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Premiere section. Grammaire générale. Chap. III. Art. X-XIV.

 

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ARTICLE X.

Prépositions.

 

1. Je vois deux objets, dont l’un est en rapport de dépendance avec l’autre : c’est, par exemple d’abord, un fruit ; et je veux exprimer, en le nommant, que c’est tel arbre qui l’a produit : les circonstances elles-mêmes, m’aideront à faire sentir ce rapport : je dirai donc en montrant l’arbre, fruit arbre ; et bientôt on conviendra que, de deux substantifs ainsi prononcés de suite, le second exprime l’idée d’un objet qui est dans tel rapport avec l’objet désigné par le premier substantif : c’est ainsi que nous disons nous-mêmes par apposition Ferté-Milon ; Château-Gontier, la Fête-Dieu, etc. al tens innocent trois (Ville Hardouin) ci commencent li sermon Saint-Bernard ; c’est Saint-Bernard lui-même qui parle.

2. On pourra même inverser les termes du rapport, suivant le génie des sociétés ; et tandis que l’une dira le Bourg-Baudouin, d’autres diront Edim-bourg, Péter-bourg, etc. Thomson, etc.

3. Un grand nombre de mots expriment des rapports par eux-mêmes : je sors Rouen, allant Paris, passant Mantes, et reviendrai Rouen, est très-intelligible ; du moins dans certains cas : |77 mais lorsque les rapports ne sont pas ainsi explicitement déterminés par les antécédens, et qu’ils se trouvent compliqués en certain nombre, et différents ; ou bien il faut les détacher, ce qui est considérablement long ; ou bien il s’éleve nécessairement des nuages sur le sens de l’énonciation : En effet, donner pomme Pierre Paul, est-ce la pomme de Pierre que je donne à Paul, ou pour Paul ? Est-ce une pomme donnée à Pierre, etc. ? La place des mots peut déterminer les especes des rapports : mais c’est un travail trop pénible que de construire de pareilles phrases ; car il faudrait déterminer la place des mots en rapport, pour chaque espece, suivant le nombre des rapports qui existerai/en/t dans une même phrase ; et nous nous dispensons encore de parler de la tension d’esprit qui serait indispensable pour bien comprendre [45].

4. Disons que chaque mot en rapport portera, dans la prononciation, le numéro de son rapport : il est bien certain que, dans l’état où nous supposons la langue, il doit exister quelques premiers élémens de simple numération ; mais, 1o. cette numération doublerait les mots ; 2o. ce serait supposer que des hommes encore grossiers seraient capables de systématiser à la |78 fois toute la partie des rapports en ce genre, ce que les Grammairiens peuvent à peine faire. Or les langues sont faites de toutes pieces, et au jour le jour.

5. Il se présente un moyen plus simple et plus naturel : supposons que l’on s’avise de changer la terminaison d’un substantif pour exprimer un rapport particulier ; et qu’au lieu, par exemple, de dire, caput Petrus, on dise, caput Petri ou Petro : cette heureuse découverte répandra la lumiere : les applications se feront aisément ; et voilà la formule généralisée. D’autres rapports à exprimer ameneront avec le temps d’autres changemens dans la terminaison ; et le systême des cas se formera sans peine : et une multitude de rapports se grefferont, pour ainsi dire, économiquement sur un même mot radical.

6. Cette maniere d’exprimer les rapports entre les choses par les désinences des noms peut avoir plus ou moins de développemens : on donne dix cas aux Arméniens ; et les Grammairiens Lappons en comptent jusqu’à quatorze. Beauzée veut absolument que l’on puisse compter, chez les Basques et les Péruviens, autant de cas que ces peuples ont d’enclytiques (εν κλινειν incliner sur) : mais il est trop bien démontré que ces mots enclytiques, que l’on ajoute dans ces langues à la finale des noms, |79 ne sont, pour parler un langage analogue au nôtre, que de vraies post-positions [46], ou des affixes, selon les Hébraïsans.

7. Mais le systême des cas, tout simple qu’il est, et tout commode qu’il semble devoir être, lorsqu’il est porté à un certain nombre et à un certain degré de variété nécessaire, ne peut manquer de surcharger les mots et de jeter un peu de confusion dans le langage : d’ailleurs on a souvent besoin de détacher l’idée du rapport, de l’idée des objets ; et quelquefois même, on y est contraint, lors, par exemple, que l’on a dans l’esprit l’idée distincte du rapport, et que l’on ignore le nom de l’un des objets, sur quoi il nous arrive d’hésiter à chaque instant : de là l’origine des mots que leur rôle dans le discours a fait nommer prépositions, à, de, sur, sans, etc. : or, cette nouvelle sorte de mots doit rendre le langage beaucoup plus analytique et plus net.

8. Le systême des prépositions ne peut être développé de suite : c’est une grande erreur de croire avec M. Adam Smyth que les prépositions « soient, de leur nature, des termes généraux...... ; que celui qui inventa le terme au- |80 dessus [47], dût distinguer cette relation, des relations d’infériorité de juxta position, etc. » (Considér. sur le génie des lang., par Ad. Sm. ; Encycl., mot LANG.) Ce professeur, vraiment plein de lumieres, et d’une grande sagacité, a plusieurs fois, dans ce traité ingénieux, multiplié les difficultés en s’écartant de l’ordre de la génération des idées, qui est, ici, la boussole du Grammairien. Revenons-y, s’il est possible.

9. J’invente une préposition à ou de, pour exprimer tel rapport entre deux objets donnés, dans une circonstance déterminée : cette maniere de développer mes idées me paraît commode : toutes les fois donc que le même rapport se présentera entre d’autres objets, il est naturel que j’emploie cette même préposition à ou de : n’est-ce pas ainsi que les enfans apprennent à généraliser l’emploi des mots ? Voilà donc la préposition à ou de généralisée : mais, suivant l’ordre de la génération des idées, elle a commencé par être prise dans le sens individuel. Il est étonnant qu’un homme d’une méthode aussi sûre que le docteur Smyth, après |81 être convenu que, dans l’invention des cas, on n’a eu d’abord l’intention d’établir aucune regle générale (ibid), environne le berceau des prépositions de difficultés si monstrueuses ! Et en effet, pourquoi une préposition devrait-elle naître nécessairement expression générale ? Pourquoi, en inventant une préposition, devrait-on distinguer nécessairement les relations opposées (ibid) ? Tandis qu’un génitif peut naître individuel, et d’abord pour un simple cas particulier ; tandis que l’on peut inventer un génitif, qui tient lieu d’une préposition, sans examiner s’il est d’autres terminaisons possibles, ou des relations opposées que l’on pourrait exprimer par d’autres désinences ? On peut ici nous faire bien des réponses. Mais nous croyons pouvoir compter sur la replique. Nous sommes précis, dans la crainte de faire un gros livre.

10. On inventera ensuite une autre préposition, dans, par exemple, pour exprimer un rapport d’un autre genre ; cette préposition se généralisera comme les précédentes ; et enfin par suite, les prépositions formeront un systême dans le langage. Quand le systême sera-t-il formé ? Nous l’ignorons : mais telle est la marche que l’on doit nécessairement suivre.

11. C’est d’après sa fonction dans le langage, |82 que l’on a nommé l’espece de mot dont nous traitons προθεσις, præpositio, préposition, (posé avant) ; mais si, pour désigner la préposition, l’on n’eût considéré simplement que sa maniere d’être par rapport à deux termes ; comme l’analyse logique la ramene toujours entre ces deux termes ; comme elle est précédée de l’un aussi nécessairement qu’elle est suivie de l’autre ; on n’eût pas manqué de l’appeler interposition : et sans doute, on ne l’eût point confondue avec l’interjection, qui offre une idée (jection) bien différente. Mais on a remarqué l’importance du service que font les prépositions dans la composition des mots, où leur place est marquée d’une maniere fixe et invariable, chez les grecs, les latins, etc., en tête des mots composés qui les admettent : et nous ne doutons aucunement que ce ne soit là le principe qui a déterminé leur dénomination spécifique ; dénomination qui n’a été de nos jours tant critiquée, que parce que le sens en a été trop légérement approfondi.

12. Aussi, par une raison contraire, dans toutes les langues où ces sortes de mots forment réguliérement la terminaison des composés, a-t-on coutume de les nommer constamment enclytiques, post-positions (suprà) ; par-tout néanmoins les mots que nous nommons |83 prépositions expriment la même sorte d’idées ; mais ils changent de nom, parce qu’on les fait changer de place. (V. l’article substantif et adjectif.) Ce n’est pas le fond du service qui est différent, ce n’est que la maniere. Or, c’est la maniere dont les mots font leur service, qui a motivé la nomenclature des élémens du discours. (Ibid.)

