes.

necessité de re­monter à une premiere cause.

 

Mais en y reflechissant, la statue verra enfin un peu plustost, ou un peu plus Tard, qu’en remontant, cette chaine doit avoir un Terme, et qu’il faut nécéssairem.t qu’un de ses anneaux ne doive pas sa production à un autre, et quil Soit au Contraire la premiere et Vraie Cause de tout ce qui Suit ; |[232] Car Si l’on Supposoit quil Tient Lui-même son existence d’un autre, et celui-ci encore d’un autre, ce seroit Admettre une infinité d’ef­fets sans Cause, evidente contradiction.

Les Athées l’ont eux-mêmes re­connu.




cette P.re Cause Est Dieu

 

En donnant L’idée d’un premier principe, ces Reflexions en demontrent l’existence : hors de la Chaine des etres, il y en a donc un qui existe par lui-même, et qui, en Lui-même, a la Raison de la chaine entiere. En rejettant cette Consequence, les athées, cest à dire, les hommes qui nient L’existence ou l’action d’un premier etre, ont été la dupe du plus vain Langage : le hazard qu’ils invoquent, n’est qu’un mot, et le besoin qu’ils en ont, pour bâtir leur Systeme, prouve lui-même combien il est né­céssaire de reconnoitre un premier Principe, Pour etre d’accord avec le bon Sens. Ce premier principe, ou cette Cause premiere est ce que nous Appellons Dieu ou l’Etre Supreme.

|[233] 197. Dèsque la Premiere cause est une fois reconnue, tous les Effets que l’on Apperçoit, S’y rapportent naturellement, ou Comme pro­cedant immediatement d’elle, ou Comme en resultant par L’entremise de quelque Cause Seconde.

   

Mais la premiere Cause a-T’elle tiré tous les Etres du neant, ou agit-elle Simplement sur des Etres qui existent par Eux-mêmes ?

Objection des Athées contre
la Creation.

 

Les athées ont nié la Creation, parce que, disent-ils, nous ne pouvons pas la concevoir. Mais Si cette raison en etoit une, il est mille choses dont nous pourrions rejetter La Possibilité, nous rendant semblables À Cet Aveugle qui nioit obstinément L’existence de la Lumiere ; parce qu’il ne la Concevoit pas : nous nierions le Mouvement, parce qu’on ne Conçoit pas Comment un corps en repos, commence à se Mouvoir. nous disons à la Verité qu’il Se meut par l’effet de la force d’un autre corps ; mais ce mot force, est le nom d’une chose invisible et |[234] intangible dont nous n’avons aucune idée.

Supposans [sic] cependant, avec L’athée, que la premiere Cause n’agit que sur des Etres existants par eux-mêmes, et Voyons Si cette hypotheze est Soutenable.


preuves de la Creation

 

198. Les Etres ne peuvent exister sans Modifications ; Si donc ils existent independament de l’action d’une Cause Premiere ; ils ont aussi par eux-mêmes leurs modifications. Ensorte que dans cette hypotheze, ces modifications, doivent leur etre aussi essentielles, que leur existence, C. à. d. qu’elles resultent nécéssairement de La même nature dont on veut que leur existence soit l’effet ; mais Si le premier principe ne peut rien Sur cette existence, il y auroit Contradiction à Lui supposer quelque pou­voir Sur des modifications aussi Essentielles que l’existence, et resultant de La même nature qu’elle ; car un etre ne peut rien sur des effets depen­dants d’une cause qui n’est pas Sous Sa puissance. un Corps qui existe rond par Sa nature, ne |[235] deviendra donc quarré, que quand sa nature le fera exister de cette autre Maniere ; et celui qui ne peut lui ôter l’exis­tence, ne peut pas non plus Lui ôter la rondeur, pour lui donner une autre figure. Modifier un etre en effet, c’est changer Sa maniere d’exister ; or Si cet etre est independant quant à son existence, il L’est aussi quant à Sa Maniere d’exister.

idée que nous avons de la Creation.

 

Le principe qui arrange toutes choses leur donne donc aussi l’existence, C’est à dire, qu’il les Crée. nous n’avons rien en nous, il est Vrai, qui puisse nous servir de modele, pour nous faire une idée parfaite de La Creation, et nous devons nous Contenter de n’y Voir que L’action d’un premier Principe, Action en vertu de laquelle, de non existants, les Etres deviennent existants. Mais quoi que cette idée Soit très imparfaite, ce n’est pas, une raison, ainsy que nous L’avons observé, qui nous authorise à Nier la Creation, puisqu’en la Niant, nous |[236] Rejetterions une Verité qui Se montre à tous les yeux.



La 1.re Cause n’eut-elle rien
Créé, nous n’en serions pas moins depen­dants d’elle.

 

199. La statue ne fera aucun des Raisonnements que nous venons de voir ; parce qu’elle ne Se Sera pas non plus Proposé l’objection que Font les athées. elle Sentira qu’elle depend d’une Cause Premiere ; et C’est là le point important. quand en effet nous existerions par nous-mêmes, il n’en Seroit pas moins vrai que nous ne nous Sentons que par les per­cep­tions ou les manieres d’etre, qu’on croit que cette cause nous procure ; (197.) mais Puisque c’est à ces perceptions, que Commence Proprement notre existence ; que c’est en elles qu’elle Consiste ; (166.) et qu’enfin c’est elles aussi qui font notre Bonheur ou notre malheur ; toujours Seroit-il que nous devrions à cette Cause tout ce que nous Sentons d’exis­tence. Tout Concourt par Consequent à nous Convaincre intimement que Sous toute espece de rapports, nous dependons du premier principe ou de Dieu.




