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Leçons préliminaires.

Table des matières Discours préliminaire. Leçons préliminaires.

 

 

 

Grammaire.
Première partie.
Grammaire.
Seconde partie.
Troisième partie.
De la syntaxe.

 

 

 

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Leçons préliminaires.

 

Chapitre premier.

Des Différentes espèces d’idées.

 

§ 1er Comment nous acquérons des idées.

 

Lorsque les corps sont présens nous les connoissons par les sensations qu’ils font sur nous, lorsqu’ils sont absens nous les connoissons par le souvenir des sensations qu’ils ont faites ; nous n’avons pas d’autre manière de les connoître.

Ce sont donc les sensations qui nous représentent les corps, ce sont elles qui nous les représentent lorsqu’elles existent actuellement dans l’ame ; et ce sont elles encore qui les représentent lorsqu’elles ne subsistent que dans le souvenir que nous en conservons.

Les sensations considérées comme représentant les corps se nomment idées, mot qui dans son origine n’a signifié que ce que no[u]s entendons par image.

Puisque les images qui nous représentent les corps ou les idées sont des sensations, autant nous avons de sensations différentes, autant nous avons d’idées ; et puisque nos sensations sont originairement nos seules idées, il ne nous est pas possible d’avoir des idées lorsque les sensations viennent à nous manquer. Un aveugle né n’a point d’idée des couleurs ; un sourd-muet n’a point d’idée des sons et si nous avions un sixième sens, nous aurions des idées que nous n’avons pas.

Les choses que nos idées ou nos sensations nous représentent dans les corps, se nomment qualités, manière d’être ou modifications. |4 qualités, parce que par elles les corps sont distingués les uns des autres, manière d’être, parce que c’est la manière dont ils existent ; modifications, parce qu’une qualité de plus ou de moins modifie un corps, c.a.d. produit quelques changemens dans sa manière d’exister. Les qualités qui sont tellement propre à une chose qu’elles ne sauroient convenir à une autre, se nomment propriétés. par exemple, éternel est une propriété qui ne convient qu’à Dieu.

Dès que les qualités distinguent les corps et qu’elles en sont des manières d’être, il y a dans les corps quelque chose que ces qualités modifient qui en est le soutien ou le sujet, que nous nous représentons dessous et que par cette raison nous appelons substance, du mot latin substare qui signifie être dessous.

Les sensations ne nous représentent pas ce quelque chose, nous n’en avons aucune idée ; mais puisque les qualités modifient, il faut bien qu’il y ait quelque chose qui soit modifié. Le mot substance est donc un nom donné à une chose que nous savons exister quoique nous n’en ayons point d’idée.

 

 

§ 2 Manière d’analyser les corps.

 

Si vous vouliez connoître l’intérieur d’une montre, vous la démonteriez, ou décomposeriez : vous arrangeriez avec ordre toutes ses parties devant vous ; vous examineriez séparément comment chacune est faite, comment l’une agit sur l’autre et comment le mouvement, communiqué par un premier ressort, passe de roue en roue jusqu’à l’aiguille qui marque les heures.

De même si vous voulez connoître un corps, vous le démonterez |5 pour ainsi dire, vous le décomp[oser]ez. Voyons comment se fait cette décomposition.

Aucun sens ne nous représente toutes les qualités que nous appercevons dans un corps : La vue représente les couleurs ; l’oreille les sons &c. En nous servant séparément de nos sens, les corps commencent donc à se décomposer. Nous observons successivement les différentes qualités comme nous observons successivement les parties d’une montre. Or puisque les sens nous représentent successivement les qualités ; il dépend de nous de les considérer les unes après les autres. Nous pouvons donc les observer comme si elles étoient séparées de la substance qu’elles modifient. Je puis par ex. penser à la blancheur, sans penser à la neige ou à tout autre corps blanc. Or la blancheur considérée séparément de tout corps est une idée abstraite. du mot latin abstrahere qui signifie séparer de.

Si par conséquent de toutes les idées qui me viennent par les sens, je fais autant d’idées abstraites, j’aurai la décomposition de toutes les qualités que je connois dans les corps, puisque je les aurai toutes séparées.