13. Nous venons de dire que les prépositions expriment : ce mot paraîtra peut-être un peu trop fort. Mais il faut rendre à ces mots ce qu’on s’efforce de leur enlever. Beauzée veut qu’ils ne fassent que désigner un rapport général. (Gramm., t. 1er., 515): Court-de-Gébelin prétend qu’ils marquent simplement « que deux objets sont en rapport (278-79), qu’ils semblent ne rien dire, ne rien exprimer (277.) » M. Sicard a tranché le mot. « Sans complément, dit notre auteur, ils ne disent rien à l’esprit, (table, 2e. vol. 542) » ; « ils ne disent rien de précis et de déterminé, (1er. vol. 400). Ils indiquent un rapport vague. (Ibid. 394). »

14. Mais, 1o. si les prépositions ne disent rien à l’esprit, flotter dans, par exemple, ne signifiera pas plus que flotter seul. (V. ce Dumarsais, que l’on consulte si peu, grand in-8o. 333. 336. 337.....) ; 2o. si les prépositions ne |84 disent rien sans complément, Petri ne dira pas plus que Petrus : une préposition unique pourra faire, elle seule, l’office de toutes les autres : car elles seront nécessairement toutes synonimes. D’ailleurs donne-t-on un complément à ce qui ne signifie rien ? Acheve-t-on une chose qui n’est pas commencée [48]. Au reste, il est possible que le savant instituteur ait suivi ici l’[ου] μερος ουθεν σημαίνει χωρις d’Aristote (ch. II. III) Mais ne se point énoncer seul, ou par parties, et ne rien signifier, sont deux idées bien différentes, et qu’Aristote, lui-même, n’a point toujours assez distinguées, ce semble, lorsqu’il dit, par exemple que, ίππος, tiré de καλλιππος, ne signifie rien par soi.

Dire que les prépositions ne signifient rien, parce qu’elles ne signifient point quelque chose de précis ou de déterminé, ne serait-ce pas |85 anéantir à la fois la signification de tous les mots qui expriment des idées générales ?

15. Concluons : les prépositions expriment donc réellement ; elles expriment l’idée générale [49] d’une sorte de rapport ; et cette idée générale de rapport se trouve, par le complément de la préposition, déterminée, restreinte à un objet spécifique ou individuel : une table de marbre, la table de Paul. Nous ne dirons donc point, comme notre Dumarsais, que le complément individualise toujours le rapport.

16. On pourrait nous demander, pourquoi cet usage si étendu et si général des prépositions, si difficiles à inventer, puisqu’il faut alors considérer les rapports in abstracto, tandis que les cas, dont l’invention paraît si simple, vu qu’ils embrassent l’idée relative in concreto, pouvaient en faire l’office ? Consultez un peu le génie du langage et les langues, et vous verrez facilement ce que l’expression perdrait de son aisance et de sa rapidité, s’il fallait substituer des cas par-tout où l’on met des prépositions : sans qu’il soit besoin.... : pour le moment cet apperçu doit nous suffire.

|86 17. Nous ne dirons pas que la préposition soit un adjectif, comme le dit M. Sicard : mais que ce soit encore un mot qualificatif, la chose est démontrée d’après lui, et selon nous.

 

 

ARTICLE XI.

Adjectifs déterminatifs.

 

1. Les adjectifs ont la propriété de déterminer les idées totales en ajoutant quelque idée partielle à la compréhension : fruit petit offre une idée moins étendue, et plus complexe que celle de fruit. Mais les adjectifs ne tardent pas à devenir des signes généraux ; et une fois que leur signification est générale, ils n’offrent plus, par eux-mêmes qu’une détermination simplement du genre à l’espece : au lieu que, dans le principe, chaque adjectif détermine d’abord du genre à l’individu.

2. Dans cet état des choses, il sera donc indispensable d’inventer une sorte d’adjectifs qui, par la nature de leur signification, appliquent aux individus, sous un point de vue précis quelconque, les idées auxquelles la généralisation des qualificatifs adjectifs laisserait désormais trop d’étendue.

|87 3. Or, ces nouveaux adjectifs doivent être tels, qu’ils puissent également s’appliquer à tout ce qui peut être le sujet du discours, soit dans le monde abstrait, soit dans le monde sensible : car, dans l’un comme dans l’autre, le besoin de fixer l’esprit sur les objets dont on parle est également indispensable.

4. Ces nouveaux adjectifs seront donc de nature à devenir d’une grande généralité, parce qu’ils pourront s’appliquer successivement à tous les noms substantifs généraux, sans exception : cependant ils seront plus déterminatifs que les adjectifs spécifiques, parce qu’au lieu de laisser flotter l’esprit vaguement sur l’idée spécifique, ils fixeront, par l’idée d’un concept particulier, ses regards sur les individus.

5. Ces nouveaux adjectifs ne doivent donc pas affecter proprement la compréhension des idées, ni exprimer aucune qualité inhérente aux objets désignés par les substantifs. Ils ne doivent exprimer qu’un rapport qui détermine l’étendue, suivant laquelle on doit prendre les noms. (V. étendue et compréhension, Idéol. 3e. sect., chap. 9.)

6. Nous avons des noms personnels : je peux donc dire pour distinguer le fruit qui m’appartient, fruit-je, me ou moi, etc. Mais si l’on suppose la préexistence des prépositions ; je dirai |88 fruit de-je, de moi, à moi [50]. Or, on sent qu’il ne faut ici qu’un petit effort de dérivation ordinaire, pour produire tout naturellement mon, ton, son, etc.

7. Nous ne dirons point lequel des trois doit naître le premier. C’est un point, ici, fort indifférent, et qui, d’ailleurs doit dépendre absolument des circonstances. Les noms personnels, eux-mêmes, n’ont point d’ordre de progéniture fixe dans la nature des idées, quoique nous disions la premiere, la seconde, et la troisieme personne. Presque toutes les langues orientales suivent, dans l’ordre des personnes du verbe, une marche inverse par rapport à la nôtre : d’autres langues n’ont qu’une terminaison unique pour chaque temps du verbe ; il n’y a donc alors, ni premiere, ni seconde, ni troisieme personne : il en est enfin, où le verbe est absolument inconnu [51].

|89 Et cela prouverait assez que, si le genre humain tient la Grammaire générale naturelle de la même source, il pourrait bien du moins n’être pas évidemment démontré que nos peres, dans l’origine, aient dû apprendre, tous, à conjuguer à la même école.

8. Or les adjectifs mon, ton, etc., sans affecter la compréhension des noms substantifs généraux, sans exprimer l’idée d’aucune qualité intrinseque des êtres, déterminent évidemment l’étendue des noms auxquels on les applique : de plus, ils peuvent s’appliquer successivement à tout ce qui peut être l’objet du discours ; et c’est ce qu’il était question de trouver. Voilà donc les noms personnels devenus élémens générateurs, à la maniere des autres noms.

9. Pour peu que l’on réfléchisse sur l’inven- |90 tion de ces adjectifs, mon, ton, etc., on verra qu’ils naissent d’eux-mêmes après l’invention des noms personnels ; que c’est le même mécanisme des idées qui les produit ; et qu’à l’exception de l’idée accessoire et différencielle d’appartenance, ils ne font qu’exprimer adjectivement la relation à l’acte de la parole, qui est exprimée substantivement par les noms personnels.

10. Aussi les Grammairiens dont l’autorité est d’un grand poids, ont-ils admis dans leurs pronoms la division générale, en substantifs et adjectifs : c’est, en particulier, la doctrine de notre Dumarsais, qui, comme P. R., divise les noms sous ce même point de vue, le seul qui soit purement grammatical.

11. Après avoir exprimé par des mots, les gestes qui désignent les relations à l’acte de la parole, et ceux, à peu près semblables, qui déterminent l’étendue des substantifs par l’idée de l’appartenance relative à chacune des trois personnes, il nous reste encore dans ce genre un geste aussi naturel que les précédens, et qui en est peu différent ; c’est celui qui détermine l’étendue d’un objet comme présent ou absent, comme prochain ou éloigné, etc. : de là naîtra l’adjectif ce ; mais cet adjectif ne peut, lui seul, exprimer deux idées contraires : le geste d’abord |91 y suppléera ; et ensuite, par composition, on obtiendra ceci, cela, celui-ci, celui-là, etc., qui compléteront l’expression orale de la pensée. La langue française aurait ici beaucoup à envier aux latins, qui ont is, hic, ille, iste, etc., exprimant, tous, la même idée fondamentale nuancée par différens accessoires.

12. Or l’adjectif ce, cet est encore un déterminatif de la nature des possessifs personnels ; et il fait le même service à l’égard des substantifs généraux, sous un nouveau point de vue.

