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Lassale

 

Leçons de Grammaire générale,

par Paul-Benoît Barthe, professeur de l'École centrale du Gers

 

 

ESSAI

SUR LA GRAMMAIRE UNIVERSELLE,

 

SOUTENU à Auch par le citoyen Caprais LASSALE jeune, de Castelnau-Barbarens, élève du citoyen P. B. BARTHE, Professeur de Grammaire universelle dans l’école du département du Gers, l’an 7 de la République française.

 

 

§. PREMIER.

 

NOUS considérons la Grammaire comme la science des rapports de la pensée avec son expression. De là la division toute naturelle de cette science, en deux parties : l’une traite de la pensée en prenant ce mot dans toute sa latitude ; et l’autre, de l’expression de la pensée.

Nous exposerons donc ce que c’est qu’une sensation ; et ce que nous pensons sur la manière dont les sensations se produisent dans nous ; combien nous avons d’organes qui concourent à cette production ; ce que c’est que la sensibilité physique ; et comment elle differe de la sensibilité morale.

Nous nous sommes encore occupés dans cette première partie de notre traité, de la solution des questions que présentent les paragraphes suivans.

 

§. I I.

 

Nos sensations résident-elles dans la partie de notre corps qui est affectée par les objets étrangers ? Sont-elles dans ces objets ? Qui a-t-il dans les corps qui puisse déterminer l’espèce de sensation que |2 nous éprouvons ? Peut-on donner à la disposition de leurs parties le nom de la sensation qu’elles déterminent ? Quel nom donne-t-on à cette disposition ? Combien de sortes de qualités sensibles des corps faut-il distinguer ?

Qu’entend-on par milieu de sensation ? Chacun de nos organes a-t-il un milieu destiné par la nature à lui transmettre les impressions des corps ? L’agilité de ces milieux est-elle proportionnée à la délicatesse de nos organes correspondans ? Quelles preuves nous fournissent sur ce point l’expérience et les observations ?

 

§. I I I.

 

Quelles sont les différentes espèces de sensation, considérées sous le rapport de leur influence dans nos jugemens ? Quelles sont les sensations nettes et les sensations obscures ? Dans quel sens celles-ci sont-elles ainsi dénommées ? Quelles sont les sensations précises et les sensations vagues ? Quelles sont les complettes et les incomplettes ?

Quel degré de confiance devons-nous au témoignage résultant des sensations ? Sommes-nous assurés par ce témoignage, de l’existence des corps hors de nous ? Quelles précautions doit-on prendre pour s’assurer de la vérité des dispositions des témoins ?

Quelle est la propriété caracatéristique de chacun de nos sens ? Quel est le plus intéressant et le plus nécessaire à la conservation de notre vie ? Quel est celui qui exige le plus d’ordre pour le maintien de l’uniformité de ses sensations ? Quel est le plus instructif ? Est-ce celui de la vue ou du toucher ? Que résulte-t-il à cet égard de la guérison d’un aveugle-né, qui fut opéré[e] par Chezelden à Londres ?

 

§. I V.

 

Qu’est-ce qu’une idée ? Quelles sont les idées déterminées et les indéterminées ? les médiates et les immédiates ? les directes et les réfléchies ? Les sensations sont-elles le principe de toutes nos idées ? Comment appelle-t-on les manières d’être des objets que nos idées nous représentent ? Qu’est-ce qu’une propriété de corps ? Qu’est-ce qu’une idée simple ? Qu’est-ce qu’une idée complexe ? Quelle est |3 l’idée que nous avons de la substance en général ? Comment parvenons-nous à nous former cette idée ? Qu’est-ce que l’idée d’une substance particulière ? Qu’est-ce qu’une idée distincte ? Qu’est-ce que l’idée confuse ?

Comment pouvons-nous réussir à acquérir des idées distinctes et exactes ? L’analyse est-elle un moyen sûr pour y parvenir ? Est-elle la seule méthode que nous devions suivre soit pour apprendre, soit pour enseigner ? Est-ce de la nature que nous la tenons ? Quels exemples nous servent à résoudre cette question ?

