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Seconde partie. Des élémens du discours. Chap. I-XIII

 

Table des matières

 

 

 

 

Cahier de grammaire générale.

 

Seconde partie.
Des élémens du dicours.

Chap. I-XIII.

Chap. XIV-XXIV.

 

 

 

 

 

 

Seconde partie.

Des élémens du discours.

 

En traitant séparément des élémens du discours, vous observerez l’usage de ce que vous savez déjà et vous vous préparerez à l’observer dans ce que vous ne savez pas encore.

 

 

Chapitre I.

Des noms substantifs.

 

De substance on a fait substantif; ainsi ce mot peut être considéré comme celui qu’on a dabord choisi pour désigner en général tout nom de substance.

Mais parce que les qualités qui modifient les individus sont elles-mêmes susceptibles de différentes modifications, notre esprit les saisit sous ce point de vue et met leurs noms dans la classe des substantifs, parce qu’il y a mis ceux des substances.

Les noms généraux sont le principal objet du discours comme les idées générales sont le principal objet de la pensée: c’est que nos connaissances ne peuvent s’étendre qu’autant que nos idées se distribuent en différentes classes. Mais si les noms généraux sont absolumt nécessaires, ils n’ont d’utilité qu’autant que nous nous en servons |28 avec discernement et que nous ne les multiplions pas sans nécessité.

 

 

Chapitre II.

Des genres.

 

La distinction des sexes a introduit dans les noms des terminaisons différentes telles que lion, lionne, chien chienne, loup, louve. or on a donc distingué deux classes parmi les noms, comme on en a distingué deux parmi les individus d’une même espèce; et ces classes sont ce qu’on nomme genres.

On a bientôt oublié ce qui servoit de fondement à cette distinction et on a distribué des noms masculins et des noms féminins, sans faire attention au sexe. par là un mot d’un seul genre a servi à désigner tous les individus d’une espèce tant les mâles que les femelles: tels sont perdrix, lièvre, carpe, brochet, &c.

La raison de cet usage c’est que les hommes n’observent qu’autant qu’ils ont besoin d’observer. par conséquent, n’ayant pas senti la nécessité de distinguer toujours les animaux par le sexe, ils n’ont pas imaginé d’avoir toujours des noms différens, l’un pour les mâles, l’autre pour les femelles.

Cependt la distinction des genres étant une fois établie, on l’a étendue à tous les noms. quelques uns auroient été terminés différemment suivant la différence des sexes; c’en fut assez pour voir le masculin dans certaines terminaisons et le |29 féminin dans d’autres.

Une regle si peu fondée ne pourroit pas être constante: aussi arrive-t-il souvent qu’un mot est d’un genre quand par la terminaison il auroit dû être d’un autre. quelques uns sont des deux. Enfin il y a des langues où l’on a imaginé un 3eme genre pour les noms qui ayant une terminaison particuliere, ne paraissent ni masculins, ni féminins; et par cette raison ce genre a été appellé neutre, c a d, qui n’est ni l’un ni l’autre. (B) /(B) Les allemands ont leur lune mond du genre masculin et leur soleil sonne du genre féminin. ils ont un mot qui signifie femme Weib et qui est du genre neutre./

Les genres ont comme le remarque Duclos le desavantage de mettre trop d’uniformité dans la terminaison des adjectifs, d’augmenter le nombre de nos e muets et de rendre une langue très difficile.

Les anglais n’ont point de genre pour leurs noms et leur langue est en cela plus simple que la nôtre. Ils donnent cependt des genres aux pronoms toutes les fois qu’ils les rapportent aux personnes. Mais alors cette différence a son fondement dans la différence des sexes. Le fréquent usage de ces sortes de mots semble dailleurs faire une nécessité de les distinguer |30 par le genre.

 

 

Chapitre III.

Des nombres.

 

Les noms généraux se disent d’une seule chose, d’un seul individu ou de plusieurs: dans le 1er cas ils sont du nombre singulier, dans le 2d ils sont du nombre pluriel, et cette différence se marque par la terminaison.

Les noms propres emportent l’unité et sont toujours du singulier. c’est figurément que l’on dit les les virgiles les homères. et alors on généralise ces noms. dans la classe des noms propres il faut mettre les noms des métaux. or, argent, fer &c. signifient chacun une seule substance composée de plusieurs parties et ne prennent jamais de pluriel. On ne dit des fers que lorsqu’on emploie ce mot pour chaînes ou lorsqu’on parle des fers d’un cheval.

Les noms des vertus habituelles telles que la charité, la pudeur, le courage &c. n’ont point de pluriel, à moins qu’on ne les emploie dans un autre sens; on dit p.ex des charités pour des aumones.

Il y a des idées que l’esprit est naturellement porté à regarder comme singulieres: telles sont faim, soif, sommeil, sang, estime &c.

Il y a au contraire des noms qui n’ont jamais |31 de singulier: matines, nones, vèpres, pleurs, ancêtres, épousailles. Sur tout cela il faut consulter l’usage.

L’usage ne suit pas constamment la même regle dans la formation du pluriel. Lorsque les mots se terminent au singulier par un e, il marque d’ordinaire le pluriel en ajoutant une s, pères, vérités, amitiés; mais d’ailleurs il varie beaucoup. roi fait rois et loi fait lois. D’autres fois les mots prennent une terminaison différente, mal fait maux, cheval fait chevaux, et cependant bal et régal font bals et régals. Oil fait yeux, ciel fait cieux; et on dit pourtant des ciels-de-lit des oils-de-boeuf.

D’autres mots ne prennent point à leur terminaison la marque du pluriel: des opéra, des duo, des à parte, des alinea &c. Enfin la terminaison est la même pour les deux nombres dans ceux qui finissent au sing par une s un z ou un x: fils, raz, voix.

Il y a des langues qui ont un duel pour les choses doubles telles que les yeux les bras. Il n’en est pas des nombres comme des genres; ils sont nécessaires puisqu’il importe de pouvoir faire connoître, si nous parlons d’une chose ou de plusieurs.

Notre langue seroit plus simple si elle étoit plus uniforme dans la maniere de marquer le |32 pluriel; et peut-être pourroit-on lui reprocher de ne pas le marquer assez lorsqu’elle se contente d’ajouter des lettres qui ne se prononcent pas.

 

 

Chapitre IV.

Des noms des personnes.

 

Dans un discours on peut distinguer trois personnes: celle qui parle, celle à qui on parle, et celle dont on parle.

Celle qui parle se désigne par je au singulier, et au pluriel par nous.

Celle à qui on parle se marque au singulier par tu ou par vous, et au pluriel par vous.

Les noms de ces deux personnes sont les mêmes pour les deux genres, et leur terminaison ne varie point.

La troisième est celle dont on parle: au singulier il, elle, le la lui, on, se, soi; au pluriel ils, elles, les, eux, leur. lui et leur sont pour les deux genres.

Les noms des deux premieres personnes sont de vrais substantifs. Ils expriment par eux-mêmes des individus et ne sont mis à la place d’aucun autre nom.

par la même raison on se soi font oeuvre de substantifs: car quoi que on vienne de homme, il n’est jamais employé pour en éviter la répétition; c’est le nom de la 3eme personne lorsqu’elle est désignée d’une maniere indéterminée. soi est également indéterminé, chacun pour soi. se, au contraire peut l’être ou ne l’être pas, parce qu’il a |33 toujours la même étendue que le sujet auquel il se rapporte. votre ami se conduit bien, on se prévient, les hommes se trompent communément.

Les autres noms de la 3eme personne il, elle &c. seront toujours mis à la place d’un substantif, c’est pourquoi on les appelle pronoms.

Les noms des personnes expriment bien mieux les vues de l’esprit que ne le feroient les noms propres. je ne me ferois plus entendre si je me nommois au lieu de dire je et si au lieu de vous je faisois usage du nom de la personne à qui je parlerois.

me et moi appartiennent à la premiere personne mais ils ne sont jamais le sujet de la propon. me peut être l’objet, il m’estime, ou le terme, il me parle.

Quant à moi il peut être aussi l’un et l’autre, mais alors il est toujours suivi de même et on ne l’emploie qu’avec me: il m’estime moi-même, il me parle à moi-même.

Lorsqu’il n’est pas ainsi accompagné, il est toujours précédé d’une prépon, il travaille pour moi ou du moins si la prépon n’est pas exprimée, elle est sous-entendue: moi je pense c’est pour moi je pense.

Il faut faire sur je et sur tu les mêmes observations que sur me et sur moi. Enfin |34 vous et nous peuvent avoir avec le verbe le rapport du sujet et de l’objet, du terme &c.

 

 

Chapitre V.

Des adjectifs.