13. Le systême des expressions numérales un, deux, trois, etc., ne peut commencer que par l’application de ces mots aux noms appellatifs ; le calcul abstrait suppose plus de métaphysique : or les adjectifs un, deux, trois, etc., ne servent qu’à déterminer l’étendue des noms appellatifs à un nombre fixe d’individus, sans affecter aucunement la compréhension des noms.

14. On peut croire que l’empire du besoin fera bientôt découvrir à nos nouveaux Grammairiens les premieres expressions numérales : et une fois qu’ils auront trouvé ce moyen de déterminer les noms appellatifs aux individus, par l’idée d’un nombre fixe, il ne leur sera pas très-difficile d’étendre la théorie de la détermination sous ce rapport : ils se formeront donc l’idée générale de nombre ; et ils diront, un |92 nombre grand, petit, etc. ; quelques, plusieurs, tous, etc. ; chaque, nul, aucun, viendront ensuite exprimer différentes nuances déterminatives plus délicates.

15. Or nous disons, 1o. que tous les adjectifs métaphysiques de cette nature, sont spécialement destinés à fixer l’attention sur les individus compris dans la signification du nom appellatif ; et qu’ils font considérer les idées générales, en tant seulement qu’elles sont actuellement, dans l’intention de celui qui parle, appliquées à un nombre plus ou moins grand, plus ou moins déterminé des individus auxquels elles peuvent appartenir ; 2o. que les différens accessoires qui constituent les especes de cette application actuelle aux individus, ne modifient en aucune maniere l’idée de genre ou d’espece, exprimée par le nom appellatif : en effet si lorsque je dis, les ou leurs principes, je fais naître dans votre esprit des idées particulieres et différencielles dans la nature des principes ; c’est uniquement parce que vous connaissez les principes en question ; et nullement en vertu de la signification des adjectifs ses ou leurs : nous disons enfin, 3o., que ces déterminatifs font prendre l’idée générale ; seulement avec application actuelle aux individus, comme il est marqué par la signification des déterminatifs eux-mêmes : ce sont les |93 coefficiens d’un terme, et non point les exposans de la puissance de l’idée.

16. Maintenant, si nous faisons abstraction de tous les différens accessoires, qu’emporte la signification de chacun des adjectifs déterminatifs précédens, il ne nous restera plus que l’idée générale abstraite d’application actuelle des noms appellatifs aux individus compris dans le genre ou dans l’espece : et si nous voulons exprimer cette idée générale d’application actuelle aux individus, nous formerons un nouvel adjectif, nécessairement le plus général de tous les déterminatifs, un adjectif qui ne signifiera absolument rien par lui seul, sinon qu’il est le simple indicateur de l’idée de genre ou d’espece, en tant qu’appliquée aux êtres particuliers compris dans la signification du nom appellatif.

17. Ainsi tous les noms appellatifs qui ne seront point précédés ou suivis [52] de ce signe |94 d’individualité, ou de tout autre qui en contienne éminemment, non pas la signification, mais la valeur, devront, regle générale, être regardés comme de simples qualificatifs adjectifs, et comme inhabiles à être ultérieurement déterminés à l’espece. Ainsi dans, un festin de roi, de roi sera pris dans le langage comme exprimant une idée qualificative, connotative. Elle équivaudra à royal, regius...... (V. Dumarsais, et Duclos dans ses notes sur P. Royal.)

18. Tel est précisément la fonction que remplissent le, la, les, dans le français ; èl, lo, la, dans l’italien ; il, lo, la, dans l’espagnol ; der, die, das, dans l’allemand, etc. ; ό, ή, το dans le grec ; the, dans l’anglais ; al, dans l’arabe, etc.

19. Mais ce pur déterminatif, qui est, en quelque sorte, la quintessence de la métaphysique dans cette partie, présente une nuance délicate d’abstraction difficile à concevoir pour des hommes encore grossiers : nous ne croyons donc pas que l’invention de cet instrument d’individualisation, puisse être de la compé- |95 tence d’un peuple qui se ferait une langue pour ses premiers besoins ; et nous n’en parlons ici, que parce que l’idée vient d’en éclorre, comme d’elle-même, du sein de notre analyse.

20. Après tout, ce pur déterminatif ne sera pas plutôt admis dans la langue, qu’il donnera beaucoup de tablature à ceux qui voudront en faire la juste application : la difficulté de saisir les cas où il serait utile et nécessaire, fera qu’on l’emploiera sans nécessité et sans discernement ; (car les langues sont un instrument populaire) : les Grammairiens eux-mêmes ne pourront en donner les regles d’une maniere assez positive ; ou ces regles seront trop subtiles ; et il surchargera continuellement la langue, qu’il rendra traînante et diffuse, parce que l’on aura voulu la rendre quelquefois plus analytique et plus précise. (V. Cond. et Duclos, qui en valent beaucoup d’autres.) [53].

21. Terminons ce premier apperçu général |96 sur la nature des déterminatifs, par quelques observations qui ne feront qu’éclaircir la matiere. Il est faux que le, la, les, un, une, déterminent la signification des noms ; ce langage de Port-Royal est non-seulement impropre, mais absolument contraire aux idées que l’on doit avoir de la fonction de ces mots. Il est faux qu’ils soient, comme le dit l’abbé Girard, « une expression indéfinie, dont la valeur consiste à faire naître l’idée d’une espece subsistante, pour la nommer ensuite [54] ». Il est faux « que la fonction des déterminatifs soit de restreindre, et que déterminer soit restreindre. » (Sicard, 1er. vol., 151-2.) En effet dans, les hommes, tous les hommes, l’idée de hommes est-elle restreinte ? Elle est néanmoins déterminée ; mais déterminée à tous les individus, dans le sens de ces adjectifs. L’homme, même, dans l’homme est mortel, est, selon les logiciens, le sujet d’une proposition universelle : or, c’est une singuliere maniere de restreindre, que de déterminer à l’universalité du genre. Mais dites, l’homme integre ; et c’est alors que l’idée universelle d’homme sera réellement restreinte à l’idée d’espece, et d’une espece devenue malheureusement beaucoup trop rare. C’est donc avec raison que Beauzée ne veut |97 pas que l’on confonde ici déterminer avec restreindre : et en effet, comment ne pas s’effrayer d’un tel principe, d’après lequel l’étendue du nom, Français, serait restreinte par l’idée de soixante millions ! Déterminer la signification d’un nom, c’est en effet la restreindre : mais la signification d’un nom n’est point du tout restreinte par le fait de sa détermination aux individus. [55]

22. Que les adjectifs déterminatifs soient encore des mots qualificatifs ; c’est un point sur lequel il ne peut pas y avoir de doute, parce que tous modifient l’idée générale sous le rapport de l’individualisation. Cette modification paraît bien faible dans le, la ; elle n’est qu’inceptive en quelque sorte ; et on la sent plus aisément qu’on ne l’exprimerait : mais aussi, c’est le dernier terme de l’abstraction dans cette partie.

23. Si l’on peut encore être étonné de voir ici une classe d’adjectifs si particuliere ; que l’on veuille considérer la place qu’ils occupent réguliérement dans les langues les plus analytiques ; et l’on pourra se convaincre aisément qu’il faut du moins, en principe, qu’ils soient d’une na- |98 ture toute différente des autres adjectifs. Cet article est peut-être un peu long pour une synthese, en général, aussi rapide : mais il nous en restera moins à dire dans l’analyse qui doit suivre.

 

 

ARTICLE XII.

Mots conjonctifs.

 

1. Pour remplacer plusieurs mots par un seul, nous nommerons désormais l’énoncé de jugement, proposition (proponere, mettre, poser en avant.)

2. Or, dans l’état où nous avons conduit notre essai sur la formation d’une langue, il est évident que l’on pourra exprimer des propositions d’une maniere assez explicite : mais souvent, on aura besoin de prononcer de suite le même jugement sur deux ou trois objets divers : on dira donc, par exemple, Pierre est fort, Paul est fort.

3. On s’appercevra bientôt qu’en pareil cas, sur six mots prononcés, il y en a deux qui se trouvent deux fois chacun ; c’est-à-dire est et fort : et s’il s’agit de trois objets vus sous le même rapport, la répétition paraîtra plus sensible encore, et plus fatigante ; mais il suffira |99 presque de bien sentir l’inconvénient, pour appercevoir un remede.

4. Pour abréger, on dira donc, Pierre Paul est fort ; et ce langage est intelligible : la variabilité des adjectifs n’est point indispensable, comme le démontre l’exemple de la langue anglaise ; et l’idée des nombres n’appartient point à l’essence du verbe, quoique les Grammairiens fassent communément entrer cette idée dans les définitions qu’ils en donnent. Il en est de même à l’égard des personnes du verbe [56], qui sont aussi des accessoires parfaitement libres, et absolument étrangers à la nature du mot qui exprime les époques de la coexistence : les sourds-muets, par exemple, n’ont d’abord qu’un signe unique pour chaque temps ; et il ne leur en faudrait pas d’autres, s’ils se bornaient à s’entendre : mais ce qu’ils apprennent au-delà n’en donne pas moins, à leurs précieux instituteurs, un grand titre de plus à la reconnaissance publique.

