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Complément abrégé. Sur la nature du verbe.

 

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COMPLÉMENT ABRÉGÉ

SUR LA NATURE DU VERBE.

 

La connaissance de la nature du verbe intéresse à la fois très-spécialement la Grammaire, la Logique et la Rhétorique. C’est pourquoi nous avons cru devoir indiquer ici tous nos moyens de démonstration pour cette partie de notre doctrine. On n’en aura que plus de facilité à nous combattre, si nous sommes dans l’erreur ; et nous aurons du moins l’avantage de pouvoir être plutôt détrompés. Ce n’est que dans cette vue que nous avons dit si franchement une partie de nos opinions sur les autres.

1. Nous avons idéologiquement démontré, par la synthese du langage, qu’il ne manque à l’énoncé d’un jugement après l’expression des deux idées comparées, que l’expression de la coexistence de ces deux idées ; et que cette expression de la coexistence, d’abord complexe, comme résultant d’une préposition et de son complément, a été dans la suite réduite à un seul signe abrégé, qui, à cause de la |129 nécessité indispensable des idées qu’il exprime dans toutes nos phrases, ainsi que du grand nombre d’accidens grammaticaux dont il est singuliérement susceptible, a été nommé le verbe ou mot par excellence.

2. En dépouillant successivement le verbe de ses divers accessoires, voix, modes, nombres, personnes et genres, etc., nous trouvons qu’il nous est impossible de supprimer l’idée des temps sans anéantir la nature du verbe comme verbe ; et qu’alors il ne nous reste plus que la simple idée d’existence indifférente par rapport à toute sorte d’époque. Ainsi nous remontons à nos premiers élémens dont nous avions composé le verbe. Voilà donc une épreuve et une contr’épreuve qui offrent un même résultat : nous avons donc démontré, et par la synthese, et par l’analyse, que l’idée de la coexistence constitue essentiellement l’idée fondamentale du verbe, et que, par cela même, toute définition du verbe qui s’écarte de cette idée, ou qui en contient d’autres, est nécessairement fausse et erronée.

3. Divers raisonnemens simples viennent d’eux-mêmes à l’appui de cette démonstration : 1o. Les formes temporelles du verbe n’expriment essentiellement autre chose que les idées d’époques particulieres : ce sont donc des idées |130 spécifiques entées pour ainsi dire sur une idée générale commune. Or, comment voudrait-on que l’idée d’un lien, comme l’entendent nos Grammairiens, l’idée d’une affirmation, etc., fussent, ici, cette idée générale commune ? 2o. Tous les Grammatistes et les Logiciens conviennent que le verbe primitif, dépouillé des formes temporelles, n’est plus qu’un nom qui exprime simplement l’existence. Or, comment ne s’est-on pas apperçu ici que, si l’existence constitue la signification du mot verbe lorsqu’il cesse d’être verbe, il ne peut être constitué verbe que par des rapports de cette même idée d’existence ? Les chymistes et les apothicaires feraient de belle besogne, s’ils ne mettaient pas une autre méthode dans leurs analyses, et dans le rapprochement de leurs résultats ! 3o. Il est certain que tous les mots qui, dans une phrase quelconque, expriment quelque idée d’époque plus ou moins déterminée, se rattachent nécessairement par l’analyse au verbe être pur, et que le verbe être pur n’admet point d’autres accessoires [72] ? Or, |131 d’où vient cette affinité entre les accessoires temporels et le verbe ; si ce n’est de l’identité de nature entre les idées ; si ce n’est de ce que les idées d’époques précises tiennent essentiellement aux formes du verbe, comme les formes du verbe ne sont elles-mêmes que des especes de l’idée fondamentale de coexistence exprimée par le verbe ? Ici se présente à la fois une infinité d’argumens solides dans ce genre, et dont un seul peut battre totalement en ruine tous les systêmes opposés au nôtre. Mais aller plus loin, serait abuser, s’il est permis de le dire, de la supériorité de nos armes.

