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2. 24 Messidor an 6

 

Circulaire 2 (du 24 Messidor an 6)

 

[1] [...]

Paris, le 24 Messidor, an 6.e [12-7-1798] de la République
     française, une et indivisible.

 

 

 

LE MINISTRE de l’Intérieur,

AUX Professeurs des Écoles centrales.

 

CITOYENS PROFESSEURS, nous touchons au terme de l’année scolaire. Je ne doute point du zèle que vous aurez apporté à remplir les intéressantes fonctions que la République vous a confiées : vous aurez, j’en suis sûr, donné à vos leçons une tendance continuelle et directe vers l’amélioration des études, et vers l’ordre de choses qui doit faire le bonheur et la gloire de la génération naissante et de celles qui la suivront ; vous écartant des sentiers de la routine, vous aurez tracé pour vous-mêmes, vous aurez fait suivre à vos élèves une marche digne de l’état actuel des connaissances humaines et de l’esprit philosophique dont notre siècle a droit de se glorifier.

Mon prédécesseur, le C.en François (de Neufchâteau), vous indiqua, dans une circulaire du 20 fructidor dernier [6-9-1797], les idées qui devaient servir de base à la rédaction de vos cahiers élémentaires : vous aurez eu égard à ses avis, en y ajoutant les résultats de vos réflexions et de votre expérience. Comme lui, je m’empresserai de rendre un témoignage honorable à votre zèle ; mais c’est à vous de me mettre à portée d’en juger les effets.

Vous n’aurez point oublié que, dans cette même circulaire, mon prédécesseur vous demandait avec instance de lui transmettre une copie de vos cahiers, au I.er fructidor de l’an 6 [18-8-1798].

Cette demande, comme vous l’aurez senti facilement, est fondée sur l’intérêt qu’a le Gouvernement de s’assurer de la bonté des choix dans la partie de l’instruction publique, et de savoir si, dans toutes les écoles, la doctrine est non-seulement ce qu’elle doit être en elle-même, mais encore dirigée de manière à former des Républicains.

C’est dans cette double vue, c’est aussi pour multiplier avec vous des relations qui me sont précieuses à plus d’un titre, que je vous |[2] rappelle l’invitation dont il s’agit. En vous y conformant, vous mettrez le sceau à l’idée avantageuse que j’ai dû concevoir de vos talens et de vos principes politiques. Au surplus, l’époque fixée par le C.en François (de Neufchâteau) n’est point un terme de rigueur pour ceux d’entre vous qui croiront avoir besoin de revoir encore et de mûrir davantage leurs cahiers : ils peuvent profiter, pour ce travail, du premier mois des vacances.

Je saisis cette occasion pour vous adresser deux ouvrages que je crois de nature à mériter votre attention.

L’un, intitulé Précis de l’histoire des Hébreux, par le C.en Mentelle, a pour objet de dépouiller cette histoire de tout ce qu’elle renferme d’incompatible avec les lumières de la raison. Vous avez remarqué plus d’une fois à quel point des erreurs, devenues sacrées, ont obscurci et embrouillé l’histoire générale. L’impossibilité de les concilier avec les événemens probables et dûment constatés, a souvent jeté de l’embarras dans vos lectures, et trompé les efforts de votre critique. Vous verrez avec plaisir que le C.en Mentelle a fait rentrer les annales du Peuple Juif dans le cercle de la vraisemblance, et qu’il promet d’élaguer de même l’appareil de merveilleux qui défigure d’autres branches de l’histoire. Le Gouvernement a jugé qu’il rendait en cela un important service à l’instruction. En effet, montrer que les temps antiques n’ont rien offert de plus surnaturel que le siècle où nous sommes ; établir que des êtres métaphysiques ne sont jamais intervenus dans l’origine et dans les affaires des Nations, c’est prendre l’une des routes les plus sûres pour amener insensiblement les esprits à n’admettre que la vérité ; pour écarter à jamais les inductions fausses et dangereuses que fournissent des données mensongères ; en un mot, pour rendre aux leçons du passé l’utilité qu’elles ont perdue depuis si long-temps.