Qu’est-ce qu’une idée abstraite ? Comment nos idées se généralisent-elles par l’analyse ? Que sont les idées de genre, d’espèce, d’individu ? Quelle est l’utilité de la classification des idées abstraites ? Quelle est la consistance d’une idée générale ? Qu’a-t-elle de réel hors de nous ou dans notre esprit ?

 

§. V.

 

Comment nos sensations peuvent-elles être la source des idées des objets insensibles ? Comment acquerrons-nous les idées de force, de puissance, celles de l’espace et de la durée ? Ces idées représentent-elles à notre esprit quelque chose d’absolu ?

Comment l’homme acquiert-il l’idée de l’être suprême ? Peut-on prouver l’existence d’un Dieu créateur, éternel, immense, infiniment parfait, intelligent et libre, réellement distingué de la collection des êtres qui composent l’univers ? Le progrès rectilique infini, ou le circulaire de causes et effets qui, se produisant mutuellement, composeroient ce vaste univers, impliquent-ils contradiction ? Comment l’existence de Dieu une fois démontrée, établit-on celle de ses perfections infinies ? L’idée que nous avons de cet être suprême est-elle médiate ou immédiate ? Est-elle simple ou complexe, positive ou négative, innée ou acquise ?

Comment acquerrons-nous l’idée de notre ame et celle de notre propre personnalité ? Notre ame est-elle une substance essentiellement différente de notre corps ? Par quelles preuves démontre-t-on son imma[r]terialité ? Quelle a été l’erreur de Locke sur ce point ?

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§. V I.

 

Qu’est-ce qu’une idée morale ? Comment ces sortes d’idées se forment-elles dans notre esprit ? Quelles preuves a-t-on de l’existence d’une loi naturelle, d’où dérivent les règles qui sont les bases primordiales de toutes les sciences morales ? Cette loi a-t-elle une force vraiment obligatoire ? Est-elle antérieure aux conventions des hommes ? Quelle est l’origine de nos idées ? N’y en a-t-il point qui soient innées dans notre ame ? Quel est le méchanisme de la formation de nos idées ? Quels sont les systêmes imaginés jusqu’ici pour l’expliquer ? Quelles sont les idées réelles et chimériques ? Quelles sont les complettes et les incomplettes, les vraies et les fausses ? Dans quel sens peut-on en admettre de cette dernière espèce ? Qu’est-ce qu’une idée de mode mixte ? Qu’entend-on par l’essence des choses ? Combien de sortes d’essence doit-on distinguer ?

 

§. V I I.

 

Que faut-il observer avant de s’occuper de l’analyse des opérations et des facultés de notre ame ? Qu’est-ce qu’une perception ? Qu’est-ce que la conscience ? Est-elle une manière d’être surajoutée à la perception ? Qu’est-ce que l’attention ? Combien de sortes faut-il en distinguer ? Quelle est celle qui est essentiellement sensation proprement dite ?

Qu’est-ce que la réminiscence ? Qu’est-ce que l’imagination ? Qu’est-ce que la mémoire ? Quelle différence y a-t-il entre ces facultés ? Quel secours retirent-elles des signes ?

Qu’est-ce que la réflexion ? Qu’est-ce que la comparaison ? Qu’est-ce que le jugement ? Quels sont les élémens de cette opération de notre entendement ? Qu’est-ce que le raisonnement ?

Qu’est-ce que la volonté ? Comment les opérations de cette faculté peuvent-elles naître des sensations ? Est-ce de l’inquiétude qu’est né le désir ou le désir de l’inquiétude ? Qu’est-ce qu’un désir, une passion ? Qu’est-ce qu’une volition ? En quoi differe-t-elle d’une vélléité ? Qu’est-ce qu’une habitude de la volonté ? Les habitudes de cette faculté ont-elles leur principe dans un sentiment |5 d’amour ou de haine ? Qu’est-ce qu’agir spontanément et agir librement ? Qu’est-ce que le libre arbitre ? L’ame de l’homme est-elle véritablement libre ? Que peut-on répondre aux objections de Bayle sur ce point ? Y a-t-il des preuves d’une vie à venir pour nos ames ? Sur quoi sont-elles fondées ? Peut-on établir par la seule raison l’immortalité de l’ame de l’homme de bien ?