 

Grandeur, arbre ne représentent pas deux idées dans le rapport où elles doivent être pour que l’une modifie l’autre, nous les appercevons au contraire tout à fait séparées. Mais lorsque nous disons grand arbre, nous voyons dans grand une quantité qui est une maniere d’être d’arbre, en sorte que des deux mots il se forme une seule idée totale. Les mots tels que grand, sont ce que nous appellons adjectifs

Les adjectifs doivent se joindre aux substantifs comme les qualités se joignent aux objets. or, pour marquer cette union, il faut que l’adjectif précède ou suive immédiatement le substantif, grand homme, homme courageux il n’est permis de les séparer que par le verbe qui marque la coëxistence des deux, le Français est humain, ou par un adverbe qui modifie l’adjectif, le français fort humain, ou par l’un et l’autre réunis, le français est fort humain. Il faut en 2d lieu donner à l’adjectif le même genre et le même nombre qu’au substantif, les femmes vertueuses, des généraux prudens. (C) /(C) Dans les langues dont les noms se déclinent, à quelque distance qu’un adjectif soit de son substantif, leur terminaison les rapproche: parve nec invideo sine me liber ibis in urban (Dumarsais)/

|35 Il y a des adjectifs qui se placent indifféremment avant et après le substantif, une aimable personne, une personne aimable; il y en a qui ne se placent qu’après, une voix harmonieuse, une tabatière ronde; il y en a qui se placent toujours avant, un beau cheval, un grand capitaine; enfin il y en a dont la signification change suivant qu’ils précèdent ou qu’ils suivent le substantif, une nouvelle certaine est une nouvelle qu’on assure, et une certaine nouvelle est une nouvelle sur laquelle on ne s’explique pas. Tels sont encore une femme grosse, une grosse femme, un homme pauvre, un pauvre homme, un homme galant, un galant homme &c. Sur tout cela il faut consulter l’usage.

C’est encore de l’observation qu’il faut apprendre la maniere dont se forme le féminin des adjectifs; car, quoique la regle la plus générale soit d’ajouter un e muet à la terminaison et de dire grand, grande, charmant, charmante, cependt on dit frais, fraiche, beau, belle, sec, seche, nud, nue, neuf, neuve, long, longue, chanteur, chanteuse, enchanteur, enchanteresse, acteur, actrice, &c.

La regle qui veut que l’adjectif prenne le |36 genre et le nombre d’un substantif n’est pas même sans exception et demande quelques observations particulieres.

Souvent le substantif n’est point énoncé: il est quelquefois dangereux de parler, il est quelquefois avantageux de se taire. or, quoiqu’en pareil cas on ne puisse suppléer aucun mot, l’esprit supplée une idée quelconque, en sorte que le sens de ces phrases est le même que si on eut dit parler est quelquefois dangereux, se taire est quelquefois avantageux. Mais l’idée que l’esprit supplée n’ayant point de nom n’a point de genre puisque nous ne jugeons du genre que par les terminaisons; et dès que cette idée n’en a pas, les adjectifs, dangereux et courageux avantageux qui la modifient n’en sauroient prendre eux-mêmes. Nous ne le regarderons donc pas ici comme masculin, mais comme restant dans la premiere forme qui n’est par elle-même d’aucun genre et qui ne devient masculine que par opposition à une autre forme que nous pouvons leur donner et que nous nommons féminine. Les adjectifs sont alors dans notre langue ce qu’ils sont toujours dans la langue anglaise; c a d, qu’ils n’ont point de genre lorsqu’ils se rapportent à une idée plutôt qu’à un nom.

|37 Lorsqu’un adjectif se rapporte en même tems à des substantifs de différens genres, il ne change de terminaison que pour prendre celle du pluriel; votre frere et votre soeur sont instruits: c’est que, puisqu’il n’y a pas plus de raison pour faire l’adjectif masculin que pour le faire féminin, il est tout naturel qu’on lui laisse sa premiere forme qui se trouve celle du masculin.

Mais l’adjectif se met toujours au féminin lorsque de plusieurs substantifs, celui qui le précède immédiatement est de ce genre; on dit, il a les pieds et la tête nue et non pas nus. cette actrice joue avec un gout et une noblesse charmante et non pas charmans.

par l’habitude où nous sommes d’accorder l’adjectif avec le substantif, nous serions choqués de tête nus noblesse charmans.

Si nous n’avions pas cette raison pour leur donner la terminaison féminine, nous les laisserions dans leur 1ere forme: en effet on dit mes pieds et ma tête sont nus, et dans cette phrase nus n’est ni masculin ni féminin.

Enfin quand deux substantifs ont une signification fort approchante, on met volontiers l’adjectifs au singulier: une force et une fermeté admirable; une politesse et une conduite affectée.

|38 Il y a des adjectifs qui expriment les qualités dans différens degrés et ces degrés sont déterminés par les comparaisons que fait notre esprit lorsque nous jugeons des choses. celui qui dit p.ex. cet instrument est sonore, cet homme est savant, ne porte ce jugement que parce qu’il compare le son de cet instrument et la science de cet homme à une idée de son et de science qu’il s’est faite et qui lui sert de mesure pour juger de ce qu’il appelle sonore et savant. Mais un instrument qui me paroit sonore pourroit ne l’être pas pour une oreille plus exercée; et l’homme qui me paroit savant pourroit n’être que moins ignorant que moi. Nous n’avons donc pas les mêmes mesures pour juger de ces choses, et dans différentes bouches les mêmes adjectifs expriment les mêmes qualités avec des degrés différens.

Quelquefois nous indiquons d’une maniere vague le degré suprême que nous voyons ou croyons voir dans ces qualités et nous disons p.ex. fort savant, très vertueux.Il est évident qu’alors nous ne nous entendons qu’à peu près: car quoique nous tenions tous le même langage, nous n’avons pas tous les mêmes idées.

Lorsque nous disons il est plus savant que moi, il l’est moins que vous, il l’est autant qu’eux, il l’est |39 le plus de tous, il ne s’agit pas tant de nous faire correctemt la même idée de ce que nous appellons science que d’appercevoir entre les personnes que nous comparons quelqu’égalité à cet égard, quelque supériorité ou quelqu’infériorité.; alors nous nous entendons mieux. Mais les seules occasions où nous nous entendions parfaitement, c’est lorsque les qualités que les adjectifs expriment ne sont pas susceptibles de différens degrés: un cercle est rond, son diamètre est une ligne droite.

Outre les mots ci-dessus qu’on joint aux adjectifs pour exprimer l’égalité ou l’inégalité, nous en avons trois qui expriment l’inégalité sans ce secours: meilleur qu’on dit pour plus bon que l’usage condamne; pire et moindre qu’on dit pour plus mauvais et plus petit qui sont usités.

Il y a des mots qu’on peut à son choix regarder comme adjectifs ou comme substantifs. Le vrai et le faux, p.ex., sont des adjectifs si supposant une ellipse vous prenez ces expressions pour le discours vrai et le discours faux: ce sont au contraire des substantifs si vous prenez le vrai et le faux pour deux noms de deux classes différentes.

Il y a enfin des mots qui, quoique toujours les mêmes, sont néanmoins tantôt substantifs, tantôt |40 adjectifs, et sont nécessairement l’un ou l’autre. Colère p.ex. est substantif dans la colère et adjectif dans homme colère: de même politique est substantif dans la politique et adjectif dans homme politique. La maniere dont ces mots s’emploient ne permet pas de s’y méprendre.

 

 

Chapitre VI.

De l’article.

 

L’article est la chose que les grammairiens ont traitée avec la plus d’obscurité. Duclos et Dumarsais l’ont éclaircie.

L’article est au singulier le pour le masculin, la pour le féminin et au pluriel les pour les deux genres.

Au singulier la voyelle de l’art. se supprime devant les noms qui commencent par une voyelle ou par une h non aspirée: l’homme, l’espérance.

Au même nombre l’article masculin se déguise tout à fait lorsqu’il est précédé des prépositions de et à et suivi d’un nom qui commence par une consonne ou par une h aspirée. alors de le se change en du et à le en au: du mérite, du héros, au mérite, au héros. au féminin il conserve toujours la premiere forme: de l’espérance, de la fatigue, à l’espérance, à la fatigue. Enfin au pluriel de les se change en des et à les en aux. des héros, des étonnemens, des espérances, aux héros, aux |41 étonnemens, aux espérances.

Pour connoître la nature de l’article, il faut considérer qu’un mot peut être pris déterminément ou indéterminément.

Il est déterminé lorsqu’il est employé pour désigner un genre, une espèce ou un individu. Dans les hommes le nom est genre parce qu’il se prend dans toute son étendue. Il devient espèce dans les hommes savans, parce qu’il est restreint à une certaine classe où à un certain nombre d’individus. Enfin dans l’homme dont je vous parle, il est pris individuellement et il tient la place d’un nom propre.

Un nom est pris indéterminément lorsqu’on s’en sert uniquemt pour réveiller l’idée qu’on y attache; que ne voulant ni restreindre cette idée ni la considérer comme genre, on ne détermine rien sur l’étendue dont elle est susceptible. c’est ce qu’on voit dans cet exemple il est moins qu’homme; car alors je veux seulemt réveiller d’une maniere vague l’idée dont ce mot est le signe.