La 1.re Cause est Sou­verainement intelligente

 

200. Parvenue à L’idée d’un premier |[237] Principe, La Statue doit Chercher À Connoitre quelqu’unes de ses proprietés ; Or La Conside­ration de la chaine des Etres, moyen qui l’a Conduite à La Connoissance de leur premiere Cause, peut Lui faire Connoitre aussi les principaux attributs de cet etre, Pere de tous les autres. La Statue a Vû une Suite des Causes et deffets Subordonnés les uns aux autres ; mais en remarquant cette Subordination, toujours La même, elle a dû voir aussi que pour l’etablir, il falloit connoitre parfaitement tous les rapports qui Lient Les Etres, toutes les parties de L’ensemble resultant de leur union ; elle a donc dû reconnoitre que le principe qui a fait ou arrangé L’univers, (car il n’est pas nécéssaire de Supposer quil la Créé, pour prouver Son intelli­gence) doit non Seulement etre intelligent, mais avoir encore une intelli­gence infinie. (38.) peut-on penser en Effet à la Grandeur, à L’ordre, à la beauté, à la magnificence |[238] de L’ouvrage, Et Juger differement de L’intelligence de L’auteur ? intelligence Telle, que d’un coup d’œil, il doit tout Embrasser ; puisque Si quelque partie Lui echappoit, il ne pourroit Point La mettre dans l’ordre et la place où elle doit etre, et que dèslors tout Crouleroit.


L’intelligence de la 1.re Cause differe essen­tielle­ment de la nôtre.

 

201. Si l’on vouloit Comparer l’intelligence du premier Principe à la nôtre, il faudroit observer 1.o que Ses idées n’ont pas la même Origine, que les nôtres ; 2.o qu’il ne les forme pas, Comme nous, les uns des autres, par une espece de Génération ; 3.o Qu’il n’a pas besoin de Signes, pour les arranger dans Sa mêmoire ; qu’il n’a pas même de mêmoire ; puisque tout lui est toujours present ; 4.o Qu’il ne S’Eleve par de Con­noissance en Connoissance, par differents progrès, comme nous ; puisqu’il voit à la fois tous les Etres tant possibles, qu’existants, leurs essences, leur[s] Combinaisons et tous les Phenomenes qui en doivent |[239] Resulter. Car Si elle pouvoit acquerir de nouvelles Connoissances, Son intelligence Seroit bornée ; et nous avons Vû qu’elle est infinie. (200).

La 1.re Cause est Sou­verainement Puissante.

 

202. pour Faire un ouvrage quelconque, il faut reunir le pouvoir à l’in­telligence ; la Cause qui a fait L’univers, est donc Puissante, et le pouvoir qui a executé, est aussi Etendu, que L’intelligence qui à Conçu, C. à. d. qu’il est infini comme Elle.

Elle est immense

 

203. dèsque la premiere cause embrasse tout, par Son intelligence et son pouvoir, elle est partout ; elle est donc immense.

independante

 

204. Elle est encore independante ; Car pour etre Subordonnée, il fau­droit qu’une autre cause fût avant elle ; et alors elle ne seroit pas Pre­miere ; Puis donc qu’il y a une cause premiere, elle est par cela même inde­pen­dante.

Eternelle

 

205. Or de Son independance, il suit qu’elle est eternelle aussi. en Effet si elle avoit eû un Commencem.t, elle dependroit de celle qui lui auroit |[240] donné L’etre, et Si elle pouvoit finir, elle dependroit de celle qui pourroit Cesser de la Conserver.


Libre

 

206. etant independante, toute Puissante et Souverainement intelligente, la premiere Cause a le pouvoir de faire tout ce qu’elle veut ; elle est donc Libre.


sa Liberté differe essen­tielle­ment de la nôtre.

 

cependant à L’egard de Sa liberté, il faut observer qu’elle differe de la nôtre, en ce qu’elle exclut une condition que la nôtre Suppose Toujours, la deliberation ; (182.) mais il faut remarquer aussi que cette Condition n’entre dans notre liberté, que Comme une Suite de la Limitation de notre esprit. Connoitre et se determiner, ne supposeroient qu’un Seul et même instant, et nous ne perdrions pas du Temps à deliberer, Si notre esprit etoit assès vif et assès etendu, pour, d’une Simple vûe, embrasser les Choses sous tous les rapports qu’elles ont à nous.

C’est ainsy que voit la premiere cause, ?? /comme/ nous l’avons deja reconnu ; (201.) elle n’a donc pas besoin de deliberer, Pour Se deter­mi­ner ; et l’on doit |[241] Ajouter que, determinée, elle ne change pas de Resolution.


La 1.re Cause est immuable

 

207. un changement supposeroit en effet qu’elle n’a pas tout prevû, qu’elle s’est Trompée, idées qui repugnent à celle de Son intelligence ; elle est donc immuable.

208. Comme intelligente, la premiere Cause discerne le bien et le mal, Juge le merite et le démerite ; Comme libre, elle se determine et agit en Consequence de ce qu’elle Connoit, C. à. d. qu’elle aime le bien, haït le mal, recompense la Vertu, Punit le Crime, et Pardonne au repentir.

Juste – bonne



Providence

 

209. Les qualités de la Cause premiere s’appellent attributs, et l’on donne à celui par lequel elle punit, le nom de Justice ; à celui par lequel elle recompense, le nom de Bonté ; à celui par lequel elle pardonne, le nom de Clemence, et enfin ces trois attributs sont reunis ensuite à la Puis­sance et à L’intelligence, Sous le nom de providence, mot derivé d’un autre qui signifie pourvoir, parce que c’est en effet par ces attributs, que la premiere cause pourvoit à Tout.



Notion de la 1.re Cause

 

|[242] 210. Une Cause premiere, toute intelligente, toute puissante, in­dependante, Libre, immuable, Eternelle, immense et dont la Providence S’etend à Tout : voila la notion ou L’idée la plus parfaite que nous puissions nous Former de Dieu. cette idée n’est pas infinie comme son objet ; Puisque, comme on le voit, elle ne renferme qu’un petit nombre d’idées partielles.

