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Récapitulation de cette Neuvième Leçon.

 

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# Récapitulation
de cette Neuvième Leçon.

 

Nous avons vû dans cette leçon que la forme ou figure de raisonnement la plus parfaite, selon les principes des logiciens, c’est 1.o le Syllogisme, dans lequel on déduit une proposition de deux autres qui l’ont précédée, et qui en renferment les idées ou les élémens. Cependant je vous ai fait remarquer que cette manière de procéder, a quelque chose d’âpre, de roide et d’empésé qui fait fuir le goût et les grâces. On ne peut se la permettre hors de l’école, que dans les momens où l’on est fort intéressé à ne laisser aucun faux-fuyant à la mauvaise foi et à l’opiniatreté : encore même en ce cas l’auteur qui cherche à semer quelque agrément dans ses écrits, a-t-il soin de présenter ses trois propositions dans un ordre différent de celui des logiciens ; soit qu’il place au premier rang la conclusion dont les deux autres qui viennent ensuite, offrent |[85] la preuve ; soit qu’il commence par la proposition qui est la plus susceptible de détails ou de dévéloppemens ultérieurs : mais c’est au genre dans lequel on écrit, au but que l’on se propose, au ton que l’on a adopté, et à l’intérêt du moment, à indiquer à l’homme de goût, cequi convient le mieux à cet égard.

2.o Au lieu du Syllogisme, on emploie communément l’enthymème, qui n’est, comme nous l’avons dit, qu’un Syllogisme tronqué, et dans lequel on omet la moins importante ou la plus facile à suppléer des deux premières propositions. Cette seconde manière de raisonner est serrée et rapide : elle laisse quelque chose à la pénétration et à la bonne foi de ceux à qui l’on parle : elle se ressent par conséquent bien moins de la pédanterie de l’école. Aussi les hommes de goût s’en servent-ils sans repugnance, lorsqu’il s’agit d’établir quelque point contesté. Comme néanmoins il y reste encore un peu de vernis scholastique, on a soin de n’y récourir que rarement et bien à propos, |[86] et même d’adoucir la forme qui distingue les deux propositions, et qui établit l’une comme principe, et en déduit l’autre comme conséquence. On dit, par exemple : J’ai pû le conserver ; ne pourrai[s]-je pas le perdre ? au lieu de dire, ... J’ai pû le conserver, donc je pourrais le perdre ... On dit de même : Vous accordez les charges à des hommes qui en sont indignes ; vous les réfusez à ceux qui les méritent... au lieu de dire : donc vous ne devez pas les réfuser à ceux qui les méritent.

3.o Une forme de raisonnement beaucoup plus pressante encore que l’enthymème, et bien plus propre à figurer même dans les genres d’ouvrages les plus exclusivement consacrés à l’agrément ; c’est le dilemme, qui consiste à faire une division exacte de toutes les considérations dont l’adversaire peut se prévaloir, et à détruire en peu de mots l’effet de chacune de ces considérations. La nature de cet argument est de fermer toutes les issues par où l’adversaire peut s’échapper. Il faut donc que la division soit complete et entière, et que les réponses à chaque article soient bien sensibles et bien justes ; sans quoi le dilemme sera faux et ridicule. Mais si le dilemme est exact, il n’y a |[87] pas d’autres moyens de le réfuter, que de le rétorquer.., « Quelle que soit l’issue du jugement, vous me payerez », disait un Rhéteur à son disciple, qui réfusait de lui remettre, pour prix de ses leçons, la somme qu’il avait promise, pour le jour où il aurait plaidé sa première cause, supposé néanmoins qu’il l’eût gagnée, « car, ou vous perdrez votre cause, ou vous la gagnerez : si vous la perdez, vous me payerez en vertu de la sentence ; et si vous la gagnez, vous me payerez en vertu de notre convention... Quelle que soit l’issue du jugement, je ne vous payerai point, rêpondit le disciple ; car si je perds ma cause, je ne vous devrai rien en vertu de notre convention ; et si je la gagne, je ne vous devrai rien en vertu de la sentence des juges... »

4.o Les philosophes nous fournissent une quatrième forme de raisonnement qu’on appelle Sorite, et qui consiste dans une suite de propositions en plus grand, ou en plus petit nombre, et dans lesquelles l’attribut de la première devient le sujet de la seconde, l’attribut de la seconde le sujet de la troisième, et ainsi de suite jusqu’à la dernière, que l’on annonce par les mots |[88] donc, ainsi, ou autres semblables, et qui a le même attribut que la proposition précédente, et le même sujet que la première de toutes. On en voit un exemple dans le raisonnement qui suit : « Nos vertus sont plus utiles, et plus agréables à la société que nos talens : ceque nous avons de plus utile et de plus agréable à la société, c’est cequi nous attire plus sûrement la bienveillance des autres hommes : la bienveillance des autres hommes est cequi contribue le plus à notre bonheur ; ainsi, nos vertus contribuent plus à notre bonheur, que nos talens ». Dans ces sortes de raisonnemens, il faut tâcher d’adoucir la forme scholastique, sans affaiblir la pensée ; et surtout d’éviter toutes ces répétitions, qui donnent un air pédantesque au discours.