Le second ouvrage dont j’ai à vous entretenir, est une petite Dissertation du C.en Dieudonné Thiébault, sur l’enseignement dans les Écoles centrales. L’auteur a voulu, 1.o faire voir comment on pouvait régulariser l’instruction de manière qu’elle fût par-tout une, entière et conforme à l’esprit national ; 2.o rapprocher les époques où les nouveaux élèves pourront sur-le-champ participer aux différens cours ; 3.o seconder le zèle des Professeurs qui n’auraient pas l’habitude des méthodes d’enseignement. A cet effet, il les engage à subordonner toutes les sciences à un même plan ; il leur propose de |[3] diviser chacune d’elles en huit traités, dont chacun n’exigerait que six mois d’explications, et il donne, pour quelques-unes, les sommaires de ces traités.

Je vous invite à examiner cet opuscule ; et s’il vous paraît atteindre son but, je pense que vous profiterez avec empressement des moyens qu’il présente pour rendre l’enseignement aussi uniforme, aussi méthodique qu’il doit l’être.

Je vous ai rappelé une demande à laquelle j’attache un intérêt particulier ; je vous ai entretenus (cet article s’adresse spécialement aux Professeurs d’histoire) de l’ouvrage du C.en Mentelle et des réflexions qu’il m’a suggérées ; je vous ai présenté l’aperçu d’un autre ouvrage, qui peut être pour vous d’une utilité générale. Il me reste à vous faire part de mes idées sur un sujet qui semble former le complément de vos travaux, savoir, le choix des livres à distribuer, comme récompenses, à la clôture des écoles et dans les fêtes nationales.

Rien de plus convenable, sans doute, que de donner, en forme de prix, de nouvelles sources d’instruction aux élèves ; et je suis persuadé qu’en adoptant cet usage déjà reçu, vous avez écarté avec scrupule tous les livres écrits sous la dictée des anciens préjugés et de l’esprit de secte, plus propres, par conséquent, à égarer le jugement qu’à le mûrir, à détruire l’effet de vos leçons qu’à les faire fructifier.

Je me permettrai cependant, toujours dans la vue d’établir cette uniformité à laquelle nous devons tendre par-dessus toutes choses, de vous indiquer les ouvrages que je crois les plus applicables à cette destination.

Dans la partie du dessin, Winkelmann, Mengs, Caylus, ont laissé des ouvrages trop connus pour avoir besoin d’être spécifiés. On peut y ajouter le Traité de perspective, à l’usage des Artistes, par Jaurat ; l’Anatomie à l’usage des Peintres et Dessinateurs, de Sue ; la nouvelle Iconologie, ainsi que les divers recueils de dessins gravés d’après les maîtres célèbres.

Dans l’histoire naturelle, le nom de Buffon est le premier que semble réclamer la gloire nationale : à défaut de la totalité de son ouvrage, qui serait trop considérable, on peut se procurer ses discours imprimés séparément ; ses Époques de la Nature ; les plus beaux passages de ses écrits, réunis sous le titre de Génie de Buffon. Nous placerons au même rang, Réaumur, Bonnet (principalement sa |[4] Contemplation de la Nature, et ses Considérations sur les Corps organisés), Tournefort, Jussieu, et sur-tout Linné, dont l’étonnante sagacité a si fort étendu les limites de l’histoire naturelle. Vous distinguerez aussi le Dictionnaire de Bomare ; la dernière édition du Manuel du Naturaliste ; celui du Botaniste ; le Tableau des systèmes de Botanique, généraux et particuliers, par Mouton-Fontenille ; la Flore française, par Lamark ; le Tableau élémentaire de l’histoire naturelle des animaux, par Cuvier ; la Sciagraphie, ou Manuel du Minéralogiste, par Bergmann ; le Tableau minéralogique, par Daubenton ; les Élémens d’Histoire naturelle, par Millin. Sous le point de vue moral de la science, les Études de la nature, de Bernardin de Saint-Pierre, ont droit de figurer dans cette liste.

