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Seconde partie. Des élémens du discours. Chap. XIV-XXIV

 

Table des matières

 

 

 

 

Cahier de grammaire générale.

 

Seconde partie.
Des élémens du dicours.

Chap. I-XIII.

Chap. XIV-XXIV.

 

 

 

 

 

 

Chapitre XIV.

Des adverbes.

 

Parmi les modifications qui appartiennent au verbe ou à l’attribut, plusieurs peuvent se rendre par des substantifs ou par des adjectifs précédés d’une prépon: par des substantifs, avec courage, à tort, par caprice par des adjectifs, en haut, en bas, à droite.

Lorsque l’adjectif est précédé d’une préposition, il y a toujours un substantif qui est sous-entendu. En haut c’est en lieu haut; à droite, c’est à main droite.

|86 On sous-entend quelquefois un plus grand nombre de mots: p.ex. on dit hier pour au jour d’hier demain pour au jour de demain, parler bas pour parler d’un ton bas, chanter juste pour chanter d’une voix juste &c. il faut s’accoutumer à remplir ces ellipses et laisser en conséquence chacun de ces mots dans les classes où nous les avons mis.

Un adverbe est un mot qui, par lui-même, et sans qu’il soit nécessaire de rien suppléer, équivaut à quelques unes de ces expressions composées. courageusement p.ex. signifie par lui-même la même chose que avec courage: c’est un adverbe. mais bas n’en est pas un dans parler bas, puisqu’il faut suppléer d’un ton.

Outre les adverbes tels que courageusement, on pourroit admettre des adverbes improprement dits: ce sont ceux qui, étant originairemt des expressions composées, s’ecrivent cependt comme un seul mot: tels sont auprès formé de à le près et aujourd’hui formé de à ce jour de hui.

à la rigueur les adverbes ne devroient pas être mis parmi les élémens du discours, et il seroit plus exact de les regarder comme des mots équivalens à des expressions que nous formons avec ces élémens, c a d, comme équivalens à un nom précédé d’une préposition.

quand on dit qu’une chose est, on peut avoir égard au tems, au lieu à la situation, à l’ordre au rang au degré d’assurance avec lequel on affirme &c. et nous avons des adverbes pour exprimer les vues de l’esprit, mais comme ils ne nous sont pas bien nécessaires, nous n’en avons pas autant qu’on pense.

|87 pour le tems passé anciennement, dernieremt, récemment. autrefois est une expression composée d’un substantif et d’un adjectif; et jadis un substantif employé avec ellipse, au tems jadis.

pour le tems présent actuellement, maintenant présentement.

pour le futur il n’y a point d’adverbes proprement dits: desormais, [] dorenavant, bientôt, tantôt &c. sont originairement des expressions composées.

pour un tems indéterminé soudain, souvent, rarement, jamais et toujours sont des substantifs, car on dit à jamais, pour toujours.

pour le lieu ici, là. Nous avons vu que près et loin sont des substantifs ou des adjectifs; ils ne sont pas plus des adverbes que voisin et éloigné.

pour l’ordre ou le rang, alternativement, premierement, secondemt &c.

pour le degré d’assurance avec lequel on affirme certainement, assurément, incontestablement. ne pas et ne point qui modifient le verbe, en changeant l’affirmation en négation.

oui, non, nullement sont des expressions abrégées qui équivalent à des phrases entieres. peut-être est une expression composée qui exprime le doute: elle a cela de particulier qu’à la fin d’une phrase elle marque quelquefois une confiance mélée de colère: cela sera peut-être.

|88 quand on dit qu’un homme est heureux, vaillant, &c. on peut demander comment et combien, c’est ce qui a donné lieu à des adverbes de qualité tels que sagement, prudemment et à des adverbes de quantité tels que plus, moins, fort, très considérablemt, infiniment &c.

plus, moins, fort, très sont des adverbes parce qu’ils sont équivalens à en quantité supérieure, en quantité moindre, en quantité forte, en quantité trois fois grande; car très vient véritablement de ter trois fois.

quant à beaucoup et pour, ce sont de vrais substantifs. coup vient de [?copia].

On dit sans l’article il a beaucoup d’esprit, comme on diroit il a abondance d’esprit; au contraire on diroit avec l’article il a bien de l’esprit ou il a de l’esprit en abondance par où vous voyez que beaucoup n’est que le sinonime du substantif abondance et qu’au contraire bien est un adverbe, puisqu’il équivaut à un substantif précédé d’une préposition en abondance. voilà pourquoi nous employons toujours l’article avec bien.

ces deux mots ne sont pas aussi sinonimes qu’ils le paroissent; si, entrant dans un spectacle, j’y trouve contre mon attente une grande quantité de monde, je dirai, il y a bien du monde ici, et ce tour exprime une sorte d’étonnemt. je dirai au contraire, il y beaucoup de monde si j’arrive prévenu d’y trouver une grande affluance.

Il a beaucoup d’esprit signifie seulement une grande quantité. il a bien de l’esprit paroit en |89 plus marquer la confiance avec laquelle on assure la chose, ou même le goût qu’on a pour l’esprit de la personne dont on parle.

Il me semble encore qu’un avare ou un envieux dira d’un homme riche il a bien de l’argent, et qu’un autre dira plutôt, il a beaucoup d’argent.

 

 

Chapitre XV.

Des conjonctions.

 

Dans un discours les phrases principales doivent être liées les unes aux autres; les subordonnées doivent l’être aux principales; et les mots qui expriment cette liaison se nomment conjonctions. Ces mots sont un passage d’une phrase à une autre, parce qu’ils rappellent quelque chose de la premiere, et qu’ils font pressentir quelque chose de la seconde.

On pourroit n’employer à cet effet que des expressions composées. Les conjonctions sont donc moins des élémens du discours que des expressions abrégées dont on pourroit probablement se passer.

Tantôt les rapports d’une phrase à l’autre ne sont que dans l’esprit de celui qui parle, et alors les conjonctions sont nécessaires pour faire voir comment nous envisageons les choses. D’autres fois les rapports s’apperçoivent par le seul [?tissu] du discours, et alors elles ne sont utiles que pour rendre la liaison plus sensible.

Deux propositions principales peuvent être liées comme conséquence l’une de l’autre, donc, ainsi; comme [?preuve] car; comme opposées mais; elles peuvent |90 être liées parce qu’elles affirment ensemble, il est heureux et sage, parce qu’elles nient ensemble, il n’est heureux ni sage; parce qu’elles affirment séparémt, en sorte que des deux une seule peut être vraie, il est heureux ou malheureux.

Il y a encore d’autres espèces de conjonctions dont il est inutile de parler. faisons seulement quelques observations sur la conjonction que. ce que nous en dirons s’appliquera facilement à toutes les expressions composées où elle entre lorsque, quoique, vu que.

Nous avons observé que le mot que n’est conjonction que parce qu’il étoit originairemt adjectif conjonctif. quand je dis je pense cette chose qui est vous étudiez la grammaire, je fais deux propons qu’on peut regarder comme principales, je pense cette chose et vous étudiez la grammaire; et je lie ces deux propositions l’une à l’autre par le moyen de la propon incidente qui est. or le mot que tient la place de cette propon incidente. il est comme elle le passage de la premiere principale à la seconde, et il les lie de maniere qu’il rend l’une subordonnée à l’autre. Dans ce tour je pense que vous étudiez la grammaire, je pense devient donc la seule propon principale et l’autre lui est subordonnée; c’est ainsi qu’en devenant de conjonctif conjonction, le mot que change la nature d’une proposition.

quelquefois la premiere phrase est tout à fait supprimée. on dit que je meure pour je souhaite |91 cette chose qui est je meure; qu’il [?le] [?soit / ?fait] oublié jusqu’à ce point là! pour je suis étonné de cette chose qui est&c.

D’autres fois même on supprime encore le que, qui m’aime me suive, c a d, je veux cette chose qui est...

Enfin quelquefois deux propositions se fondent en une seule et le que disparaît: [?ex] il croit qu’il est heureux peut s’exprimer par il croit être heureux. Souvent même nous nous servons de ce tour dans des occasions où nous ne pouvons pas faire usage de la conjonction que; je veux parler je doute qu’il soit surpris; je sais qu’il est surpris; je ne crois pas qu’il ait réussi, je crois qu’il a réussi; j’espère qu’il vienne, je sais qu’il viendra. Dans ces exemples la seconde proposition a un sens positif, lorsque la premiere affirme avec certitude; elle n’assure rien au contraire lorsque la premiere renferme un doute une ignorance ou une crainte: vous direz donc vu que cela est, puisque cela est parce qu’il n’y a là ni doute ni ignorance; et vous direz pourvu que cela soit, afin qu’il le fasse, avant qu’il vienne, parce que pourvu que, afin que avant que, laissent quelque [?suspension] ou quelqu’incertitude.

Comme une proposition subordonnée et une propon principale sont les deux termes d’un rapport |92 les prépositions peuvent aussi servir à les lier l’une à l’autre. Corneille, après avoir cherché son chemin, fit voir sur la scene la raison. après est une préposition qui indique le 2d terme du rapport, c a d, la proposition subordonnée.