Dans les hommes ou dans l’homme, on voit que l’article détermine homme à être pris dans toute sa généralité. La différence d’un nombre à l’autre fait seulement qu’au pluriel l’idée générale se prend collectivement |42 c a d pour tous les hommes à la fois, et qu’au singulier elle se prend distributivement c a d pour tous les hommes considérés un à un.

Quand nous voulons marquer davantage cette unité distributive, nous disons tout homme.

Dans les hommes savans l’article contribue avec savans à déterminer homme dans une certaine classe; et dans le 3eme exemple il concourt avec dont je vous parle à restreindre ce nom à un seul individu.

Les adjectifs comme nous l’avons vu modifient de deux manieres. tantôt ils expliquent quelqu’une des qualités d’un objet, tantôt ils indiquent les points de vue de l’esprit qui considère une chose dans toute son étendue ou qui la renferme dans de certaines bornes. or, l’article concourt à modifier de cette derniere maniere; c’est donc un adjectif qui détermine un substantif à être considéré dans toute son étendue ou qui contribue à le restreindre à une signification déterminée.

ainsi on dit toujours avec l’article le courage de Buonaparte, l’érudition de Freret la sagesse de Socrate. Mais tous ces noms quitteront l’article lorsqu’ils ne réveilleront qu’une idée indéterminée: homme de courage, se conduire avec sagesse, rempli d’érudition. Dans ces derniers exemples on ne veut que modifier les mots homme, sagesse, conduite, rempli; et on voit qu’il n’est pas nécessaire |43 de distinguer différentes classes de courage de sagesse, d’érudition.

Quand on veut faire cette différence l’article n’est pas le seul adjectif qui y soit propre. on dit un courage surprenant, une sagesse singuliere ou on emploie au même usage ce, mon, ton, son, notre, quelque, chaque.

Il en est des substantifs précédés ou suivis d’un adjectif qualificatif, comme des substantifs seuls; on les fait précéder de l’article si l’idée totale qu’ils forment avec leur adjectif a besoin d’être déterminée; ainsi on dit les opinions des anciens philosophes.

Les noms sont quelquefois suffisamment déterminés par la nature de la chose ou par les circonstances, et alors ils seroit inutile de leur donner l’article, c’est ce qui l’a fait supprimer dans des proverbes: on dit pauvreté n’est pas vice, il seroit à souhaiter qu’on l’eut retranché dans tous les cas semblables.

Tout nom propre est déterminé par lui-même; l’article lui est donc inutile, et on dit Cesar, Brutus: mais si après avoir généralisé ces noms on veut les déterminer, on dira le Brutus de David. En pareil cas Brutus est dabord considéré comme un nom commun à plusieurs, et il est ensuite déterminé à un seul individu. c’est par cette raison qu’on dit sans article dieu est tout puissant, et avec l’article |44 le dieu de paix.

Dans les noms propres qui nous viennent de la langue italienne nous regardons l’article comme partie du nom parce que nous imaginons que les Italiens le considèrent de même; et nous disons le Tasso le Dante &c. cependt ce n’est pas aux noms propres qu’ils joignent l’art. c’est à un autre nom qu’ils sous-entendent et il Tasso est pour il poeta Tasso. de même lorsque nous disons la [], la Lecouvreur ce n’est pas à ces noms que nous donnons l’article c’est à un nom que nous ne prononçons pas, ou si on veut à une classe qui n’a pas de nom et à laquelle d’ordinaire nous attachons quelqu’idée défavorable.

Mais pourquoi donne-t-on quelquefois l’article aux noms de pays et de royaumes? ne condamnons pas l’usage avant de l’avoir examiné, si dans cette varieté il pouvoit se contredire, il n’y a pas plus d’analogie que nous n’en voyons dabord.

Il y a des noms qui sans être généraux, ont cependt une signification fort étendue, parce qu’ils représentent un tout qui embrasse un grand nombre de parties. Tels sont les noms de métaux. or on peut déterminer ces noms à être pris dans toute l’étendue de leur signification, et alors on les fait précéder de l’article: on dit l’or, l’argent c a d tout ce qui est or: mais si on n’emploie ces mots que pour |45 réveiller indéterminément l’idée du métal, on met l’article; une tabatière d’or.

Si on dit je vous payerai avec de l’or, et non pas avec d’or, c’est que ce mot est alors déterminé, car il est employé par exclusion à argent; on ne s’arrête plus à la seule idée du métal, on se représente l’idée générale de monnaie dont l’or et l’argent sont deux espèces, et veulent par conséquent avoir l’article (d) /(d) Si cette explication étoit vraie on ne pourroit pas se servir de en qui est indéterminé et dire il m’a payé en or, parce que l’opposition à argent n’en subsisteroit pas toujours. dailleurs on dit sans article moitié or, moitié argent, et cependt ici l’opposition que Condillac suppose est exprimée.

Il me semble que de prépon partitive exige toujours que son complémt soit déterminé du pain, de l’[?humanité] de même que en exige la suppression de l’article./ Cependt on dit, je vous payerai en or parce que la préposition en porte toujours avec elle une idée vague qu’elle communique au nom qu’elle précède.

Les hommes ont regardé une ville comme un point par rapport à une province à un pays à un royaume, dès lors le nom n’en est pas susceptible de plus ou moins d’étendue et il se trouve naturellemt parmi ceux qui ne doivent pas prendre d’article. Le catelet et d’autres semblables ne font pas exception car le catelet est par corruption le petit château.

|46 Mais les provinces et les pays ont comme les métaux cette signification étendue qui embrasse plusieurs choses, ils peuvent donc être pris déterminement ou indéterminément, et ils pourront être nommés avec l’article ou sans l’article.

Dans ces occasions il faut considérer si le discours détermine l’attention sur toute l’étendue d’un pays ou seulement sur le pays sans faire penser à l’étendue. on dit je viens d’Espagne, de France sans article, parce qu’alors il suffit de regarder ces pays comme un terme d’où l’on part et qu’il est inutile de penser à leur étendue. Mais parce que les mots limites et bornes font penser à cette étendue on dit les limites de la France et les bornes de l’Espagne.

On dit sans l’article le vin de France et avec l’article le vin de la France. par la premiere phrase on entend du vin récolté en France et par la 2de on entend la totalité du vin que produit la France.

L’usage permet qu’on dise également bien les peuples de l’Asie les villes de l’Asie et les peuples d’Asie, les villes d’Asie; les villes de France, les villes de la France; mais ces tours ne peuvent être employés indifféremment l’un pour l’autre; parce que lorsqu’on dit les peuples d’Asie les vues de l’esprit ne sont pas absolumt les mêmes que lorsqu’on dit les peuples de l’Asie. Si on ne veut |47 que comparer peuples à peuples, villes à villes, il suffit de déterminer les peuples et les villes d’Asie par rapport aux peuples et aux villes d’Europe, et pour les déterminer ainsi il n’est pas nécessaire d’employer l’article.

C’est une regle générale qu’un nom substantif ne prend point l’article quand il n’est employé que pour en déterminer un autre Les vertus de société les talens de goût.

Mais quand on met l’article on a moins [?dessein] de considérer ces peuples par opposition à d’autres que par rapport à l’étendue du pays qu’ils habitent. On dira de même avec l’article les villes de l’Asie ont connu le luxe de bonne heure et sans l’article les villes d’Asie ne sont pas bâties comme celles d’Europe.

De même qu’on dit il vient d’Espagne, d’Angleterre on devroit dire il vient d’Asie, d’Afrique. cependt on dit plus communémt il vient de l’Asie de l’Amérique: c’est peut-être qu’on les considère moins comme un [?terme] d’où l’on part que comme des pays qu’on quitte après les avoir parcourus. je ne crois pas qu’on peut blâmer cette phrase il part d’Europe pour aller en Afrique.

Cependt il y a des noms de pays qui veulent absolument l’article; on dit toujours le roi |48 de la Chine, du Pérou, du Japon: c’est que le vulgaire qui fait l’usage, rempli des vastes idées qu’on lui a données de ce pays, leur a attaché une idée de grandeur qu’il ne leur ote plus.

La terre, le soleil, la lune prennent l’article et cela est fondé sur l’analogie; mais on ne le donne point à Mercure Venus &c. parce que dans l’origine ce sont là des noms propres d’hommes.

Suivant les vues que nous avons en parlant des rivieres, des fleuves, nous employons ou nous supprimons l’article.je dirai sans article je bois de l’eau de Garonne, parce que pour faire connoître l’espèce d’eau que je bois il me suffit d’employer indéterminément le mot Garonne. Mais je dirai avec l’article, l’eau de la Garonne est bourbeuse parce que je considère la Garonne dans son cours et que j’en détermine le nom à toute l’étendue de la signification.

On dit le poisson de mer lorsqu’on ne veut que le distinguer de celui de riviere: Mais on dit le poisson de la mer des [?judes] et l’article est nécessaire pour contribuer à déterminer ce nom à une certaine partie de la mer.

