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Cinquième Leçon.

Manuel Des élèves du Cours de Grammaire-Générale Par Demandes et par Réponses.

Table des matières

 

|[36]

Cinquième Leçon.

51.

D.

En quoi consiste la pensée ou la faculté de penser ?

 

R.

C’est ici le plus grand et le plus important phénomène de notre être. Il consiste à recevoir des modifications, des impressions, et en avoir la conscience ; il est notre existence toute entière : car qu’est-ce qu’exister, si ce n’est le sentir.

52.

D.

D’où vient le mot de pensée ?

 

R.

Il vient du mot peser, comparer ; or comparer, c’est percevoir un rapport, mais un rapport n’est qu’une des différentes perceptions dont nous sommes susceptibles, et ce n’est pas la première. Percevoir des sensations, des souvenirs, des désirs, sont aussi des effets de notre faculté de penser :

53.

D.

J’ai une observation singulière à vous faire, c’est que la science qui nous occupe, n’a point encore de nom. Dites-nous un peu celui qui pourrait lui convenir ?

 

R.

C’est sans doute à l’avancement de cette |[37] science qu’est spécialement consacrée la chaire du Professeur de Grammaire-générale, dans les écoles centrales de la République, lequel est obligé de comprendre dans la première partie de son cours, l’analyse des sensations et des idées : mais cette périphrase n’est point un nom.

On pourrait lui donner celui de psycologie. Condillac y paraissait disposé : mais ce mot qui veut dire science de l’âme, pourrait supposer une connaissance de cet être que sûrement nous ne nous flattons pas de posséder.

Je préférerais donc de beaucoup que l’on adoptat le nom d’idéologie, ou science des idées.

54.

D.

Quelles raisons pourriez-vous nous donner de ce choix ?

 

R.

Cette dénomination est très-sage ; car il ne suppose rien de cequi est douteux, ou inconnu ; il ne rappelle à l’esprit aucune idée de cause. Son sens est très-clair pour tout le monde, si l’on ne considère que celui du mot idée ; car chacun sait cequ’il entend par une |[38] idée, quoique peu de gens sachent bien ceque c’est ; il est rigoureusement exact dans cette hypothèse ; car idéologie est la traduction littérale de science des idées.

55.

D.

Quelle est l’étimologie de ce nom ?

 

R.

Ce mot est encore très-exact, si l’on a égard à l’étimologie gréque du mot idée ; car le verbe εiδω, veut dire je vois, je perçois par la vûe, et même je sais, je connais ; le substantif εiδοs, ou εiδεα, que l’on traduit ordinairement par tableau, image, bien analysé, signifie donc réellement perception du sens de la vûe.

C’est sans doute sous ce rapport, qu’on l’a considéré quand on l’a transporté dans le latin et dans le français en le généralisant. On a fait abstraction de sa rélation particulière au sens de la vûe, comme on fait toutes les fois qu’on transporte une expression des choses sensibles, aux choses intellectuelles ; et le mot idée est venu véritablement synonime de celui de perception, soit que celui-ci dérive de capere, ou de |[39] perspicere, c’est-à-dire du sens du tact ou de celui de la vûe ; or puisque d’είδω, nous avons fait Idée, pour exprimer une perception en général, nous pouvons bien en faire idéologie, pour exprimer la science qui traite des idées ou perceptions et de la faculté de penser ou percevoir.

56.

D.

A quoi peut-on encore attribuer l’adoption presque générale de ce mot ?

 

R.

Ce mot a encore un avantage, c’est qu’en donnant le nom d’idéologie, à la science qui résulte de l’analyse des sensations, vous indiquez en même-tems le but et le moyen : c’est que vous ne cherchez la connaissance de l’homme que dans l’analyse de ses facultés.

57.

D.

Quels sont les auteurs qui s’occupent plus particulièrement de cette science ?

 

R.

Ce sont également les analystes et les phisiologistes. Nous plaçons aussi auprès d’eux les Grammairiens : car la formation des idées [?sert] de bien près, à celle des mots ; toute science se réduit à une langue |[40] bien faite ; et avancer une science n’est autre chose qu’en perfectionner la langue soit en changeant les mots, soit en précisant leur signification.

58.

D.

Comment appelleriez-vous les produits de cette faculté de penser ?

 

R.

J’appellerai indifféremment les produits de cette faculté, perceptions ou idées ; regardant ces deux mots comme absolum.t synonimes ; et quand même on persisterait à vouloir que le mot idée, emportat nécessairement la signification d’image, je le pourrais encore ; car l’image d’une perception en nous, est elle-même une perception, ou rien.

59.

D.

Comment l’âme peut-elle déméler cette multitude presque infinie de perceptions ?

 

R.

Quelques innombrables que soient ces perceptions, si nous les examinons avec attention, nous les voyons se ranger d’elles-mêmes, sous un petit nombre de classes. Leur génération n’est pas un labyrinthe dont on ne puisse trouver le fil. Quelques élémens peu nombreux, combinés par des opérations simples et continuellement répétées, produisent |[41] cette multitude presque infinie d’idées, comme un petit nombre de lettres, par leurs divers arrangemens, suffisent pour les réprésenter.

60.

D.

Comment s’opère cette merveille ?

 

R.

Lorsque nous analysons la faculté générale de penser ou de percevoir, nous trouvons qu’elle se décompose et se résout, pour ainsi dire, dans la faculté de percevoir des sensations, de percevoir des souvenirs, de percevoir des rapports, et de percevoir des désirs ; cette manière de l’envisager dans ces élémens, nous en dévoile tout le méchanisme.