5. Ainsi donc, on aura réellement, dans un énoncé, deux propositions fondues, qui paraîtront comme d’un seul jet. Mais il faut un signe pour indiquer l’existence de plusieurs proposi- |100 tions fondues dans un seul énoncé : Pierre Paul offrent à l’esprit de celui qui parle deux idées totales distinctes, et individuellement séparées. Or, il serait à craindre que, dans un grand nombre de cas, on ne prît, ici, deux idées totales pour une seule, Pierrepaul, par exemple ; comme on prend mon cher ami pour une seule idée, quoique le terme soit composé de trois mots : et en effet les mots se lient ensemble par le simple fait de leur apposition [57]. (V. art. 7 ci-dessus.) Ainsi, au lieu de voir deux propositions, on n’en verrait souvent qu’une.

6. De là donc la nécessité d’un mot qui serve d’accolade, en quelque sorte, pour les mots qui, comme Pierre et Paul, jouent un rôle parallele dans la proposition ; d’un mot qui indique la relation individuelle à plusieurs modifications communes ; et ce mot ne sera pas moins nécessaire, dans le cas où l’on voudrait énoncer, par composition, les idées de plusieurs qualités distinctes, comme convenant également à un ou à plusieurs objets.

7. On sait bien que l’invention des nombres |101 grammaticaux, appliquée à la théorie du verbe et des noms, pourraient quelquefois nous tirer d’embarras ; par exemple, Pierre Paul sont forts, n’admet plus aucune sorte de confusion. Mais, si au lieu de deux propositions, on en fond ensemble trois ou quatre ; les nombres grammaticaux, qui expriment simplement l’idée générale abstraite de pluralité, deviennent insuffisans ; et s’il y a pluralité dans les qualificatifs qui énoncent les rapports sous lesquels on conçoit un ou plusieurs objets ; l’embarras ne renaît-il pas plus considérable que jamais ? Par exemple, dans cette proposition, Pierre est grand malheureux, est-on sûr de saisir le vrai sens de l’énoncé, si l’on n’a point consacré l’usage de l’accolade ?

8. Pour parer à tous ces inconvéniens et autres, on inventera donc un petit mot comme et : ce mot paraîtra n’indiquer que la réunion de plusieurs idées totales distinctes, avec l’idée d’une relation à un même objet, ou à une même qualification ; mais, dans la réalité, il exprimera l’idée de la copulation de plusieurs jugemens.

9. Nous croirions assez volontiers que ce mot, et, serait une sorte d’onomatopée, qui exprime l’idée de ce petit bruit que nous faisons en respirant, pour marquer, en quelque sorte, une mesure de temps dans le discours, soit |102 entre deux idées distinctes, mais liées par la relation individuelle à un même objet ou à une même qualité, soit entre deux phrases. C’est Court-de-Gébelin qui nous a fait naître ce soupçon. Mais nous bornerions cette conjecture à quelques idiômes d’une même origine quant aux mots, comme le latin, l’Espagnol, l’Italien et le français, où l’on voit et, y, é. Car quel rapport peut-il y avoir entre la prononciation de and, und, dans les langues du nord, de καì, chez les Grecs, et ce léger bruit de la respiration ? Les anciens de tous les pays respiraient tous comme nous, sans doute ; seulement, peut-être, un peu plus à leur aise, et un peu plus haut, comme plus robustes.

10. Mais nous nous garderons bien de dire, que cette expression copulative exprime par sa nature, la même idée que le verbe ; qu’elle ait, en principe général, la même origine que le verbe, ni qu’elle fasse le même office que le verbe. [58] Car enfin, pour sortir un peu des |103 langues où les apparences matérielles peuvent nous séduire, quelle ressemblance de nature, d’origine, etc, etc., par exemple, entre le be des Anglais et and, entre le sein des Allemands et und ; entre τε ou καì, chez les Grecs, et εìν (inus. prim.) ?

11. Les propositions multiples que l’on peut abréger par le moyen de la conjonctive et, sont des propositions paralleles, en quelque sorte, et indépendantes les unes des autres. En un mot elles ne font point partie d’une même pensée, comme étant, l’une le principe, et l’autre le développement de ce principe. Mais on prononcera souvent de suite plusieurs propositions, entre |104 lesquelles on remarquera cette sorte de subordination : par exemple, dans, je suis certain, Pierre est dans une maladie, cette maladie sera mortelle : il est évident que l’objet de ma certitude est la maladie de Pierre, et que maladie, dans la deuxieme proposition, est identique avec maladie, dans la troisieme ; et qu’ainsi ces deux dernieres propositions tendent à s’unir comme la premiere à la deuxieme.

12. Si l’on admet les verbes composés du verbe être et d’un adjectif, la subordination paraîtra encore plus sensible : j’ai appris, Pierre est attaqué d’une maladie, on croit, cette maladie sera mortelle.

13. Or, la conjonction, et, n’est point destinée à exprimer l’idée de cette subordination. Ce ne sont plus, ici, plusieurs qualités attribuées à un même objet, ou plusieurs objets auxquels on attribue une même qualité : ce sont, au contraire, dans chaque proposition, tous objets et toutes qualifications différentes. Il ne s’agit donc plus de sommer, pour ainsi dire, les propositions : mais il est question d’en faire, dans le discours, un seul tout qui conduise l’esprit sans interruption, et par des déterminations graduelles, jusqu’au complément de la pensée totale.

14. Pour cet effet, on inventera les mots qui, |105 que, etc. On dira donc, je suis certain que Pierre est dans une maladie qui sera mortelle ; j’ai appris que Pierre est attaqué d’une maladie que l’on croit qui sera mortelle.

15. Nous ne chercherons point à deviner par quelle suite de tatonnemens on arrivera à la solution de ce difficile problême. Mais il semble assez probable qu’il resterait insoluble, du moins très-long-temps, si l’on n’avait jamais à lier que deux propositions, dont l’une fût subordonnée à l’autre. Je crois Pierre malade, je crois Pierre être malade, je crois Pierre est malade (tour anglais) Pierre est malade, je crois ; ces différens tours et autres semblables attestent, selon les apparences, les efforts que l’on aurait faits pour se passer du qui.

16. Qui, que, etc., sont donc aussi des mots conjonctifs ; et, comme et, ils servent à joindre les propositions ; mais d’une autre maniere, et avec des accessoires différents. Ainsi, de même que et suppose nécessairement plusieurs propositions paralleles : de même tout qui, que, quel, dont, quoi, aussi bien que toute expression abregée qui emporte l’idée de ces conjonctifs, supposent nécessairement plusieurs propositions, dont la deuxieme est le développement de la premiere, et ainsi de suite : nous verrons |106 dans l’analyse grammaticale comment une proposition en développe une autre.

17. Qui, que, etc., sont encore des adjectifs, puisqu’ils s’ajoutent aux substantifs, et que, lorsqu’ils sont seuls, ils les supposent, et s’y rapportent.

18. Qui a beaucoup de rapport avec le : 1o. pour la signification, qui est nulle, considérée dans les mots seuls et en eux-mêmes ; l’un et l’autre n’étant que des valeurs absolument discursives, si l’on peut ici employer cette expression : 2o. pour la nature de leur fonctions [sic] ; le premier se met en tête de la proposition antécédente ; et le second en tête de la proposition qui suit ; seulement, il ajoute à l’idée d’individualité générale ou particuliere, qu’il rappelle, l’idée conjonctive : l’un applique l’idée aux individus en général dans une proposition antécédente ; l’autre représente l’idée de cette même application dans une proposition qui suit comme complément de celle qui précede. Le premier indique que le nom général peut être restreint à l’espece, etc. ; le second indique qu’il va l’être, quoique souvent la restriction ne s’effectue pas (l’homme, qui est mortel) : c’est une teinte perdue, en quelque sorte, suivant une expression de M. Sicard, laquelle nous a paru aussi déli- |107 cate que juste [59], pour bien des raisons dont le détail serait ici trop long.

19. Et en effet, il n’y a pas une grande différence entre ο, η, το et ος η ο, chez les Grecs ; entre the et that, chez les Anglais : les Allemands emploient aussi, pour répondre à notre qui, der, die, das, qui répond à notre le, la.