Selon l’abbé Regnier il faut toujours dire l’eau de la mer. Cependt il me semble qu’on pourroit dire l’eau de [?riviere] est douce et l’eau de mer est |49 salée. Mais il est vrai que l’usage est favorable à la décision de ce grammairien. voyons la raison de cet usage.

L’eau étant supposée la même dans toute la mer on n’a pas besoin de distinguer les parties où elle est prise, comme pour le poisson. l’esprit s’est donc fait une habitude de considérer alors la mer dans toute l’étendue qu’il lui donne naturellemt.

Puisque l’article est un adjectif il ne peut être employé qu’avec un substantif énoncé ou sous-entendu; et par conséquent il y a ellipse toutes les fois qu’il n’est suivi que d’un adjectif; le grand le noble, le sublime.

Lorsqu’un nom est précédé de plusieurs adjectifs tantôt on met l’article devant chaque adjectif, les bons et les mauvais citoyens, tantôt on ne le met que devant le premier, les sages et zélés Citoyens. La raison de cette différence c’est que dans le 1er exemple le substantif citoyens est distingué en deux classes qu’il faut également déterminer. Dans le second au contraire les adjectifs énoncent des qualités qui appartiennent à une seule et même classe et ce seroit en faire deux que de joindre l’article à chaque adjectif.

Ce que l’article exprime, les circonstances peuvent |50 souvent l’exprimer; le latin ne perd donc pas beaucoup à n’en point avoir.

 

 

Chapitre VII.

Des pronoms.

 

A en juger par le mot, le pronom est un nom qui n’ayant par lui-même aucune signification est pris dans une phrase à la place d’un autre nom qui a été énoncé dans une phrase précédente et dont il fait eviter la répétition.

Dès que le pronom tient la place d’un nom, c’est une conséquence qu’il en réveille l’idée telle que le nom la réveilleroit lui-même, c a d, sans y rien ajouter et sans en rien retrancher. Un mot pris dans le figuré peut être substitué à un mot pris dans le sens propre, voile p.ex. à vaisseau; mais alors on substitue aussi d’autres idées, et voile est employé pour toute autre raison que pour tenir la place de vaisseau; voile n’est donc pas un pronom.

Nous avons vu que je, tu, nous, vous sont des substantifs consacrés à un usage particulier et qu’ils ne tiennent la place d’aucun autre nom.

Nous verrons que ce, mon, mien, notre sont des adjectifs ainsi que beaucoup d’autres mots qu’on a mis sans fondemt parmi les pronoms.

Il ne reste donc dans cette classe que les noms de la 3eme personne il, elle, le, la, encore faut-il |51 excepter on, se, soi qui ont par eux-mêmes une signification, et qui par cette raison ne sont pas des pronoms.

Quant aux autres noms de la troisième personne il, elle, le, la, ce sont originairement des adjectifs ainsi que les mots latins ille, illa d’où nous les avons formés. Lorsque p.ex après avoir parlé d’une comédie je dis je la verrai, la est un adjectif, c’est l’article même employé avec ellipse, la pour la comédie.

Il en est de même de il. Si parlant de l’homme je dis il est raisonnable, c’est il homme et il est article. Quoiqu’en pareil cas nous ne disions pas il on a pu le dire autrefois et il est même vraisemblable qu’on a dit ille. Quoiqu’il en soit, il et le ont la même origine, et au fond la même signification, quoique l’usage leur ait marqué à chacun des emplois différens.

Il est donc adjectif: il l’est même dans ces phrases, il vente, il tonne; car si l’usage n’indique pas le nom sous-entendu, l’esprit supplée une idée que l’article il détermine, ciel p.ex.

Ces adjectifs n’ont cessé de paroître des articles que parce que nous nous sommes faits une habitude de les employer seuls et sans les joindre au nom qu’ils déterminent. C’est ainsi qu’ils ont pris la place |52 de ces noms et sont devenus des pronoms.

Allez-vous à Paris? j’y vais. avez-vous des livres? j’en ai. Dans ces phrases on peut à son choix prendre y et en pour des adverbes ou pour des pronoms. pour des adverbes, parce qu’ils tiennent lieu d’un nom précédé d’une préposition: y c a d, à paris, en c a d, des livres; on peut aussi les prendre pour des pronoms, parce que par eux-mêmes ils ne signifient rien, et qu’on ne les emploie que pour éviter la répétition des mêmes mots. Nous les laisserons dans cette derniere classe. (E) /(E) Ils me paraissent en effet plutôt des pronoms que des adverbes; car un adverbe a par lui-même une signification, et en le traduisant par une prépon et un nom le nom est toujours le même et ne dépend pas de ce qui précède: sagement signifie toujours avec sagesse, mais y signifie suivant les circonstances à Paris, à Rome &c. lui seroit donc aussi un adverbe!/

Nos pronoms sont donc il, elle, le, la, leur pluriel, y et en.

Il y en a qui disent que mien est pronom dans cette phrase, voilà votre livre rendez-moi le mien; en conséquence notre et votre sont selon eux tantôt adjectifs et tantôt pronoms; nous avons fini notre ouvrage où en est le vôtre? il me paroit plus naturel de supposer une ellipse dans les phrases où on les prend pour des pronoms.

|53 Avez-vous vu la belle maison de campagne que Pierre a achetée? je l’ai vue, c’est à dire la belle maison de campagne que Pierre a achetée. on voit que le pronom tient lieu d’une phrase entiere, et qu’il prend la place du mot maison accompagné de toutes ses modifications. quelquefois même le sens exige qu’il tienne lieu d’une phrase construite tout différemment de celle dont il prend la place. voulez-vous que j’aille vous voir? je le veux, c a d, que vous veniez me voir.

Ce seroit une faute d’employer un pronom pour réveiller toute autre idée que celle du nom dont il tient la place, comme dans ce vers de Racine

Nulle paix pour l’impie! il la cherche elle fuit

En effet la et elle ne rappellent pas nulle paix, ils rappellent seulement la paix. (F) /(F) Il a dit ci-dessus qu’un pronom remplace un nom avec toutes ses accessoires modifications; il falloit en excepter les modifications négatives comme nul, aucun qui font disparoître la chose que le pronom suppose existante; car nulle est un adjectif qui modifie paix, comme pourroit le faire profonde./

Cependant l’esprit a supplée à ce qui manque avant d’appercevoir la faute.

 

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Chapitre VIII.

Observations sur l’usage des noms de la troisième personne.

 

On, se, soi ne sont pas des pronoms. lui, eux, elles en sont dans ces phrases, je lui ai dit à lui, à elle; je leur ai dit à eux, à elles; ce n’en sont pas lorsqu’on dit, cet homme s’aime lui-même: car lui-même n’est point pour cet homme. ainsi si tous les pronoms sont des noms de la 3eme personne, tous les noms de la 3eme personne ne sont pas des pronoms.

En observant l’usage qu’on fait des pronoms, on verra que les uns se disent des personnes et des choses, tandis que les autres ne se disent que des personnes.

Il et son pluriel se disent égalemt des personnes et des choses.

Il en est de même d’elle et d’elles dans le cas seulemt où ce pronom est le sujet de la propon.

Cette regle s’étend encore à le, la, les qui sont toujours l’objet du verbe je les lis, je les lirai, lisez-le, ne le lisez pas, lisez-le et le renvoyez ou encore et renvoyez-le; ces exemples font voir comment ce pronom doit se construire.

Lui, leur et eux ne se rapportent d’ordinaire qu’aux personnes, et il en est de même d’elle et d’elles lorsqu’on y ajoute une préposition. voici ce qu’on observe à ce sujet.

|55 en parlant de quelqu’un je dirai que je m’appuie sur lui, que je me repose sur lui d’une affaire: mais en parlant d’un lit et d’un baton, je dirai que je m’appuie dessus que je me repose dessus et jamais sur lui. de même on ne dira pas d’un précipice n’approchez pas de lui, mais n’en approchez pas; ni d’un homme adonné à une science, il s’est attaché à elle, mais il s’y est attaché.

Cependt on peut dire d’un chien je n’aime que lui, je ne vais pas sans lui. On dit encore d’un cheval vicieux, d’un méchant chien n’approchez pas de lui, méfiez-vous de lui; mais cette liberté qu’on prend de parler des animaux comme on parle des personnes ne s’étend pas à toutes les phrases. On ne dit pas d’un cheval qu’on n’a jamais monté sur lui mais qu’on ne l’a jamais monténi qu’on ne s’est pas encore servi de lui mais qu’on ne s’en est pas encore servi.

Aux prépositions avec et après on peut joindre lui elle eux, même en parlant des choses inanimées: ce torrent entraîne avec lui tout ce qu’il rencontre, il ne laisse après lui que du sable; cette muraille en tombant a entraîné le toit avec elle.

On dit en parlant d’une femme, je me suis approché d’elle, je me suis mis auprès d’elle: mais lorsqu’on |56 parlera d’une armée, on ne dira pas qu’un général s’approcha d’elle, qu’il campa auprès d’elle. Il faut dire il s’en approcha, il campa auprès.