 

 

Chapitre XVI.

Des interjections.

 

Les interjections sont les expressions rapides des sentimens de l’ame: elles équivalent à des phrases entieres. On emploie quelquefois des noms à cet usage Ciel! Dieu! mon dieu! Enfin elles n’ont point de place fixe dans le discours; or c’est pourquoi on les appelle interjections, mot qui signifie jetté entre.

 

 

Chapitre XVII.

Des tems des verbes.

 

je fais, j’ai fait, je ferai&c. vous voyez que ce verbe éprouve différentes variations, et que dans chaque variation la forme qu’il prend, fait considérer l’idée principale avec un accessoire particulier. l’accessoire de la forme je fais est le présent; celui de la forme j’ai fait est le passé; et celui de la forme je ferai est le futur.

Le présent je fais est simultané avec l’acte de la parole: le passé j’ai fait est antérieur à cet acte et le futur je ferai lui est postérieur.

Le moment où nous parlons est donc comme un |93 point fixe d’après lequel nous déterminons différentes parties dans le tems ou différentes époques. nous en distinguons trois principales: l’époque actuelle qui est le moment même où nous parlons; des époques qui ne sont plus et qu’on nomme antérieures; et des époques qu’on nomme postérieures parce qu’elles ne sont pas encore. ces époques répondent au présent, au passé et au futur.

l’époque peut être déterminée ou indéterminée.

Quand je dis je faisois, cette forme se rapporte à une époque qui est déterminée par la suite du discours ou par les circonstances. par la suite du discours je faisois hier, ce matin; par les circonstances; vous arrivez et vous me demandez que faisiez-vous? je réponds je faisois une emplette.

Il n’en est pas de même de la forme j’ai fait; car je puis dire j’ai fait une emplette sans déterminer aucune époque. Mais parce que l’action du verbe est nécessairement simultanée avec une époque quelconque, je dis qu’avec le verbe j’ai fait, l’époque est indéterminée.

Lorsqu’on détermine l’époque on voit ce rapport de simultanéité dans la forme j’ai fait, comme dans je faisois: car dans ces phrases j’ai fait hier et je faisois hier, il est évident que l’une et l’autre forme est également simultanée avec hier.

|94 Les époques auxquelles se rapportent les formes du futur sont également indéterminées ou déterminées. je ferai votre affaire ne demande pas que je détermine aucune époque; j’aurai fait votre affaire veut au contraire que j’ajoute demain, sous peu, avant votre retour, ou quelqu’autre chose.

Nous appellerons tems défini celui dont la forme exige qu’on détermine l’époque avec laquelle elle exprime un rapport de simultanéité. Nous nommerons tems indéfini celui dont la forme exprime un rapport de simultanéité avec une époque indéterminée. je fesois et je fis sont des passés ou des prétérits définis et j’ai fait est un prétérit indéfini. de même j’aurai fait est un futur défini et je ferai est un futur indéfini.

L’époque actuelle ne sauroit être plus ou moins présente ; il n’y a donc qu’un seul présent dans chaque verbe, je fais.

Mais on distingue plusieurs époques antérieures et plusieurs époques postérieures, suivant qu’elles sont les unes et les autres plus prochaines ou plus éloignées. aussi avons-nous dans nos verbes des formes pour exprimer des passés plus ou moins passés et des futurs plus ou moins futurs.

On dit je fis l’année derniere, et on ne dit pas je fis cette année; il faut dire j’ai fait cette année, on voit sensiblem’ dans ces exemples que l’époque qui |95 est prise ordinairemt pour un instant, peut être considérée comme une période entiere; et que la forme je fis exprime un rapport de simultanéité avec une période qui est finie, l’année derniere; tandis que j’ai fait exprime un rapport de simultanéité avec une période qui dure encore, cette année.

observons maintenant les différentes formes que prend le verbe au passé et au futur.

prétérit prochain, je viens de faire: il signifie, j’ai fait il y a un moment

prétérit imparfait, je faisois. ce prétérit qui par la forme n’est ni prochain ni éloigné, devient l’un ou l’autre par la suite du discours. Il n’y a qu’un moment qu’il faisoit beau; hier il faisoit beau.

prétérit prochain à une époque passée je venois de faire, j’allois faire: il est facile de voir en quoi ces prétérits different. je venois de faire ou j’allois faire est antérieur à une époque antérieure déterminée par le discours ou par les circonstances. quand je dis je venois de faire ou j’allois faire votre affaire lorsqu’il est arrivé ce prétérit prochain est antérieur à l’époque marquée par lorsqu’il est arrivé; époque qui est elle-même antérieure au moment où je parle.

prétérit parfait et simple je fis. ce prétérit differe de je fesois, premieremt parce qu’il représente la chose comme faite, au lieu que je fesois le représente |96 lorsqu’elle se faisoit encore: en second lieu il en differeparce qu’il ne s’emploie que lorsqu’on parle d’une période finie.

prétérit parfait et composé j’ai fait. Il est indéfini, j’ai fait un voyage en Italie: c’est en quoi il differe de je faisois et de je fis qui sont définis l’un et l’autre. Dailleurs il se dit également d’une période où l’on n’est plus et d’une période où l’on est encore: j’ai fait hier, j’ai fait aujourd’hui.

observation: le soir on ne dit pas je fis ce matin quoiqu’alors la période indiquée par ce matin soit finie. c’est parce que l’adjectif demonstratif ce paroit représenter le matin comme une période qui dure encore; ou parce que la matinée est moins regardée comme une partie de la journée. en effet on ne dira pas je fis dans la matinée, s’il s’agit de la matinée du jour dans lequel on parle.

prétérit plus que parfait et composé: j’avois fait. j’ai fait n’est antérieur qu’à l’époque où nous sommes; mais j’avois fait est antérieur à une époque qui est antérieure elle-même à l’époque actuelle: j’avois fait lorsqu’il arriva.

prétérit composé auquel on n’a pas donné de nom: j’eus fait. pour se faire une idée de ce prétérit, il faut le rapprocher du suivant.

prétérit surcomposé j’ai eu fait. à cette question |97 à quelle heure fites vous hier ce que vous m’aviez promis? on répondra je le fis à dix heures, si on veut marquer le tems où on faisoit la chose, et si on veut marquer celui où elle étoit faite, on répondra je l’eus faite à dix heures. j’eus fait se dit comme je fis d’une période qui est finie. j’ai eu fait au reste differe de j’ai fait comme j’eus fait differe de je fis.

prétérit composé conditionnel j’aurois fait.

prétérit surcomposé conditionnel j’aurois eu fait. la dénomination de conditionnel montre suffisamment ce qui distingue ces deux prétérits. je vous aurois fait répondre si j’avois reçu votre lettre; j’aurois eu fait de bonne heure si je n’avois pas été interrompu.

Autant il y a de manieres d’envisager le passé, autant on pourroit imaginer de prétérits différens. passons aux différentes formes du futur.

futur prochain, je vais faire; cette forme exprime une postériorité prochaine au moment où l’on parle. c’est la même chose que si on disoit je ferai dans le moment. ce tour est défini.

futur simple, je ferai; c’est un tour indéfini, parce qu’il exprime une postériorité, sans déterminer aucune époque.

futur composé j’aurai fait. Dans je ferai il n’y a qu’un rapport, et il y en a deux dans j’aurai fait; car celui-ci exprime un rapport de postériorité à une époque actuelle, et un rapport d’antériorité à une époque qui n’est pas encore: j’aurai fait quand vous reviendrez.

|98 futur conditionnel je ferois. Il est indéfini comme je ferai et il en differe parce qu’il suppose une condition, je ferois cet ouvrage si j’en avois le tems.

 

 

Chapitre XVIII.

Des modes des verbes.

 

être qui est proprement le seul verbe nous sert dans nos jugemens pour affirmer la coëxistence de l’attribut avec le sujet. v. 1ere part. ch. XVIII.

Les autres mots que nous appellons verbes ne le sont en effet que parce qu’ils ont toute l’énergie du verbe être, c a d, parce qu’ils expriment la coëxistence de l’attribut avec le sujet. c’est donc là proprement ce qui constitue la nature du verbe.

Tous les tems que nous avons expliqués dans le chapitre précédent expriment cette coëxistence en l’affirmant et les formes qu’ils prennent sont des manieres d’être du verbe. on a donné à ces manieres d’être le nom de modes qui est sinonime de manieres; et on a compris sous le nom de mode indicatif tous les tems qui affirment tels que je fais, j’ai fait, je ferai.

l’affirmation est donc l’accessoire propre au mode indicatif. Mais si au lieu de dire tu fais, vous faites je dis fais, faites, alors l’affirmation disparoit et la coëxistence de l’attribut avec le sujet n’est plus énoncée que comme pouvant ou devant être une suite de mon commandement. cet accessoire substitué au premier a fait donner à cette |99 forme le nom de mode impératif.

fais, faites sont empruntés de la forme du présent de l’indicatif, c’est pourquoi ils paroissent au présent. en effet celui qui commande semble vouloir que la chose se fasse à l’instant même. Mais comme elle ne peut réellement être faite que postérieurement au commandement, fais, faites sont des futurs et on leur substitue souvent tu feras, vous ferez.

ayez fait, autre forme de ce mode, est également au futur. ayez fait quand j’arriverai est pour le fond la même chose que vous aurez fait quand j’arriverai. voilà tous les tours de ce mode. Il ne peut avoir de présent ni de prétérit.

