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5. 5e Jour complém. an 7

 

Circulaire 5 (du 5e Jour complémentaire an 7)

 

[277] [...]

Paris, le 5e jour complémentaire an 7 [21-9-1799] de la
     République française, une et indivisible.

 

 

 

Le Ministre de l’intérieur,

Au Professeur de Grammaire générale à l’école centrale d

 

Citoyen, par sa lettre du 20 fructidor an 5 [6-9-1797], mon prédécesseur vous invitait à lui envoyer les cahiers sur lesquels vous faites votre cours : cependant, malgré le long espace de temps qui s’est écoulé depuis cette époque, rien sur ce sujet n’est parvenu de votre part à mon ministère. Ce silence me met dans l’impossibilité de juger de la méthode que vous avez adoptée. Je vous réitère donc la même demande, et j’espère que cette fois ce ne sera pas infructueusement.

Ne sachant pas comment vous envisagez l’ensemble de votre cours, je vous ferai ici quelques observations que je crois utiles, parce que je m’aperçois que plusieurs professeurs de grammaire générale n’ont pas vu toute l’étendue de l’enseignement dont ils sont chargés : ils se croient bornés à la grammaire, et c’est à tort. Le nom de |278 grammaire générale donné à la chaire que vous occupez, ne doit pas faire illusion. On ne pouvait, sans doute, en choisir un plus convenable, par beaucoup de raisons ; mais, quoique préférable à tout autre, il a l’inconvénient de n’exprimer qu’en partie ce que vous devez enseigner : car votre cours doit comprendre l’idéologie, la grammaire générale, la grammaire française et la logique.

En effet, Citoyen, dans l’ensemble de l’éducation, votre cours doit être le complément et le couronnement des cours de langues anciennes, et l’introduction aux cours de belles-lettres, d’histoire et de législation. Or, vous n’ignorez pas que dans le nouveau système d’instruction, auquel préside exclusivement la méthode qui consiste à aller toujours du connu à l’inconnu, les professeurs de langues anciennes doivent, avant d’entrer en matière, faire observer aux enfans comment, depuis leur naissance, ils ont appris le peu qu’ils savent ; leur faire remarquer ce qu’ils font quand ils pensent et quand ils parlent ; c’est-à-dire leur donner les faibles notions d’idéologie et de la grammaire générale qui sont à la portée de cet âge, et qui sont nécessaires pour bien comprendre les règles d’une langue quelconque, et pour en abréger l’étude.

Par la même raison, votre cours venant après celui de langues anciennes, vous devez d’abord profiter des connaissances acquises par les élèves dans cet intervalle, pour leur donner des leçons plus approfondies sur l’idéologie et la grammaire générale ; car c’est là l’époque où ils doivent ap- |279 prendre réellement ces deux sciences. Ensuite, il faut appliquer ces connaissances à la grammaire française, puisqu’elle est le premier pas dans l’étude des belles-lettres ; et enfin, il faut en tirer les règles de l’art de raisonner, puisque c’est là le fil conducteur qui doit aider les jeunes gens à apprécier les hommes et les choses, les faits et les institutions, dans les cours d’histoire et de législation, et les guider pendant le reste de leur vie.

Je n’ai pas besoin de vous dire que par l’art de raisonner, je n’entends pas la vaine recherche de toutes les différentes formes du raisonnement, mais l’étude solide de ce qui constitue la certitude de nos connaissances, et la vérité de nos propositions, et la justesse de nos déductions ; en un mot, le fond du raisonnement. Pour la première, il suffirait de rajeunir presque sans choix d’anciennes doctrines ; mais la seconde ne peut être basée que sur l’examen attentif de nos facultés intellectuelles, et de l’effet que produisent sur elle la fréquente répétition des mêmes opérations, et l’usage continuel des signes avec lesquels nous combinons et communiquons nos idées. Voilà pourquoi cette étude est le complément naturel de votre cours.

Il doit donc, comme je l’ai dit, être composé de quatre parties, toutes essentielles ; je vous engage de nouveau à vous occuper de les rédiger. Il est à désirer qu’elles soient distinctes et séparées l’une de l’autre, 1o parce que si pour l’une d’elle[s] vous étiez pleinement satisfait d’un ouvrage imprimé quelconque, français ou étranger, |280 et si vous vous déterminiez à le suivre, il suffirait de me l’indiquer ; 2o il peut arriver que l’une de ces parties soit mieux traitée dans un cours, et l’autre dans un autre ; et par la suite on pourrait réunir les meilleurs, et faire jouir le public d’un ouvrage complet dans ce genre ; avantage précieux qui nous manque jusqu’à présent.

Telles sont, citoyen, les réflexions que je livre à vos méditations. Je suis entré dans ces détails, pour que vous connaissiez bien ce que j’attends de vous. Je suis persuadé que votre zèle pour le perfectionnement de l’enseignement vous portera à ne plus différer de remplir mes vues à cet égard.

Salut et Fraternité.

 

Destutt de Tracy, Antoine (1825), Elémens d’idéologie. Troisième Partie, Tome deuxième de la Logique. Paris : Levi, pp. 277-280.