Tout homme peut s’elever à cette notion

 

211. en Considerant par quelle Suite de Reflexions, l’esprit peut acquerir ces idées partielles, on a dû Se Convaincre qu’il n’est pas d’homme qui ne puisse S’elever à la notion qu’elles Composent. tout homme en effet, pour peu qu’il Soit capable de reflexion, Remarquera de lui-même, qu’il vit dans une Entiere dependance ; il se sentira naturelle­ment porté à craindre et à Respecter les Etres dont il croit dependre ; il S’humiliera devant tout ce qui lui paroit influer sur son bonheur ou Sur son malheur. (180.–196.). Or ces Sentiments Supposent que les etres quil Craint et qu’il Respecte, |[243] Sont Puissants, intelligents et Libres, Prin­cipales idées d’où resulte la notion de la divinité ; puisqu’en analysant cette Notion, on a vû que de la puissance et de L’intelligence, derivent Leternité, L’immensité et L’immutabilité ; (203.–206. 207.) que de L’in­telligence et de la Liberté, resultent la Justice, la Bonté, la misericorde &.a(208.–209.). concluons donc que la Connoissance de Dieu est à la portée de tous les hommes.

   

 

 

 

 

Chapitre 6.

de La maniere dont Lhomme apprend à Jouir de la Societé de ses Semblables.

 
   

212. La statue vient d’etre introduite dans un vallon où elle trouve des Etres qui Lui ressemblent parfaitement. Cette Circonstance de Sa vie doit produire des Effets importants ; mais nous n’examinerons ici que ceux relatifs à La maniere dont les hommes se Communiquent leurs idées : les autres ?? /Seront/ observés, lorsque nous parlerons de la moralité des actions. les Statues auxquelles la nôtre vient d’etre reunie, Peuvent n’etre pas |[244] Plus develloppées qu’elle, ou avoir deja L’usage de la parole. cette double supposition nous met dans deux points de Vûe très dif­ferents : de L’un nous verrons la maniere dont le Langage a pû etre For­mé, et de l’autre, celle dont on Peut l’apprendre, lorsqu’on le trouve deja etabli. nous nous placerons Successivement dans ces deux points de Vûe ; mais nous devons examiner auparavant ce qui Se passe dans L’ame de la Statue, à L’aspect de ses Compagnes.

de la maniere dont l’homme s’assure que ses sem­blables pensent

 

213. elle Sera dans un grand Etonnem.t, Sans doute, et Curieuse de Con­noitre ces Etres nouveaux, elle dirigera vers eux L’action de toutes Ses facultés. de la ressemblance qu’elle apperçoit entre leur[s] formes et les siennes, entre leurs mouvem.ts et les siens, elle Conclura qu’elles Sont sensibles Comme elle : Le Mouvement que Je fais, dira-T’elle, est de­terminé par un principe qui sent : mon semblable se meut ; il a donc un pareil principe. ce Jugement ne porte pas cependant avec Lui le Caractere de la Certitude ; puis qu’à |[245] La Vûe du Fluteur de Vaucanson, la statue auroit dû Juger de même ; mais il deviendra plus Sûr et moins Suspect, à mesure que la Statue observera d’avantage. de la Ressem­blance qu’elle reconnoit entre les goûts de ces Statues et les Siens, entre leurs Repugnances et les Siennes, entre la maniere dont elles agissent, les moyens qu’elles employent, et ce qui en elle, est analogue à tout cela, elle leur Supposera avec plus de fondement, le même principe de sentiment qu’elle apperçoit en elle-même ; et enfin elle aura à cet egard la plus grande Certitude, Lorsqu’ayant appris à Lier les idées aux gestes, comme elle L’apprendra dans peu, elle fera comprendre ses idées à Ses com­pagnes, et comprendra les leurs. Comment Supposer en effet que celui qui comprend l’idée que J’attache à un geste, et qui en excite d’autres en moi par des moyens Semblables, n’a pas comme moi la faculté de penser ?

 

 

214. en Supposant nos statues denuées de toute espece de langage, il nous faut rechercher Comment elles peuvent |[246] Parvenir à S’en for­mer un, et Voici ce qu’avec Raison, on peut Conjecturer à cet egard.



Premiers pas qui ont Con­duit à Lin­ven­tion du Lan­gage

 

Par une Suite de notre organisation, certains Cris sont Liés à certaines passions ; il arrivera donc que ces Statues auront Souvent L’occassion de pousser des Cris. Or Supposons que L’une d’elles se trouve actuellement dans ce cas, par la privation d’un objet qui Lui est très nécéssaire : Elle Crie, mais elle n’en demeure pas là ; ses Cris sont accompagnés de gestes auxquels Concourent la Tête, les Bras et tous Ses autres membres, que le desir dirige vers l’objet dont le besoin Se fait Sentir : Emues de ce Spec­tacle, et par une Suite du penchant qui nous porte à compatir au Sort des malheureux, les autres Statues Souffrent de la douleur de leur Compagne, et, Se sentant interessées à la Soulager, elles Tachent de lui procurer l’ob­jet qui est la cause de ses Souffrances.





Etablissement des 1.rs Signes

 

215. les mêmes Circonstances se |[247] Reproduisant, les statues atta­cheront bientost aux Cris appropriés à chaque Passion et aux mouve­ments qui les Accompagnent, les idées qu’ils expriment, elles Se feront l’habi­tude de Juger de leurs Sensations par ces Signes ; et s’en serviront enfin pour Se Communiquer Ce qu’elles auront eprouvé dans l’absence, les unes des autres. En voyant, par exemple, un Lieu où elle auroit été ef­frayée par la rencontre de quelque Bête ennemie, L’une d’elles, par la Repetition des Cris et des mouvements qui Sont le signe de la frayeur, avertira les autres de ne pas S’exposer au danger qu’elle a Couru (171.).


Progrès du Langage.






Les Facultés de L’en­ten­de­ment et le Lan­gage Con­courent re­ci­proque­ment à leur Per­fec­tion.

