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Neuvième Leçon.

Manuel Des élèves du Cours de Grammaire-Générale Par Demandes et par Réponses.

Table des matières

 

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Neuvième Leçon.

102.

D.

N’y a-t-il pas d’autres manières de raisonner ?

 

R.

Outre le syllogisme, à quoi se réduisent tous les discours suivis, il faut encore observer l’enthymème, le Dilemme, l’epichéréme, le sorite et l’induction.

103.

D.

Qu’est-ce que l’enthymème ?

 

R.

L’enthymème est un syllogisme imparfait dans l’expression : syllogismus truncatus ; parcequ’on y supprime quelqu’une des propositions, comme trop claires et trop connues. On suppose que ceux à qui l’on parle, pourront aisément la suppléer. On donne ordinairement pour exemple ce vers que Sénéque fait dire à Médée :

J’ai bien pû te sauver, ne puis-je pas te perdre ?

Le syllogisme serait :

Il est plus facile de perdre que de sauver ;

or je t’ai sauvé ;

donc je peux te perdre.

104.

D.

Comment nomme-t-on les propositions dont se compose l’enthymème ?

 

R.

On nomme antécedent, une des propositions |[68] de l’enthymème ; l’autre proposition s’appelle conséquent, qui est la même chose que la conclusion. L’antécédent est la proposition d’où est tirée la conclusion, qu’on nomme le conséquent.

105.

D.

Qu’est-ce que le dilemme ?

 

R.

Le dilemme qu’on appelle, argumentum utrumque feriens, ou argument fourchu, argument qui frappe des deux cotés, est une argumentation dans laquelle on divise un tout en ses parties, et l’on conclut du tout ceque l’on a conclu de chacune de ses parties. Exemple : Si l’on veut prouver qu’on ne doit jamais se facher contre personne, on peut le faire par ce dilemme :

Ou la personne contre qui l’on se fache veut nous facher, ou elle ne le veut pas :

Si elle veut nous facher, on ne doit pas se facher, parcequ’en se fachant, on lui procure une satisfaction, dont elle est indigne :

Si elle ne veut /pas/ nous facher, on ne doit pas se facher, parcequ’en se fachant, on lui fait une injustice.

Donc on ne doit jamais se facher contre personne.

|[69]

   

106.

D.

Qu’est-ce que l’epichéréme ?

 

R.

L’epichéréme est une argumentation qui renferme la preuve de quelqu’une des deux prémisses, ou de toutes les deux. Exemple :

L’on peut prouver que la logique est une science des plus utiles, par l’epichéréme suivant :

La science, qui, en perfectionant l’esprit, perfectione aussi le coeur, est une science des plus utiles ; puisque l’homme n’est véritablement homme que par les perfections de l’esprit et du coeur ;

or la logique, en perfectionant l’esprit, perfectione aussi le coeur, puisqu’en nous fésant penser juste, elle nous fait pratiquer la vertu ;

donc la logique est une science des plus utile[s].

107.

D.

Qu’est-ce que le sorite ?

 

R.

C’est un raisonnement composé d’une suite de propositions, dont la seconde doit expliquer l’attribut de la première ; la troisième, l’attribut de la seconde ; et ainsi des autres, jusqu’à cequ’enfin on arrive à la conséquence qu’on veut tirer. Exemple : Pour prouver que les ambitieux sont malheureux, on peut |[70] faire le raisonnement suivant, qui est un sorite, ou gradation :

Les ambitieux sont pleins de désirs ;

ceux qui sont pleins de désirs sont tourmentés par leurs désirs ;

ceux qui sont tourmentés par leurs désirs, ne sont jamais contens ;

ceux qui ne sont jamais contens, sont malheureux ;

donc les ambitieux sont malheureux.

108.

D.

Quelles remarques peut-on faire sur les sorites ?

 

R.

1.o Cette gradation équivaut à trois syllogismes, parcequ’elle renferme cinq termes.

2.o Il est essentiel à un bon sorite, que les propositions qui se suivent, soient liées, et que l’une explique l’autre.

109.

D.

Qu’est-ce que l’induction ?

 

R.

L’induction est une sorte de raisonnement par lequel on va de la connaissance de plusieurs choses particulières, à la connaissance d’une vérité générale. Exemple : On peut prouver que toute la philosophie est utile, par cette induction :

La logique est utile :

|[71] la métaphysique est utile ;

les mathématiques sont utiles ;

la morale est utile ;

donc toute la philosophie est utile.

110.

D.

Quelle remarque générale peut-on faire sur le raisonnement, ou argumentation ?

 

R.

Il est évident que le raisonnement ne consiste qu’en trois opérations de l’esprit.

1.o A se rappeller l’idée exemplaire de ce dont on veut juger. Ces idées exemplaires nous les acquérons par l’usage de la vie, et par la réfléxion.