 

§. V I I I.

 

Ces questions résolues, nous nous sommes occupés de la seconde partie de la Grammaire universelle, et nous avons répondu à ces autres questions-ci.

Qu’entend-on par expression de pensée ? Combien de sortes de langage faut-il d’abord distinguer ? Qu’est-ce que le langage d’action ? De quoi se compose-t-il ? Quels traits du visage, quels mouvemens et quelles attitudes du corps peignent les passions agréables et les désagréables, les passions violentes et celles que les artistes appellent passions tranquilles ?

Qu’entend-on par accens inarticulés ? Comment sont-ils produits par l’instrument vocal ? Que donnent à connoître les cris de la nature ? Que laissent-ils à découvrir ? Quelle est l’origine du langage d’action ? Combien de sortes y en a-t-il ? Quel est celui qui dépend de nos organes ? La conformation des organes des animaux est-elle la mesure de celle de leur langage ? Quel langage d’action dépend de notre choix ? Ce choix peut-il être arbitraire ? Le langage d’action purement naturel peut-il être un langage acquis et devenir successif ? Peut-il suffire à exprimer toutes les conceptions de l’esprit humain et à former une méthode analytique ? Quels sont les moyens de lui procurer ces avantages ? Ces moyens sont-ils le principe de tout langage articulé ?

 

§. I X.

 

Occupés du langage articulé, nous nous sommes fixés sur la vraie signification des mots langage, langue en général,langue nationale, dialecte, idiome, etc. Nous avons recherché quels doivent être nécessairement les mots élémentaires de toute espèce de langue ; et |6 il ne nous a pas été difficile de décider que quatre espèces de mots sont absolument nécessaires à une langue quelconque ; savoir, des substantifs, des attributifs, des définitifs et des connectifs. Harris, célèbre grammairien anglais, nous a paru répandre un grand jour sur cette question fondamentale. Nous avons cru cependant devoir classer autrement qu’il l’a fait, les différentes parties d’oraison que les grammatistes ont accoutumé de distinguer.

Nous expliquerons ce que nous entendons par chacun de ces mots élémentaires ; de quelle nature sont les verbes, principalement celui qui ne fait que lier ou séparer les idées, et dans quelle classe on doit placer le mot qui lie les jugemens. Il nous sera aisé de montrer à ce sujet la source de l’erreur où est tombé le citoyen Urbain Domergue, professeur de grammaire générale à Paris, et membre de l’institut national, en ne reconnoissant que deux espèces de mots, les substantifs et les attributifs.

Ces principes fondamentaux développés, nous nous sommes appliqués à rechercher l’origine du langage articulé et à découvrir si les hommes ont pu se former un tel langage ; et s’il faut nécessairement recourir à une inspiration divine pour développer la possibilité de la formation d’une langue primitive, comme l’a assuré Jean-Jacques ; ou même s’il y a eu une langue établie par la nature, dans laquelle les hommes aient toujours puisé leurs mots, comme l’a prétendu Court de Gebelin.

 

§. X.

 

Le problême de l’origine des langues résolu, nous n’avons eu qu’à montrer les divers degrés de perfection auxquels une langue formée peut parvenir, et comment ses règles peuvent s’établir. C’est ce que nous faisons voir à l’aide de l’analyse de quelques discours français, pris pour exemples. Nos opérations sur ce point indiqueront celles qu’on pourroit faire sur toute autre langue perfectionnée.

Ainsi exposerons-nous, en suivant l’ordre que nous prescrit la méthode analytique, comment, dans le discours, le fonds du sujet ou de la pensée fondamentale doit être successivement développé ; par quels moyens les parties principales de cette pensée doivent se |7 distinguer. Nous dirons à quel usage servent les alinéas, et de quelle utilité sont les points et les virgules dans les discours écrits ; qu’est-ce qui en tient lieu dans les discours prononcés. Nous remarquerons à ce sujet, quel perfectionnement la ponctuation française nous laisse à désirer.