Si, après avoir dit faites ou ayez fait, on ne paroissoit pas disposé à m’obéir; je pourrois répliquer vous ferez, vous aurez fait. Dans ces tours le futur de l’indicatif est plus positif et plus précis.

je fais affirme, fais commande; je ferois, j’aurois fait&c. n’expriment l’action de faire que dans une supposition. ce nouvel accessoire a engagé quelques grammairiens à considérer ces nouvellesdernieres formes comme un nouveau mode qu’ils nomment suppositif car conditionnel; j’ai cru devoir les laisser dans l’indicatif, parce que la dénomination de tems conditionnels exprime suffisammt l’accessoire qui les distingue. (I) /(I) Il ne faudroit pas ce me semble que l’envie de simplifier fit comprendre dans l’indicatif des formes qui ne sont pas simplement affirmatives. on voit que je fais, je fis, je ferai ne different que pour le tems, tandis que je ferois en differe en ce qu’il n’affirme pas simplement et qu’il peut être un présent comme un futur: je ferois maintenant cet ouvrage si vous m’en aviez fourni les moyens: il y auroit deux présens à l’indicatif. Il me paroit donc qu’on doit laisser subsister le mode conditionnel./

|100 Quand je dis je veux que vous fassiez ou je voudrois que vous fissiez, on voit que le verbe, lorsqu’il est à l’indicatif entre dans une phrase principale, je veux je voudrois, il n’en est pas de même lorsqu’il prend des formes semblables à celles qu’a le verbe faire dans ces exemples vous fassiez, vous fissiez; ces formes ne peuvent donc convenir qu’au verbe d’une phrase subordonnée. cette subordination distingue ce mode des précédens, et c’est vraisemblablement ce qui l’a fait nommer subjonctif.

Que je dise de quelqu’un, il part il partoit, il étoit parti, il est parti, toutes ces assertions sont dans des tems différens et cependt vous pouvez répondre à chacune je ne savois pas qu’il partit si tôt; or à quel tems est partit dans la réponse? on ne sauroit le dire. c’est que les formes du subjonctif ne se rapportent par elles-mêmes à aucune époque déterminée, et que partit est suivant les circonstances du discours au présent, à l’imparfait, au prétérit parfait et au plus que parfait; la réponse je ne savois pas qu’il partit equivaut à celles-ci je ne savois pas qu’il part |101 qu’il partoit, qu’il étoit parti, qu’il est parti.

Il est vrai que fassiez est au futur dans je veux que vous fassiez, et qu’eussiez fait est au prétérit dans je voudrois que vous eussiez fait. Mais ce mode n’a point de présent; il n’a par lui-même que des prétérits et des futurs indéfinis, et l’indétermination est l’accessoire qui le caractérise. Il semble que les différentes formes qu’il fait prendre au verbe sont moins destinées à distinguer les tems qu’à marquer le rapport de la phrase subordonnée à la phrase principale.

L’infinitif et le participe sont encore plus indéterminés. Les formes de l’infinitif sont faire, avoir fait, venir de faire aller faire; et celles du participe sont faisant ayant fait, allant faire, venant de faire. comme ces formes n’expriment par elles-mêmes aucun tems déterminé il suffit de les considérer par rapport à la phrase principale. faire est p.ex. au présent au prétérit et au futur dans ces phrases je puis faire j’ai pu faire, je pourrai faire; et il en est de même de faisant dans celles-ci il va faisant il alla faisant, il ira faisant. Mais il suffit de connoître les tours du verbe de la phrase principale. (L) /(L) Il n’y a point ce me semble dans ces cas d’autre phrase que la principale; dans je pourrai faire je regarde faire comme l’objet de je pourrai; dans il va faisant, ce dernier mot est un gérondif dont il sera parlé dans la suite./

|102 Tous les tems précédens ont pour sujet déterminé je, vous, il qu’on nomme les personnes du verbe. ces personnes ne s’emploient ni avec l’infinitif ni avec le participe, c’est pourquoi on a appelé ces deux modes impersonnels. (M) /(M) On emploie cependt quelquefois des noms de personne avec le participe; mais pour la 3eme personne on se sert de lui; lui fesant le malade je fesois le médecin; pour la premre personne on se sert de moi: moi parlant vous devez écouter./

Il y a cette différence entre l’infinitif et le participe que le premier tient plus du nom et que le 2d tient plus de l’adjectif.

premieremt l’infinitif s’emploie souvent pour un nom, puisque nous disons mentir est un crime comme nous disons le mensonge est un crime. cependant mentir c’est pas simplement le mensonge, c’est le mensonge en action.

En second lieu le participe tient de l’adjectif, puisqu’on n’a multiplié les verbes qu’en formant une idée totale de la signification du verbe et de celle de quelque adjectif. Le participe tire même son nom de ce qu’il participe en effet de l’adjectif et du verbe: de l’adjectif en ce qu’il modifie un nom; du verbe en ce qu’il modifie avec relation au tems.

On distingue deux sortes de participes: fesant qu’on nomme participe présent et fait qu’on nomme participe du prétérit. Le premier n’est susceptible d’aucune variation. Il n’en est pas de même |103 du second. Nous disons j’ai fait, j’avois fait nos lettres, et alors le participe n’est susceptible ni de genre ni de nombre parce que nous le considérons seulement comme concourant à la formation des tems du verbe. Mais lorsque nous disons mes lettres que j’ai faites, nous considérons le participe comme un adjectif qui modifie lettres, et en conséquence nous le mettons au pluriel et au féminin.

Tous les verbes ne suivent pas les mêmes variations dans la formation des tems et des modes. aimer p.ex. a des variations qui lui sont propres, il en est de même de faire de produire&c. pour considérer ces variations avec ordre, les grammairiens ont mis dans une même classe tous les verbes qui forment leurs tems et leurs modes de la même maniere; et ils ont donné le nom de conjugaison à ces différentes classes.

On a regardé comme réguliers tous les verbes qui se conforment exactement aux variations de la conjugaison à laquelle on les rapporte: calmer p.ex. se conjugue exactemt comme aimer, et il est régulier. aller au contraire est irrégulier, parce qu’il se conjugue bien différemment.

Quant aux verbes qui manquent de quelque tems ou de quelque mode, on les a nommés défectueux. tel est faillir qui n’est en usage qu’a l’infinitif, aux tems simples je faillis et aux tems composés j’avois failli, j’ai failli &c. quérir est le plus défectueux de tous, car il n’est susceptible d’aucune variation.

comme l’usage vous a instruits on achevera |104 de vous instruire des variations de chaque conjugaison, je me bornerai, à vous faire voir à la fin de ce cours le tableau des différentes conjugaisons que les grammairiens ont imaginées.

Nous allons maintenant faire quelques observations sur la maniere dont nous formons, tantôt avec le verbe être, tantôt avec le verbe avoir, les tems qu’on nomme composés, et sur ceux de l’indicatif.

 

 

Chapitre XIX.

Observations sur les tems de l’indicatif.

 

Lorsque les grammairiens n’ont eu égard qu’aux formes que nous faisons prendre au verbe, ils ont distingué les tems par les noms de simple de composé et de surcomposé; et lorsqu’ils ont cru avoir consulté la nature de chaque tems, ils ont imaginé les noms d’imparfait, de parfait de plus que parfait, termes vagues qui n’offrent aucune idée précise.

Pour corriger ce langage, il faudroit faire l’analyse des accessoires que chaque variation ajoute à l’idée principale du verbe, et chercher ensuite des mots propres à exprimer les résultats de chaque analyse. c’est ainsi qu’on a fait les noms de prétérit prochain et de futur prochain. Mais de pareils noms seroient difficiles à trouver pour tous les tems. ce seroient dailleurs des dénominations métaphysiques avec lesquelles on aurait bien de la peine à se familiariser. On pourroit employer un moyen plus simple.

|105 Le verbe faire varie dans tous ses tems et dans tous ses modes. Après en avoir expliqué les variations on pourroit donc les faire servir de dénominations aux variations des autres verbes. je dirois p.ex. le prétérit je fis du verbe aimer est j’aimai, le prétérit j’ai fait est j’ai aimé&c. De pareilles dénominations ne seroient point métaphysiques; et après qu’on auroit expliqué les accessoires qui caractérisent chaque tems du verbe faire, elles exprimeroient tout-à-la fois la forme et la nature de chaque tems.