Dans les langues anciennes, nous devons à Brumoy, Larcher, Bitaubé, Auger, Dupui, Dutheil, Gin, Gail, de bonnes traductions des Auteurs grecs. Il est naturel de distinguer dans leur nombre celle des harangues de Démosthène, modèles à jamais illustres de l’éloquence des Républicains. La partie des traductions des Auteurs latins nous offre Delille, Lagrange, Lemonnier, Dusaulx, qui ont presque atteint le mérite de l’originalité. Le savant Brunck a donné des éditions de Poëtes grecs, non moins recommandables par leur correction que par leur élégance : les jeunes amateurs de cette belle langue ne pourront qu’être flattés de les posséder ; il en est de même des éditions des classiques latins de Barbou.

Il suffit, dans les mathématiques, de nommer Euler, Dalembert, Maupertuis, Clairaut, Bezout, Bossut, Cousin, Lagrange, Laplace : l’Histoire des Mathématiques, par Montucla ; les nouvelles Tables des Logarithmes stéréotypées, par Callet, s’associeront très-bien aux ouvrages de ces savans.

Vous avez à choisir, dans la physique et la chimie, entre Nollet, Brisson, Sigaud-Lafont, Macquer, Lavoisier, Fourcroy, Chaptal.

En fait de grammaire générale, il est difficile de méconnaître l’utilité des travaux de Locke, de Condillac et de Dumarsais. Court de Gébelin a extrait de son grand ouvrage sur le Monde primitif, un morceau infiniment recommandable, qui a pour titre, Histoire de la parole. A côté de cette production, se placent naturellement le Traité de Debrosses sur la formation mécanique des langues, et l’Hermès de Harris, traduit en dernier lieu par Thurot.

Nous avons, jusqu’à présent, un bien petit nombre d’ouvrages |[5] historiques composés dans des intentions républicaines. L’adulation pour les rois et les hommes puissans, le dédain pour les classes laborieuses, souillent la plupart de nos histoires prétendues nationales ; et le même défaut se retrouve chez presque tous les Historiens étrangers. Il n’y a guère que l’Essai de Voltaire sur l’Histoire générale, l’Histoire philosophique et politique du Commerce des Européens dans les deux Indes, celle d’Angleterre, par M.me Macaulay ; les Recherches philosophiques de Paw, les Observations de Mably sur l’Histoire de France, qui respirent sans mélange cet esprit de liberté consacré par notre révolution. Vous n’exclurez cependant ni Vertot, ni Robertson. Vous accueillerez aussi les Tables chronologiques de Blair. Vous n’oublierez point que les bons Voyagesappartiennent à l’histoire, et celui d’Anacharsis sera un des premiers sur lesquels s’arrêtera votre choix. Il ne sera pas hors de propos d’y joindre les Atlas les plus estimés, et la dernière édition du Dictionnaire de Vosgien.

La France est si riche en chef-d’œuvres littéraires, qu’il serait trop long de les détailler. Le seul point auquel nous devions nous attacher à cet égard, est d’écarter des yeux de la jeunesse républicaine, certains de ces ouvrages où elle rencontrerait à chaque ligne des idées et des maximes opposées à la doctrine de la liberté et de la raison. Vous accorderez constamment la préférence aux œuvres immortelles de Corneille, Despréaux, Molière, Racine et Voltaire ; à Télémaque, aux Fables de la Fontaine, aux Saisons de Saint-Lambert ; et si vous jugez à propos d’y mêler quelques ouvrages de précepte ou de théorie, vous réserverez cet honneur aux Dialogues sur l’Éloquence, par Fénélon ; au Cours de Belles-Lettres, de Batteux ; aux Élémens de littérature, de Marmontel ; au Recueil de règles et d’exemples sur la prosodie française, la versification et le style figuré, récemment publié chez Desessarts.

Dans la partie de la législation et de la morale, quelques livres excellens vous sont recommandés par leur réputation. Filangieri, Beccaria, Montesquieu, Rousseau, ont laissé sur la première de ces sciences des ouvrages avec lesquels les élèves ne sauraient trop se familiariser. Je puis vous citer encore la Politique d’Aristote, traduite par Champagne, la Morale universelle de Dholbach, les Principes de morale par Saint-Lambert ; et sous le point de vue de l’économie politique, la Richesse des Nations par Smith.