5.o Après le Sorite, les philosophes placent plusieurs autres sortes d’argumens, dont les orateurs font un usage bien plus fréquent que de ceux qui précédent : ce sont l’induction, l’argument conditionel, l’argument personel, l’argument du plus au moins, l’argument du moins au plus, et l’argument de parité. Au reste, |[89]j’indique les forme[s] de raisonnement les plus connues, sans prétendre épuiser la matière ; car chaque espèce de rapport peut fournir une espèce de preuve ; et chaque espèce de preuve peut nous donner autant de sortes d’argumens qu’elle peut admettre de formes différentes.

L’induction, n’est autre chose qu’une conséquence tirée de plusieurs faits que l’on avance comme analogues à celui que la conclusion énonce ; ou bien une pensée générale déduite de plusieurs faits particuliers, considérés comme suites naturelles et nécessaires de la vérité de cette pensée générale ou comme y appartenant de la même manière, que les parties appartiennent au tout. Rien n’est plus ordinaire et plus aisé que d’abuser de l’induction ; cet argument dégénère d’autant plus souvent en sophisme, qu’il est à la portée de tous les esprits, qu’il se présente des premiers dans presque tous les sujets que l’on veut traiter ; et que le fonds et la forme en sont plus agréables et plus propres à faire illusion.

6.o L’argument conditionel est celui où l’on avoue d’abord que la conséquence que l’on a en vûe serait fausse, si le principe lui-même n’avait pas lieu ; et |[90] [et] cela afin de faire mieux sentir la vérité de cette même conséquence en affirmant ensuite le principe, et en en fesant sentir toute la réalité : c’est ainsi que Cassius dit à Brutus, dans la mort de César...

« Si tu n’étais, qu’un citoyen vulgaire,
je te dirais : vas, sers, sois tyran sous ton père,
ecrase cet état que tu dois soutenir ;
Rome aura desormais deux tyrans à punir :
mais je parle à Brutus, à ce puissant génie,
à ce héros armé, contre la tyrannie,
dont le coeur inflexible, au bien déterminé,
épura tout le sang, que César t’a donné. »

Cet exemple prouve combien cet argument a de force, combien il est imposant et oratoire, lorsqu’il est heureusement employé.

7.o L’argument personel est celui dans lequel on rétorque contre l’adversaire les paroles qu’il a dites, ou les actions qu’il avoue ; comme on le voit dans la réponse de Cicéron à Antoine, lorsque celui-ci l’accusa d’avoir trompé dans la conjuration contre César, et dit pour prouver ce fait... ... Brutus, que je cite ici par honneur ; tenant le poignard encore tout sanglant, appella Cicéron... « Admirez, repliqua l’orateur, admirez la stupidité de mon |[91]accusateur ! Il cite ici par honneur celui qui venait d’enfoncer le fer dans le sein de César, et il traite de scélérat celui qu’il soupçonne d’avoir eû quelque connaissance de la conspiration ![ »] Cet argument conduit au sarcasme et à l’injure ; d’où il suit qu’il est en général plus pressant que noble.

8.o Les trois autres espèces d’argumens sont définis par leur dénomination même ; ainsi nous nous contenterons d’en donner des exemples : ... On argumente du plus au moins, lorsqu’on dit, ... « Si l’on pardonne aux chefs du complot, à ceux qui en ont conçu le dessein, et formé le plan, à ceux qui en ont conduit l’entreprise, et qui en devaient rétirer l’avantage ; punira-t-on ceux qui n’ont été que les instrumens aveugles de leur ambition, et qui même en fesant le mal, n’étaient animés que du désir de faire le bien ? ... »

9.o On argumente du moins au plus lorsqu’on dit, ... « Vous ignorez même cequi se passe en vous ; et vous voudriez découvrir cequi se passe dans les autres ! Les secrets de l’homme vous échappent, et vous prétendez saisir les secrets de la nature et de son auteur ! »

|[92] 10.o Ces trois sortes d’argumens nous fournissent On fait un argument de parité lorsqu’on dit .... « Clytemnestre osa bien s’armer pour un grand crime ; imitons sa fureur ! ... César, vainqueur de Rome, pardonna à ses ennemies ; pardonnez aux vôtres, vous qui n’avez plus à les craindre !... »

Ces trois sortes d’argumens nous fournissent d’heureux moyens de persuasion, et peuvent répandre autant de variété que d’agrémens dans le style ; mais ils ne portent que sur des ressemblances ou analogies, et par conséquent ils touchent de près à l’écueil que nous venons d’indiquer en parlant de l’induction.

L’accumulation des rapports qui se croisent ou s’attirent l’un l’autre, nous conduit quelques fois à des formes d’argumens plus compliqués que ceux que nous venons de voir, c’est-à-dire à des formes de raisonnemens qui renferment un plus grand nombre de propositions, et les combinent autrement. Tel est celui que quelques personnes ont appellé argument ?? à cinq parties, espèce de |[93] Syllogisme, dans lequel les deux premières propositions sont suivies chacune de ses preuves particulières. Mais on conçoit que pour faire rentrer ces sortes d’argumens dans l’une ou l’autre des espèces qui précédent, il ne faut que les simplifier, ou diviser ; opération qui, le plus souvent, est très-facile, et sur laquelle par conséquent il serait inutile de nous arrêter./