Le présent n’est à la rigueur que le moment où l’on parle. Mais on ne se borne pas à le considérer de la sorte. ce jour est un tems présent, ce mois, cette semaine, ce siecle sont des tems présens. Il en est de même de plusieurs siecles dans cette phrase, voilà plusieurs siecles où le luxe se répand en Europe.

Nous sommes donc portés à considérer le présent comme un tems indéterminé, et c’est pourquoi cette forme a été choisie pour exprimer les vérités nécessaires. quand nous disons dieu est juste, ce présent est est indéterminé, il embrasse tous les siecles. Tous les siecles se considérant dans le présent, lorsque nous le considérons comme une seule période.

à peine il me voit qu’il vient à moi est une forme que je pourrois substituer à celle-ci à peine il me vit qu’il vint à moi. quoique le sens fut le même quand au fond, il y auroit quelque différence dans les idées accessoires; car en disant à peine il me vit...|106 mon dessein seroit de rendre comme présente une chose passée, pour rendre plus vivement l’empressement de la personne dont je parle.

Lorsqu’on emploie la forme d’un tems pour celle d’un autre, les vues de l’esprit ne sont donc pas absolument les mêmes: je dis je partirai demain si je ne veux qu’indiquer le jour de mon départ. Mais si je voulois marquer que je suis bien décidé à partir demain, je dirois, je pars demain. cette forme semble rapprocher demain du moment présent.

Finissez-vous bientôt? finirez-vous bientôt? le premier de ces tems est l’expression d’une personne qui est impatiente de voir finir: le second n’est qu’une question.

Au lieu de répondre à finissez-vous bientôt? je finirai dans le moment, on répondra j’ai fini dans le moment: par là on marque mieux la promptitude avec laquelle on promet de finir. On n’emploie que la forme d’un tems pour celle d’un autre; car il ne seroit pas exact de dire qu’on emploie un tems pour un autre.

On nomme auxiliaires les verbes qui entrent dans la composition des formes d’un autre verbe. les deux principaux sont avoir et être. les autres sont venir et aller. quelques grammairiens ajoutent devoir. Il s’agit de savoir ce qui rend un verbe propre à être auxiliaire.

dans il a fait, il [?avoit] fait &c. le verbe avoir conserve |107 si peu sa premiere signification, qu’on apperçoit à peine quelque analogie entre avec l’usage qu’on en fait lorsqu’on l’emploie tout seul. En effet nous ne lui conservons pas dans il a fait le même sens que nous lui avons donné dans il a de la vertu. On peut donc ne regarder avoir que comme un signe qui par ses variations ajoute au mot fait différentes formes et concourt avec ce mot à exprimer différens tems du verbe avoir. Il en est de même des verbes aller et venir. Quelque analogie qu’on suppose entre aller à Paris venir de Paris et aller faire venir de faire, il est évident que dans le second tour aller et venir ne conservent pas leur premiere acception.

De tous les verbes auxiliaires, être est le seul qui conserve sa premiere signification: il n’est même auxiliaire que parce qu’il la conserve. C’est que, par sa nature il doit se trouver dans tous les tems des verbes, soit implicitement, soit explicitement: implicitement dans il part que nous disons pour il est partant; explicitement dans il est parti.

Le verbe devoir n’a pas, comme ceux dont nous venons de parler, toutes les conditions nécessaires pour concourir à former des tems. Si comme le verbe être, il conserve sa premiere signification, je dois faire signifiera je suis dans l’obligation de faire, et alors je dois ne sera pas plus auxiliaire que je suis dans l’obligation.

Si je dois faire signifioit il est arrêté que je ferai ou je ferai parce qu’il est arrêté: il seroit plus |108 naturel de regarder cette expression comme l’équivalent de deux phrases dont l’une est au futur et l’autre au présent, que de la regarder comme un seul futur.

Mais diroit-on dans je crains le jugement que vous devez porter à mon ouvrage, il est évident que devez porter est pour porterez; c’est donc un futur composé.

On peut répondre que, de ce qu’on peut substituer il vient à moi à il vint à moi, ce ne seroit pas une raison pour mettre il vient au nombre des formes du prétérit quand je dis devez porter; devez est un présent; et si j’emploie cette expression pour porterez, les accessoires ne sont pas les mêmes. Entre ces deux tems, je crains le jugement que vous porterez et je crains le jugement que vous devez porter; le premier tour marque que je ne doute pas que vous ne portiez un jugement; tandis que le second marque que je présume que votre jugement ne me sera pas favorable. or, quoique ces accessoires soient différens, il n’y a jamais dans les deux tems qu’un futur simple...

 

 

Chapitre XX.

Observations sur la maniere dont on forme les tems composés, tantôt avec le verbe être et tantôt avec le verbe avoir.

 

à juger les verbes par les manieres d’être qu’ils expriment, nous en avons de deux espèces: les uns tels que lire qui signifient une action et qu’on nomme actifs: les |109 autres tels que devenir qui signifient un état, et qu’on pourrait nommer simplement verbes d’état.

Les latins distinguoient en deux espèces les verbes de cette seconde classe: ils donnoient le nom de passifs à ceux qui expriment une action dont le sujet de la proposition est l’objet: amari être aimé, et ils donnoient le nom de neutres à ceux qui expriment un état où l’on ne découvre ni action ni passion de la part du sujet: quiescere être en repos. N’ayant pas comme eux de verbes passifs, nous ne pouvons pas faire les mêmes distinctions.

Le verbe être est le seul que nous employons pour traduire les verbes passifs des latins: je suis aimé, j’étois aimé, je fus, j’ai été, je serai aimé &c.

Quand on dit je m’aime le sujet est l’objet de l’action qu’il produit: mais on ne dit pas je m’ai aimé comme l’on dit je l’ai aimé: il faut dire, je me suis aimé.cette regle convient à tous les verbes actifs qui ont un objet: il s’est tué, il s’est frappé.

Une autre regle générale, c’est qu’on se sert du verbe être, toutes les fois que le terme du verbe est le sujet même de la proposition. Ainsi, quoiqu’on dise je lui ai fait des difficultés, il faut dire je me suis fait des difficultés.

Mais il y a des participes qui se construisent tantôt avec le verbe être, tantôt avec le verbe avoir. Tels sont p.ex. monté et descendu. On dit avec le verbe avoir, il a monté ce cheval, il a descendu les |110 degrés; et on dit avec le verbe être, il est monté il est descendu. Ces exemples peuvent servir de regle pour tous les cas semblables, c a d, pour tous ceux où le participe est de nature à avoir un objet. Mais lorsque l’action qu’il exprime ne se porte pas sur un objet, la difficulté est de savoir comment on doit tantôt employer l’un de ces auxiliaires et tantôt l’autre. pourquoi p.ex. dit-on quelquefois il a demeuré, il a passé il a sorti? et d’autres fois il est demeuré, il est passé il est sorti?

Il faut remarquer premierement que nous avons deux sortes de verbes actifs: les uns peuvent être pris dans un sens passif, et peuvent par conséquent avoir un objet, j’aime, je suis aimé; les autres au contraire ne peuvent pas être pris dans un sens passif, et par conséquent ne peuvent avoir d’objet, je demeure.

Remarquons en second lieu que lorsqu’un verbe actif est de nature à devenir passif, l’auxiliaire avoir est destiné à la conjugaison des modes actifs; et que l’auxiliaire être est conservé seul pour la conjugaison des modes passifs.

Remarquez enfin que dans les modes actifs le verbe exprime l’action du sujet, j’aime, j’ai aimé, et que dans les modes passifs il en exprime seulement l’état, je suis aimé, j’ai été aimé.

De là on peut inférer que l’auxiliaire avoir, a par l’usage que nous en faisons, plus de rapport à l’action et que l’auxiliaire être a au contraire plus de rapport à l’état. En effet, il semble que dans il a |111 monté ce cheval on considère plus l’action de monter; et que dans il est monté on considère moins l’action que l’état où l’on est après avoir monté. On pourroit donc établir pour regle qu’un participe doit se construire avec le verbe avoir toutes les fois que l’action qu’il signifie est l’idée principale que nous voulons exprimer; et qu’il doit se construire avec le verbe être toutes les fois que cette idée principale est moins l’action que l’état qui la suit ou qui en est l’effet.

Une premiere conséquence de cette regle, c’est que le participe doit toujours se construire avec le verbe être, lorsqu’il est de nature à exprimer plutôt un état qu’une action. or, quoique par ex. il y ait une action dans arriver, partir, venir, nous n’appercevons presque plus qu’un état dans arrivé parti, venu; on dira donc toujours il est arrivé il est parti, il est venu.

Une autre conséquence, c’est que lorsque le participe peut également exprimer l’état ou l’action, nous devons nous servir du verbe avoir, lorsque nous voulons plus particulieremt indiquer l’action, et au contraire nous devons nous servir du verbe être, lorsque nous voulons plus particulierement indiquer l’état.

Je dirois p.ex. la garde a passé sous mes fenêtres, parce que je songe à l’action de la garde qui passoit: mais que quelqu’un me demande s’il vient à tems pour [?pour] la voir, je répondrai, elle |112 est passée, parce que je ne songe qu’à l’état de la garde.