 

216. une fois formée, l’habitude de lier des idées à ces cris, mene tout naturellement à L’invention de nouveaux Signes : il ne faut pour cela qu’articuler de nouveaux sons, et les accompagner du geste qui indique L’objet qu’on veut designer : C’est ainsy que nos statues donneront des noms aux Choses. |[248] il est aisé néanmoins de Concevoir que les Pro­grès de ce Langage seront très Lents : L’organe etant peu flexible, les obstacles à Surmonter pour parvenir à la prononciation de chaque nou­veau Son, feront croire qu’on n’a ?? plus de decouvertes à esperer ; cependant L’usage des Signes etablis etendra Peu à peu L’exercice des operations de L’ame, et celles-ci, à leur Tour, par une Suite de cet exer­cice, perfectionneront la Langue, et en rendront L’usage plus familier. avant L’invention des Signes algebriques, les Facultés de L’ame avoient deja tout ce quil falloit pour y arriver, ce n’est cependant que par L’usage de ces Signes, que l’esprit pouvoit pousser les Mathematiques à la per­fection où elles sont parvenues.

   

217. nous avions introduit notre statue dans une Societé qui devoit en­core Créér Sa Langue, et nous la Lui avons vû créér : il nous faut donc changer la scene, et voir |[249] Comment La Statue introduite, lorsquelle ne Sçait pas encore communiquer ses idées, dans une Societé où le Lan­gage est deja etabli, apprendra à s’en servir. on voit au premier apperçu que, dans cette seconde hypotheze, elle sera comme sont les enfants au milieu de nous ; Et d’après cela il est aisé d’imaginer tout ce qui doit se passer En elle.






Maniere dont on apprend à se Ser­vir du Lan­gage eta­bli.

 

En Entendant Souvent prononcer un Certain mot, à la vûe d’un certain objet, L’enfant S’accoutume peu à peu à Lier L’idée du mot à celle de l’objet : Or dèsque cette Liaison est formée, les deux idées se reveillent reciproquement, c. à. d. que le mot devient Signe de l’objet, et que l’objet rappelle le mot. mais L’enfant ne se borne pas à ouir des sons articulés, il cherche encore à les imiter : Alors il Commence à begayer ; il produit des Sons ; et sentant quils different de ceux qu’il entend, il s’efforce d’at­teindre à une plus grande Justesse. il observe dans les autres, les |[250] Mouvements des Levres, et cherche à les Copier ; il fait ensuite Entendre un Son qui Se rapproche deja de Celui qu’il veut imiter ; de nouvelles Tentatives le menent plus près du but, et enfin il L’atteint. le plaisir d’avoir reussi L’engage à repeter ce mot quil a rencontré, et cet exercice en rend La prononciation plus assurée et plus facile.

Ce Premier Succès est bientost suivi d’un second : La formation d’un son rend aisée celle de tous ceux qui sont analogues à celui-Là ; une modification conduit à d’autres, la chaine s’etend continuellement ; le dictionnaire Grossit ; et en peu de mois, l’enfant parvient à nommer tout ce quil voit.




Maniere dont on apprend à Lire et à Ecrire

 

218. par le Secours de quelques Caracteres, L’art Sçait Peindre aux yeux les Sons que L’oreille reçoit, et que l’organe de la Voix repete. or La même Faculté qui rend L’enfant capable de Lier L’idée d’un Son, à |[251] celle d’un objet avec lequel cette idée n’a aucun rapport nécéssaire, le met aussi en etat de Lier Lidée d’un Caractere à celle d’un Son auquel cette idée ne repugne pas plus que celle d’un son à celle d’un objet ; Et C’est ainsy que l’enfant apprend à Lire, et bientost après à ecrire : il Se forme entre L’œil et la main, une Correspondance analogue à celle qui Paroit exister entre L’oreille et l’organe de la Voix.

   

219. Notre Statue aura fait tout ce qui vient d’etre dit de L’enfant. Elle est donc enrichie maintenant du don precieux de la parole, et de l’art in­genieux de peindre la pensée en parlant aux yeux. ses facultés peuvent S’exercer dèslors dans une plus vaste carriere ; le Cercle de ses idées va s’etendre, sans qu’on puisse lui assigner des bornes ; elle Peut s’appro­prier les pensées de ses devanciers et de ses Contemporains.

Ce n’est pas même encore tout : L’usage |[252] des Signes ne Se borne pas à multiplier les idées, il les fixe encore, pour ainsy dire, Sous les yeux de L’ame, et la rend ainsy maitresse de les Considerer aussi long Temps, et Sous autant de rapports qu’elle le Veut ; Les mots sont aux idées de toutes les Sçiences, ce que sont les Chiffres aux idées de L’arithmetique : de même qu’une expression numerique determine et designe une certaine Collection d’unités, de même aussi les mots Servent à designer les Col­lec­tions d’idées que les objets font ??Naître. ces signes Tiennent dans notre esprit, la place que les Sujets ou les Substances occupent au dehors. C. à. d. que comme les qualités des choses ne Co-existeroient pas hors de nous, sans des Sujets où elles Se reunissent, leurs idées ne Co-existeroient Pas dans notre esprit, sans des Signes où elles se Reunissent egalement. L’usage des Signes fait encore plus, il facilite merveilleusement le rappel des idées, en multipliant à L’infini, les moyens qui Peuvent aider à abou­tir à |[253] Tous les Points quelconques de la chaine quelles Forment : (15.) le simple Son, ou la Vûe d’un mot Suffisent, pour reveiller une Foule d’idées qui Souvent ne tiennent à ce mot que par une Certaine Ressemblance d’expression, ou par des rapports encore moins sensibles ; Enfin L’usage des Signes permet à L’esprit de donner à ses idées L’ar­range­ment que les Circonstances exigent.