 

§. X I.

 

En continuant notre analyse, nous remonterons à la nature de la proposition ; nous en découvrirons de trois sortes, quant à l’espèce de pensée qu’elle peut exprimer ; et nous ferons appercevoir plusieurs espèces de proposition d’assentiment ; savoir, la proposition principale, la subordonnée et l’incidente. Nous dirons comment celle-ci se divise en incidente de terme extrême et en incidente modale ; comment encore les premières se subdivisent en explicatives et en déterminatives. Nous expliquerons ce qu’on entend par période, par phrase et par partie de proposition. C’est là que nous observerons qu’il n’y a que trois parties essentielles dans toute proposition, quoiqu’il y ait en général autant de différens termes qu’il y a de différentes idées. Là nous exposerons aussi ce que c’est qu’une partie intégrante de proposition, un complément, et combien il y en a d’espèces.

C’est l’unité ou la multiplicité des termes qui rend la proposition simple ou composée ; et c’est leur simplicité ou leur complexité qui constitue la proposition simple complexe, ou simple incomplexe.

Ce que nous assurons de la complexité des propositions doit nécessairement s’entendre de celle des questions. Nous avons mis le plus grand soin à développer la complexité des questions que la charte constitutionnelle défend de proposer aux jurés ; défense à laquelle la convention n’a attaché tant d’importance, que parce que, comme l’a dit très-bien le tribunal de cassation, les questions complexes compromettent la liberté, l’honneur et la vie des citoyens.

 

§. X I I.

 

Poursuivant l’ordre analytique jusqu’aux derniers élémens du langage articulé, nous avons observé que, quoiqu’en dise Beauzée, |8 la déclinabilité n’est essentielle à aucune espèce de mot. Nous avons de plus distingué trois sortes de substantifs, suivant la nature des substances qu’il désignent. Ceux qui signifient des genres et des espèces admettent la distinction des nombres ; mais ceux qui ne représentent que des individus ne l’admettent point : ceux-ci sont des noms propres, et les autres des noms appellatifs. Un autre caractère des substances, c’est leur sexe. Le genre est ce qui le désigne : ainsi la diversité des sexes des choses, devroit décider de celle des genres des mots. Cependant ce n’a point été toujours observé. Notre langue est une de celles qui à cet égard présente le plus d’irrégularités.

Ce que les grammatistes appellent pronom, nous croyons avec Harris devoir l’appeler substantif du second ordre. Il en est de propres pour chacune des trois personnes. Ceux qu’on a appelés jusqu’ici pronoms de la troisième, sont quelquefois des attributifs. Nous assignerons la règle qui nous fixe sur le discernement à faire à cet égard. Quant à celui que l’on appelle que relatif, nous le classons parmi les mots définitifs. C’est à tort que Harris et Condillac en font des conjonctifs, et que d’autres grammairiens en font des substantifs.

 

§. X I I I.

 

Dans la classe des mots se rangent les verbes qui réunissent l’expression d’un attribut avec celle d’une affirmation. De là vient leur nom d’attribut combiné.

Le verbe qui ne sert qu’à exprimer l’affirmation ou la négation doit être nécessairement classé parmi les connectifs. C’est le plus important de tous ; aussi l’appelons-nous le grand connectif : c’est le verbe être. L’expression d’identité ou de non identité d’une idée avec une autre est ce qui caractérise les fonctions de ce mot élémentaire.

Il seroit à souhaiter que tous les verbes fussent conjugués de manière à rendre toutes les idées accessoires intéressantes dont leur idée principale est susceptible. Mais un tel exemple est encore à naître. Nous proposerons pour modèle, un des verbes le moins imparfaits de notre langue usuelle : c’est celui du verbe faire, dont |9 nous avons dénommé les modes et les formes par les temps les plus analogues à leur caractère. On récitera ce modèle de conjugaison, si on le désire.

 

§. X I V.