4. Veut-on maintenant des argumens d’autorité ? Car c’est ainsi que bien des gens veulent qu’on leur démontre l’évidence.

1o. Donc « le verbe (dit Robert Etienne avec sa bonhommie savante) dénote l’être et l’existence ou subsistance d’une chacune chose qui est signifiée par le nom ».

2o. Jules-César Scaliger, comme nous l’avons déjà vu, prétend à juste titre que c’est la différence des formes qui constitue le verbe verbe. Or, les formes sont les temps : donc, etc.

3o. Chez les Allemands, dont la langue n’est pas moderne sans doute, Zeit-wort signifie verbe ; thatige zeitworter signifie actif verbe, etc. (V. seulement Gottsched et les autres Gram- |132 mairiens.) Or, zeit signifie temps, et wort, mot ; le verbe est donc, chez les Allemands, le mot du temps. Cela n’empêche pas leurs Grammairiens de se mettre à l’unisson des autres, et de définir le mot du temps, un mot exprimant l’action et la passion. Mais, comme on le voit, les mots restent, et les idées changent ou se perdent !

4o. Selon Aristote, « le verbe est un mot qui adsignifie le temps [73] ». Et c’est de là bien certainement qu’est venue la dénomination de copule chez les Logiciens : dénomination bien juste, où l’on trouvait le bon sens de nos aïeux, avant que nous eussions mis notre esprit à la place. Beauzée et Port-Royal ont critiqué cette définition d’Aristote ; mais elle est encore debout sur les ruines des argumens.

Maintenant, nous pouvons laisser à d’autres le soin de recueillir des autorités contraires d’une antiquité plus respectable.

5. Les suffrages ne nous manqueront point encore parmi les modernes.

1o. Beauzée trouve par l’analyse, malheureusement trop peu pratiquée dans l’enseignement |133 et chez les faiseurs de livres élémentaires, que « le verbe est un mot qui désigne un être par l’idée de l’existence intellectuelle » ; et Beauzée, souvent malheureux dans le choix de ses principes, mais très-méthodique dans ses procédés, ne donne jamais du verbe que cette seule définition.

2o. Court-de-Gebelin dit que « le mot qui exprime l’existence devint le mot par lequel on lia à jamais les qualités aux noms ; » il est vrai que l’auteur s’écarte bientôt de son principe : mais son inexactitude dans les termes et ses contradictions sont contre lui, et le fond de sa définition est pour nous.

3o. Parmi un grand nombre de définitions que Condillac donne du verbe (Grammaire et Origine des Connaiss. hum.) tout le monde sait qu’il dit plusieurs fois que le verbe exprime la coexistence. Selon lui, suis, étais et serais ne marquent que le temps, le mode et le nombre [74].

|134 4o. M. Destutt-Tracy, dans son idéologie, ch. 4. 64 « le nom de lien qu’on donne au verbe est vide de sens » ; et 65 « le verbe être n’exprime que l’existence ».

5o. C’est aussi le sentiment de M. Dégérando dans un passage que nous avons déjà cité « c’est dans l’existence que les idées se lient ».

6o. Nous n’avons plus qu’un mot à dire sur cette matiere, relativement aux Grammairiens en général. Tous s’accordent unanimement à reconnaître la marque du temps dans le verbe ; pour le reste, ils ne s’entendent ni entre eux, ni, très-souvent, avec eux-mêmes. Et voici de quoi justifier la derniere partie de notre assertion ; car pour la premiere, elle n’a plus besoin de preuves.

