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Cahier de grammaire générale

 

Table des matières

 

 

 

 

Cahier de grammaire générale.

 

Seconde partie.
Des élémens du dicours.

Chap. I-XIII.

Chap. XIV-XXIV.

 

 

 

 

 

 

1

Cahier de grammaire générale

dicté à l’école centrale du Departemt de

Lot et Garonne.

 

chapitre premier. du langage d’action

chapitre II observations sur les commencemens des langues et sur leurs progrès

chapitre III en quoi consiste lart de décomposer la pensée

chap. IV combien les signes sont nécessaires pour décomposer les opérations de lame.

chap. V avec quelle méthode on doit se servir des signes pour se faire des idées de toute espèce

chap. VI des langues considérées comme autant de méthodes analytiques

chap. VII comment le langage daction analyse la pensée

chap. VIII comment les langues dans leurs commencemens analysent la pensée

chap. IX comment dans les langues formées et perfectionnées la pensée se décompose en plusieurs parties.

chap. X comment le discours se décompose |2 en propositions principales, subordonnées, incidentes; en périodes et en phrases.

 

Tout discours est un jugement ou une faute de jugement. Or, un jugement exprimé avec des mots est ce qu’on appelle une proposition. Tout discours est donc une proposition ou une suite de propositions

Nous appercevons dabord plusieurs espèces de propositions dans le discours que nous analysons. Votre illustre frere fit voir sur la scene la raison: voilà une proposition à la quelle tous les détails du 2d alinea se rapportent; ils ne sont que l’expression des modifications qui lui appartiennent. aussi quand Racine dit que Corneille a quelque tems cherché le bon chemin et qu’il a lutté contre le mauvais goût de son siecle, il prend un tour qui force à rapporter ces deux propons à la principale qu’elles doivent modifier.

Ces propositions etant considérées par rapport à cette subordination, nous appellerons principale celle-ci votre illustre frere fit voir ... et subordonées les deux autres après avoir cherché...après avoir lutté...

Au commencement du troisième alinea se rencontre une autre espèce de proposition:

La scene retentit |3 encore des acclamations quexciterent le Cid, Horace...

qu’exciterent le Cid, Horace n’est pas une propon principale; ce n’est pas non plus une propon subordonnée à une autre. Elle ne se rapporte qu’au mot acclamations qu’elle modifie en déterminant de quelles acclamations la scene retentit. qui surprend, qui enleve sont deux propons de la même espèce. Nous donnerons à ces propons le nom d’incidentes.

Ou une propon est faite pour une autre qu’elle développe, ou elle est faite pour un mot qu’elle modifie, et enfin c’est à elle que tout le discours se rapporte. Les propons considérées sous ce point de vue sont donc nécessairement ou principales ou subordonnées ou incidentes

Ce qui caractérise une propon principale, c’est qu’elle a par elle-même un sens fini. on le voit dans celle que nous avons citée: car ce qu’ajoute Racine n’est pas pour terminer le sens, mais uniquement pour développer une pensée dont cette propon est la principale partie.

Le sens des propons subordonnées n’est pas fini, il est suspendu et fait attendre la propon principale; ainsi, lorsque vous avez lu, après avoir quelque tems cherché le bon chemin, et lutté contre le mauvais goût de son siecle, vous attendez |4 quelqu’autre chose et vous continuez jusqu’à fit voir &c.

Les propons incidentes ont cela de particulier que quelquefois elles sont nécessaires pour former un sens fini et que d’autres fois elles ne le sont pas. Dans, la scene française retentit encore des acclamations, vous attendez encore quelque chose, et la propon incidente quexciterent à leur naissance Le Cid, Horace [?en livre] le sens. il en est de même de cette phrase où trouvera-t-on un poëte? en considérant ces expressions des acclamations, un poëte, vous voyez que le sens n’en est pas assez déterminé car si on s’arrêtoit à ces mots vous demanderiez de quelles acclamations?, quel poëte? Les propons incidentes qui vous répondent déterminent donc le sens de ces mots et achevent celui de la propon principale.