De même il est demeuré à Paris se dit de quelqu’un qui y est, parce que c’est un état que d’être à Paris. et il a demeuré à Paris se dit de quelqu’un qui n’y est plus, parce qu’avoir été à Paris et n’y être plus suppose une action. c’est par la même raison que nous disons il est sorti de quelqu’un qui n’est plus chez lui, et il a sorti de quelqu’un qui est rentré. Il est disparu, il a disparu, il est apparu, il a apparu, il nous est échappé, il nous a échappé&c. sont autant d’expressions qui peuvent s’expliquer par la même regle.

Nous disons, la fièvre a cessé, et nous disons encore, la fièvre est cessée; cependt il n’y a point d’action dans le participe cessé. cet exemple est la confirmation de la regle quoiqu’il y paroisse contraire. En effet, quand on dit que la fièvre est cessée, c’est qu’on juge qu’elle ne reviendra pas, et par conséquent le participe cessée signifie un état et doit se construire avec le verbe être. Mais quand on dit, la fièvre a cessé, on présume qu’elle reviendra. la fièvre a cessé signifie donc qu’elle a cessé d’agir pour recommencer. or c’est cette action à laquelle on pense qui porte à se servir en pareil cas de l’auxiliaire avoir.

cette regle ne regarde que la construction des participes des verbes actifs: quant aux participes des verbes qui |113 ne signifient qu’un état, ils se construisent tous avec l’auxiliaire avoir: il a dormi langui veillé, triomphé &c.

 

 

Chapitre XXI.

Des participes du présent et des gérondifs.

 

Les participes du présent et les gérondifs sont dérivés des verbes, et ils ont toujours les uns et les autres la même terminaison en ant, en quelque genre et en quelque nombre que soient les noms auxquels on les rapporte. aimant, jouant sont des participes du présent; en aimant, en jouant sont des gérondifs. quand ces mots peuvent changer leur terminaison pour prendre le féminin ou le pluriel, ils ne sont ni participes ni gérondifs; mais ils restent dans la classe des adjectifs; une vie riante, des personnes obligeantes, un homme charmant. (N) /(N) Les grammairiens ont éludé ou embrouillé la question des adjectifs verbaux en ant, c’est à dire qu’ils n’ont point distingué les cas ou l’on peut faire prendre aux mots en ant la terminaison du féminin ou du pluriel, des cas où on ne le peut pas. voici le travail que j’ai fait à ce sujet, et auquel on donné lieu les vers suivants de la traduction d’Horace par le cit. Daru:

Brûlante d’un feu criminel
Pour l’oil de son époux au banquet paternel
           
Cette impatiente adultere
Lui cherche des rivaux au sortir de l’autel.

Le mot brûlante fut critiqué par un des rédacteurs de la décade philosophique; le cit. Daru lui répondit par une dissertation qui fut insérée dans le nº 26, et dont le résultat est « que le participe est verbe et indéclinable quand il est régime direct, et lorsqu’il désigne une action et principalement une action simultanée avec le discours de la personne qui parle comme dans ces vers de Racine

                ... où fuyez vous Madame
N’est ce point à vos yeux un spectacle assez doux
que la veuve d’Hector pleurant à vos genoux?

hors de là le participe en ant peut être adjectif ou verbe, au choix de l’écrivain. »

Le critique se [?retracta] bien mal à propos selon moi. les grammairiens s’accordent assez sur cette regle: toutes les fois qu’un mot en ant a un objet, c’est un participe ou un gérondif et jamais un adjectif.

voici ce que je vais ajouter pour tenter de completter cette partie de la grammaire française. je commence par une table alphabétique de cent quatre vingt dix sept adjectifs verbaux tous vérifiés sur le dictionnaire de l’académie, et que j’ai trouvés en consultant dans le dictionnaire des rimes, près de trois mille quatreneuf cents verbes:

 

abondante

aboutissante

absorbante

accablante

accomodante

adoucissante

affligeante

affaiblissante

agaçante

aggravante

agissante

alarmante

allante

amusante

apparante

appartenante

approchante

assiegeante

assortissante

assoupissante

attendrissante

atténuante

attirante (fig)

attrayante

avilissante

battante (porte)

[?bêlante]

[?boufante]

bouillante

branlante

brillante

brûlante

 

 

 

fuyante (peint.)

gémissante

génante

gisante

glapissante

glissante

gluante

grimpante

habitante ([?prot.])

humiliante

ignorante

importante

insultante

intéressante

intervenante

irritante ([?prot.])

jaillissante

joignante

jouissante

languissante

larmoyante

liante

luisante

malfaisante

medisante

menaçante

meritante

mordante

mortifiante

mourante

mouvante

mugissante

 

bruyante

caressante

cassante

chagrinante

changeante

charmante

colorante

complaisante

concluante

confiante

consolante

constituante

contrariante

contrevenante

convaincante

convergente

corrodante

coulante

criante

croupissante

croyante

cuisante

decevante

déchirante

decourageante

décroissante

défaillante ([?prot.])

défiante

déplaisante

dérogeante

descendante (arts)

désesperante

desobeissante

desobligeante

 

[?nuissante / ?naissante]

negligente

nourrissante

obéissante

obligeante

outrageante (ne se dit que des choses)

ouvrante

paissante

parlante

passante (rue)

pendante

pesante

percante

pétillante

piquante

plaignante

plaisante

pliante

précédente

pressante

prévenante

prévoyante

[?puante]

rafraîchissante

rampante

rasante

rassasiante

rassurante

ravissante

rebutante

reconnoissante

desolante

diffamante

dissolvante

divergente

divertissante

dominante

donnante

dormante (eau)

éblouissante

écumante

édifiante

encourageante

endurante

engageante

enivrante

entraînante

entrante (fig.)

environnante

equivalente

etincelante

étonnante

étouffante

étourdissante

excedante

excellente

exigeante

existante

expectorante

expirante

flambante

flottante

frappante

frétillante

fumante

 

réjouissante

remuante

renaissante

repentante

repoussante

résidante

restante

révoltante

riante

roulante

rugissante

saillante

salissante

satisfaisante

séduisante

sifflante

souffrante

suante

suffisante

suffoquante

suppliante

tolérante

[?tonnante]

tournante

traînante

troublante

triomphante

vacante

vacillante

variante

vivante

volante

voltigeante

/l’inspection de cette table me fournit les observations suivantes/

1º quelques uns des adjectifs ci-dessus ne laissent aucun doute dans leur emploi puisque l’usage les écrit par en, tandis que les participes sont toujours en ant. vous direz donc: je lui ai rendu une somme équivalente à celle qu’il m’avait prêtée, et, la somme de 48 fr. 40 cent. equivalant à celle de 48 [] nous voilà quittes. une actrice excellente a joué le rôle de Phedre; une actrice excellant dans le rôle de Phedre.

2º quelques uns de ces adjectifs ont reçu une telle modification dans leur sens qu’il n’est plus possible d’employer dans aucun cas l’adjectif pour le participe ou le participe pour l’adjectif: médisante signifie non pas qui médit mais qui est habitué à médire; nourrissante, propre à nourrir; obéissante, prompte à obéir, obligeante, qui aime à obliger, plaisante, propre à amuser, excellente, très bonne&c.

3º quelques uns de ces mots consacrés à la pratique à quelque art ou à quelque tour de phrase particulier, ne se disent point dans d’autres cas. fuyante ne se dit qu’en peinture descendante en [] ligne descendante, en astronomie signes descendans en mathem. progression descendante montante en anatomie aorte montante.

4º Il y a4º Il y en a qui n’ont retenu qu’un des deux sens dans lesquels on emploie le verbe: desesperer veut dire oter l’espoir et perdre l’espoir; desesperante n’a que le premier sens. traîner est v. actif ou v. d’état, traînante n’exprime qu’un état; il en est de même de changer, changeante, de nuire, nuisante. brûler est actif transitif ou d’état et brûlante ne conserve que la premiere de ces deux significations; voilà pourquoi on ne peut pas dire comme le cit. Daru Brûlante d’un feu criminel. on ne peut pas dire non plus j’ai vu cette femme vivante de racines, parce que vivante veut dire seulement qui est en vie.

5º au contraire salir ne signifie que rendre sale tandis que salissante signifie qui rend ou qui devient sale.

Le résultat de ces réflexions est bien simple. c’est que pour qu’on puisse indifféremment se servir du participe ou de l’adjectif verbal, il faut qu’il aient conservé l’un et l’autre le même sens, et qu’ils puissent s’accomoder des mêmes accessoires, construits de la même maniere; ainsi on dira femme toujours obligeante ou femme obligeant toujours. on ne peut pas dire une cheminée très fumante parce que très ne modifie que des adjectifs.

D’après tout ce qui précède, c’est par licence que Voltaire a dit

de deux alexandrins cote à cote marchans

car on ne dit point marchant, marchante.