20. L’adjectif conjonctif, en usage dans toutes les langues faites, a été nommé pronom, parce qu’il s’emploie seul comme le nom, et pour le nom, dont il rappelle l’idée [60] ; et pour le distinguer des autres pronoms, on l’a nommé relatif ? [61]

|108 21. Qui, que, etc. sont des sortes de qualificatifs, inceptifs ou initiatifs, comme le, la, et les prépositions.

22. Dans un discours bien raisonné, toutes les propositions se tiennent par la liaison des idées depuis le commencement jusqu’à la fin : mais les unes exposent des principes ; les autres développent ces principes ; d’autres exposent des conséquences ; d’autres encore confirment les principes ou les déductions, ou enfin expriment des jugemens qui modifient les précédens par l’idée d’une correction, etc.

23. Or, dans un discours, sur-tout s’il est un |109 peu long, il est utile, et même indispensable de marquer les articulations en quelque sorte, ou les membres du raisonnement, et de fixer l’attention des auditeurs sur les différents points de vue. Dira-t-on donc toujours, après avoir posé ce principe, je procede à un autre ; je tire de là cette conclusion ; je vas [sic] prouver mon principe, ou ma conclusion, etc., etc. ?

24. On sentira bientôt les inconvéniens et l’ennui de ces répétitions embarrassantes, qui rendraient souvent les exposans de la valeur des propositions dans un raisonnement, plus complexes que le raisonnement lui-même : de là des formules abregées, or, donc, car, mais, etc.

25. Or, donc, car, etc., sont donc aussi des mots conjonctifs. Mais leur influence est plus étendue que celle des autres. Ce n’est plus ici une simple liaison grammaticale entre plusieurs propositions paralleles fondues ensemble, ou qui servent à développer une même idée : ce sont des nuances des rapports logiques qui existent entre les parties du raisonnement.

26. Aussi ces sortes de conjonctions et autres semblables sont-elles l’instrument particulier du dialecticien : la Grammaire dit bien où il faut les placer dans la phrase matérielle, mais il n’y a que la logique qui enseigne à les em- |110 ployer à propos ; et trop souvent dans le discours elles ressemblent à certaines belles enseignes qui valent mieux que la marchandise, ou à ces étiquettes que l’on applique sur des caisses vides [62].

27. On peut regarder, si l’on veut, ces conjonctifs comme des élémens de l’oraison dans les langues faites : mais, à coup sûr, ce ne sont point des élémens de la proposition, ni de la phrase.

28. Voilà donc le discours successivement pourvu de moyens capables de faire un tout d’une multitude de parties diverses, et de représenter, autant qu’il est possible, la liaison et l’unité qui existe dans le systême d’une pensée la plus étendue.

 

 

ARTICLE XIII.

Mots composés, adverbes, etc.

 

1. Tous ces progrès successifs, et sans doute très-lents, de notre nouvelle langue, en facili- |111 tant les développemens et la liaison dans l’analyse des opérations intellectuelles, auront néanmoins l’inconvénient très-grave de rendre l’expression de la pensée aussi lente que la pensée par elle-même est rapide.

2. Pour rapprocher la copie du modele, on commencera par supprimer des mots dont le sens, ou quelque signe adjoint, rappelleront l’idée dans la phrase, ou que les circonstances feront aisément suppléer, parce qu’ils auront été déjà prononcés.

3. Ainsi, au lieu de dire, je suis le fils de N. ; on dira, dans certains cas, je le suis : à êtes-vous son fils ? On répondra simplement son fils, ou oui, pour cela est, oui. Au lieu de répondre il est à tel endroit, on répondra à tel endroit, etc., etc.

4. Or, les phrases ou les parties de phrases où l’on supprime ainsi des mots vers lesquels ceux qui restent reportent nécessairement l’esprit, sont ce que l’on nomme des phrases ou des parties elliptiques : les Ellipses (εκ λειπω) sont des suppressions. Les mots or, donc, car, mais, et, dont il est question dans l’article précédent, ne sont autre chose que des restes de propositions ellipsées.

5. Si l’on supprime des mots pour abréger le discours ; le même goût de la précision et de |112 l’unité en fera réunir par contraction un certain nombre d’autres : par exemple, de ει εγω (est moi ou je) [63] on fera ειω, εω répondant à je suis. De εω φιλ, on fera φιλεω (j’aime, au lieu de je suis aim) : de aim, radical, et de être, on fera aimetre, aimer, de cherch être, chercher, etc. Et de là, tous ces verbes mixtes, qui résultent de la composition d’un nom avec le verbe simple. C’est un exemple pris comme au hazard, que nous donnons ici : un simple apperçu doit suffir. Nous n’avons point la prétention de tout expliquer, à beaucoup près, sur une matiere aussi délicate [64].

6. C’est parce que l’on aura vu d’abord dans toutes les phrases deux expressions trop complexes (au temps présent, passé, etc.) exprimant l’idée de la coexistence, que l’on aura été conduit à les abréger en faisant ellipse de l’idée générale (temps) qui est commune. Mais c’est parce que l’on aura toujours senti cette idée générale commune, que l’on aura fini par trou- |113 ver un mot qui exprime à la fois et le genre et les especes.

7. Or, on ne pourra manquer d’être aussi frappé de voir fréquemment dans le langage les expressions suivantes ; d’une bonne maniere, d’une prudente maniere, d’une forte maniere, etc. ; et naturellement on cherchera les moyens d’abréger ces sortes de formules où l’on trouve encore des idées générales communes, de, une, et maniere. Nous ne supposerons point ici que notre Colonie sache le latin, et qu’elle soit à portée de faire bonnement de bonâ mente : mais elle changera maniere en man, et si l’on veut, en men, ou en ment ; elle supprimera la préposition de et l’adjectif une ou un, dont le reste de la formule rappelera aisément les idées, parce que l’on aura contracté l’habitude de voir tous ces mots réunis.

8. Ainsi, au lieu de, de une bonne maniere, etc., on aura bonnement, qui sera tout d’un jet comme la pensée elle-même, fortement, précédentement, enfin précédemment, etc. ; y sera la formule elliptique de en cet endroit, en celle de de cet endroit, de cela ; aujourd’hui sera un mot composé par contraction de à le jour de hui (de présent), etc.

9. C’est de cette maniere que les Grecs ont composé la plupart de leurs mots qui répondent |114 à ceux dont nous parlons ; κατα, selon, τροπον, maniere, ςοφον, sage ; ςοφον τροπον, en retranchant la préposition κατα ; ςοφο ως, ςοφ̃ως, comme sage, sagement.

10. Mais toutes les formules composées, contractées ou elliptiques de ce genre, et qui sont en très-grand nombre dans toutes les langues, résultent absolument des mêmes élémens grammaticaux que le verbe être, dans les formes où il exprime la coexistence : c’est-à-dire, d’une préposition et de son complément, qui est le second terme du rapport : et en effet, Pierre sage au temps présent, au présent, à présent, présentement, actuellement, offrent à l’esprit la même idée que Pierre est sage : et si nous disons souvent, il est à présent, il était alors, il sera à l’avenir, etc. ; ce n’est la plupart du temps qu’une répétition d’idées, pour fixer l’esprit plus particuliérement sur les époques. De plus est sage ne peut se dire seul, non plus que sagement ; l’un et l’autre supposent également un terme antécédent, exprimé ou sous-entendu : aussi Aristote, dit-il, du verbe, qu’il est προςςημαινον χρονον (ad signifiant le temps, ou signifiant le temps avec, par rapport à.....) [65].

|115 11. Or, nous croyons que c’est l’identité dans les especes des mots qui sont les élémens du verbe, ainsi que des formules abrégées dont nous parlons, qui fera nommer ces dernieres adverbes, comme si l’on disait composé à l’instar du verbe. Et en effet, pour compléter notre parallele entre le verbe et l’adverbe ; n’est-ce pas encore l’adjectif qui fait la différence dans l’un et dans l’autre : dans est, était, era, auquel on a ajouté un s dans notre langue, à cause de notre e sourd, st, tait et ra représentent les adjectifs présent, passé et futur : dans calmait, marchait, portait, ce sont encore des adjectifs radicaux calm, march, port qui forment les especes aussi bien que dans fortement, hardiment, etc.

|116 12. La maniere dont nous expliquons la nature de l’adverbe pour mettre le nom d’accord avec la chose, paraîtra peut-être un peu singuliere : mais si notre analyse est en forme ?... Il sera prouvé encore une fois que le fond de la langue grammaticale des anciens est plus raisonnable et plus juste, que nos grammairiens n’ont jugé à propos de le croire [66].

|117 13. Comme tout adverbe équivaut à une préposition et son complément, les Grammairiens sont embarrassés à répondre, lorsqu’on leur demande si toute préposition avec son complément est un adverbe, ou la même chose qu’un adverbe. Dans nos principes, la réponse est facile : au temps présent n’est point un verbe, quoique signifiant la même idée totale que certaine forme du verbe : toute préposition suivie de son complément n’a point la même signification que le verbe, etc.