|135 Le verbe, dit un de nos Grammairiens, exprime l’affirmation ; et quand on nie, il vient offrir son ministere : l’affirmation détruit l’effet du verbe ; cependant la valeur du verbe subsiste toujours : le verbe prononce les jugemens, c’est la parole ; et cependant il ne dit rien à l’esprit : le verbe donne de la signification à tous les autres mots ; et cependant il ne signifie rien ; sans rien exprimer, le verbe exprime encore le temps, et l’existence à l’infinitif, (c’est-à-dire, lorsqu’il exprime le moins) : le verbe lie tout comme dans la nature ; et cependant, sans lui, tout est décousu comme dans la nature : pas une seule pensée qui puisse se passer du verbe ; et cependant les premiers hommes pensaient et parlaient sans verbe : le verbe est le mot par excellence ; et ce n’est qu’une voyelle. Le verbe est le oui et le non de l’esprit : ce sont les tendres meres qui font apprendre la magie du verbe à leurs enfans, etc., etc. Retirez par-tout le mot verbe dans ce morceau, avec deux ou trois autres mots qui en rappellent l’idée ; et vous aurez précisément une énigme grammaticale très-amusante, que l’on peut proposer aux enfans, pour s’assurer s’ils ont bien fidélement appris leur Grammaire.

Cependant au milieu de tout cela, nous dé- |136 mêlons encore le fondement de notre définition du verbe, le temps et l’existence : et nous nous croyons autorisés à conclure enfin, que voilà notre théorie sur la nature du verbe confirmée par les autorités les plus imposantes, depuis Aristote jusqu’à nous.

C’est avec peine que nous sommes forcés de renoncer au suffrage de notre Dumarsais. Nous ne pouvons adopter ici ses principes. « Le verbe, dit-il, est le mot qui marque l’action de l’esprit qui unit les idées (Log. ch. 5, p. 28.) » « Le verbe être fait connaître que je regarde la terre comme ronde, ibib [sic] 29, etc. »

Les gens instruits trouveront peut-être que nous avons eu tort de consacrer plusieurs pages au développement d’un principe aussi simple. Mais combien de gros livres ne sont tout entiers remplis que d’erreurs ? Et peut-on trouver mauvais que nous fassions quelques efforts, pour substituer enfin une idée claire et précise, à une si grande confusion de mots ?

 

 

Fin de la Iere. Section de la IIe. Partie.

 

 

Note

Les signes diacritiques esprit rude (‛) et esprit doux (’) utilisés dans les mots grecs, ont été omis pour des raisons techniques.

 

[72] Condillac dit néanmoins, avec beaucoup d’autres, que les accessoires de lieu appartiennent aussi au verbe être [1ere. partie, ch. 13]. Mais c’est évidemment une erreur : ou bien le verbe être alors n’est plus le verbe pur ; ou bien il y a un adjectif comme logé, placé, existant, sous-entendu dans la phrase.

[73] ρημα δε εστι προσσημαινον χρονον. Ch. 3. De interpr. Lisez le chapitre tout entier : il n’y a pas une assertion qui ne justifie nos principes.

[74] Il paraît bien impossible de concilier ce dernier passage de notre maître avec le résultat d’une opération assez longue sur le verbe être, Gramm., 1ere. partie, ch. 8. Il résulte de cette opération que être signifie sentir, avoir des sensations, exister, être susceptible de toutes les actions du corps et de toutes les opérations intellectuelles ; que le premier qui a dit, |134 je suis, ne démêlait point toutes les idées renfermées dans cette proposition, etc. ; et qu’ainsi l’on a dû inventer les mots et macher à vide sans savoir ce que l’on voulait dire. Ceux qui voudront lire le passage, remarqueront que la premiere supposition de Condillac est absolument inadmissible ; et qu’il suppose après la seconde un résultat qu’il lui est impossible d’avoir. Voici son procédé réduit en formule : je suppose la somme des doigts de ma main = 9 : ajoutez 3, vous aurez 12 : retranchez 3, restent 9 : donc j’ai 9 doigts à la main. Nous sommes vraiment surpris qu’un si bon esprit n’ait pas été du moins effrayé de la conséquence, sur-tout lorsqu’elle est si contraire à tous ses principes.

 

 

Document conservé à la Bibliothèque municipale de Rouen, Cote : O 821