La Perfection du Langage en rai­son directe des progrès de la Ci­vi­lisation

 

220. les facultés intellectuelles sont donc infiniment redevables à L’usage des signes ; il est d’autant moins permis de douter de cette Con­sequence, que l’on a Toujours Vû la perfection de ces facultés repondre à celle du Langage. ce qui a fait dire à Condillac que L’art de penser et de raisonner se reduit à une Langue bien faite ; et c’est ce qui fait aussi qu’on Juge de L’etat politique et moral des Nations par celui de leurs Langues : celles des Peuples Barbares sont |[254] d’une Telle Pauvreté, que dans Certaines, ainsy qu’on l’a observé ailleurs, (34.) on ne trouve pas des Signes pour les Nombres superieurs à Trois ; les idées de Temps, d’espace, de matiere, de corps, d’etre, et de Substance n’y ont pas non plus d’expression ; on y cherche inutilement aussi des Termes propres à peindre les idées de Vertu, de Justice, de reconnoissance &.a ; ensorte que ces peuples semblent etre toujours dans L’enfance.

secours mu­tuels que se donnent les Langues et
les arts.

 

Mais S’il est Vrai que le Langage en perfectionnant les facultés de L’ame, donne naissance aux arts, il l’est de même que ceux-ci, à leur Tour, perfectionnent Le langage ; ce quils font, Soit en L’enrichissant de nouveaux Termes et de nouvelles Combinaisons, Soit en donnant à ces Combinaisons L’ordre, La neteté, L’exactitude et la Precision dont elles sont Susceptibles.

 

 

 

|[255]

 

 

   

Chapitre 7.e

de La maniere dont L’homme S’Eleve à La Connoissance des prin­cipes de la Morale.

 
   

« La pensée d’une intelligence qui gouverne L’univers et Juge les hu­mains, est L’appuy indestructible de la morale. L’homme demoralisé cherche à se Persuader que tout Ce que les loix ne Punissent point, est permis, ou que toute action cachée aux hommes, n’est nullement re­prehensible. »

(Rapport sur les ecoles Primaires Brumaire an 7. [22-10-1798–10-11-1798])


 
   

221. il a été observé (193.) qu’en Considerant les Etres qui l’envi­ronnent, la Statue a reconnu qu’ils etoient Liés entr’eux par des rapports d’où resultent les loix de la nature, relatives À L’ordre Physique : Nous allons maintenant Lui voir Etudier les rapports qui la Lient elle-même à |[256] Ces Etres, et Surtout à ceux qui lui ressemblent, afin de nous elever avec elle à la Connoissance d’une autre espece de Loix.

Loix Morales







Elles derivent  de la nature de L’homme.



Temperance
 

l’experience a appris à la statue que certains etres Sont nécéssaires à la Conservation de Son existence ; (192.) qu’il y a par Consequent des rap­ports entre ses organes et les matieres Sur lesquelles ils exercent leur action ; et qu’enfin de ces rapports, resulte la nutrition. ce resultat est une Loi de Son Etre, mais de son etre Purement physique. Cependant il Suit de cette Loi qu’entre la qua/n/tité des matieres, et la force destinée à les incorporer, il existe une certaine proportion dont la statue ne peut S’ecar­ter, que le Bonheur de sa Vie ne soit aussitost Compromis. Sa Raison ou ce qui revient au même sa Reflexion, deduit donc de Sa Constitution physique, et des rapports qu’elle a avec les etres Physiques aussi, Cer­taines Consequences qui doivent diriger Sa Conduite, Si elle veut at­teindre à la mesure de Bonheur que son Etat present Comporte ; Or ces Conse­quences |[257] Sont des loix de L’etre moral, et on les appelle morales parce qu’elles ne S’appliquent qu’aux etres doûés de raison. celle qui Se rapporte au cas Particulier dont il S’agit ici est la Temperance.


Ces Loix sont le Lien de la so­cie­té.






bonté morale.

 

222. En S’occupant des rapports qui la Lient à ses Semblables, la Statue decouvrira que ce sont des rapports de dependance, fondés Sur des be­soins naturels et reciproques. Elle voit en Consequence Combien les in­dividus Se nuiroient si, voulant S’occuper de son Bonheur aux depens de celui des autres, chacun Pensoit que toute action est Suffisament bonne, dèsqu’elle procure un plaisir à Celui qui Agit. (174.) ainsy plus la statue reflechira sur ses besoins, ses Peines et ses plaisirs, plus elle sentira qu’il est nécéssaire que tous les habitants du Vallon (212.) se donnent mu­tuellement des Secours. ces Pensées [?sont le] resultat de L’usage de la raison, etant Communes à tous les individus auxquels la statue |[258] S’est reunie, ils S’engagent reciproquement tous à Se servir, ils Con­viennent de ce qui Sera permis ou deffendu à chacun ; et leurs con­ven­tions par lesquelles est Constitué L’etat social, sont autant de Loix de L’homme moral, [aux] auxquelles toutes les actions, pour etre bonnes, doivent desormais etre Subordonnées.


obligation qu’im­posent les loix morales





Bienfaisance

 

223. mais Puisque ces Loix decoulent de la Constitution morale de L’homme, aussi essentiellement que les loix de la nutrition derivent de sa Constitution Physique, il s’ensuit qu’on ne peut Parvenir à un bonheur solide qu’en les observant exactement. la statue ne Se refusera pas à cette Consequence. Or eprouvant chaque Jour, comme nous l’eprouvons nous-mêmes, qu’elle ne Sçauroit Pourvoir à ses besoins, sans le secours de Ses Semblables, elle se Sentira dans l’obligation etroite de se Conduire à leur egard, comme elle souhaite qu’ils se Conduisent au sien, Puisqu’elle est relativement à chacun d’eux |[259] Ce que chacun d’eux est relativement à Elle. Et la Bienfaisance deviendra ainsy la premiere loi de L’etre social.