Comme on recompose une montre lorsqu’on rassemble les parties dans l’ordre où elles étoient avant qu’on l’eut démontée, on recompose l’idée d’un corps, lorsqu’on rassemble les qualités dans l’ordre dans lequel elles coexistent c.a.d. dans lequel elles existent ensemble.

Il est nécessaire de décomposer pour connoître chaque qualité séparément et il est nécessaire de recomposer pour ?? connoître le tout qui résulte /de la réunion/ des qualités connues.

Cette décomposition et recomposition est ce qu’on nomme Analyse. Ainsi analyser un corps c’est le décomposer pour en observer séparément les qualités et le recomposer pour saisir |6 l’ensemble des qualités réunies. Quand nous avons ainsi analysé un corps, nous le connoissons autant qu’il est en notre pouvoir de le connoître.

 

 

§ 3 Qualités absolues, qualités relatives.

 

Il y a dans chaque corps des qualités qu’on peut connoître sans le comparer avec un autre. Telle est l’étendue. Ces qualités se nomment absolues. Il y a aussi dans chaque corps des qualités qu’on ne peut connoître qu’autant qu’on le compare avec un autre, telle est la grandeur. Ces qualités se nomment relatives.

Pour connoître les corps, il ne suffit pas d’en observer les qualités absolues ; il faut encore en observer les qualités relatives et par conséquent, il faut à mesure qu’on les analyse les comparer les uns avec les autres.+

 

[Note en marge : ] /+ A la rigeur [sic] on peut dire que dans notre esprit toutes les qualités des choses sont relatives. Comme nous n’acquérons des connoissances qu’autant que nous comparons, il ne nous est pas possible de considérer des qualités comme absolues : Nous les voyons toujours dans les rapports qu’elles ont avec des qualités contraires. Nous jugeons par ex. de la mobilité par comparaison avec une chose qui est en repos, de la solidité par comparaison avec une chose qui est fluide &c./

 

 

§ 4 Ordre à suivre dans nos comparaisons.

 

Mais il y a un ordre à suivre dans nos comparaisons. Il est évident que nous confondrons tout si nous ne nous conduisons pas avec quelque méthode.

Si je veux faire usage de ma bibliothèque, je mets dans un endroit les livres d’histoire, dans un autre les livres de poésie &c. je distingue ensuite l’histoire en histoire ancienne et en histoire moderne. L’histoire moderne en histoire de france, en histoire d’Espagne, &c. par là je fais de mes livres différentes collections que j’appelle classes. |7 Les classes d’histoire ancienne et d’histoire moderne sont des subdivisions de la classe que j’ai nommée livres d’histoire, comme les classes d’histoire de france, histoire d’Espagne sont des subdivisions de la classe que j’ai nommée histoire moderne.

J’appelle classes subordonnées les unes aux autres, les classes qui se forment par une suite de subdivisions. Ainsi les classes d’histoire de france, d’histoire d’Espagne sont subordonnées à la classe d’histoire moderne, comme les classes d’histoire moderne et d’histoire ancienne sont subordonnées à la classe de livres d’histoire. Il est certain que quand j’aurai classé de la sorte tous mes livres, il me sera plus facile de les retrouver.

C’est ainsi que nous classons les choses à mesure que nous les observons et par ce moyen, nous nous faisons différentes espèces d’idées.

 

 

§ [5] Nos premières idées sont d’abord individuelles puis générales, ensuite particulières.

 

Chaque chose est une et on l’appelle par cette raison singulière ou individuelle. Pierre et Paul par ex. sont deux individus.

Un enfant à qui on dit que Pierre est un homme remarquera que Paul est un homme également parce que Paul ressemble à Pierre. Bientôt il appliquera le nom |8 d’homme à tous les individus qui ressemblent à Pierre et à Paul et alors il aura fait une classe de tous ces individus.

Quand il remarquera que parmi les hommes il y a des militaires, des magistrats, des marchands, des artisans &c. la classe qu’il désignoit par le mot homme se subdivisera en plusieurs autres classes qu’il distinguera par des noms différens.