14. L’adverbe n’est point un élément simple du discours, puisque, comme le verbe, il équivaut à plusieurs élémens ensemble ; aussi peut-il y avoir des langues faites sans adverbes, comme on ne peut nier qu’il en existe réellement où le verbe est inconnu. Differentia formalis, (dit Scaliger, l. 5, chap. 121) propter quam verbum ipsum verbum est.

 

|118

ARTICLE XIV.

Apperçu général et rapide sur les derniers développemens de l’art de la parole.

 

1. L’ellipse, dont la théorie est à juste titre nommée la clef du langage, et l’art de composer les mots, qui a trop d’étendue pour que nous puissions ici, dans un premier coup-d’œil, en développer toutes les ressources, sont deux puissans moyens de précision et de perfectionnement pour la langue que nous venons d’ébaucher.

2. On n’aura pas plutôt trouvé le secret de rendre la langue plus précise, que l’on cherchera en même temps à la rendre plus claire, plus harmonieuse et plus variée : on perfectionnera la théorie du verbe [67] par l’addition de nou- |119 velles formes qui exprimeront de nouvelles nuances dans les temps ou les époques : les idées accessoires de commandement, de desir, de condition, etc., ajoutées à la signification de ce mot, formeront des classes distinctes de formes entées sur un même radical, sous le nom de modes : les voix, l’active la passive, etc. [68], viendront ensuite, ainsi que les signes caractéristiques des personnes, des nombres, et même quelques fois des genres, comme dans les langues orientales ; et le verbe, offrant à la fois, dans les belles contrées de l’Attique, par exemple, tout ce que l’on peut voir, du moins en fait de langue, de plus prodigieux, et par la simplicité des moyens, et par la variété étonnante des significations et des |120 formes, justifiera pleinement, dans son admirable systême, le titre emphatique de mot par excellence qu’on lui aura donné.

3. Avant d’avoir conduit la théorie du verbe à ce haut dégré d’une perfection si rare, l’harmonie résultant de la variété des désinences, aura sans doute été appliquée aux substantifs et aux adjectifs. Les nombres, les genres et les cas sont des accidens grammaticaux qui leur conviennent.

4. Si l’on suppose que notre colonie se soit divisée en plusieurs peuplades, après avoir inventé en commun les premieres especes de mots, les uns auront pu adopter, en totalité ou en partie, le systême des désinences ou des cas, pour exprimer ces /les/ idées des rapports ; d’autres auront pu se borner uniquement aux prépositions ; d’autres enfin auront suivi plus ou moins les deux systêmes à la fois.

5. Or, dans le systême des cas, les noms substantifs qui portent, en quelque sorte, le numéro de la place qu’ils doivent occuper dans la phrase purement analytique, et les adjectifs qui portent et doivent porter la livrée des substantifs, pourront être transposés à volonté jusqu’à un certain point ; mais cette transposition ne peut avoir lieu dans le systême d’un idiôme qui n’aurait que des prépositions, où les noms |121 ne portent point le signe indicatif de leur place ; de là donc, deux sortes générales de langues ; les unes seront transpositives, comme celles des Grecs, des Latins, etc. ; et les autres analogues, comme la Française, l’Anglaise, l’Italienne, etc. Les langues, comme celle des Allemands, qui avec les transpositions seront néanmoins assujéties dans un grand nombre de circonstances à certains tours fixes et déterminés, seront, sous ce rapport, des langues transpositives mixtes.

6. Au moment où l’on aura passé à la considération des choses intellectueles [sic], il aurait fallu inventer une multitude de nouveaux mots pour peindre ces nouvelles idées. Mais enfin on remarquera, ou l’on se formera des points de comparaison entre les choses abstraites et les objets sensibles ; et l’on appliquera les mots déjà formés à la représentation des idées nouvelles : on dira donc le tombeau de la vertu ; la voix de la conscience ; l’esprit de la ligue ; le nerf de l’état ; la pauvreté, la sécheresse, le luxe des idées ; de là, dans les mots, le sens propre et le sens figuré.

7. On chevauchera sur un bâton ; on sera un tigre, un mouton, une brebis de Dieu ; on se mettra dans l’épée comme dans la robe, on aura le cœur dur, l’esprit mou, sans une once |122 de bon sens ; on sera goûté, parce que l’on aura beaucoup de monde, et sur-tout du foin dans ses bottes, le bras long, et la plume large, etc. : de là une théorie des différens sens des mots sous le nom de tropes (τρεπω je change), qu’il ne faut pas confondre, comme on l’a fait, avec les figures proprement dites.

8. Mais quels pourraient être les progrès d’une langue qui n’aurait pour dépôt de ses conquêtes que la mémoire, et pour moyen de publicité que la simple tradition orale.... ? Quels progrès pourraient faire alors et les sciences et les arts.... ?

9. On cherchera donc à fixer par quelque moyen l’existence extérieure de la pensée, qui n’est qu’instantanée et trop passagere dans la parole. Des linéamens grossiers et informes rappelleront à l’esprit, en frappant les yeux, l’idée des objets sensibles ; et des Hiéroglyphes [69] de toute espece seront le premier berceau de la peinture, qui commencera par satisfaire un premier besoin, pour devenir un des premiers charmes de la vie.

|123 10. Mais s’il est naturel que l’on commence ici par les images des objets sensibles à la vue, comme il est naturel que les premieres articulations offrent à l’oreille une teinte d’harmonie imitative ; d’un autre côté, il paraît impossible que l’on n’éprouve point souvent de très-grandes difficultés à déchiffrer des idées abstraites et métaphysiques, dans une suite d’emblêmes et de symboles.

11. Au lieu donc de faire deux fois immédiatement le tableau de la pensée, et d’en tirer en quelque sorte deux copies tout à fait hétérogenes entre elles ; on finira par s’appercevoir qu’il est plus simple de décomposer la parole elle-même, qui est déjà la peinture de ce qui se passe dans l’esprit. Des caracteres représenteront donc les voix, les articulations, enfin les mots ; et la parole, qui aura déjà commencé à donner du corps à la pensée, viendra elle-même, toute fugitive qu’elle est, se fixer sur un solide, et s’y prendre en traits visibles et permanens. Voilà l’écriture alphabétique. Ainsi tout sera lié dans le systême de l’analyse des opérations intellectuelles ; l’écriture sera le résultat de l’analyse de la parole, comme la parole est le résultat de l’analyse de la pensée, comme la pensée elle-même est le résultat de l’analyse des objets qui se décomposent dans les organes des sens.

|124 12. Il est donc démontré que l’orthographe, dans l’esprit de sa premiere institution, n’était autre chose que l’art d’écrire précisément comme on parlait alors. Mais depuis, elle n’a plus été, dans bien des points, que l’art de peindre la parole comme on ne parle plus. Au reste, cette sorte d’inconséquence, qui tient à la nature des choses, produit de trop grands avantages, pour ne pas désarmer un peu les censeurs [70].

|125 13. D’autres diront ce que tous les arts en général et en particulier doivent à l’art de peindre la parole. L’écriture développera bientôt le langage, comme le langage aura lui-même développé la pensée ; mais dans une proportion, et avec une influence beaucoup plus étendues : et si l’on ne peut assez apprécier les premiers pas que l’esprit aura faits à la faveur de l’un, il sera impossible d’assigner les limites de la carriere immense et indéfinie qu’il pourra parcourir à la faveur de l’autre.

14. Des hommes méditatifs et observateurs recueilleront ça et là les différens usages de la langue, soit parlée, soit écrite, qu’ils consigneront dans des monumens plus durables qu’eux-mêmes, et où l’esprit des siecles passés continuera d’être présent aux siecles suivans. Avec le temps, des esprits méthodiques formeront un code de ces différens recueils d’observations éparses ; et ce code sera la Grammaire du pays, et chaque peuplade fera la sienne.

15. Or, 1o. ces Grammaires seront différentes, parce que l’influence d’un grand nombre |126 de causes aura diversement modifié l’organisation des peuples, et produit des goûts et des tours d’esprit différens.

16. Mais, 2o. tous les différens idiômes seront partis d’un même point, c’est-à-dire de l’organisation générale commune à tous les hommes ; ils auront aussi procédé suivant les principes de la même méthode, parce que la même raison universelle qui préside au développement et à la génération des idées, aura nécessairement présidé à la formation générale de chaque idiôme.