Veracité

 

224. La Parole est le moyen par lequel les hommes se Communiquent leurs pensées ; Elle est donc le Lien de la societé : L’usage de la parole doit etre Subordonné par Consequent aux Loix de la sociabilité ; puisque celle-ci est la fin pour laquelle la parole, a été etablie, et qu’il est contre nature que le moyen choque la fin ; La parole ne doit donc pas etre en opposition avec la pensée : ainsy la statue verra que la veracité est une autre Loi principale de L’etre social.

En Général, la raison nous decouvrant qu’un certain exercice de nos facultés est En rapport direct avec l’etat social ; et que notre Bonheur est attaché à Cet etat, nous devons en Conclure L’obligation de diriger l’exercice de Ces facultés d’une maniere analogue aux divers rapports qui nous lient à nos semblables.



Les Loix mo­rales sont l’ouvrage du Createur.

 

225. Toutes ces Loix derivant de la |[260] nature de L’homme, ainsy qu’on l’a deja dit, nous devons les regarder comme L’ouvrage du Crea­teur Lui-même. Puisqu’en Effet il a voulu que notre Bonheur dependît de leur execution, et qu’il nous a donné tout ce qui etoit nécéssaire et indis­pensable, pour remplir les devoirs de L’homme Social ou du Citoyen, il est bien evident qu’en Satisfaisant à ces devoirs, nous obeissons moins à des Conventions faites par nous, qu’à la volonté de cet Etre Supreme ; Lui Seul est donc la Source d’où Emanent ces loix ; et nos facultés ne sont que des moyens propres à nous les faire Connoitre.


merite et dé­merite

 

226. Or La Consequence Naturelle de ce principe est, que nous Sommes capables de merite ou de démerite envers Dieu même, puisque c’est à Lui, que nous obeissons ou que nous desobeissons ; il est donc de sa Justice de nous Punir ou de nous recompenser. (208.) cette derniere Consequence donne la sanction à toutes les loix morales.

certitude d’une autre Vie où l’on sera re­com­pensé ou Puni.

immortalité de L’ame.

 

227. Mais dans ce monde, les biens et les maux ne sont point pro­por­tionnés au merite et au démerite ; il y a donc une |[261] autre Vie où L’homme Juste sera recompensé, et le mechant Puni. L’ame doit par Consequent encore survivre à la dissolution du corps ; ce n’est pas ce­pendant que de sa nature elle ne peut cesser d’etre : celui qui la tirée du neant, Pourroit L’y Laisser rentrer sans doute ; mais la Justice du createur exige quil Continue de la Faire exister ; et par là L’immortalité lui est aussi assurée, que si elle etoit la suite de son Essence.

   

228. Lorsque, par le develloppement de ses facultés, la statue sera parvenue au point d’instruction que supposent les Principes que nous venons d’exposer, la mort ne sera plus comme ?? /auparavant/, (169.) une simple cessation de mouvement, ou la privation de la Vie ; elle la regardera comme le passage de cette vie à une autre dans laquelle les actions qui auroient precedé Sa mort, seront la Cause d’un etat de souffrance ou de plaisir.



La doctrine qui n’admet ni Vertu, ni Vice, est un Fleau publicq.

 

on peut Juger d’après ces principes combien est detestable la Doctrine qui enseigne |[262] qu’en Soi il n’y a vice ni vertu ; qu’avant L’etablis­sement des Loix civiles, le Vol, L’adultere et L’homicide, n’etoient point des Crimes ; parce que ces actions, ajoute-T’elle, peuvent etre utiles et agréables à celui qui les fait ; et qu’elles derivent naturellement de L’usage de nos Facultés. de pareilles opinions sont la honte de la raison, le Tombeau de toute Morale et par Consequent le fleau de la societé.

 

 

229. Faisons maintenant une courte recapitulation des principales verités develloppées dans ce chapitre, en expliquant les Termes consacrés à leur expression.

L’etre moral

 

L’Etre moral est celui qui est capable de conformer ses actions aux loix.

actes humains
actions mo­rales

Mœurs.

 

Les actions susceptibles d’etre reglées par la Loi, s’appellent actes humains ou actions morales, pour etre distinguées de celles qui sont pure­ment machinales, et lorsqu’on en Considere L’ensemble, soit dans les Particuliers, soit dans la masse des Citoyens, on les appelle Les Mœurs.

Loix morales

Loix naturelles

 

|[263] Les loix qui reglent les mœurs sont par Consequent des Loix mo­rales ; mais on les appelle aussi Loix naturelles ou simplement, en les reunissant toutes, la Loi Naturelle ; parce qu’en effet elles derivent de la nature et de L’etre moral, et de ceux avec lesquels il a des rapports.

ordre Moral

 

L’ensemble ordonne ou le systeme de ces loix se nomme L’ordre moral.

 

Moralité

 

Les rapports des actions aux loix qui les regissent, sont ce qu’on appelle la moralité.

La sanction des loix est la peine dont sont menacé[e]s ceux qui les violent : C’est elle qui assure leur observation.

Vice et vertu

 

L’habitude de Se conformer aux loix se nomme vertu. le Vice est l’opposé de la vertu C. à. d. L’habitude de Transgresser les loix.

 

 

 

 

   

Chapitre 8.e

Conclusion du Traité suivie de L’explication des differents noms que Prennent les facultés de L’ame à raison des divers rapports sous lesquels on les Considere.

 



idées que donne L’usage des sens

 

230. par le simple usage de ses |[264] organes, la statue s’est Progres­sivement Elevée de la Sensation d’une odeur, d’un Son &.a aux idées les plus Composées ; de Lidée des objets qui Servent à la nourrir, Jusqu’à celle d’une cause premiere, et d’une vie qui doit Succeder à L’actuelle. le premier signe d’existence que nous avons remarqué en elle a été une Sensation, et dans tous les Progrès de son develloppement, nous avons toujours trouvé la Sensation, et Jamais nous n’avons vû qu’elle.


origine des Idées.



Génération des idées.

origine des operations de L’entendement leur Géné­ration.