 

La distinction des différentes espèces de verbe nous paroît tenir essentiellement à la théorie des complémens. Aussi en doit-on distinguer de trois sortes : l’une comprend les verbes à complément direct ; l’autre les verbes à complément indirect ; et la troisième les verbes absolus, c’est-à-dire, ceux qui signifient un état et non pas une action : ces derniers n’ont point d’objet comme les autres, et tous généralement ont leur sujet. A cette théorie tiennent aussi les principes qui concernent les autres accessoires des verbes.

Quand on connoît bien la nature des verbes, celle des participes ne présente aucune difficulté. Nous tâcherons d’en donner une idée juste ; et nous montrerons quelle est la destination de ces attributifs, qui, suivant les circonstances, tiennent lieu de substantif dans le français. Nous fixerons aussi, d’après Condillac et le citoyen Domergue, les règles qu’on doit suivre pour leur construction dans notre langue.

Indépendamment des attributs de substance, il est des attributs d’attribut. Ce sont les attributifs du second ordre ou surattributs. On les appelle ordinairement adverbes.

Il est des surattributs qui sont communs à tous les attributs. Les attributs combinés admettent eux-mêmes des degrés de comparaison qu’expriment des attributifs secondaires. Quoiqu’en disent les grammatistes, il ne peut y avoir plus de deux degrés de comparaison. Il y a même des attributifs qui n’en reçoivent aucun ; et nul substantif n’en est susceptible. Outre les attributifs secondaires de quantité, il en est de qualité. Comme aussi il en est de propres à exprimer le temps, le lieu ou l’interrogation.

 

§. X V.

 

Nous exposerons ce que sont les définitifs ; quelle différence il y a entre ces parties élémentaires du discours et les substantifs, les |10 attributifs et les connectifs. Le seul exposé de la nature des définitifs sera la preuve que cette classe de mots comprend les articles et les prépositions. Il est des mots français qui font la fonction des uns et des autres, suivant les circonstances. Nous n’avons pu qu’être étonnés de voir que le savant Harris a fait la faute de compter les prépositions parmi les connectifs.

Les mots et les propositions ne se lient que par des rapports d’union qu’ils ont l’un à l’autre : le propre des connectifs est d’exprimer ces rapports. Les propositions sont-elles liées et quant aux termes et quant aux sens, leur connectif est copulatif ou continuatif : ce dernier est ou positif ou conditionnel ; et le positif est ou causatif ou illatif. Tous ces connectifs sont vraiment conjonctifs.

Les connectifs disjonctifs forment cette espèce de mots auxquels on a donné ce nom contradictoire ; parce qu’en même-temps qu’ils servent à séparer les pensées ils unissent les expressions. Parmi les disjonctifs il y en a de simples et d’adversatifs : ces derniers sont ou absolus ou relatifs ; et les absolus sont ou suffisans ou insuffisans. De chaque espèce de connectif émane une différente espèce de proposition composée en termes exprès. Indépendamment de ces sortes de propositions composées, il en est de composées quant au sens : ce sont les propositions exclusives, les exceptives, les comparatives, les inceptives et les désitives.

 

§. X V I.

 

Il est dans les langues, nombre d’expressions qu’on prend pour des mots élémentaires, qui cependant sont des propositions avec ellipse, ou même des propositions complètes. C’est à l’aide de l’analyse qu’on doit réduire ces sortes d’expressions, à leurs vrais élémens, si l’on veut éviter les confusions que se permettent certains grammairiens.

Les interjections sont des accens de la nature, propres au langage d’action et adoptés par le langage articulé : elles équivalent quelquefois à des phrases entières. Mal-à-propos les grecs les rangeoient dans la classe des adverbes. C’est à juste titre qu’on les regarde aujourd’hui comme des propositions implicites.

|11 Nous énoncerons les moyens d’éviter l’abus des mots ; et nous tracerons les règles à suivre dans leur construction. Deux rapports généraux fixent ces règles : celui d’identité et celui de détermination. Ces rapports s’expriment de différentes manières.

La construction des mots est vicieuse, si elle n’est conforme au bon usage et au génie de la langue qu’on parle. Nous ferons voir comment l’inversion de l’ordre usité peut par fois être utile ou nécessaire.