2.o A examiner si l’objet dont il s’agit, est ou n’est pas conforme à cette idée exemplaire.

3.o A exprimer, par la conclusion ceque l’on sent touchant cette conformité, ou cette non conformité. Exemple : On me dispute que cette figure O soit un cercle ; je me rappelle l’idée exemplaire du cercle ; je compare cette figure à cette idée, et je conclus, ceque je sens à l’occasion de cette comparaison.

|[72]

   

111.

D.

Comment nomme-t-on les mauvais raisonnemens ?

 

R.

On les nomme ordinairement Sophismes[.] On entend par sophisme un assemblage de propositions, dont la conclusion parait liée avec des prémisses vraies, quoiqu’elles ne le soient pas. Ainsi le sophisme ne consiste, à proprement parler, que dans quelque équivoque, qu’il suffit de découvrir, pour reconnaître le vice ou le noeud du sophisme. Toutes les manières de mal raisonner peuvent se réduire à huit.

112.

D.

Quelle est la première ?

 

R.

La première est de prouver autre chose que cequi est en question. Les latins l’appellent : ignoratio elenchi : ignorance de la question.

113.

D.

Quelle est la seconde ?

 

R.

La seconde est de supposer vrai cequi est en question. C’est cequ’Aristote appelle : petitio principii, petition de principe.

114.

D.

Quelle est la troisième ?

 

R.

La troisième, est de prendre pour cause d’une chose, cequi n’en est pas la cause. En latin, non causa, pro causâ. Comme encore, pour cause, cequi précede seulement l’effet : post hoc, ergo propter hoc.

|[73]

   

115.

D.

Quelle est la quatrième ?

 

R.

Elle est de faire des dénombremens imparfaits, enumeratio imperfecta. C’est-à-dire, qu’on conclut témérairement, que les choses sont de telle ou telle manière, quoiqu’elles le soient d’une autre.

116.

D.

Quelle est la cinquième ?

 

R.

Elle est de juger d’une chose, par cequ’il ne lui convient que par accident. On l’appelle dans l’école : fallacia accidentis. C’est-à-dire, que l’on tire une conclusion absolue et sans restriction, de cequi n’est vrai que par accident.

117.

D.

Quelle est la sixième ?

 

R.

La sixième est d’abuser de l’ambiguité des mots. Par l’ambiguité des mots, il ne faut pas entendre seulement l’équivoque grossière, qui ne trompe personne, mais tout cequi peut changer le sens d’un mot.

118.

D.

Quelle est la septième ?

 

R.

La septième est de passer de cequi est vrai, à quelques égards, à cequi est vrai simplement : comme si je disais : les maures ont les dents blanches, donc ils sont tous blancs.

119.

D.

Quelle est la huitième ?

 

 

Elle est de passer du sens divisé, au sens composé, et du sens composé au sens divisé : |[74] par exemple : un homme qui pleure ne peut pas rire ; cela signifie qu’[il] ne peut pas rire dans le même tems qu’il pleure ; quoiqu’il puisse rire après avoir pleuré.

120.

D.

Outre ces huit manières de mal raisonner, n’y en a-t-il pas d’autres ?

 

 

Outre ces huit manières de raisonner faux dont on vient de parler, qui sont de vrais sophismes, ou paralogismes, il y en a d’autres qui sont si grossières que tout le monde apperçoit, et qu’il est superflu d[’]énumérer.

Mais nous ne devons pas oublier qu’il y a de sophismes du coeur : ils consistent à transporter les passions dans les choses qui en sont les objets, et à juger qu’elles sont telles, qu’on désire qu’elles soient. Exemple : Je le hai, donc c’est un homme sans mérite.

Voilà tout cequi est nécessaire de savoir pour éviter toutes sortes de sophismes. Voyez ci-après la Récapitulation de cette leçon. []

 

/|[84]

# Récapitulation
de cette Neuvième Leçon.

 

Nous avons vû dans cette leçon que la forme ou figure de raisonnement la plus parfaite, selon les principes des logiciens, c’est 1.o le Syllogisme, dans lequel on déduit une proposition de deux autres qui l’ont précédée, et qui en renferment les idées ou les élémens. Cependant je vous ai fait remarquer que cette manière de procéder, a quelque chose d’âpre, de roide et d’empésé qui fait fuir le goût et les grâces. On ne peut se la permettre hors de l’école, que dans les momens où l’on est fort intéressé à ne laisser aucun faux-fuyant à la mauvaise foi et à l’opiniatreté : encore même en ce cas l’auteur qui cherche à semer quelque agrément dans ses écrits, a-t-il soin de présenter ses trois propositions dans un ordre différent de celui des logiciens ; soit qu’il place au premier rang la conclusion dont les deux autres qui viennent ensuite, offrent |[85] la preuve ; soit qu’il commence par la proposition qui est la plus susceptible de détails ou de dévéloppemens ultérieurs : mais c’est au genre dans lequel on écrit, au but que l’on se propose, au ton que l’on a adopté, et à l’intérêt du moment, à indiquer à l’homme de goût, cequi convient le mieux à cet égard.