17. Or, dans la comparaison des Grammaires particulieres des différens peuples, on appercevra avec le temps, cette identité dans la nature des élémens respectifs et des procédés du langage ; et de là, naîtra une science qui n’aura pour objet que la connaissance de cette méthode universelle qui est l’esprit commun de toutes les langues : ce sera la Grammaire générale [71].

|127 18. Mais cette théorie générale, qui sera pour ainsi dire la clef de toutes les langues, le fondement essentiel de la logique et de la rhétorique elle-même, éprouvera toutes les contradictions réservées aux sciences utiles et aux bonnes méthodes ; elle aura à combattre toutes les prescriptions alléguées par une habitude ancienne, jusqu’à ce que les passions aient déposé leur limon dans le cours des années, et qu’enfin la vérité surnage.

Nous venons de voir en quoi consiste l’analyse de la pensée, et quels sont les élémens qui doivent entrer essentiellement dans la composition d’une langue naissante. Pour compléter la théorie des principes généraux, il nous reste à faire l’analyse du langage perfectionné. C’est le sujet du 4e. chapitre de la 1ere. section de la 2e. partie, qui traite de la Grammaire.

 

 


[45] Le chinois offre quelque chose de cet embarras.

[46] Bauzée [sic], Gramm. génér. ; et Encycl. mot Cas.

[47] Cet exemple paraît fort mal choisi. Il fallait nous donner ici une préposition simple, υπερ, super, sur ; au lieu d’une expression complexe composée de trois prépositions.

[48] M. Sicard déclare néanmoins « que la préposition tient lieu d’une qualité, ou plutôt, qu’elle est elle-même une véritable qualité, ou un adjectif. (1er. vol. 22.) » Il nous semble, 1o. qu’il y a, ici, entre les assertions de notre auteur, une contradiction bien formelle ; 2o. que la préposition ne peut être en aucune maniere une qualité, ni véritable, ni fausse ; 3o. que qualité et adjectif ne sont point encore devenus synonimes. Ce langage inexact, où M. Sicard, à l’exemple de Court-de-Gébelin, confond perpétuellement les idées avec les mots, ne nous paraît point du tout propre à éclaircir des matieres aussi délicates et aussi embrouillées.

[49] A présent, dans leur état de généralité actuelle ; et non par leur nature.

[50] C’est la maniere dont s’expriment ordinairement les Grecs, qui font peu d’usage des possessifs.

[51] Telle est la langue chinoise (V. Fourmont, Bayer et le P. Prémare) : Telle était la langue franque. Il est vrai que l’encyclopédiste Beauzée prétend le contraire ; mais c’est parce qu’il croit avoir prouvé (Gramm. tom. 1er. 423, et encycl. au mot verbe) que le verbe est un élément indispensable pour l’énoncé du jugement. Or comme sa preuve est un sophisme, et que nous démontrons tout le contraire, nous nous croyons en droit de dire que sa négation, ici, n’est d’aucun poids. Celui qui ne |89 peut concevoir une langue sans verbe, ne pourra jamais dire au juste ce que le verbe signifie. Si l’on n’eût pas eu l’art de substituer à l’adverbe, les élémens dont il est le signe abrégé et complexe, l’adverbe serait probablement encore une seconde espece énigmatique. Court-de-Gébelin prétend que les noms deviennent verbes dans la langue chinoise (Gramm. univ. 564[)] ; mais il faut définir exactement ce que l’on entend par verbe, et la dispute sera bientôt terminée. Que les verbes suppléent aux noms, ou en fassent l’office, nous entendons bien ; cela est dans nos principes. Mais que les noms deviennent des verbes, dans une langue où l’auteur convient qu’il n’y a point de verbes, nous n’y comprenons rien, sinon que l’habitude de se servir des mots, embrouille quelquefois horriblement les idées.

[52] Les Suédois placent ce déterminatif, en forme d’enclytique, à la fin des noms appellatifs ; broed, pain ; broedet, pain le ; bok, livre ; boken, livre le. Il en est de même chez les Escoualdounac ou Basques : guison, homme ; jaun, femme ; guisona ou ac, jauna ou ac, homme le, femme la. Ces exemples prouvent que nos maîtres se sont trompés dans leurs principes généraux, lorsqu’ils ont voulu nous donner leurs articles pour des mots essensiellement [sic] prépositifs : et voilà l’anse du vase de M. Sicard cassé, bien des siecles avant lui, par les Escoual- |94 dounac ! [V. la comparaison ingénieuse de notre auteur, 1er. vol., 164 et ailleurs, où il explique comment, au moyen de l’article on tire les noms du milieu des autres, où ils restaient confondus......] Ils est maintenant démontré qu’il faut, ici, laisser les noms à leur place, et déterminer ses idées : car c’est là seulement que se trouve la confusion.

[53] Scaliger, en parlant des Grecs, définit cette sorte de mot, otiosum loquacissimæ gentis instrumentum (de caus. Ling. lat.) Beauzée se fâche sérieusement à ce sujet contre l’auteur : il a bien raison, pour le loquacissimæ ; et c’est le fait d’un bon Grec et d’un vrai Français : on n’a point encore vu de peuple qui ait bavardé aussi éloquemment que les Grecs. Quant à nous, sans rancune à l’égard de l’imputation gratuite de loquacité, nous sommes tentés de passer condamnation sur l’otiosum de Scaliger, au moins pour neuf fois entre douze.

[54] V. l’italien et la note ci-dessus, 93, etc.

[55] Condillac est tombé, à ce qu’il nous semble, dans la même erreur, (ch. de l’article) : il a cru que dans, l’homme vertueux, le concourt avec vertueux à restreindre à une certaine classe. Cela fait tort à ses principes, d’ailleurs excellens, sur cette matiere ; le applique aux individus, et vertueux restreint seul à la classe.

[56] Court-de-Gébelin, Gram. univ. 183-4.

[57] Et en effet, 123, en arithmétique, fait bien cent vingt-trois ; parce que les trois signes, ainsi posés, se prennent en masse, comme liés de fait ensemble. Mais, 1, 2, 3 fait un, deux, trois ; c’est-à-dire, trois signes différens ; et 1 + 2 + 3 équivaut à 6.

[58] C’est la doctrine nouvelle de M. Sicard, 2e. édit. 1er. vol. « La simple voyelle, dit-il, est le verbe des consonnes ; 495. La conjonction est la voyelle des propositions, et le verbe la voyelle des substantifs ; 505. La conjonction est la voyelle ou le verbe des propositions ; 506, etc., etc. » Ainsi, pour continuer le systême, la préposition est la voyelle, ou le verbe des noms ; les particules car, mais, or, donc, etc., sont la voyelle, |103 ou le verbe des périodes : il ne manque plus que d’ajouter que la consonne seroit, elle-même, le verbe, et la voyelle des voyelles. Et tout seroit voyellifié et verbalifié en un tour de main. Parlons sérieusement : si tout cela peut vouloir dire quelque chose ; c’est, sans doute, qu’il existe une idée générale commune à ces différens élémens du discours. Mais faut-il tout confondre, pour démontrer par l’analyse un principe que l’on ne s’avisera jamais de contester, du moins, jusqu’à certain point ? Un littérateur distingué par des talens très-bien reconnus, un jour qu’il voyageait à cheval avec un de ses amis, s’avisa de prier un paysan, d’égaliser les supports de ses pieds, dont l’un étoit succinct et l’autre prolixe : et le paysan de rester la bouche béante ; et le savant de rire, parce qu’il avait voulu s’égayer : mais si M. M....... eût pu s’aviser de dire, les verbes, ou les voyelles de mes étriers, les voyelles, ou les verbes de ma valise..... y a-t-il eu au monde beaucoup de Grammairiens qui eussent été en état de lui servir de palefreniers ?

[59] Il s’en faut bien que nous soyons aussi satisfaits de la méthode géométrique avec laquelle notre auteur explique la valeur du conjonctif qui (163, 194, 509, 510, 511, etc., 1er. vol.), l’X inconnue algébrique nous semble par-tout enveloppé d’un épais nuage, et toute déconcertée de se trouver tant de fois ainsi logée dans une Grammaire destinée à l’enfance : nous admirons le plus QU, cet astre est QU, je sais cet X, je sais ce QU EST, ce QU ET, ce QU E, etc., pour faire sortir de là le verbe être, ne nous paraît point un langage assez propre, ni pour la chose, ni pour ceux à qui l’ouvrage est dédié.

[60] Il faut néanmoins convenir que cet adjectif n’est pas pronom dans, lequel homme, quel homme, etc. ; dans, ejus rei, quæ res, répétition très-familiere aux latins, et sur-tout à Cicéron. Car le représentant n’a rien à faire là où stipule le représenté en personne : alors c’est donc un vrai adjectif.