Cet aperçu, joint aux ouvrages distribués par ordre du Gouvernement, offre une assez grande latitude pour les prix des Écoles centrales. |[6] C’est à vous, Citoyens Professeurs, de diriger, d’après cette base, le choix des Administrations, dont l’attention pourrait en être détournée par la variété de leurs fonctions journalières.

En exerçant la même surveillance à l’égard des livres qui pourront être décernés comme récompense dans les fêtes nationales, vous adopterez, à ce que j’espère, une idée dont l’exécution peut devenir très-utile et ne présente aucune espèce d’inconvénient.

Il s’agit d’approprier ces livres au genre d’industrie et de commerce des lieux où ils seront distribués. Ainsi, dans les contrées favorables à l’économie rurale, on s’attacherait à donner les ouvrages de Duhamel, de Rozier, de Miller, celui de Daubenton sur l’éducation des troupeaux : dans les pays où le commerce est principalement en honneur, le Parfait Négociant, de Savary, les Élémens du Commerce, par Forbonnais : dans les villes de manufactures, le Dessinateur pour les fabriques d’or, d’argent et de soie, par Joubert ; l’Art du Peintre, Doreur-Vernisseur, par Vatin ; les Élémens de l’art de la Teinture, par Berthollet ; l’Essai sur l’Horlogerie, par F. Berthoud : dans les Départemens maritimes, le Traité du Navire, par Bouguer ; la Théorie complète de la construction et de la manœuvre des vaisseaux, par Euler ; l’Astronomie nautique et les autres ouvrages de Lemonnier.

Tel est, en général, le plan que j’ai cru devoir vous proposer : je laisse à votre sagacité le soin de faire des applications plus strictement locales. Vous jugerez, en même temps, que dans plusieurs circonstances il ne faudra point se borner à ce seul point de vue. Il est une multitude d’ouvrages intéressans pour la formation de l’esprit public, qui revendiquent une place honorable dans ces distributions : vous y admettrez, par exemple, les Vies des Hommes illustres de Plutarque, dont il paraît en ce moment une édition plus concise, par Desessarts, et un abrégé par Acher ; la Vie du général Hoche, par Rousselin ; l’Éloge historique du général Marceau, la Campagne de Buonaparte en Italie, les Tableaux des Campagnes des Français.

Bientôt sans doute nos fêtes nationales prendront le caractère qu’elles doivent avoir. Bientôt, à l’exemple des Grecs lorsque la civilisation eut épuré leur goût, nous y appellerons le concours et la lutte des talens. Nos Hérodotes, nos Pindares, viendront y lire ou y réciter leurs chef-d’œuvres, en présence d’un peuple nombreux et de leurs pairs érigés en juges. Quel autre prix offrir alors au vainqueur, proclamé au milieu de ses rivaux et par eux-mêmes, que les modèles qu’il aura tâché d’égaler ?

|[7] Voilà, Citoyens Professeurs, les principales observations dont ce sujet m’a paru susceptible. J’ose attendre de votre zèle que vous les mettrez à profit, que vous les rendrez, en quelque sorte, populaires. Sous un Gouvernement fondé lui-même sur les progrès des lumières, tous les Citoyens ont intérêt à se persuader que les dons les plus précieux qui puissent leur être publiquement décernés, ce sont les fruits de la méditation et du génie, ces livres, l’honneur de l’esprit humain, qui doivent un jour soumettre tous les hommes au seul empire de la raison, et leur apprendre à faire concourir les facultés de chacun au bonheur de tous.

Salut et Fraternité.

LETOURNEUX.

 

 

 

 

P.S. Je dois vous recommander, ainsi qu’aux C.ns Bibliothécaires des Écoles centrales, de m’accuser exactement la réception des livres et autres objets qui vous parviennent au nom du Gouvernement. Ce soin mettra à portée de réparer des oublis involontaires, et de répondre aux réclamations d’une manière prompte et satisfaisante.

 

Document conservé au Centre historique des Archives nationales, Paris, Cote :

F17/1338/Dossier 4.