 

Nous sommes donc authorisés à Conclure que toutes les idées tirent leur origine des sens ; qu’en reunissant les sensations Propres à divers organes, nous formons des ensembles qui nous representent les objets dans leur entier ; qu’en Considerant quelqu’unes des sensations qui Consti­tuent L’idée totale de ces objets, soit separément des autres, soit separé­ment de ce que nous appellons Substances, nous formons des idées abstraites ; et c’est ce qu’on entend par Génération des idées ; qu’enfin dans la decomposition de la faculté de penser, ou l’analyse de L’enten­dement, on trouve que toutes ses operations se |[265] reduisent à la Sen­sation qui par Consequent doit etre regardée comme L’origine de toutes les autres et que la génération de celles-ci resulte de la maniere dont cette premiere se transforme, pour devenir Successivement Attention, Mê­moire, Comparaison, desir &.a

Objection Con­tre la doc­trine qui fait deriver les idées des sens.

 

231. Lorsqu’on a voulu se refuser à ces Consequences on a demandé de quelle couleur etoient la Vertu, le Vice et la pensée, en un mot, pour etre entrés dans L’ame par la Vûe ; de quelle odeur, pour etre entrés par L’odorat &.a


Reponse

 

Mais on repond d’abord que la vertu et le Vice Consistent dans l’habitude des bonnes ou des Mauvaises actions, et que ces actions sont vi­sibles, comme le sont la Terre et le Ciel dont la magnificence et L’har­monie nous donnent L’idée du Createur.

On repond en second Lieu, que ceux qui font ces questions n’entendent point ?? par le mot Pensée, telle ou telle sensation, Telle ou Telle idée, mais qu’ils Considerent la pensée d’une maniere abstraite et générale, et qu’alors ils ont raison de Conclure que cette pensée n’appartient à aucun sens. C’est ainsy que |[266] L’homme en Général n’appartient à aucun Pays.

autre objection

 

232. on a dit encore que tous les hommes ayant le même nombre de Sens, devroient avoir le même nombre d’idées, Si celles-ci tiroient leur origine de ceux-là.

Reponse

 

Mais on observe que L’inegalité dans ce genre peut venir de deux Sources : ou d’une organisation moins parfaite, ou de ce qu’on n’use pas egalement bien de ses facultés. celui qui n’apprend pas à les regler, aura moins de Connoissances qu’un autre, par la même raison que celui qui a pris des Leçons de Danse paroitra mieux dans un Menuet, que celui qui n’a Jamais dansé : Tout S’apprend ; et comme il y a un art pour Conduire les facultés du Corps ; il y en a un autre aussi pour diriger celles de l’es­prit. L’inegalité de Connoissances dans differents hommes, ne prouve donc point qu’elles n’aient pas la même origine dans tous.

sommaire du sys­teme de nos Fa­cultés et de nos Con­nois­sances

 
 

233. le Systeme entier de nos facultés et de nos Connoissances, com­mence à la sensation, et se develloppe ensuite par le besoin |[267] et la Liaison des idées : C’est une autre Consequence de ce que nous avons vû dans le Cours du traité. L’etre sentant ne fait que se Transformer, et C’est le plaisir et la douleur qui le Conduisent à toutes ses Transfor­mations : C’est par Eux que L’ame apprend à Penser pour elle, et pour le corps ; et que le corps apprend à Se mouvoir pour L’ame et pour Lui. La liaison des idées enfin est un moyen qui donne à L’ame le pouvoir d’exercer Ses fa­cultés à son Loisir ; Puisque par cette Liaison, elle reveille et retrouve les idées qui repondent à ses differents besoins (15.).

 

 

234. nous pourrions terminer ici ce chapitre et le traité, s’il nous etoit permis de ne nous occuper que de choses ; mais, Comme, pour atteindre le but du Langage, il importe aussi de s’occuper des Mots, Surtout dans une matiere où les meprises sont aussi Communes, que facheuses, nous devons expliquer, avant de finir, les diverses denominations qui ont été etablies, pour determiner |[268] Plus exactement les differentes manieres dont les Facultés de L’ame peuvent etre exercées et Considerées.

intelligence –

Bon sens

 

Les mots intelligence et bon sens designent Simplement l’aptitude à toutes les operations de L’entendement ; mais avec cette difference que le Bon Sens n’atteint que ce qui est ordinaire et Facile ; Tandis que L’in­telligence s’eleve Jusqu’aux choses les plus compliquées ; ainsy pour comprendre par exemple que deux et deux font quatre, il ne faut que du bon[s] sens ; au Lieu que pour Comprendre tout un cours de Mathe­matiques, il faut de L’intelligence.

Raison

 

235. le mot raison s’applique encore à L’ensemble des facultés qui Constituent lentendement, mais il Suppose que leur exercice est toujours reglé par la reflexion ; d’où il arrive que raison et reflexion sont em­ployés souvent comme synonimes (221.).

instinct

 

 

236. L’instinct designe la faculté de produire certains actes, sans le |[269] Secours actuel de la Reflexion, que L’habitude a rendu inutile, mais qui est Toujours nécéssaire avant qu’elle ne soit Contractée, et toutes les fois que dans les actions dont il sagit, il survient quelque nouvelle circonstance.


Lhomme est Sou­vent con­duit par Lins­tinct et Par la Raison tout en­semble.

 

Le Geometre qui resout un Probleme en Se promenant, nous fournit L’exemple de ce qu’on vient de dire : quoique toutes les Facultés de Son entendement Soient appliquées à la solution dont il sagit, il marche tout aussi bien, que s’il ne pensoit qu’à marcher. Or voila L’instinct et la Raison agissant à la fois dans cet homme : le premier dirige Ses mou­ve­ments, tandis que L’autre Cherche La solution du Probleme : L’une de ces actions ne S’execute que par le Secours actuel de la reflexion, et l’autre n’a Lieu de son coté, que parce que ce Secours a precedé, et que L’habitude la Suivi. il en est de même de toutes les actions où il ne faut que repeter ce qu’on |[270] est dans L’usage de faire. mais Si quelque nouvelle Circonstance se presente, dèslors le Secours de la reflexion est aussi indispensable, que dans l’origine des habitudes où tout ce que l’on fait est nouveau, et doit par Consequent etre appris, Comme l’on apprend à resoudre des Problemes.