Il en est de même de ce vers de Racine

pleurante après son char vous voulez qu’on me voie

on ne dit point elle est pleurante mais elle est éplorée.

Le cit. Daru prétend que dans ce vers

que la veuve d’Hector pleurant à vos genoux

Racine a dû préférer le participe parce que le sens déterminé par les mots qui le suivent, indique une action instantanée et non un état; c’est dit-il

La veuve d’Hector qui pleure à vos genoux

tandis que dans le vers

pleurante après son char...

pleurante peut exprimer un état comme seroient à la même place humiliée, affligée.

j’observe que dans le premier vers on pourroit également substituer un adjectif quelconque et dire sinon avec élégance, du moins sans offenser la langue

que la veuve d’Hector courbée à vos genoux

ainsi le cit. Daru me paroit avoir hazardé plusieurs de ses assertions; et quand il s’est trouvé avoir raison, il n’a pas laissé que de mal raisonner.

Il y a une faute dans ce passage de Rousseau je crois à une divinité prévoyante etpourvoyante: ce dernier mot ne se dit pas./

|114 Si l’on faisoit toujours usage de la préposition en devant les gérondifs on les distingueroit des participes |115 à la forme seule. Mais comme on supprime souvent cette préposition, on confondra ces deux sortes |116 de mots si on ne s’en fait pas des idées exactes.

Les gérondifs sont des substantifs, puisqu’excepté |117 ayant et étant, ils peuvent être précédés d’une préposition.

|118 Il y a la même différence entre un gérondif et un participe du présent, et qu’entre un substantif |119 précédé d’une préposition et un adjectif: la même différence p.ex. qu’entre un magistrat doit se conduire en sage, et un magistrat sage doit toujours se conduire.

|120 or, dans la premiere phrase, en sage signifie la maniere dont un magistrat doit se conduire. dans la seconde sage signifie l’état ou la cause: l’état, un magistrat qui est sage; la cause, un magistrat, parce qu’il est sage...

Les intrigans préférant leur avantage particulier au bien général, sont toujours faux. préférant est un participe car il marque la cause; c’est les intrigans parce qu’ils préfèrent.

étudiant trois heures par jour vous apprendrez la grammaire en six mois; étudiant est un gérondif car c’est la maniere d’apprendre.

Le gérondif est le tour qu’on prend pour répondre à cette question comment avez-vous appris la grammaire en six mois? et le participe du présent est le tour qu’on prend pour répondre à celle-ci, pourquoi les intrigans sont-ils faux?

Il y a beaucoup d’occasions où le gérondif et le participe peuvent être pris indifféremment l’un pour l’autre. Les hommes jugeant sur l’apparence |121 sont sujets à se tromper; il est assez indifférent qu’on entende dans cette proposition les hommes en jugeant ou les hommes qui jugent. Mais si les circonstances du discours déterminent l’un de ces deux sens plutôt que l’autre, il ne faudroit pas le laisser à deviner au lecteur.

 

 

Chapitre XXII.

Des participes du passé.

 

j’ai habillé mes troupes; mes troupes que j’ai habillées; mes troupes sont habillées. dans ces trois phrases habillé est, quant au matériel, le même mot. voyons s’il peut encore être le même quant à l’usage que nous en faisons.

Dans la langue italienne ce participe est toujours considéré comme adjectif, puisque dans tous les cas il est susceptible de genre et de nombre. voilà un préjugé pour le supposer encore adjectif dans notre langue où les tems des verbes se forment de la même maniere qu’en italien.

Remarquons en second lieu que quoique j’ai habillé soit un prétérit, aucun de ces deux mots pris séparément ne peut être le signe du passé: car j’ai est un présent et habillées en est un autre dans cette phrases mes troupes sont habillées.

j’ai habillé n’est donc un prétérit que parce que nous sommes convenus d’exprimer le passé en réunissant ces deux mots; et ils l’expriment comme un seul l’exprimeroit. or, que j’ai habillé ne soit que l’expression du passé, ou qu’en concourant à exprimer le passé, habillé ait encore la propriété de modifier le substantif troupes; dans l’un et l’autre cas il est également |122 adjectif.

Mais s’il est toujours adjectif, pourquoi ne disons-nous jamais j’ai habillées mes troupes? car il semble qu’il seroit dans l’analogie d’accorder alors ce participe avec troupes comme on l’accorde lorsqu’on dit mes troupes que j’ai habillées.

Je réponds que nous pouvons à notre choix considérer j’ai habillé sous deux points de vue différens. nous pouvons nous borner à n’y voir que l’expression du prétérit, et à ne l’y voir que comme nous la verrions dans un seul mot. alors il est évident que nous n’avons point de raison pour donner au participe un genre ou un nombre. or c’est ainsi que nous considérons toujours cette expression lorsque le participe précède l’objet auquel il se rapporte. Nous devons donc dire j’ai habillé mes troupes.

Mais en voyant un prétérit dans j’ai habillé, nous pouvons remarquer encore les mots dont cette expression est composée, et alors nous y voyons un adjectif que nous jugerons devoir accorder en genre et en nombre avec son objet. Nous disons donc, mes troupes que j’ai habillées.

Les Italiens se permettent de considérer l’expression du prétérit sous ces deux points de vue, lors même que l’objet n’est énoncé qu’après le participe; et ils disent indifféremment ho scritto ou ho scritto la lettera.

Le même usage auroit pu s’introduire dans notre langue; mais nous ne remarquons un adjectif dans l’expression du prétérit, qu’autant que l’objet qui a été énoncé auparavant, nous force à remarquer dans cette expression un mot susceptible de genre |123 et de nombre. ainsi quand nous disons j’ai habillé nous nous bornons à voir dans ces mots l’expression du prétérit, comme nous la verrions dans un seul, et lorsque nous disons mes troupes que... ce substantif féminin et pluriel nous fait remarquer dans cette expression un participe qui peut prendre le même genre et le même nombre, et auquel en conséquence nous donnons l’un et l’autre.

Il n’est donc pas nécessaire de supposer comme Dumarsais qu’habillé est substantif dans une phrase et adjectif dans l’autre. Il suffit d’imaginer que suivant les circonstances nous sommes portés à considérer ces mots j’ai habillé, sous des points de vue différens.

Ces mots mes troupes sont l’objet d’habillé, et c’est aussi de mes troupes qu’habillé prend le genre et le nombre. on ne peut donner ni genre ni nombre à un participe qui est de nature à n’avoir jamais d’objet. Tels sont dormi, veillé dans j’ai dormi, j’ai veillé.

Il est peu important de rechercher si ces sortes de participes sont adjectifs ou substantifs: ils seront à notre choix l’un ou l’autre. Faisons cependtci dessous quelques réflexions.

Dabord ce qu’il y a de plus clair, c’est que dormi et veillé sont des participes qui concourent avec l’auxiliaire avoir à l’expression du prétérit: voilà le seul usage que nous en faisons.

En second lieu, les verbes qui n’ont point d’objet expriment une action marcher ou un état, dormir |124 et dans les deux cas ils modifient toujours le sujet de la proposition. Nous disons Pierre marche, Pierre dort pour Pierre est marchant, Pierre est dormant; et il est évident que marchant et dormant sont des adjectifs qui modifient Pierre ou le sujet de la proposition.

or Pierre a marché et a dormi est la même chose que Pierre a été marchant et a été dormant; marché et dormi renferment donc dans leur signification celle des adjectifs marchant et dormant; ils sont donc également des adjectifs.

La seule différence qu’on puisse observer entre les participes des verbes qui n’ont point d’objet et les participes des verbes qui en ont un, est donc que les premiers ne peuvent modifier que le sujet de la proposition, et que les autres ne peuvent modifier que l’objet de l’action qu’ils expriment. Si marché et dormi ne prennent jamais ni genre, ni nombre, il en est de même des participes du présent; et par conséquent il n’en sont pas moins des adjectifs. Revenons aux verbes qui ont un objet, et voyons quels sont les cas où il doivent en prendre le genre et le nombre.

Toutes les fois que l’objet est désigné par le nom de la chose même, il doit être placé après le participe; nous disons j’ai reçu les lettres et jamais les lettres j’ai reçues; alors la terminaison du participe est invariable.

Pour que l’objet puisse précéder, il faut qu’il soit exprimé ou par le conjonctif que, les lettres que j’ai reçues, ou par un nom des deux premieres personnes; il t’a bien reçu il nous a bien reçus.

|125 Lorsque le participe est précédé de son objet, il en prend le genre et le nombre; voilà l’unique regle.

Mais quelquefois ce qui paroit au 1er coup d’oil l’objet d’un participe, est plutôt l’objet d’un verbe qui le suit: imitez les vertus que vous avez entendu louer, et non pas entendues parce que le conjonctif que est l’objet de louer.

Terminez les affaires que vous avez prévu que vous auriez; prévu parce que le conjonctif est l’objet de vous auriez.

Elle s’est fait peindre parce que se est l’objet de peindre; le sens est, elle a fait peindre elle.

de même elle s’est crevé les yeux, c a d elle a crevé les yeux à elle et les yeux sont l’objet de crever.