De même quand il considérera ce que les hommes ont de commun avec les chiens, les chevaux &c. et qu’il remarquera que les hommes, les chiens, les chevaux, quand on n’a égard qu’à ce qu’ils ont de commun se désignent tous par le nom d’animal, alors il jugera qu’homme, chien, cheval ne sont que des subdivisions de la classe d’animal et il mettra dans cette classe tous les animaux à mesure qu’il aura occasion de les remarquer.

Magistrat ne se dit que d’une partie des individus qu’on désigne par le nom d’homme. Or on nomme générale la classe qui comprend le plus grand nombre d’individus et on nomme particulière, la classe qui n’en comprend qu’un certain nombre. Magistrat est donc une classe particulière par rapport à homme et homme e[s]t une classe générale par rapport à magistrat, militaire &c.

|9 Mais comme la classe d’homme est générale par rapport aux classes dans lesquelles on la subdivise, elle est elle même une classe particulière par rapport à animal ? la classe dont elle est une subdivision. Homme est donc une classe particulière par rapport à animal ; et animal est une classe générale par rapport à homme, chien, cheval.

On donne encore à ces classes les noms de genre et d’espèce, et l’on comprend sous le nom de genre les classes générales et sous le nom d’espèce les classes particulières. par ex. magistrat, militaire sont des espèces par rapport à homme et homme qui est un genre par rapport à magistrat, militaire, est une espèce par rapport à animal.

 

 

§ 6 On classe les qualités de la même manière que les objets sensibles.

 

Comme on classe les objets sensibles, on classe aussi leurs qualités. Quand on considérera par ex. les qualités par rapport aux sens qui nous en donnent la connoissance on en distinguera en général de cinq espèces. Chacune de ces espèces deviendra un genre par rapport aux classes dans lesquelles elle sera subdivisée. Couleur par ex. est un genre par rapport aux qualités qui nous sont connues par la vue, et les couleurs se subdivisent en |10 plusieurs espèces, blanc, noir, rouge &c.

Classer ainsi les choses, c’est les distribuer avec ordre. Alors nous pouvons remonter de classe en classe depuis l’individu jusqu’au genre qui comprend toutes les espèces comme nous pouvons descendre de ce genre jusqu’aux individus.

Ce n’est donc qu’afin de pouvoir, à notre choix, aller de l’espèce au genre, et revenir du genre à l’espèce que nous distribuons les choses dans des classes subordonnées. Sans cette distribution, toutes nos idées se confondroient et il nous seroit impossible d’étudier la nature.

Quand cette distribution est faite nos idées se trouvent d’elles mêmes distribuées par classes, comme les choses que nous avons observées. Alors nous avons des idées singulières ou individuelles qui nous représentent les individus : des idées particulières qui nous représentent les espèces ; et des idées générales qui nous représentent les genres. L’idée, par ex. que j’ai de Pierre est singulière ou individuelle et comme l’idée d’homme est générale par rapport aux idées de magistrat, militaire &c. elle est particulière par rapport à /l’idée/ d’animal.

Après avoir vu comment nos idées se forment de connoître ce qu’elles sont chacune en elles mêmes. Un homme en général, une couleur ne peuvent tomber sous les sens, nous ne pouvons voir que tel homme, telle couleur. En un mot, nous ne voyons que des individus.

|11 Dès que les sens ne nous offrent que des individus, nous ne pouvons avoir à parler à la rigeur [sic] que des idées individuelles. Que sont donc les idées générales ? Ce sont les noms des classes que nous avons faites à mesure que nous avons senti le besoin de distribuer nos connoissances avec ordre. Que représentent ces idées ? Elles ne représentent que ce que nous appercevons dans les individus mêmes. L’idée générale d’homme, ne représente que ce que nous voyons de commun dans Pierre et Paul &c. C’est pourquoi je dis qu’à parler à la rigeur nous n’avons que des idées individuelles. En effet nous n’appercevons dans les idées générales que ce que nous appercevons dans les individus.

 

 

Chapitre II.