2.o Au lieu du Syllogisme, on emploie communément l’enthymème, qui n’est, comme nous l’avons dit, qu’un Syllogisme tronqué, et dans lequel on omet la moins importante ou la plus facile à suppléer des deux premières propositions. Cette seconde manière de raisonner est serrée et rapide : elle laisse quelque chose à la pénétration et à la bonne foi de ceux à qui l’on parle : elle se ressent par conséquent bien moins de la pédanterie de l’école. Aussi les hommes de goût s’en servent-ils sans repugnance, lorsqu’il s’agit d’établir quelque point contesté. Comme néanmoins il y reste encore un peu de vernis scholastique, on a soin de n’y récourir que rarement et bien à propos, |[86] et même d’adoucir la forme qui distingue les deux propositions, et qui établit l’une comme principe, et en déduit l’autre comme conséquence. On dit, par exemple : J’ai pû le conserver ; ne pourrai[s]-je pas le perdre ? au lieu de dire, ... J’ai pû le conserver, donc je pourrais le perdre ... On dit de même : Vous accordez les charges à des hommes qui en sont indignes ; vous les réfusez à ceux qui les méritent... au lieu de dire : donc vous ne devez pas les réfuser à ceux qui les méritent.

3.o Une forme de raisonnement beaucoup plus pressante encore que l’enthymème, et bien plus propre à figurer même dans les genres d’ouvrages les plus exclusivement consacrés à l’agrément ; c’est le dilemme, qui consiste à faire une division exacte de toutes les considérations dont l’adversaire peut se prévaloir, et à détruire en peu de mots l’effet de chacune de ces considérations. La nature de cet argument est de fermer toutes les issues par où l’adversaire peut s’échapper. Il faut donc que la division soit complete et entière, et que les réponses à chaque article soient bien sensibles et bien justes ; sans quoi le dilemme sera faux et ridicule. Mais si le dilemme est exact, il n’y a |[87] pas d’autres moyens de le réfuter, que de le rétorquer.., « Quelle que soit l’issue du jugement, vous me payerez », disait un Rhéteur à son disciple, qui réfusait de lui remettre, pour prix de ses leçons, la somme qu’il avait promise, pour le jour où il aurait plaidé sa première cause, supposé néanmoins qu’il l’eût gagnée, « car, ou vous perdrez votre cause, ou vous la gagnerez : si vous la perdez, vous me payerez en vertu de la sentence ; et si vous la gagnez, vous me payerez en vertu de notre convention... Quelle que soit l’issue du jugement, je ne vous payerai point, rêpondit le disciple ; car si je perds ma cause, je ne vous devrai rien en vertu de notre convention ; et si je la gagne, je ne vous devrai rien en vertu de la sentence des juges... »

4.o Les philosophes nous fournissent une quatrième forme de raisonnement qu’on appelle Sorite, et qui consiste dans une suite de propositions en plus grand, ou en plus petit nombre, et dans lesquelles l’attribut de la première devient le sujet de la seconde, l’attribut de la seconde le sujet de la troisième, et ainsi de suite jusqu’à la dernière, que l’on annonce par les mots |[88] donc, ainsi, ou autres semblables, et qui a le même attribut que la proposition précédente, et le même sujet que la première de toutes. On en voit un exemple dans le raisonnement qui suit : « Nos vertus sont plus utiles, et plus agréables à la société que nos talens : ceque nous avons de plus utile et de plus agréable à la société, c’est cequi nous attire plus sûrement la bienveillance des autres hommes : la bienveillance des autres hommes est cequi contribue le plus à notre bonheur ; ainsi, nos vertus contribuent plus à notre bonheur, que nos talens ». Dans ces sortes de raisonnemens, il faut tâcher d’adoucir la forme scholastique, sans affaiblir la pensée ; et surtout d’éviter toutes ces répétitions, qui donnent un air pédantesque au discours.

5.o Après le Sorite, les philosophes placent plusieurs autres sortes d’argumens, dont les orateurs font un usage bien plus fréquent que de ceux qui précédent : ce sont l’induction, l’argument conditionel, l’argument personel, l’argument du plus au moins, l’argument du moins au plus, et l’argument de parité. Au reste, |[89]j’indique les forme[s] de raisonnement les plus connues, sans prétendre épuiser la matière ; car chaque espèce de rapport peut fournir une espèce de preuve ; et chaque espèce de preuve peut nous donner autant de sortes d’argumens qu’elle peut admettre de formes différentes.