Les académies se sont fait des objections, et elles se sont répondu sur les difficultés qu’elles s’étoient faites. le premier se n’est pas l’objet de fait, le second ne l’est pas de répondu; le conjonctif que l’est de faites.

La maison que j’ai faite, parce que le conjonctif est l’objet du participe; et la maison que j’ai fait faire parce qu’il est l’objet de faire.

avez-vous entendu chanter la nouvelle ariette? je l’ai entendu chanter: car la nouvelle ariette est l’objet de chanter; mais si on me demande avez-vous entendu chanter la nouvelle actrice? Duclos pense qu’il faut dire je l’ai entendue chanter |126 parce que la nouvelle actrice est plus particulieremt l’objet d’entendu: en effet le sens est j’ai entendu la nouvelle actrice chanter ou qui chantoit

Mais au lieu de voir dans entendre et dans chanter deux idées distinctes, il serait peut-être plus simple de n’y voir qu’une seule idée qui est exprimée par deux mots comme elle pourroit l’être par un seul; alors la nouvelle actrice seroit l’objet de l’idée totale qui résulte de deux mots; c’est ainsi qu’en supprimant le mot chanter, nous disons de l’ariette comme de l’actrice, je l’ai entendue.

En effet il est des cas où il est difficile de séparer l’idée du participe de l’idée de l’infinitif qui le suit; souvent les deux n’en font qu’une. Lorsqu’on dit, par exemple, le remede l’a fait mourir, le pronom la n’est l’objet ni de fait ni de mourir pris séparément, il l’est de fait mourir comme il le seroit de tuer.

Duclos prétend qu’on doit dire, on auroit pu guérir cette personne, on l’a laissée mourir; elle s’est présentée à la porte, je l’ai laissée passer.

Il est vrai que si, considérant séparément le participe et l’infinitif, il faut que le pronom ne soit l’objet que de l’un des deux, il ne peut l’être que du participe. Mais dans ces deux phrases l’objet immédiat du participe n’est-il pas plutôt l’infinitif? Si cela est, le pronom sera l’objet de l’idée totale qui résulte des deux; il faudra donc dire, on l’a laissé mourir, on l’a laissé passer. Il n’en est pas de même lorsque le |127 participe est suivi d’un adjectif; alors il faut dire elle s’est trouvée guérie; les hommes que dieu a crées innocens.

En effet l’idée du participe et celle de l’adjectif tendent plutôt à se distinguer l’une de l’autre qu’à se réunir pour en former une seule; et il est mieux de dire dieu a crée les hommes innocens que de dire dieu a crée innocens les hommes.

On pourroit donc établir pour regle qu’un participe est susceptible de genre et de nombre, lorsqu’il est suivi d’un adjectif, et qu’il est invariable dans la terminaison, lorsqu’il est accompagné d’un verbe.

 

 

Chapitre XXIII.

De la sintaxe.

 

Nous ne concevons jamais mieux une pensée que lorsque les idées s’en présentent dans la plus grande liaison. Ce n’est donc pas assez d’avoir des mots pour chaque idée: il faut en faire un tout dont nous [?sai[si]ssions] l’ensemble, et dont rien ne nous échappe: voilà l’objet de la sintaxe.

La liaison se marque de plusieurs manieres: 1º par la place que les mots occupent dans le discours; 2º par le changement qui se fait dans la terminaison; 3º par des prépositions qui indiquent le second terme d’un rapport; 4º par des conjonctifs qui rapprochent les propositions incidentes des substantifs qu’elles modifient; 5º enfin par des conjonctions qui prononcent la liaison des différentes parties du discours.

|128 De tous les moyens que nous employons, la place qu’on peut donner aux mots et aux phrases, est celui qui contribue le plus à la clarté.

Pierre est homme: voilà l’ordre des mots d’une proposition, le sujet, puis le verbe, enfin l’attribut. la sintaxe de notre langue ne permet pas d’autre arrangement.

Tout le sujet d’une proposition, offre une idée déterminée, puisque c’est la chose dont on parle et qu’on montre, pour ainsi dire; il semble donc qu’on auroit pu dire aussi homme est Pierre car homme étant une idée indéterminée ne sauroit être pris pour sujet, et par conséquent la phrase n’en seroit pas moins claire; mais l’usage ne l’a pas permis; il permet encore moins de dire un homme est Pierre, parce qu’un homme seroit pris pour le sujet, et la proposition paroitroit fausse. le seul cas où le sujet et l’attribut peuvent prendre la place l’un de l’autre, c’est lorsqu’ils sont identiques. Pierre est l’homme que vous voyez; l’homme que vous voyez est Pierre (O) /(O) Tout sujet d’une proposition n’offre point une idée déterminée, quoique ce soit la chose dont on parle, puisqu’il a été dit dans le chap. des noms des personnes que on est un nom indéterminé de la 3e personne, toujours employé comme sujet de la proposition. Mais il n’y auroit point d’équivoque si on disoit homme est Pierre, par la raison que la proposition seroit fausse si on prenoit homme pour sujet.

Lorsque le sujet et l’attribut sont identiques, en les changeant de place, on change aussi leur nature; le sujet devient attribut et réciproquement./

|129 à l’attribut on peut ajouter un adjectif: Pierre est un homme courageux, ou simplement est courageux. l’usage continue de donner la même place aux mots, quoique la nécessité ne soit pas la même.

Les noms des personnes des verbes je, tu, vous&c. peuvent encore moins se transposer, il en naîtroit des sens tout différens: tu es, es-tu. l’un affirme, l’autre interroge.

l’objet ne se lie au verbe qu’autant qu’il le suit immédiatement ou qu’il n’en est séparé que par des modifications du verbe même: le peuple veut la liberté. le peuple veut fortement la liberté vous voyez que fortement ne sépare la liberté de veut que parce qu’il est une modification de l’action d’aimer. on ne peut se permettre ici aucune transposition; la liberté veut... ne seroit plus la même chose.

Il ne faut excepter de cette regle que les pronoms le, la, les; les noms des personnes me, te, se, nous, vous et le conjonctif que. Sans doute c’est l’oreille qui a engagé à transposer avant le verbe les pronoms et ces noms des personnes: car nous préférons moi, toi, soi |130 lorsque nous voulons faire précéder le verbe, ce qui est assez rare.

Voilà constamment la place de ces noms, lorsque le verbe est à tout autre mode que l’impératif. Mais quand on commande ou qu’on défend, l’usage varie.

on dit dites-lui, menez-la, parlez-moi, prenez-en, allez-y. en pareil cas le verbe doit toujours précéder. si la phrase est composée de deux impératifs unis par l’une des deux conjonctions et, ou, l’arrangement de ces noms sera encore le même avec le premier impératif; mais ils pourront précéder le second ou le suivre, à notre choix. allez la chercher et me l’amenez ou amenez-la moi.

quand au contraire on défend, ces noms doivent toujours être placés avant le verbe: ne lui dites pas.

Les conjonctifs doivent suivre immédiatement les substantifs, auxquels ils lient la proposition incidente, ou du moins n’en être séparés que par des mots auxquels on ne les puisse pas rapporter. Dans l’homme de courage que vous avez vu, le conjonctif n’est séparé de l’homme que par un substantif indéterminé: il se rapporte donc à l’homme ou plutôt à l’idée totale qui se forme de ces mots, l’homme de courage.

les propositions incidentes ont occasionné une exception à la regle que nous avons donnée pour la place du nom; car dans cette phrase, les batailles qu’Alexandre |131 a remportées, le sens éta[n]t également marqué par la liaison des mots soit qu’on dise qu’Alexandre a remportées ou qu’a remportées Alexandre, nous pouvons à notre choix donner l’une ou l’autre place.

Il y a même encore une occasion où le verbe peut précéder le nom: c’est lorsqu’il est lui-même précédé d’une circonstance de tems ou de lieu; on dira p.ex. avec Bossuet, alors parut un David.

Les propositions subordonnées peuvent avoir plusieurs places différentes. car leur rapport à la phrase principale est suffisamment marqué par des conjonctions ou par des prépositions. votre fils n’est pas connoissable depuis qu’il a voyagé; depuis que votre fils a voyagé... votre fils, depuis qu’il a voyagé, n’est pas connoissable. Dans tous ces arrangemens la liaison est conservée, et par conséquent ils sont tous dans les regles de la sintaxe.

On peut donner différentes places aux circonstances et aux moyens: aux circonstances, dans ce tems là votre ami étoit à Rome; votre ami, dans ce tems là étoit à Rome; votre ami étoit à Rome dans ce tems là. aux moyens, avec votre secours je finirai; je finirai avec votre secours.

Les circonstances et les moyens sont renfermés tantôt dans des propositions subordonnées, tantôt dans des substantifs précédés d’une préposition: si nous |132 travaillons assidument nous serons instruits de bien des choses, avant qu’il soit peu d’années: si nous travaillons est le moyen, et nous pourrions dire en travaillant. De même au lieu de avant qu’il soit peu d’années, nous pourrions dire dans peu d’années; et c’est une circonstance. on peut dans tous les cas leur donner différentes places.