[61] Cette dénomination paraît absurde à Beauzée : « il faudrait, dit-il, par une conséquence nécessaire, l’accorder à |108 tous les adjectifs, participes, articles, puisque toutes ces especes s’accordent.... avec le nom.... » Mais si nos anciens avaient entendu, ici, par relatif, qui exprime l’idée da [sic] relation à un nom antécédent, qui ne peut se trouver que dans une proposition dépendante ; la conséquence de M. Beauzée serait-elle encore bien nécessaire ? Il faut bien défendre un peu les anciens : s’il y a des gens qui les exaltent trop sans les connaître ; il y a aussi des hommes d’esprit qui les connaissent bien, et qui les condamnent sans avoir la patience d’essayer de les expliquer. Il est si facile de mettre ses idées à la place de celles des autres, en supposant qu’ils ne s’entendent pas ! Nous passerons néanmoins condamnation sur les relatifs absolus, etc. ; ces dénominations contradictoires sont des superfétations inventées par nos Grammatistes, qui, en voulant tout diviser, ont tout confondu. Il est impossible d’ailleurs que qui, que, quel, quoi, lequel, , etc., soient jamais absolus : quoi qu’en dise Restaut (ch. 6) ; ils ont nécessairement un antécédent exprimé ou sous-entendu.

[62] Un ancien (nous croyons que c’est Platon) regarde ces particules comme le ciment ou le mortier qui sert à lier les pierres d’un édifice ; et il se plaint de ce que plusieurs de ses contemporains affec[t]aient de s’en montrer trop économes. Mais les carrieres de l’Attique fournissaient des matériaux solides ; et les artistes savaient les mettre en œuvre.

[63] Nous avons déjà averti que la distinction des personnes est un accessoire qui ne tient point à la nature du verbe.

[64] Les Anglais, par exemple, sont bien loin d’avoir suivi cette marche : tous leurs verbes à l’infinitif, sont demeurés dans l’état de simples radicaux. Mais la théorie du verbe, chez les Anglais, est encore ensevelie avec celle des droits de l’humanité et des nations.

[65] On voit par là que nous trouvons par-tout la preuve de |115 la solidité de nos principes sur la nature du verbe. L’analyse, ou la décomposition du verbe même en offre une plus frappante : supprimez l’un après l’autre les voix, les modes, les nombres, et les personnes, qui ne sont évidemment que des accessoires purement accidentels : le verbe subsiste toujours ; car vous avez encore est, était, sera, etc. : faites ensuite abstraction de l’idée temporelle, de la coexistence ; et dites-nous ce qui reste après cela dans l’alambic... ? D’ailleurs, quoi qu’en disent nos Grammairiens et nos Rhéteurs, il est démontré que les idées déterminatives des époques sont les seules idées qui se lient au verbe proprement dit, et qu’elles ne peuvent se rattacher ailleurs ; or, cette affinité ne peut exister ici qu’entre le genre et les especes, qu’entre l’idée d’une époque générale et les idées d’une époque plus précise.

[66] C’est avec une certaine raison que, depuis long-temps, on était révolté de cette dénomination d’adverbe ; parce qu’on définissait l’adverbe un mot qui modifie le verbe, qui s’applique au verbe, etc. Et en effet, dans il est plus, sage très-sage, moins grand, trop petit, dangereusement malade, etc., les adverbes modifient des noms, et sont tout à fait étrangers au verbe. Or, des exceptions en si grand nombre prouvaient évidemment le vice de la dénomination ? Non pas tout à fait ; mais bien, comme on le voit, celui de la définition. Il fallait en faire une autre, plutôt que d’inventer des surattributs, etc.

C’est ainsi que l’on a souvent tourné en ridicule le terme de copule, désignant le verbe dans la proposition, chez les Logiciens. Mais on définissait la copule, un mot qui sert à lier le sujet à l’attribut, comme une sorte de lien physique : et c’est là ce qui faisait rire les définisseurs eux-mêmes. Cependant si l’on eût fait attention que nous n’énonçons point de jugement sans le rapporter à une époque quelconque ; que nos idées, dans le jugement, rayonnent, en quelque sorte, vers un point de la durée, comme vers un centre commun, où elles vont prendre, pour ainsi dire, la date de leur alliance ; les savans auraient eu bientôt cessé de rire, à moins que ce n’eût été de leur méprise ; et un Grammairien vraiment profond [Urbain Domergue, Analyse Gramm., p. 14] n’aurait point été conduit par l’analogie matérielle, à ajouter le terme de judicateur, |117 au judicande et au judicat, auxquels il ne manquoit que la judiciaire. « C’est dans l’existence que les perceptions s’unissent et s’associent, dit A. Degerando, art des singes [sic], tom. 1er. 15. »

[67] M. Adam Smyth pense que les verbes nommés impersonnels ont probablement été la premiere espece inventée, [Encyclopédie, mot langue] : Ningit, pluit, tonat lucet, turbatur, etc., sont les exemples que l’auteur donne. Nous ne pensons point qu’il soit naturel de commencer par inventer des expressions complexes ; quoi qu’il soit très-naturel de se contenter d’un seul mot pour une proposition entiere, quand on n’a point d’autres mots à sa disposition. M. Adam Smyth aurait donc tiré ou fait dériver ensuite Lux de Lucet, pluvia de pluit, turba de turbatur, grando de grandinat, etc. : il aurait donc tiré le |119 verbe être par abstraction du sein des autres, de maniere que le verbe être aurait été inventé matériellement, et inglobo, sans que l’on eût eu encore l’idée de la signification de ce mot ! Malgré le respect sincere que nous portons à ce savant distingué, et à l’éditeur de l’Encyclopédie, qui plaisante à ce sujet sur l’opinion contraire de Sanctius, nous ne pouvons approuver cet ordre de génération et de dérivation pour les mots, ni pour les especes.

[68] Quand nous parlons de la voix active et passive, nous ne considérons que les verbes composés uniquement. Car il est bien évident que la nature de la signification du verbe être se refuse absolument à cette division ; ce qui détruit de fond en comble, comme nous croyons l’avoir déjà fait observer, la définition de l’abbé Girard [action et passion.]

[69] ιερος γλυφω. V. Warburthon, le chevalier de Jaucourt et autres, sur les développemens de cet art précieux, dont il ne nous est point permis de nous arrêter ici, même pour en prendre la fleur.

[70] M. Sicard opine (1er. vol., 7.8.9.10, etc.) que, dans la phrase des premiers hommes, le substantif a dû servir de câdre à l’adjectif : en conséquence, on a dû exprimer PrAoPuIgEeR, selon lui, avant d’exprimer papier rouge. Mais, ou bien l’on a écrit avant de parler, ce que M. Sicard paraît évidemment supposer par ses procédés dans cet article : ou bien l’on a parlé avant d’écrire, ce que l’article tout entier autorise aussi évidemment à supposer encore : dans le premier cas, l’écriture auroit été une copie de la parole sans original ; et nous ne raisonnons point sur une semblable hypothese. Dans le second cas, est-il croyable que les premiers hommes, qui avaient bien de la peine à s’entendre, qui ne connaissaient point l’art de décomposer les mots, eussent pu, pour être mieux compris, en barbouiller ainsi deux ou trois à la fois ? Il est vrai qu’il y a la ressource des grandes et des petites lettres : mais, 1o. c’est supposer, contre l’hypothese, l’existence de l’écriture : 2o. s’il s’agit, ici, de la parole, il n’y a ni petites, ni grandes lettres dans la bouche. Que si M. Sicard s’explique et dit, que l’on a dû écrire ainsi d’abord, après avoir parlé : nous répondrons, 1o. qu’il ne s’agit donc plus de sa phrase primitive ; ou bien φραζειν signifierait écrire ; 2o. que les premiers hommes ont dû prononcer les mots les uns après les autres ; et qu’en voulant peindre la parole, ils ont dû les écrire dans le même ordre suivant lequel ils les prononçaient. Ce procédé de M. Sicard est réellement in- |125 génieux pour l’instruction des sourds-muets ; mais les entendans ont un sens de trop, pour le croire nécessaire ; sur-tout, lorsqu’il ne sert, à leur égard, qu’à contredire et embrouiller les notions reçues et certaines.

[71] Il suffit d’avoir une faible teinture de l’ordre suivant lequel s’engendrent les idées, pour reconnaître ici qu’il est impossible, par bien des raisons, d’admettre une autre généalogie des Grammaires. Cependant Urbain Domergue [p. 4, prop. Gramm.] et A. Sicard [p. 10, Introduction] regardent pour constant que les Grammaires particulieres aient dû naître après la Grammaire générale. L’opposition de deux Académiciens aussi distingués nous |127 ferait douter de nos principes, si nous pouvions en soupçonner d’autres qui pussent être vrais. Sans doute qu’il a existé une Grammaire générale avant les Grammaires particulieres ; mais comme il y avait une logique naturelle avant qu’il y eût des Logiciens de profession et des Sophistes, etc. or, il ne s’agit ici, ni de la science grammaticale naturelle, ni de la métaphysique innée.