Des Opérations de l’ame.

 

§ 1er L’attention.

 

On nomme en général objet tout ce qui s’offre aux sens ou à l’esprit. Lorsque vous jettez indifféremment les yeux sur tous les objets qui se présentent à vous, vous ne remarquez pas plus les uns que les autres. Mais si vous fixez les yeux sur l’un d’eux, vous remarquez plus particulièrement les sensations qu’il fait sur vous, et vous ne vous appercevez plus |[12] des sensations que les autres vous envoient. Or les sensations que vous remarquez plus particulièrement vous font connoître ce qui se passe en vous, lorsque vous donnez votre attention.

L’attention suppose donc deux choses, l’une de la part du corps, l’autre de la part de l’ame. De la part du corps, c’est la direction des sens ou des organes sur un objet ; de la part de l’ame, c’est la sensation même que cet objet fait sur vous, et que vous remarquez plus particulièrement.

La direction des organes qui fait que vous remarquez plus particulièrement une sensation, n’est que la cause de l’attention. C’est uniquement dans votre ame que l’attention se trouve, et elle n’est que la sensation particulière que vous éprouvez.

Ainsi, lorsque de plusieurs sensations qui se font en même temps sur vous, la direction des organes vous en fait remarquer une de manière que vous ne remarquez plus les autres, cette sensation devient ce que nous appelons attention.

L’attention peut se porter sur un objet, |[13] sur une partie ou seulement sur une qualité. Dans tous ces cas, elle n’est jamais qu’une sensation qui se fait remarquer et qui fait disparoître les autres.

Comme l’attention, donnée à un objet présent n’est que la sensation plus particulière qu’il fait sur vous, l’attention, donnée à un objet absent, n’est que le souvenir des sensations qu’il a faites. Souvenir qui est assez vif pour se faire remarquer, et qui n’est lui même qu’une sensation plus ou moins distincte.

 

 

§ 2 La Comparaison.

 

Donner tout à la fois votre attention à deux objets, c’est les remarquer en même temps. Or les remarquer en même temps c’est les comparer. La comparaison n’est donc que l’attention donnée à deux choses.

Vous pouvez comparer deux objets présens, deux objets absens, ou un objet présent avec un objet absent. Dans tous ces cas, la comparaison n’est jamais que l’attention donnée aux idées que vous avez de deux choses. c.a.d. aux sensations que les objets font sur vous, s’ils sont présens et au souvenir des sensations qu’ils ont faites, s’ils sont absens.

Dire que nous donnons notre attention à deux choses |[14] c’est dire qu’il y a en nous deux attentions. La comparaison n’est donc qu’une double attention.

Nous venons de voir que l’attention n’est qu’une sensation qui se fait remarquer. Deux attentions ne sont donc que deux sensations qui se font également remarquer également ; et par conséquent il n’y a dans la comparaison que des sensations.

Mais, pourroit-on demander, si l’attention nest que sensation, comment donnons-nous notre attention ? que signifie ce langage, donner son attention.

Il signifie que si l’objet est présent, nous dirigeons nos sens sur lui pour recevoir d’une manière plus particulière les sensations qu’il fait et pour les recevoir en quelque sorte, à l’exclusion de tout autre. Aussi avons-nous remarqué que la direction des sens est la cause de l’attention.

Mais nous ne pouvons pas diriger nos sens sur un objet absent ; comment donc alors donnons-nous notre attention ?

Je réponds que nous ne donnons notre attention à un objet absent, qu’autant que le souvenir qui s’en retrace à notre esprit a prévenu notre attention ; car nous n’y penserions pas, si nous ne nous en souvenions point du tout.

|[15] Or quand le souvenir s’en retrace, il suffit, pour y donner notre attention, que nous ne la donnions pas à autre chose. Car alors ce souvenir sera la sensation que nous remarquerons plus particulièrement.

 

 

§ 3 Le Jugement.