Cependant il ne faudroit pas prendre pour une circonstance ou pour un moyen, tout mot précédé d’une préposition: car lorsque je dis que les circonstances et les moyens se rapportent au verbe, c’est proprement du verbe substantif que je veux parler. or en analysant les autres, il est aisé de distinguer ce qui se rapporte plus particulieremt à l’adjectif. Nous traduirons p.ex. je pars pour Rome par je suis partant pour Rome, et nous verrons que pour Rome se rapporte à partant puisque c’est le terme de l’action exprimée par le participe; or ces expressions ne peuvent jamais se transposer.

Lorsque de pareilles expressions se rapportent à un substantif la transposition peut avoir lieu, et on dira:

Quand de Rome avec vous j’entrepris le voyage

or pourquoi ne peut-on pas transposer pour Rome avant partant, comme on transpose de Rome avant voyage?

|133 En considérant les actions exprimées par des adjectifs tels que partant, il est aisé de remarquer qu’elles ont un but auquel elles tendent, et que par conséquent il est dans l’ordre des idées que ce but soit nommé après l’action, dans une langue où la place qu’on donne aux mots est le principal signe de leur rapport.

Mais si vous considérez le substantif voyage et les mots qui déterminent de quel voyage vous parlez, vous ne sentez plus qu’il soit nécessaire que les idées viennent à la suite l’une de l’autre. Dans cet ordre, le voyage de Rome, vous appercevez au contraire deux idées que vous pouvez placer, pour ainsi dire, dans deux points de vue perspective, en sorte qu’il vous est libre de déterminer dabord ma vue sur celui qu’il vous plait; et lorsque votre phrase est finie, je sens la liaison de tous les mots.

Mais il faut séparer ces mots ou ne les point transposer; car si vous disiez, quand avec vous j’entrepris à Rome le voyage, cette transposition seroit dure.

Les signes qui marquent les rapports sont toujours les mêmes, et c’est là proprement ce qui appartient à la sintaxe; mais comme l’arrangement des mots et des phrases peut varier, les constructions changent, quoique la sintaxe ne puisse pas changer. elle ne consiste que dans les signes choisis pour marquer les rapports. cherchons sur quoi les |134 variations de constructions sont fondées.

 

 

Chapitre XXIV.

Des constructions directes et des constructions renversées qu’on nomme inversions.

 

Il y a des transpositions dans le discours: donc il y a un arrangement où rien n’est transposé. en effet, quand je dis, un magistrat qui remplit exactemt ses devoirs mérite de la considération. un magistrat est le nom de la phrase principale et de la chose dont je parle; il ne suppose rien d’antérieur et tous les autre mots se rapportent successivement à celui qui précède. cet ordre s’appelle construction directe.

Mais si je dis, avec des procédés comme les vôtres ces mots laissent l’esprit en suspend: vous voyez qu’ils dépendent de quelque chose que je vais dire; car la préposition avec indique le second terme d’un rapport, et je n’ai pas encore montré le premier. vous sentez donc que mon discours va finir par les idées qui dans l’ordre direct devroient être les premieres. or cet ordre a lieu toutes les fois qu’il y a transposition; on l’appelle construction renversée ou inversion.

L’inversion n’est donc pas comme on le dit communémt un ordre contraire à l’ordre naturel: c’est seulement un ordre différant de l’ordre direct, et je ne vois pas pourquoi l’un seroit plus naturel que |135 l’autre.

Mais le mot naturel n’est pris ici qu’impropremt: il ne signifie pas ce que nous faisons en conséquence de la conformation que la nature nous a donnée; il signifie seulement ce que nous faisons en conséquence des habitudes que nous avons contractées. or le naturel pris pour l’habitude se trouve dans l’ordre renversé comme dans l’ordre direct.

à parler vrai il n’y a par rapport à l’esprit ni ordre direct ni ordre renversé, puisqu’il apperçoit à la fois toutes les idées dont il juge. Il les prononceroit même toutes à la fois, s’il lui étoit possible de les exprimer comme il les apperçoit. C’est ainsi qu’il les exprime par le langage d’action; et les inversions ne lui plaisent que parce qu’elles rassemblent les idées et en font comme un tableau où elles se montrent toutes à la fois.

C’est dans le discours seul que les idées ont un ordre direct et un ordre renversé, parce que c’est dans le discours seul qu’elles se succedent. Ces deux ordres sont donc également naturels. aussi les inversions sont-elles usitées dans toutes les langues, autant du moins que la sintaxe le permet. Nous allons voir l’usage dans un exemple qui vous a déjà servi à l’analyse du discours.

|136 « Dans cette enfance, ou pour mieux dire, dans ce chaos du poëme dramatique parmi nous, votre illustre frere, après avoir quelque temps cherché le bon chemin, et lutté, si je l’ose ainsi dire, contre le mauvais goût de son siecle, enfin inspiré d’un génie extraordinaire, et aidé de la lecture des anciens, fit voir sur la scene la raison; mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornemens dont notre langue est capable, accordant heureusement la vraisemblance et le merveilleux, et laissant bien loin derriere lui tout ce qu’il avoit de rivaux. »

Toutes les parties de cette période se lient à une seule idée pour former un seul tout. c’est ainsi que cette pensée s’offroit à Racine, et par conséqut c’étoit ainsi qu’il lui étoit naturel de la présenter. cependant la construction est renversée. Substituons l’ordre direct et disons:

« Votre illustre frere fit voir la raison sur la scene; mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornemens dont notre langue est capable, accordant heureusement la vraisemblance et le merveilleux, et laissant bien loin derriere lui tout ce qu’il avoit de rivaux. »

« Il fit voir la raison dans cette enfance du théâtre, ou pour mieux dire dans ce chaos du poëme dramatique parmi nous. »

« Il fit voir la raison après avoir quelque tems |137 cherché le bon chemin et lutté, si j’ose ainsi le dire, contre le mauvais goût de son siecle »

« Enfin il fit voir la raison lorsqu’il étoit inspiré d’un génie extraordinaire et aidé de la lecture des anciens »

Vous voyez que pour rétablir l’ordre direct il faut répéter, il fit voir la raison, et partager en quatre une pensée qui est une et qui doit être une. Si on ne répétoit pas il fit voir la raison, le discours seroit obscur et la pensée n’en seroit pas moins partagée, puisque ce seroit à quatre reprises que le développement s’en acheveroit. avec des inversions au contraire cette pensée est, pour ainsi dire, moulée d’un seul jet.

Il y a dans le discours deux choses naturelles par rapport à l’esprit, la liaison des idées et l’ensemble. La liaison des idées se retrouve toujours dans l’ordre direct: Mais pour peu qu’une pensée soit composée, l’ensemble ne peut le plus souvent se trouver que dans l’ordre renversé.

Peu de regles et beaucoup d’usage, voilà la clef des langues et des sciences.

 

Godailh

 

 

Harmonisations

Les numéros et les titres de chapitres sont suivis d’un point.

Tous les titres en caractères gras commencent par une majuscule.

 

2’ > 2d

3e, 4e, ... > 3eme, 4eme, ...

a (préposition) > à

abbe > abbé

ainsi-dire > ainsi dire

alinéa > alinea

arreter (+ formes conjuguées) > arrêter

avez vous, etes vous > avez-vous, êtes-vous

brulante > brûlante

colere > colère

compose (adjectif) > composé

connoitre > connoître

considerant, considerées > considérant, considérées

d’ailleurs > dailleurs

definition > définition

dégrés > degrés

des que > dès que

designer (+ formes conjuguées) > désigner

determiner (+ formes conjuguées) > déterminer

developpement > développement

developper (+ formes conjuguées) > développer

ecole > école

ecrivain > écrivain

elle, lui, eux même(s) > elle-, lui-, eux-même(s)

epoque > époque

espece(s) > espèce(s)

etat > état

etc. > &c.

êtes vous > êtes-vous

etoit > étoit

etre, etes, > être, êtes

faut il > faut-il

frère, frére, frêre > frere

generales, generalise > générales, généralise

gerondif > gérondif

heros > héros

indéterminement, indeterminément > indéterminément

indifferemment > indifféremment

la (adverbe) > là

la quelle (pronom) > laquelle

lors que > lorsque

merite > mérite

necessaire(s), nécéssaires > nécessaire(s)

preposition(s) > préposition(s)

present > présent

quêlle > quelle

quelque fois > quelquefois

regl. > regle

repondre (+ formes conjuguées) > répondre

representer (+ formes conjuguées) > représenter

resulte > résulte

reveiller > réveiller

role > rôle

sinonyme(s), synonime(s) > sinonime(s)

syntaxe > sintaxe

tantot > tantôt

tout-à-fait > tout à fait

votre (pronom) > vôtre

 

Document conservé au Centre historique des Archives nationales, Paris,

Cote : F17/1344/2.