On dira cependt l’armée ennemie parut et nous allames à elle; je crois encore qu’on peut dire, j’aime la vérité au point que je sacrifierois tout pour elle.

En réflechissant sur ces exemples on voit que quand un verbe ne peut se construire qu’avec les pronoms, on les emploie pour les choses comme pour les personnes; dans les autres cas on les réserve pour les personnes seules.

eux se met toujours après le verbe à moins qu’il ne soit le sujet. tantôt il est précédé d’une préposition, il dépend d’eux, je vais à eux; alors il est le terme d’un rapport. Tantôt il est accompagné de mêmes, ils disent eux-mêmes; alors il est le sujet ainsi que le pronom ils. On pourroit le mettre avant le verbe: eux-mêmes ils disent.

Lui et elle peuvent également être le sujet de la propon: il l’a dit lui-même.

Lui se construit de différentes manieres. On dira, voulez-vous parler à lui, à elle, ou lui parler? pour plus d’énergie on le répétera en ajoutant même. je lui ai représenté à lui-même. Avec cette addition le pronom pourra être l’objet du verbe; je l’ai |57 vu lui-même, elle-même.

A l’impératif sans négation on dit ordinairement donnez-lui, quelquefois aussi donnez à lui et c’est quand on veut marquer plus particulieremt que c’est à lui et non pas à un autre.

A l’impératif avec négation on dit ne lui donnez pas, et quelquefois ne donnez pas à lui. Si le verbe est suivi du nom de la seconde personne, lui doit être précédé de la prépon à même lorsque la négation n’a pas lieu; adressez-vous à lui.

Dans tout autre cas, lui doit toujours précéder le verbe, je lui ai lu mon ouvrage, et jamais j’ai lu mon ouvrage à lui.

Ce pronom précédé de la préposition de doit toujours suivre le verbe, nous dépendons de lui.

En poësie on peut cependant le faire précéder:

Le destin a fixé le nombre de nos jours
De lui faibles mortels nous dépendons toujours

Leur au contraire veut toujours le précéder. Si on veut, pour plus d’énergie, mettre un pronom après le verbe, eux est le seul dont on puisse se servir: je leur ai offert à eux, à eux-mêmes. ce mot tient lieu d’un nom précédé de la prépon à.

Lorsque le sujet de la propon est encore l’objet du verbe ou le terme d’un rapport, on se sert de se, |58 de soi ou de lui pour exprimer cet objet ou ce terme. Il s’aime, chacun pour soi, il se donne des louanges, il s’occupe de lui.

Se ne se met jamais qu’avant le verbe et soi se met toujours après, s’occuper de soi, penser à soi; ils n’ont propremt ni genre ni nombre et servent aux deux.

Lui-même se construit avec le pronom il et avec tous les noms qui ont une signification déterminée. Il se conduit lui-même, le sage est lui-même son juge. soi-même se construit avec tous les noms qui n’offrent qu’une idée indéterminée. On se tourmente soi-même, quiconque est sage se défie de soi, chacun est soi même son juge (G) /(G) Cependant chap. VI il a mis chacun au nombre des adjectifs qui déterminent. C’est une exception de plus./ cette regle n’est cependt pas sans exception; car si on dit ces raisonnemens sont solides en eux-mêmes, on dit aussi ce raisonnement est bon en soi.

Le pronom y se dit des personnes comme des choses: avez-vous pensé à moi et a mon affaire? j’y ai pensé. serez-vous a paris? j’y serai. il prend la place d’une phrase entiere, et il y fait même substituer une phrase construite différemment: avez-vous pensé à faire ce que |59 vous m’avez promis? j’y ai pensé, c a d, à faire ce que je vous ai promis. enfin on se sert de ce pronom toutes les fois que l’usage ne permet pas d’employer lui et on dira en parlant d’une maison vous y avez ajouté un pavillon.

en equivaut toujours à un nom précédé de la prépon de ou même à plusieurs. il n’importe de quel genre et à quel nombre ils soient. Il équivaut même à des phrases entieres. dans j’en ai recu, en signifie suivant ce qui précède des lettres, de l’argent, de ces livres que vous m’aviez vantés

On ou l’on est une 3eme personne considérée vaguemt. Il vient par corruption de homme, il est toujours le sujet d’une proposition.

L’on s’emploie pour éviter la rencontre de deux sons qui seroient rudes à prononcer: que l’on commence mais on dit également si on et si l’on, parce que l’oreille n’est pas choquée de tous les hiatus.

Une femme à qui on demande êtes-vous malade? ou êtes-vous la malade? répond à la 1ere question je le suis et à la seconde je la suis. plusieurs personnes répondroient nous le sommes a êtes-vous malades, et nous le sommes à êtes-vous les malades?

Dans les phrases telles que êtes-vous malade ou malades? le nom auquel on rapporte le pronom |60 est toujours un adjectif malade ou malades. au contraire il est un substantif ou du moins il est considéré comme tel dans les phrases êtes-vous la malade ou les malades? car la malade ou les malades sont ici pour la personne ou les personnes malades.

Or, lorsque ce pronom est censé prendre la place d’un substantif, il est dans l’analogie qu’il en suive le genre et le nombre. c’est l’article même. il doit donc s’accorder avec le substantif dont il ne paroit prendre la place que parce qu’il le modifie. en répondant je la suis, nous les sommes; c’est donc comme si on répondoit je suis la personne malade, nous sommes les personnes malades.

Mais les adjectifs tels que malade n’ayant par eux-mêmes aucun genre, il n’y a pas de fondement à changer la terminaison du pronom qui en prend la place (H) /(H) à cette question êtes-vous guérie? une femme répondroit égalemt je le suis, quoique la terminaison de l’adjectif soit féminine: comme il en est de même en italien et en allemand, il faut nécessairemt que l’analogie soit la source d’un pareil usage. je pense donc que dans je le suis, le est un pronom qui tient lieu d’une phrase, ce que vous dites et non pas du mot malade ou guérie. il n’a donc pas de genre et conserve la forme primitive.

quand une femme répond à êtes-vous la malade? je la suis, la n’est point un pronom, puisqu’il ne disparoit point en suppléant la personne malade, c’est un article, un adjectif dont le substantif est sous-entendu; il doit donc en prendre le genre et le nombre./ et on lui conserve sa forme primitive qui se trouve celle qu’on a choisie |61 pour marquer le masculin et le singulier, on répond donc je le suis, nous le sommes, c a d, malade ou malades.

Voici un exemple qui au rapport de l’abbé Girard fut proposé à l’académie et sur lequel les avis furent partagés: si le public a quelqu’indulgence pour moi, je le dois à votre protection; c’est ainsi qu’il faut dire, et non pas je la dois; car le pronom ne se rapporte pas à indulgence, il se rapporte à l’expression a eu quelqu’indulgence c a d, à une idée qui n’a point de nom. on diroit égalemt si le public a été indulgent pour moi je le dois c a d je dois cela que le public a eu quelqu’indulgence, qu’il a été indulgent pour moi. dans l’un et l’autre cas le pronom n’a point de genre, puisqu’il prend la place d’une collection de mots qui n’en a pas. Il faudroit dire au contraire, l’indulgence que le public a eue pour moi, je la dois; car alors le pronom est pour un nom qui a un genre, indulgence.

 

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Chapitre IX.

Des adjectifs démonstratifs.

 

Les adjectifs démonstratifs sont ceux qui montrent pour ainsi dire l’objet qu’ils déterminent, ce livre cet homme; ces abus, cette loi, ces lois. Ils s’emploient toujours comme dans ces exemples.

Parmi ces adjectifs on peut mettre ci et dont le premier détermine lequel de deux objets est le plus près et le second lequel est le plus loin. Ils sont les mêmes pour tous les genres et pour tous les nombres et ils se placent après les noms. cet homme-ci, cet homme-là.

On a encore ajouté l’un et l’autre à ce et on fait ceci, celà. ce sont deux expressions elliptiques où l’esprit sous-entend après ce un nom tel que objet ou être, ou si l’on veut une idée vague qui n’a pas de nom, et qui par conséquent n’a ni genre ni nombre.

celui est formé de ce et de lui, celle de ce et d’elle ceux de ce et d’eux: on disoit même autrefois cil de ce et d’il, et ce sont encore là des expressions elliptiques. à celui et à celle on a aussi ajouté ci et . celui-ci indique l’objet le plus près ou dont on vient de parler, celui-là l’objet le plus éloigné ou dont on a parlé auparavant.

Il ne faut pas oublier que lorsqu’on joint ce aux noms des troisièmes personnes, l’esprit |63 supplée toujours une idée que cet adjectif montre ou détermine; car un adjectif ne sauroit être employé sans un substantif exprimé ou sous-entendu.