 

Lorsque vous comparez deux objets, vous voyez qu’ils font sur vous les mêmes sensations ou des sensations différentes : vous voyez donc qu’ils se ressemblent ou qu’ils diffèrent. Or c’est là juger. La comparaison renferme donc le jugement ; et par conséquent, il n’y a dans le jugement, comme dans la comparaison que ce que nous appelons sensation.

Les choses ne peuvent que se ressembler ou différer. Nos jugemens ne découvrent donc dans les objets que des ressemblances ou des différences, des égalités ou des inégalités. Vous mettez une feuille de papier sur une autre, et vous jugez si elles sont égales ou inégales en grandeur. Vous les placez l’une à côté de l’autre, et vous jugez si elles se ressemblent par la couleur, ou si elles diffèrent. Or, les rapprocher ainsi, pour juger de leur égalité ou de leur inégalité, de leur ressemblance ou de leur différence, c’est ce qu’on appelle les rapporter l’une à l’autre et, en conséquence, on dit qu’elles ont des rapports de ressemblance ou de différence, d’égalité ou |[16] d’inégalité. Voilà les rapports les plus généraux sous lesquels on peut considérer les choses.

 

 

§ 4 La réflexion.

 

Vous pouvez conduire successivement votre attention sur plusieurs choses, sur plusieurs parties de la même, ou sur plusieurs qualités ; et à mesure que vous la conduisez ainsi vous pouvez comparer ces choses, ces parties, ces qualités et en juger. Lorsque l’attention fait de la sorte une suite de comparaison, et porte une suite de jugemens, vous remarquez qu’elle réfléchit en quelque sorte d’une chose sur une autre, d’une partie sur une partie, d’une qualité sur une qualité. Alors elle prend le nom de réflexion. La réflexion n’est donc que l’attention qui va et revient d’une idée à une autre, jusqu’à ce que nous ayons assez observé et assez comparé pour juger de la chose que nous voulons connoître.

 

 

§ 5 L’imagination.

 

Votre attention peut se porter sur le souvenir d’un objet absent, et vous le représenter comme présent. Elle peut aussi se porter, par ex. d’un côté sur l’idée d’homme et de l’autre sur l’idée de [?condée/?coudée ], et faire des deux une seule idée. Dans l’un et l’autre cas, l’attention prend le nom d’imagination. |[17] C’est pourquoi on dit qu’un homme à imagination est un esprit créateur. En effet de plusieurs qualités que l’auteur de la nature a répandues dans différens objets, il en fait un seul tout, et il crée des choses qui n’existent que dans son esprit.

 

 

§ 6 Le raisonnement.

 

Un homme vertueux mérite d’être récompensé. Pierre est un homme vertueux ; donc Pierre mérite d’être récompensé. Voilà un raisonnement. Il est formé de trois jugemens qu’on appelle propositions.

Or puisqu’un jugement n’est que l’attention qui compare et qui apperçoit un rapport, il est évident qu’un raisonnement ne peut être que l’attention même, puisqu’il est formé de jugement. Il nous reste à considérer ce qu’il y a de particulier dans les jugemens dont un raisonnement est composé.

D’après l’exemple que je viens d’apporter, nous voyons que ce qui constitue un raisonnement, c’est que le troisième jugement est renfermé dans les deux premiers : car lorsque je dis : Pierre est un homme vertueux, et un homme vertueux mérite d’être récompensé. C.a.d. que Pierre mérite d’être récompensé. La chose est sensible à l’œil. Voilà |[18] pourquoi celui qui a apperçu la vérité des deux premiers jugemens, ne peut pas nier le 3e. Il infère don[tc] que Pierre mérite d’être récompensé ; et en tirant cette conséquence, il ne fait qu’énoncer explicitement ce qu’il a déjà dit implicitement.

D’après cette explication, je dis qu’un raisonnement n’est que l’attention qui est déterminée à porter un troisième jugement, parce quelle le voit renfermé dans deux jugemens qu’elle a faits.

 

 

§ 7 L’entendement.

 

Comme l’oreille entend les sons, l’ame entend les idées ; et on dit l’entendement de l’ame. Or comment l’ame entend-elle les idées ? c’est en donnant son attention, en comparant, en jugeant, en réfléchissant, en imaginant, en raisonnant. L’entendement embrasse donc toutes ces opérations, il n’en est que le résultat.

