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Troisième Leçon.

Manuel Des élèves du Cours de Grammaire-Générale Par Demandes et par Réponses.

Table des matières

 

|[20]

Troisième Leçon.

18.

D.

Il convient de déterminer à présent l’idée qu’on peut attacher au mot sensation ?

 

R.

Tout mouvement dans nos organes est suivi de plaisir ou de douleur ; à un certain mouvement répond le plaisir, à un autre la douleur. Ce bien-être, ou le mal-être que nous éprouvons, lorsqu’il se fait sentir quelque mouvement dans nos organes, ou dans nos sens, prennent le nom de sensation, et pour exprimer qu’aussitôt qu’il se produit quelque mouvement dans nos sens, nous éprouvons de plaisir ou de la douleur, nous disons, d’un seul mot, nous sentons.

19.

D.

C’est donc à chaque sens que nous devons nos sensations ?

 

R.

Ouï ; nous sentons par les yeux, par l’ouïe, par le goût, par l’odorat, par le toucher, et par toutes les parties du corps ; et comme nos sens sont exposés tous à la fois à l’action des objets extérieurs, et qu’il se fait |[21] continuellement des mouvemens dans l’intérieur de notre corps, on peut dire qu’à chaque instant nous éprouvons une infinité de sensations.

Ainsi l’être sentant devient un être intelligent, moral et raisonnable, parceque par les sens l’homme reçoit les impressions des objets ; il les compare, les juge, les recherche, et s’en forme des idées.

20.

D.

Comment s’opère ce prodige, c’est-à-dire comment la sensation s’est-elle transformée en intelligence, en moralité, et en raison ?

 

R.

C’est à la faculté de distinguer entre elles nos sensations et leurs objets, que nous devons celle d’avoir des idées ; ou, pour mieux dire, ces deux facultés n’en font qu’une. L’homme passe de l’état d’être sentant, à celui d’être intelligent ; il passe des sensations aux idées, lorsqu’il déméle ses sensations. Le sentiment se transforme en idée lorsqu’il se fait remarquer entre plusieurs sentimens avec lesquels il était confondu. |[22] L’idée est un sentiment distingué, une sensation démélée, remarquée.

21.

D.

En quoi consiste donc le caractère propre de l’idée ?

 

R.

Il parait que le caractère propre de l’idée, consiste dans la distinction que nous ferons des objets et de leurs différentes qualités ; et comme c’est par nos sensations que nous sommes avertis de leur existence, c’est dans la distinction des sensations elles-mêmes, qu’il faut chercher la première origine de nos connaissances.

Un être qui ne démélerait rien dans ses sentimens, ne serait point appellé à recevoir la lumière de la raison : mais si les sensations viennent à se déméler, si elles se dégagent les unes des autres, si l’être sentant peut se décomposer en quelque sorte lui-même, alors l’on verra l’intelligence s’annoncer d’abord par de faibles commencemens, bientôt croitre avec rapidité, et des idées informes et mal démélées par une première décomposition, vont se décomposer encore et faire naître de nouvelles idées, puis |[23] par de nouvelles décompositions, augmentent continuellement la masse des connaissances et fairont naître les merveilles des sciences et des arts.

22.

D.

Il ne suffit pas d’avoir apperçu la nature de l’idée, ou, pour le dire avec plus de simplicité, d’avoir saisi la véritable acception du mot idée, de l’avoir déterminée avec exactitude ; il faut nous montrer que cette détermination fournit la réponse aux différentes questions que je vais vous proposer sur les idées.

Dites-nous donc si les idées sont antérieures aux sensations ?

 

R.

C’est demander si la distinction des sensations est antérieure aux sensations.

23.

D.

Les idées sont-elles indépendantes des sensations ?

 

R.

C’est demander si l’on peut remarquer des sensations sans éprouver des sensations.

|[24]

 

 

24.

D.

Y a-t-il des idées innées ?

 

R.

C’est demander s’il y a des idées antérieures aux sensations, indépendantes des sensations.

25.

D.

Les idées différent-elles des sensations ?

 

R.

Sentir des rapport[s] et sentir simplement, ne sont pas une même chose. Toute idée est sensation ou partie de sensation, mais non pas réciproquement.

26.

D.

A-t-on idée de toutes ses sensations ?

 

R.

C’est demander si toutes les sensations se tournent en idées, si nous distinguons toutes nos sensations les unes des autres, si nous démélons tout cequi est renfermé dans nos sensations. Non sans doute : sans quoi tous les hommes du même âge, qui ont passé par les mêmes circonstances et par les mêmes épreuves de la vie, auraient un nombre à peu près égal d’idées ; cequi est démenti par l’expérience.

27.

D.

Toute idée est-elle image ?

 

R.

C’est demander si la notion de l’étendue fait partie de toutes les sensations que nous remarquons. L’idée-image, l’idée-réprésentation, n’a lieu qu’autant que les objets de nos sensations sont étendus. |[25] Telle est l’idée d’un cercle ; telles sont encore les idées qui nous viennent par la vûe ; elles sont aujourd’hui pour nous des images, quoiqu’elles ne le soient pas naturellement, puisque, sans les leçons du toucher, l’oeil serait dans impossibilité de voir l’étendue. L’idée du son n’est pas une image ; on apprécie une tierce, une quinte : on ne se les représente pas. On ne se fait pas non plus une image du raisonnement, ni de la pensée ; et si le langage philosophique permet de dire qu’on se représente un ton, une opération de l’entendement, ce ne peut être que par extension.

28.

D.

Toute idée est-elle perception ?

 

R.

Avoir une idée, ou sentir un rapport de distinction, ou appercevoir, c’est la même chose.

29.

D.

L’idée est-elle la première opération de l’entendement ?

 

 

Il est visible qu’elle suppose la sensation : mais je dis plus ; l’idée n’est pas même une opération, et elle ne peut, en aucun sens, porter ce nom ; c’est en effet par |[26] l’attention, par la réfléxion ; c’est par l’analyse que nous découvrons dans les objets cette multitude de points de vûe dont la connaissance distingue l’homme éclairé de l’ignorant. Quelque fois à la vérité, il suffit, pour acquérir une idée, d’une attention si légère qu’elle nous échappe ; car lorsque les différences des objets sont frappantes, l’esprit les saisit à l’instant, mais le plus souvent nous sommes obligés de tourner les objets sous toutes leurs fâces, de les rémuer, de les transporter, de les poser les uns sur les autres, comme dit Rousseau, pour appercevoir les rapports qui les caractérisent. L’idée est donc, un résultat de diverses opérations de l’entendement ; et comme en arithmétique les sommes, les différences, les produits et les quotiens, ne sont pas des opérations, l’idée n’est pas une opération.