Lorsque ce paroit être employé comme troisième personne du verbe être, c’est qu’alors on sous-entend un nom substantif. j’aime Moliere, c’est un excellent comique; il est évident que c’est est pour ce Moliere est. Si vous dites, j’aime les arts et les sciences, ce sont des choses que je dois connoître vous parleriez d’une maniere barbare, si voulant suppléer les mots omis vous disiez ce arts et ce sciences sont. Cependt quoique vous ne puissiez suppléer aucun mot, vous suppléez une idée et vous dites ce qui, à parler exactement n’a ni genre ni nombre.

C’est par la même raison qu’on dit indifféremmt c’est eux et ce sont eux, c’est elle, ce sont elles; mais on dit c’est vous, c’est nous, c’est moi; et on ne peut pas s’exprimer autrement, parce que l’idée que l’adjectif ce modifie est une troisième personne qui ne [?sauroit] se construire avec êtes, sommes, suis.

Dans cette phrase c’est eux le verbe a donc proprement deux sujets; l’un est cette idée vague dont ce est l’adjectif et l’autre est le pronom eux. Nous mettons le verbe au singulier ou au |64 pluriel, suivant que notre esprit se porte plus particulieremt sur cette idée vague ou sur la personne. Mais on n’a plus le choix lorsque le verbe se construit avec des noms. Il faut dire ce sont les Phéniciens qui ont inventé l’art d’ecrire; on ne peut pas dire c’est les Phéniciens.

L’adjectif ce joint au verbe être a un avantage du coté de l’expression; ce tour, ce fut Sylla qui montra le premier que la république pouvoit perdre la liberté, indique d’une maniere plus sensible Sylla comme le prem’. auteur de la tyrannie que cet autre tour Sylla fut le prem’. Dans le 1er l’attention se porte beaucoup plus sur Sylla, on le montre au doigt, pour ainsi dire, au lieu que dans le second on ne paroit que le nommer.

 

 

Chapitre X.

Des adjectifs possessifs.

 

Les adjectifs possessifs sont ceux qui déterminent un nom avec un rapport de propriété. Dans mon chapeau, mon est adjectif parce qu’il détermine chapeau et il est possessif parce qu’il marque un rapport de propriété du chapeau à moi.

Ces adjectifs expriment un rapport de propriété à la 1ere personne, mon, le mien; à la 2de ton, le tien; a la 3eme votre, le vôtre; à la 3eme son, le sien |65 à plusieurs personnes de la 1ere, notre, le nôtre; à plusieurs personnes de la 2de, votre, le vôtre; à plusieurs [personnes] de la 3eme leur, le leur.

Mon, ton, son, ainsi que leur féminin et leur pluriel s’emploient toujours avec des substantifs et ne peuvent jamais être précédés de l’article; il en est de même de nos et de vos.

Avec mien, tien, sien, leurs féminins et leurs pluriels il faut, au contraire faire toujours usage de l’article et sous-entendre le substantif. voilà votre plume, donnez moi la mienne: la mienne signifie la plume mienne, c’est une ellipse. L’article s’emploie en pareil cas non pour déterminer mienne, mais pour concourir avec cet adjectif à déterminer le mot plume qui est sous-entendu.

Enfin notre votre et leur se mettent avec le substantif sans article ou avec l’article sans substantif.

Mon, ton, son s’emploient non seulement avec les noms masculins, mais encore avec les féminins qui commencent par une voyelle ou par une h non aspirée: mon ame, ton amitié, son humilité. C’est une regle générale que nous supprimons ces adjectifs toutes les fois que les circonstances y suppléent suffisamment: on dit j’ai mal a la tête, ce cheval a pris le mors aux dens, et non pas j’ai mal à ma tête |66 ce cheval a pris son mors à ses dens.

Il y a quelque difficulté sur l’usage des adjectifs de la 3eme personne. En parlant d’une personne nous disons sa tête est belle, et nous ne disons pas la tête en est belle. S’il s’agit d’une statue, nous disons au contraire la tête en est belle, et nous ne nous permettons pas sa tête est belle.

C’est une regle générale que nous nous servons des adjectifs son sa lorsqu’on parle des personnes ou des choses qu’on personnifie, mais il ne faut pas toujours les usiter lorsque nous parlons des choses.

On ne dira pas en parlant d’une riviere son lit est profond mais le lit en est profond: on dit cependt elle est sortie de son lit.

On ne dira pas en parlant d’un tribunal, d’une armée d’une maison ses magistrats sont integres, ses soldats sont disciplinés, sa situation est agréable. On dit néanmoins le tribunal est mécontent de certains de ses magistrats; l’armée a perdu une partie de ses soldats; je voudrois pouvoir tirer cette maison de sa place.

D’après ces exemples on peut se faire une regle: elle est la même que celle qui concerne les noms de la troisième personne: c a d, qu’en parlant des choses nous devons nous servir du pronom en, toutes |67 les fois que nous en pouvons faire usage; et que lorsque nous ne le pouvons pas, nous devons nous servir de l’adjectif possessif. On dira donc la République conservera ses conquêtes, la ville a ses agrémens; mais on dira en parlant de la ville les agrémens en sont grands et de la République les conquêtes en sont immenses.

Remarquons en passant que ce tableau a ses beautés et ce tableau a des beautés ne signifient pas exactemt la même chose; le 1er tour exprime un consentemt tacite aux critiques qui ont été faites, on dira au contraire ce tableau a des beautés, lorsqu’on y trouve des défauts qu’on n’a pas encore relevés ou qu’on se propose de passer sous silence. ainsi ses est relatif à quelque chose qui a été dit et des l’est à quelque chose qui ne l’a pas été ou qu’on n’a pas même envie de dire.

faut-il dire tous les juges ont opiné chacun selon ses lumieres ou chacun selon leurs lumieres l’adjectif possessif ses marque que la chose appartient distributivemt aux uns et aux autres, et leurs qu’elle appartient à tous collectivemt. On doit donc dire les juges ont opiné chacun selon ses lumieres car ce qu’on dit collectivement de tous les juges, c’est qu’ils ont opiné, et distributivement, c’est que chacun a opiné selon ses lumieres. On voit par là qu’il y a ellipse dans cette phrase et qu’en la décomposant |68 on trouve ces deux propositions tous les juges ont opiné et chacun a opiné selon ses lumieres.

vous direz au contraire les juges ont donné chacun leur avis selon leurs lumieres.

En effet après ces mots les juges ont opiné, le sens collectif est fini et il ne l’est pas après ceux-ci les juges ont donné chacun. or dès que chacun ne vient qu’après un sens collectif fini, c’est à ce mot que tout ce qui suit doit se rapporter. Mais si chacun vient avant que le sens collectif soit fini c’est à ce mot que tout ce qui suit doit se rapporter. ce qui suit ne peut pas se dire distributivement. on ne dira donc pas les juges ont donné chacun leur avis selon ses lumieres puisque le sens collectif ne [?vient] qu’après avis que chacun précède.

Par la même raison vous direz il leur a dit à chacun leur fait et non pas son fait. vous direz cependt il a dit à chacun son fait, parce que n’y ayant point de nom auquel l’adjectif possessif puisse se rapporter collectivement, chacun détermine un sens distributif.

 

 

Chapitre XI.

Des adjectifs conjonctifs.

 

Le propre des mots qui, que, dont, lequel, laquelle, &c. n’est certainement pas d’être substitués à aucun substantif. ce ne sont donc pas des pronoms.

Nous avons vu que tout substantif peut être modifié et que cette modification peut être exprimée par une |69 proposition incidente. or nous ne formons de pareilles propositions qu’avec le secours des mots qui, que, dont &c. voyons qu’elle en est l’énergie.

Commençons par lequel et laquelle et disons, le philosophe lequel est sage, lequel vous aimez et duquel vous recherchez les ouvrages. l’usage préfere à la vérité qui, que, dont, mais tous ces mots ont au fond la même signification et ce qui sera démontré des uns sera vrai des autres.

Or, quand je dis le philosophe, j’offre une idée dans toute sa généralité: mais si j’ajoute lequel ce mot restreint mon idée; j’annonce que je ne veux pas parler de tous les philosophes et je fais pressentir que je vais ajouter quelque modification particuliere. Le philosophe lequel est sage.

Puisque lequel annonce la proposition dont il fait partie et qui doit achever de modifier l’idée générale, il commence donc à déterminer le mot philosophe et par conséquent il doit être un adjectif.

Mais tout adjectif est censé accompagné de son substantif. et lorsque celui-ci n’est pas exprimé il est sous-entendu; le philosophe lequel est sage est donc pour le philosophe lequel philosophe est sage.

|70 or qui, que, dont sont sinonimes de lequel et duquel ils sont donc des adjectifs: toutes les phrases où on les emploie sont elliptiques et loin de prendre la place d’un nom, ils le sous-entendent toujours après eux. et quoique l’usage ne leur permette pas d’ajouter le mot sous-entendu, l’idée s’en présente au moins à l’esprit, et c’est assez.

Nous appellerons donc ces mots adjectifs conjonctifs ou simplement conjonctifs. souvent le conjonctif n’est pas même précédé du nom qu’il détermine: qui vous a dit cela? c’est qui ou quel homme. quelquefois encore le conjonctif n’est précédé que d’un autre adjectif vague, celui qui; alors il faut suppléer le substantif pour l’un et pour l’autre, celui homme qui ou lequel homme.