On donne à ces opérations le nom de faculté et alors on ne veut pas dire qu’elles sont actuellement dans l’ame, on veut dire seulement que l’ame en est capable. Ce nom se donne aussi dans le même sens aux actions du corps. Nous avons la faculté de voir, de marcher, de comparer, de juger, parce que nous sommes |[19] capables de voir, de marcher, de comparer et de juger.

D’après ce que nous venons d’exposer dans ce paragraphe, on peut conclure que les opérations de l’entendement ne sont que la sensation même qui se transforme en attention, en comparaison, en jugement &c.

 

 

§ 8 Opérations qu’on rapporte à la volonté.

 

La privation d’une chose que vous jugez vous être nécessaire produit en vous un mal-aise ou une inquiétude en sorte que vous souffrez plus ou moins. C’est ce qu’on nomme besoin.

Le mal-aise détermine vos yeux, votre toucher, tous vos sens sur l’objet dont vous êtes privé. Il détermine encore votre ame à s’occuper de toutes les idées qu’elle a de cet objet, et du plaisir qu’elle pourroit en recevoir. Il détermine donc l’action de toutes les facultés du corps et de l’ame.

Cette détermination des facultés sur l’objet dont on est privé est ce qu’on appelle desir. Le desir n’est donc que la direction des facultés de l’ame, si l’objet est absent. Il enveloppe encore la direction des facultés du corps, si l’objet est présent.

|[20] Les desirs sont plus ou moins vifs à proportion que l’inquiétude, causée par la privation est plus ou moins grande. Car plus nous souffrons de la privation d’une chose, plus il y a de vivacité dans la direction des facultés du corps et de l’ame.

Les desirs prennent le nom de passions, lorsqu’ils sont vifs et continus c.a.d. lorsque nos facultés se dirigent avec force et continuent sur le même objet.

Si au desir de la chose dont on est privé on ajoute ce jugement, je l’obtiendrai, alors naît l’espérance. Ainsi l’espérance supporte la privation de la chose, le jugement qu’elle nous est nécessaire, et le jugement qu’on obtiendra.

Si à ce jugement, je l’obtiendrai, on substitue, Je ne dois point trouver d’obstacle, rien ne peut me résister. Le desir est alors ce qu’on nomme volonté. Je veux signifie donc je desire et je pense que rien ne peut contrarier mon desir.

|[21] Dans un sens plus général la volonté se prend pour une faculté qui embrasse toutes les opérations qui naissent du besoin, comme l’entendement est une faculté qui embrasse toutes les opérations qui naissent de l’attention.

 

 

§ 9 La faculté de penser.

 

Ces deux facultés la volonté et l’entendement se confondent dans une faculté plus générale, qu’on nomme la faculté de penser. Avoir des sensations, donner son attention, comparer, juger réfléchir &c. c’est penser. Eprouver un besoin, desirer, se passionner, vouloir &c. c’est encore penser. Enfin le mot pensée peut se dire en général de toutes les opérations de l’ame et de chacune en particulier, comme le mot mouvement s’applique à toutes les actions du corps.

Le mot penser vient du latin pensare qui signifie peser. On a voulu dire que comme on pèse des corps, pour savoir dans quel rapport le poids de l’un est au poids de l’autre, l’ame pèse en quelque sorte les idées, lorsque nous |[22] les comparons pour savoir dans quels rapports elles sont entr’elles.

Par là vous voyez que le mot penser a eu deux acceptions. Dans la 1ère qui est celle de peser, il est dit du corps et il étoit pris dans le sens propre : Dans la seconde qui est celle que nous lui donnons aujourd’hui, il a été transporté à l’ame et il se prend au figuré, ou comme on dit encore métaphoriquement. Les latins exprimoi[ent] la pensée par une autre métaphore. Ils se servoient dun mot qui signifie rassembler mettre ensemble ; parce qu’en effet les opérations de l’entendement et de la volonté demandent que l’ame rassemble les idées.

 

Grammaire