L’induction, n’est autre chose qu’une conséquence tirée de plusieurs faits que l’on avance comme analogues à celui que la conclusion énonce ; ou bien une pensée générale déduite de plusieurs faits particuliers, considérés comme suites naturelles et nécessaires de la vérité de cette pensée générale ou comme y appartenant de la même manière, que les parties appartiennent au tout. Rien n’est plus ordinaire et plus aisé que d’abuser de l’induction ; cet argument dégénère d’autant plus souvent en sophisme, qu’il est à la portée de tous les esprits, qu’il se présente des premiers dans presque tous les sujets que l’on veut traiter ; et que le fonds et la forme en sont plus agréables et plus propres à faire illusion.

6.o L’argument conditionel est celui où l’on avoue d’abord que la conséquence que l’on a en vûe serait fausse, si le principe lui-même n’avait pas lieu ; et |[90] [et] cela afin de faire mieux sentir la vérité de cette même conséquence en affirmant ensuite le principe, et en en fesant sentir toute la réalité : c’est ainsi que Cassius dit à Brutus, dans la mort de César...

« Si tu n’étais, qu’un citoyen vulgaire,
je te dirais : vas, sers, sois tyran sous ton père,
ecrase cet état que tu dois soutenir ;
Rome aura desormais deux tyrans à punir :
mais je parle à Brutus, à ce puissant génie,
à ce héros armé, contre la tyrannie,
dont le coeur inflexible, au bien déterminé,
épura tout le sang, que César t’a donné. »

Cet exemple prouve combien cet argument a de force, combien il est imposant et oratoire, lorsqu’il est heureusement employé.

7.o L’argument personel est celui dans lequel on rétorque contre l’adversaire les paroles qu’il a dites, ou les actions qu’il avoue ; comme on le voit dans la réponse de Cicéron à Antoine, lorsque celui-ci l’accusa d’avoir trompé dans la conjuration contre César, et dit pour prouver ce fait... ... Brutus, que je cite ici par honneur ; tenant le poignard encore tout sanglant, appella Cicéron... « Admirez, repliqua l’orateur, admirez la stupidité de mon |[91]accusateur ! Il cite ici par honneur celui qui venait d’enfoncer le fer dans le sein de César, et il traite de scélérat celui qu’il soupçonne d’avoir eû quelque connaissance de la conspiration ![ »] Cet argument conduit au sarcasme et à l’injure ; d’où il suit qu’il est en général plus pressant que noble.

8.o Les trois autres espèces d’argumens sont définis par leur dénomination même ; ainsi nous nous contenterons d’en donner des exemples : ... On argumente du plus au moins, lorsqu’on dit, ... « Si l’on pardonne aux chefs du complot, à ceux qui en ont conçu le dessein, et formé le plan, à ceux qui en ont conduit l’entreprise, et qui en devaient rétirer l’avantage ; punira-t-on ceux qui n’ont été que les instrumens aveugles de leur ambition, et qui même en fesant le mal, n’étaient animés que du désir de faire le bien ? ... »

9.o On argumente du moins au plus lorsqu’on dit, ... « Vous ignorez même cequi se passe en vous ; et vous voudriez découvrir cequi se passe dans les autres ! Les secrets de l’homme vous échappent, et vous prétendez saisir les secrets de la nature et de son auteur ! »

|[92] 10.o Ces trois sortes d’argumens nous fournissent On fait un argument de parité lorsqu’on dit .... « Clytemnestre osa bien s’armer pour un grand crime ; imitons sa fureur ! ... César, vainqueur de Rome, pardonna à ses ennemies ; pardonnez aux vôtres, vous qui n’avez plus à les craindre !... »

Ces trois sortes d’argumens nous fournissent d’heureux moyens de persuasion, et peuvent répandre autant de variété que d’agrémens dans le style ; mais ils ne portent que sur des ressemblances ou analogies, et par conséquent ils touchent de près à l’écueil que nous venons d’indiquer en parlant de l’induction.

L’accumulation des rapports qui se croisent ou s’attirent l’un l’autre, nous conduit quelques fois à des formes d’argumens plus compliqués que ceux que nous venons de voir, c’est-à-dire à des formes de raisonnemens qui renferment un plus grand nombre de propositions, et les combinent autrement. Tel est celui que quelques personnes ont appellé argument ?? à cinq parties, espèce de |[93] Syllogisme, dans lequel les deux premières propositions sont suivies chacune de ses preuves particulières. Mais on conçoit que pour faire rentrer ces sortes d’argumens dans l’une ou l’autre des espèces qui précédent, il ne faut que les simplifier, ou diviser ; opération qui, le plus souvent, est très-facile, et sur laquelle par conséquent il serait inutile de nous arrêter./