Il y a même des mots qui sont équivalens à un substantif indéterminé et à un conjonctif, tels sont quoi et

A quoi vous occupez-vous? de quoi me parlez-vous? c a d, à quelle étude, de quelle chose ou quelle est l’étude à laquelle.

où allez-vous? ce principe d’où je conclus. le sens est quel est le lieu auquel lieu, ce principe duquel principe.

Lequel et laquelle sont formés de les |71 la et des adjectifs quel quelle que nous employons aussi avec ellipse. Nous disons quel est-il? pour cet homme, quel homme est-il? quelles que soient vos excuses, pour quelles excuses que soient vos excuses.

Il y a de pareilles ellipses dans ces expressions qui est là? qui est-ce? qui vous a parlé? Il ne faut pas être arrêté par la difficulté de les remplir. on ne connoîtra l’analogie du langage qu’autant qu’on portera son attention plutôt sur les idées que sur le matériel des mots.

En conséquence nous supposerons encore des ellipses dans toutes ces phrases: qui que ce soit, que pensez-vous? qu’est ce que l’homme? or, en remplissant ces ellipses on voit que tous ces mots modifient quelques usages et que, par conséquent ce sont autant d’adjectifs.

 

 

Chapitre XII.

De l’usage des adjectifs conjonctifs.

 

On ne dit point l’homme est animal qui raisonne il a été reçu avec politesse qui... on doit dire un animal qui raisonne, avec une ou avec la politesse qui...examinons ces exemples pour trouver la regle qu’on doit suivre.

les mots animal et politesse sont pris indét- |72-erminément dans l’homme est animal et il a été reçu avec politesse. Au contraire ils sont déterminés ou restreints lorsqu’on dit un animal, une ou la politesse. La regle est donc que le conjonctif ne peut se rapporter qu’à un nom pris dans un sens déterminé.

Or un nom est pris dans un sens déterminé toutes les fois qu’il est précédé de l’article ou des adjectifs un, tout, quelque, plusieurs et autres semblables.

Mais quelquefois il est déterminé quoiqu’il ne soit précédé d’aucun de ces adjectifs et on y sera trompé si on ne saisit pas le sens de la phrase. Lorsqu’on dit p.ex. il n’a point de livre qu’il n’ait lu; est-il ville dans la République qui soit plus tranquille? il n’y a homme qui sache il se conduit en pere tendre qui: les mots ville, livre, homme, pere sont evidemment déterminés et le sens est il n’y a pas un livre qui...est-il dans la République une ville qui... il n’y a pas un homme qui... il se conduit comme un pere qui...

Comme on ne peut pas joindre une proposition incidente à un nom indéterminé, on n’y peut pas plus joindre un adjectif, on ne dira donc pas avoir peur terrible; donner en spectacle funeste, &c.

|73 Il y a des conjonctifs qui se disent des personnes et des choses: d’autres ne se disent que des personnes.

Il faut d’abord distinguer si l’adjectif conjonctif est le sujet de la propon incidente, l’objet du verbe ou le terme de tout autre rapport. Il est le sujet ou le nom dans la Science qui plaît le plus; il est l’objet dans la Science que vous aimez; enfin il est le terme d’un autre rapport toutes les fois qu’il est précédé d’une préposition; l’homme à qui j’ai parlé ou qu’il est exprimé par dont, l’homme dont je vous ai parlé pour duquel.

1º Lorsque le conjonctif est le sujet, qui doit être préféré à lequel et laquelle soit qu’on parle des choses soit qu’on parle des personnes. les écrivains qui savent parler savent écrire; la philosophie qui déclame qui cabale et qui crie est un fanatisme qui veut paroître ce qu’il n’est pas. Il ne seroit pas permis de substituer lequel ou laquelle à aucun de ces qui. cependt comme lequel est susceptible de genre et de nombre, il est propre à prévenir les équivoques; mais il faut s’il est possible choisir tout autre moyen.

2º Lorsque le conjonctif est l’objet du verbe, c’est |74 encore une regle de préférer que à lequel et à laquelle: les arts que vous étudiez, les ennemis qu’il a vaincus.

3º Lorsque le conjonctif est le terme d’un rapport marqué par la prépon de, on peut employer dont en parlant des choses comme en parlant des personnes. Ce conjonctif est pour tous les genres et pour tous les nombres et il est en général préférable à de qui duquel de laquelle&c. Buonaparte dont la valeur, les biens dont vous jouissez, la maladie dont vous êtes menacé

4º Si l’on veut faire usage des autres, le plus sûr en parlant des choses est de préférer duquel ou de laquelle à de qui: un arbre duquel le fruit...une chose de laquelle...mais dont est préférable quand il n’y a point d’équivoque à éviter. Il y a cependt des écrivains qui ne s’assujettissent pas toujours à cette regle.

5º Si le conjonctif se rapporte à des personnes vous préfererez de qui à duquel et à de laquelle, Buonaparte de qui la valeur.. il semble même que dans un stile soutenu de qui sera mieux que dont. Mais il y a une exception à faire sur ces deux dernieres regles. Dans Buonaparte de qui la valeur, ...de qui se |75 rapporte à valeur qu’il détermine comme Buonaparte le détermine lui-même; c’est la valeur de Buonaparte.

Dans l’homme de qui vous m’avez parlé, de qui se rapporte au verbe parlé, et c’est la même chose que vous m’avez parlé de cet homme.

Toutes les fois que le conjonctif se rapporte au verbe, on doit se servir de dont en parlant des choses et même encore en parlant des personnes, quoique dans ce dernier cas de qui ne fut pas une faute.

Mais lorsque le conjonctif se rapporte au substantif de la propon incidente, il faut distinguer si ce substantif le précède ou le suit.

S’il le suit, on se servira de dont en parlant des personnes et des choses ou de de qui, seulement en parlant des personnes. La Garonne dont le lit..., le magistrat dont ou de qui la justice.

S’il le précède, il faut toujours préférer duquel ou de laquelle, la Garonne dans le lit de laquelle... le magistrat à la justice duquel. Dans ces occasions on ne peut pas se servir de dont, et quoiqu’on parle des personnes, duquel et de laquelle est toujours mieux que de qui.

6º Quand le conjonctif est précédé de la |76 préposition à, auquel et à laquelle ne s’emploient que pour les choses: la fortune à laquelle je ne m’attendois pas. pour les personnes on a le choix entre à qui et auquel: les amis à qui ou auxquels je me suis confié.

7º avec toute autre prépon que de et à, la regle est la même, c a d que lequel et laquelle peuvent seuls se dire des personnes et des choses et que qui ne s’emploie qu’avec les choses personnes. les revenus sur lesquels vous comptez, l’homme chez qui ou chez lequel vous êtes allé.

8º Il y a quelques tours ou que se met pour à qui auquel, duquel et dont: c’est à vous que je parle pour à qui ou auquel: c’est de lui que je parle pour duquel ou dont.

Qui ne se dit que des choses absolument inanimées, et encore peut-on toujours substituer quel ou quelle: le principe sur qui ou sur lequel je me fonde. Ce conjonctif a cela de particulier qu’il tient lieu d’un substantif et d’un autre conjonctif: c’est de quoi je me plains, c a d, c’est la chose dont.

10º où ne se dit jamais que des choses; il |77 s’emploie pour auquel: voilà le principeje m’arrête; pour lequel; voilà le chemin paril a passé.

Pourquoi dit-on votre ami est un des hommes qui manquerent de périr dans la sédition, et au contraire, votre ami est un des hommes qui doit le moins compter sur moi; pourquoi qui manquerent dans l’un et qui doit dans l’autre?

C’est que les vues de l’esprit ne sont pas les mêmes. dans le prem’. exemple l’adjectif un met votre ami parmi ceux qui manquerent de périr, et le pluriel doit être préféré; dans le second un sépare votre ami de la classe des hommes; il le met à part pour faire entendre qu’il est de tous celui qui doit le moins compter sur moi.

Il est bon d’avoir observé ces regles, pour mieux observer l’usage; mais il ne faut pas s’y arrêter long-tems.

 

 

Chapitre XIII.

Des prépositions.

 

Nous avons dit qu’une préposition est un mot qui indique le second terme d’un rapport; mais il y en a quelques unes qui ont en outre la propriété de modifier le second terme dans |78 Pierre ressemble à son frere, ressemble est le 1er terme, son frere est le 2d, et la prépon à ne fait qu’indiquer celui-ci. Au contraire dans la maison de Pierre de ne se borne pas à indiquer Pierre comme le secd terme, il modifie encore le prem’ puisqu’il ajoute la qualité d’appartenir. De pareils mots tiennent donc de la nature de l’adjectif dont le propre est de modifier et de celle de la prépon dont le propre est de montrer le secd terme d’un rapport. nous les laisserons dans cette derniere classe.