Esprit




Ce mot dit plus qu’intelligence et bon sens.

 

237. le mot Esprit est un de ceux dont la Signification est la moins fixe, ce qui vient sans doute de ce que tout le monde a des pretentions à la Chose. Cependant et puisqu’il ne peut s’entendre que des operations de L’entendement, sa signification doit etre nécéssairement determinée par quelqu’un des rapports sous lesquels on peut Considerer ces operations. de la Simple Aptitude à les produire, resultent, ainsy qu’on l’a dit, L’in­telligence et le bon Sens. Or le mot Esprit devant dire quelque chose de plus, on l’employe ordinairement, pour signifier l’activité et la facilité avec lesquelles on conduit les operations de L’entendement.


differentes es­peces d’esprit

 

|[271] On Conçoit aisement qu’entre le plus haut degré auquel Cette Activité et cette facilité peuvent parvenir, et celui auquel elles Com­mencent, il doit y avoir une infinité de nuances. toutes ces nuances doivent former autant d’especes d’esprit ; mais il faudroit en avoir la plus éminente, pour distinguer toute la Suite des Subalternes. voici celles dont on /a/ fait la Nomenclature.

 

Discernement Jugement

 
 

1.o Le discernement et le Jugement : ils apprecient L’un et l’autre la valeur des choses, par la Justesse des Comparaisons qu’ils en font ; mais le premier se dit plus Particulierement de ce qui regarde la Speculation ; Et le second, de ce qui concerne la Pratique : il faut du discernement dans L’etude des Sçiences, et du Jugement, dans la Conduite de la Vie.

Penetration

 

2.o La Penetration : Son nom en dit assès.

Sagacité

 

3.o la Sagacité qui n’est que l’adresse avec laquelle on Sçait Se re­tour­ner, pour saisir plus Facilement les objets, ou Pour les faire mieux voir par les autres.

invention.

 

|[272] 4.o L’invention : Elle Consiste non pas à Créér des idées ; mais à Sçavoir en faire de Combinaisons neuves. le Talent et le Geniese rap­portent à L’invention, comme à un genre dont ils Sont les especes.

Talent.

 

Le Talent Combine les idées d’une Sçience ou d’un art Connu, d’une maniere Propre à produire les effets qu’on peut naturellement en attendre.

Genie.

 

Le Genie Fait des Combinaisons dont les effets ne pouvoient pas etre Naturellement Attendus : il fait ou naître une Sçience nouvelle, ou par­vient dans celles qui sont Cultivés, à des verités auxquelles on n’esperoit pas de pouvoir atteindre ; ou repand enfin dans ces Sçiences une Clarté dont on ne les Croyoit pas Susceptibles. L’homme à Talent peut etre imité, et même surpassé ; mais L’homme de Genie est inimitable dans son Genre.

Goût   sentiment

 

238. le Goût qui est une espece |[273] d’instinct, est L’art de bien Voir les Choses Sans le Secours actuel de la Reflexion : Sentiment signifie la même chose.


maniere dont se forment le Goût et le sentiment

 

À force de repeter les Jugements de ceux qui veillent à notre Education, ou de reflechir Sur les nôtres, nous les rendons Tellement habituels, que nous finissons par ne plus les remarquer ; (121.) et Alors nous Croyons, pour ainsy dire, Goûter ou Sentir, les rapports des choses. on Se Con­vaincra de la Justesse de cette observation, en Considerant ce qui se Passe dans les Ecoles. Pour former un Eleve dans la peinture, par exemple, on lui fait remarquer en detail, la Composition, le dessin, l’expression et le Coloris des Tableaux qui lui sont presentés. Le maitre les lui fait Com­parer Sous chacun de ces rapports ; il Lui dit Pourquoi la Composition de celui-ci est mieux ordonnée, le dessin plus exact ; Pourquoi cet autre est d’une expression plus naturelle, d’un Coloris plus Vrai. L’Eleve prononce Ces Jugements |[274] d’abord avec Lenteur ; mais Peu à Peu, il S’en fait une habitude, et enfin, à la vûe d’un nouveau tableau, il les repete si ra­pidement, qu’il ne paroit plus Juger de Sa beauté, mais plustost la Sentir et la Goûter.

   

239. Si nous devions appliquer Ces notions à la Statue, nous pourrions dire, d’après ce que nous avons observé dans le develloppement de Ses facultés, qu’elle a du bon sens et de L’intelligence ; que tour à tour, elle est conduite par la raison et par Linstinct, mais nous ne Pourrions pas Ju­ger si elle a de l’esprit, du Talent, du Genie &.a parce que nous n’avons pas eû l’occassion de Considerer Ses facultés, Sous le rapport de L’acti­vité et de la facilité avec laquelle elles agissent. nous Pourrions cependant dire qu’elle a du Goût et du Sentiment puisque nous L’avons vû se faire L’habitude de beaucoup de Jugements mais nous observerions en même Temps |[275] que son Goût pourroit bien n’etre pas d’accord avec celui des autres.


Varieté des Goûts.

 

240. Rien en effet n’est si varié que les Goûts ; et la raison en sera Sen­sible ; Si l’on Se rappelle qu’ils dependent absolument des Premieres impressions qu’on a reçues, et des habitudes qu’on a Contractées. deux ou plusieurs pintres Jugeront differement du même Tableau ; Parce que, dans leurs Etudes, ils ne se seront pas fait L’habitude des mêmes Jugements, et de là resulte une verité par laquelle nous allons finir : C’est que le bon goût en tout genre, doit etre le partage de ceux qui Sont à