 

§. X V I I.

 

Convaincus que tout l’artifice du raisonnement consiste à démêler l’identité d’un jugement avec plusieurs autres, nous avons d’abord caractérisé les divers résultats de nos raisonnemens ; et nous avons distingué la démonstration, de l’opinion probable, et de la simple preuve hypothétique. Nous nous sommes attachés à connoître les divers élémens de l’argument, c’est-à-dire de l’expression du raisonnement. Nous avons dénommé les différentes propositions dont se compose un argument et les différens termes qui entrent dans la contexture de ces propositions. Ainsi dirons-nous ce que nous entendons par prémisses ou antécédent, par conséquence, conséquent et conclusion, par termes extrêmes et par termes moyens.

 

§. X V I I I.

 

L’importance de l’opération intellectuelle, dont l’argument est l’expression, établit l’indispensable nécessité où nous sommes, pour pouvoir juger de la justesse d’un raisonnement, de bien connoître le véritable sens des termes, leur étendue et leur compréhension, comme aussi les propriétés des propositions considérées comme discursives, c’est-à-dire, comme appartenantes à l’expression d’un raisonnement.

Nous dirons ce que c’est que le sens d’un terme, ce que c’est que le sens propre ou le sens figuré ; ce que nous entendons par l’étendue d’un terme et par sa compréhension. Nous prouverons que l’étendue de la proposition est toujours celle de son sujet, et qu’à la rigueur toute proposition est ou universelle ou particulière. |12 Nous observerons que le prédicat de toute proposition affirmative est particulier en vertu de l’affirmation, tandis qu’au contraire dans les propositions négatives, il est toujours universel ; et qu’enfin le prédicat est énoncé selon toute sa compréhension dans les propositions affirmatives ; mais que dans les négatives il n’est séparé du sujet que selon toute sa compréhension collectivement prise, et non selon les parties de cette compréhension prises distributivement.

 

§. X I X.

 

Pour raisonner juste et discuter avec succès, on ne sauroit assez faire attention, sur-tout dans le genre judiciaire, à la nature, à la source et aux effets de l’opposition qui se trouve entre les propositions ; aussi nous sommes-nous attachés à caractériser la vraie contradiction dont les propositions sont susceptibles. Nous avons vu que mal-à-propos les logiciens ont défini les propositions contradictoires, celles qui sont opposées en quantité et en qualité. Nous avons aussi exposé d’où il provient que deux propositions contraires peuvent être toutes les deux fausses, quoique jamais elle ne puissent être toutes les deux vraies.

Deux propositions qui ne diffèrent qu’à raison de leur qualité affirmative ou négative, ne sont point de cela seul, contradictoires entr’elles ; bien moins présentent-elles aucun caractère d’opposition si elles ne diffèrent qu’à raison de leur quantité.

Ce qu’il importe très-fort aussi de discerner dans les débats et dans la position des questions, ce sont les différentes contradictoires qu’on[t] peut opposer à une même proposition complexe ou composée. Nous les assignerons dans les exemples qu’on voudra nous proposer.

 

§. X X.

 

Notre esprit ne parvient à la solution des questions et ne raisonne juste qu’autant qu’après en avoir observé et réobservé les deux termes extrêmes, il découvre des idées moyennes qui, comparées avec eux, décèlent l’identité ou la diversité de ces mêmes deux termes. Il ne se peut donc point que les vérités lumineuses |13 qui offrent, au premier coup d’œil de l’ame, les résultats respectifs des comparaisons de chacun des deux termes d’une question avec un, deux ou plusieurs autres termes moyens, ne produise dans notre esprit, lorsque nous raisonnons, la pleine conviction de l’identité ou de la non-identité d’un conséquent avec ses prémisses.

Nous nous sommes appliqués à mettre ces vérités lumineuses ou axiomes, au grand jour. Trois suffisent pour nous fixer sur le mérite des argumens à trois termes, tels que les sillogismes, trois autres sur celui des argumens à quatre termes que nous appellons parallelogrammatiques. Un seul axiome suffit pour les argumens à nombre indéfini des termes moyens : un seul autre pour les inductions et les dilemmes.