Une préposition étant un mot, il n’y a que à et de qui soient des prépositions, dans les expressions suivantes: hors de, près de, loin de, à la reserve de à l’égard de et vis-à-vis de qui à consulter l’étimologie comme le sens est la même chose que vue à vue de: les autres mots tels que reserve, égard vis sont des substantifs; et hors, près, loin sont des adjectifs ou des substantifs à notre choix, et selon que nous les considérons comme modifiant un nom ou comme distribuant des noms dans différentes classes.

On a remarqué que les mêmes prépositions sont employées dans des cas tous différens: en effet, il y a bien de la différence entre aller à paris et être à paris; mais l’emploi de |79 la préposition est toujours le même puisqu’elle se borne à indiquer le second terme d’un rapport.

La même préposition n’est jamais employée dans des cas différens, lorsqu’elle modifie le premier terme du rapport; nous disons par ex. il est à la ville, il est dans la ville, il est en ville, en nous servant de trois prépons différentes, parce que chacune de ces phrases a un sens que les deux autres n’ont point. c’est d’après de pareils exemples qu’on a reproché à notre langue, quoique sans fondement, d’employer des prépositions différentes dans des cas semblables.

Les prépositions dedans, dehors, dessus, dessous s’emploient d’ordinaire avec ellipse, c a d, sans prononcer le 2d terme qu’elles indiquent.

Le prem’. emploi des prépons qui ont été substituées à des gestes a été de marquer des rapports entre des objets sensibles; mais parce que les choses abstraites exprimées par des noms substantifs, prennent dans notre imagination presqu’autant de réalité que les choses mêmes en ont au dehors, elles peuvent être considérées comme ayant entr’elles des rapports à peu près semblables à ceux qui sont entre les objets, et les mêmes prépositions servent dans l’un et l’autre cas à indiquer | 80 le second terme du rapport. on dira donc de la vertu au vice, comme de la ville à la campagne.

Par là une même préposition est usitée dans des cas différens, et quelquefois les dernieres acceptions ressemblent si peu aux premieres, qu’il faut saisir le fil de l’analogie pour rendre raison de l’usage. en voici quelques exemples.

 

 

De la préposition à.

 

on dit je suis à Paris, je vais à Paris et cette préposition dans l’une et l’autre phrase se borne à indiquer un lieu comme terme d’un rapport.

Il y a beaucoup d’analogie entre la maniere d’être dans un lieu et celle d’être dans le tems; on dira donc à midi, à l’avenir

Il y en a encore entre le lieu et les circonstances où l’on se trouve, et on dira à ce sujet, à cette occasion.

ce que nous appellerons substance ne se montre à nous que par les manieres d’être qui paroissent l’envelopper, il y a donc de l’analogie entre être dans un lieu et exister ou agir d’une certaine maniere; être à pied, à cheval, recevoir à bras ouverts, parler à haute voix

Dès lors on dira par analogie à ces derniers tours peindre à l’huile, travailler à l’aiguille, parce que ce sont là des manieres de peindre et de |81 travailler.

Tout terme auquel une chose tend est analogue au lieu où l’on va. donner à son ami, oter à son ami, parler à son ami; son ami est le terme auquel tendent les actions de donner d’oter de parler; cette analogie est encore plus sensible dans en venir à des injures, passer à des reproches.

Table à manger, maison à vendre, action à raconter, dépense à faire, homme à [?hazarder], plaisanterie à faire; parce que la fin à laquelle on destine une chose est comme le terme auquel elle tend.

Par la même raison on emploiera cette prépon lorsqu’on parlera des dispositions d’une personne, homme à reussir, à ne pas pardonner.

 

 

De la préposition de.

 

cette prépon marque le lieu d’où l’on vient, et par analogie, tout terme d’où une chose commence. du matin au soir, d’un bout à l’autre, du commencement à la fin.

on dit près loin de Paris, parce que Paris est un terme sur lequel l’esprit se porte pour revenir de là à la chose dont on parle et en marquer la situation.

Il y a quelque analogie entre le rapport de situation et le rapport d’appartenance; car on est comme différemmt situé, suivant |82 les choses auxquelles on appartient. un habitant de Paris un citoyen de Rome. l’analogie est sensible dans ces exemples, et par imitation on dira le palais du directoire, les mouvemens du corps, les facultés de l’ame.

Les rapports de dépendance sont analogues aux rapports d’appartenance, et il y en a de plusieurs espèces: de l’effet à la cause, les tableaux de [?Raphael]; au moyen saluer de la main; à la maniere parler d’un ton bas; à la matiere vase d’or.

Nous dépendons des qualités dont nous sommes doués, puis que nous ne valons que par elles: homme d’esprit, de sens, de cœur.

Des principes qui nous changent ou qui nous affectent, accablé de douleur, mort de chagrin.

Le genre dépend de l’espèce qui le détermine: faculté de l’ouie, de l’ame &c. les exemples de ce genre pourroient s’expliquer encore par analogie aux rapports d’appartenance.

Les parties appartiennent à leur tout: moitié de quart de, c’est pourquoi on se sert de cette préposition quand on veut parler d’une partie, et on la retranche quand on veut parler du tout. perdre l’esprit, c’est perdre tout ce qu’on en a; avoir de l’esprit, c’est avoir une partie de ce qu’on nomme esprit; et il y a ellipse car le 1er terme du rapport est sous-entendu.

Une chose peut être regardée comme appartenant à la collection d’où elle est tirée; d’ailleurs il y a beaucoup d’analogie entre être tiré de et venir de |83 on dira donc c’est un des hommes des plus savans et non pas les plus savans, car on veut faire entendre qu’on tire cet homme d’entre les plus savans; mais on dira c’est l’opinion des hommes les plus savans, parce qu’alors hommes est pris pour tous les plus savans ensemble.

Il y a ellipse toutes les fois que les prépons à et de se construisent ensemble: puisqu’elles indiquent des termes différens, elles ne peuvent se réunir qu’autant qu’on sous-entend les mots qui les doivent séparer: il s’est occupé à des ouvrages utiles signifie à quelques uns des ouvrages.

Quoique ces deux prépositions aient dans l’origine des acceptions bien différentes, elles se rapprochent insensiblement en passant d’analogie en analogie; et elles paroissent enfin se confondre au point qu’on croit pouvoir les employer indifféremment l’une pour l’autre. je ne sais cependt s’il leur arrive jamais d’être tout à fait sinonimes. n’y a-t-il aucune différence entre continuer à parler et continuer de parler?

Pour faire voir comment ces deux prépons ont pu passer d’une acception à une autre, il suffit d’avoir saisi une analogie quelconque, sans qu’il soit nécessaire d’avoir découvert precisément celle que suit l’usage. La prépon de est la plus difficile à observer des deux, parce qu’elle s’emploie souvent avec ellipse. p.ex. on ne verra pas que dans marcher de jour et de nuit, de marque le rapport de la partie au tout, si on ne sait pas que cette expression revient à celle-ci, en tems du jour, en tems |84 de nuit.

 

 

Des prépositions dans et sur.

 

On dit dans la maison dans ce tems, dans cette année et par analogie dans le desordre, dans le plaisir, dans la prospérité.

à désigne le tems ou le lieu sans exprimer aucun autre rapport. dans désigne le tems ou le lieu avec le rapport du contenu au contenant. Il est parti dans le mois de germinal signifie dans le courant de ce mois, et ce n’est proprement ni au commencement ni à la fin: mais si considérant le mois de germinal comme le terme du départ, je ne veux rien distinguer de plus, je dirai il est parti au mois de germinal, ou seulemt le mois de germinal, car on supprime la prépon à toutes les fois qu’on le peut.

En ne differe de ces deux prépositions que parce qu’il marque d’une maniere vague le 2d terme du rapport. j’étois en ville signifie je n’étois pas chez moi; et je prends le mot ville vaguement, parce qu’il n’est pas nécessaire de le déterminer. Mais si je veux dire que je n’étois pas à la campagne, je le détermine par opposition au mot campagne et je dis j’étois à la ville. Enfin si quelqu’un m’ayant cherché inutilement juge que je pouvois être à me promener hors des portes je répondrai j’étois dans la ville.

Il est en prison se dit d’un prisonnier. Il est à la prison se dit de quelqu’un qui y est allé, comme on va tout autre part. Il est dans la prison se dit de l’un et de l’autre.

 

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De la préposition par.

 

Comme préposition de lieu, par indique l’endroit par où une chose passe; aller par les rues, par monts et par vaux et par analogie, passer par le plaisir, par les peines par de rudes épreuves.

Un effet peut être en quelque sorte considéré comme passant par la cause qui le produit: tableau fait par Rubens, tragédie faite par Racine.

Mais dès que par indique le rapport de l’effet à la cause, il en indiquera plusieurs autres: le rapport au moyen, élevé par ses intrigues, connoître par la raison; au motif, se refuser tout par caprice, agir par intérêt; à la maniere, rire par intervalles, parler par énigmes.

En voilà assez pour connoître comment l’analogie a étendu chaque préposition à des usages différens.