 

§. X X I.

 

Quelle n’a pas été notre surprise de voir que depuis Aristote jusqu’à nous, on[t] ait cru qu’il est impossible de faire un argument simple et concluant qui eût plus de trois termes ! de voir que pendant plus de deux mille ans on ait pensé que tout espèce d’argument est reductible au sillogisme, et que d’après cette vieille erreur, on n’ait fourni dans les écoles d’autre guide dans la confection des raisonnemens, qu’une complication de modes, de figures, de mots barbares, de règles générales, vraies ou fausses, de règles particulières des figures pour les seuls sillogismes simples, d’autres règles particulières pour chaque espèce d’argument composé ! Que nous sommes éloignés de porter sur la logique d’Aristote le jugement qu’en a porté le trop infortuné Condorcet ! Nous penserions plutôt avec le célèbre Bacon que cette logique a corrompu la philosophie de la nature. Le principe de l’identité du conséquent avec ses prémices, nous présente lui seul le caractère essentiel à tout argument juste : lui seul aussi nous fournit la règle fondamentale de tout raisonnement ; règle qui nous tient lieu de toute autre, et dont l’application est tout-à-fait aisée à quiconque connoissant le sens, l’étendue et la compréhension des termes, se dirige en raisonnant d’après les principes lumineux qui indiquent les résultats de leurs comparaisons.

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§. X X I I.

 

Les solitaires du port royal ont les premiers pressenti la nécessité d’une règle fondamentale et unique ; mais celle qu’ils ont établie est insuffisante sous plus d’un rapport ; elle est même basée sur une fausse hypothèse. Celle qu’a imaginée Cochet est à peu-près la même, et présente les mêmes inconvéniens ; tandis que celle des conséquens et antécedens identiques n’en présente point, et peut servir de pierre de touche, pour toute espèce d’argument soit simple, soit composé.

Nous montrerons ce en quoi consiste véritablement la simplicité d’un argument. Nous dirons ce que c’est que le sillogisme ; comment le simple se divise en incomplexe et en complexe ; ce que c’est que le sillogisme co[u][n]nectif ou composé ; et comment, malgré la multiplicité des divers connectifs et celle des propositions composées qui en dérivent, les sillogismes composés ne peuvent être que conditionnels ou disjonctifs ou copulatifs.

Nous définirons l’enthymeme, le prosillogisme, l’épichéreme, qui tous participent de la nature du sillogisme.

Nous exposerons ce que nous entendons par argument parallelogrammatique. Nous démontrerons que ces argumens sont concluans et simples, quoique composés de quatre termes.

Nous prouverons enfin que le sorite et l’induction sont aussi des argumens simples ; tandis que le prosillogisme, l’épichéreme, le dilemme et tous les sillogismes connectifs sont des argumens composés.

Pour pouvoir juger de la validité de toute espèce d’argument, ce n’est point assez que de savoir les éprouver à l’aide d’un principe fondamental qui caractérise tout raisonnement juste ; il faut savoir encore distinguer ces argumens captieux dont on a peine à démêler le vice et qu’on appelle sophismes. Nous les réduirons tous à six espèces ; savoir, l’équivoque, le qui-pro-quo, la pétition de principe, la fausse supposition, le non cause pour cause et le passage du pouvoir à l’acte.

Ainsi avons-nous tâché de justifier l’idée que nous nous sommes faite de la grammaire universelle. Puisse-t-elle cette idée contribuer |15 à faire cesser l’énorme dissemblance des programmes de leçons que mettent au jour les professeurs de cette science dans les différentes écoles centrales de la France, et la diversité des projets de résolution présentés à nos législateurs sur l’organisation de ces écoles !

 

Cet essai aura lieu dans la salle des exercices de l’école centrale, le    Fructidor de l’an 7 de la République française, à quatre heures de l’après-midi.

 

A AUCH, chez L. MARCELIER, Imprimeur de

l’Administration centrale du département du Gers.

  

 

Harmonisation

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Document conservé au Centre historique des Archives nationales, Paris,

Cote : F17/13442/1