Il est aisé de s’appercevoir que ceci est en contradiction avec la définition de la propon principale, et j’e me suis apperçu ai éprouvé que cette définition induisoit les jeunes gens en erreur: car qu’est ce qu’une propon principale qui exprime par elle-même un sens fini, et qui a cependant quelquefois besoin d’une propon incidente pour achever d’en déterminer le sens?

je proposerois donc de définir la propon principale, une propon qui ne peut se rapporter à une autre |5 mais à la quelle une autre propon peut se rapporter, et qui se trouve explicitement ou implicitement dans tout discours, quelque abrégé qu’il soit.

La fin du dernier alinea nous donne deux exemples de propons incidentes sans lesquelles le sens pourroit être achevé. c’est lorsque Racine dit que Corneille est comparable aux Eschyles, aux Sophocles, aux Euripides dont la fameuse Athenes ne s’honora pas moins que des Themistocles, des Pericles, des Alcibiades, qui vivoient en même tems qu’eux.

Racine pouvoit finir son discours à Alcibiades; il pouvoit même le finir à Euripides, et n’attendant rien de plus, vous n’auriez point fait de question. or, si ces propositions, dont la fameuse Athènes,... qui vivoient ne sont pas nécessaires pour faire un sens fini, c’est que les mots aux quels elles se rapportent ont par eux-mêmes un sens déterminé; cependt elles sont nécessaires au développement entier de la pensée.

Comme les propositions subordonnées font attendre la principale lorsqu’elles commencent le discours, elles la supportent au contraire lorsqu’elles le terminent. Dans le 2d alinea Racine pouvoit finir à ces mots, fit voir sur la scene la raison; mais pour bien développer ses idées il ajoute: mais la raison accompagnée de toute la pompe dont notre langue est capable, accordant heureusement |6 la vraisemblance et le merveilleux, et laissant bien loin derriere lui tout ce quil avoit de rivaux.

Il y a dans la fin de cet alinea deux propons subordonnées déguisées. l’une commence au mot accordant, et l’autre au mot laissant: car ce tour revient au fond à celui-ci, parce qu’il accordoit et parce quil laissoit où l’on voit deux propons subordonnées qui se rapportent à la principale fit voir &c.

je ne vois point de proposition dans le sens où on se sert du participe, parce qu’il n’y a point de sujet. il est à remarquer que les participes du present, tantôt forment une proposition subordonnée, et tantôt un simple accessoire comme ferait un autre adjectif. il forme une propon dans la phrase suivante: Buonaparte servant glorieuseusement la République, il mérite la reconnaissance de ces concitoyens.

On voit dans le second alinea plusieurs propons de differentes espèces qui concourrent au développement d’une seule pensée. on voit encore qu’elles forment un discours dont les principales parties, sans avoir un sens fini, sont distinguées par des [?repos] plus marqués. or, ces différentes parties sont ce qu’on appelle membres et le discours entier est ce qu’on nomme période.

Tout ce qui précède fit voir appartient au premier membre et le reste au second. l’un et l’autre pourront même se diviser en deux, car, après parmi nous et capable, le [?repos] est plus sensible |7 qu’après les autres mots où il est également marqué par des virgules.

on ne trouvera pas de pareils membres dans ce discours: vous savez dans quel état se trouvoit la scene Française lorsquil commença à travailler, quoiqu’il soit composé de deux propositions, il n’y a presque point de [?repos] de l’une à l’autre et la pensée est développée dans un seul membre dont le sens est fini. Voilà ce qu’on nomme une phrase.

Dans tout le premier alinea vous appercevez autant de phrases qu’il y a de parties séparées par deux points.

Il est vrai que ces phrases concourrent toutes au développement de la premiere, mais elles sont indépendantes les unes des autres, elles ont chacune un sens fini, enfin elles font un tout bien différent de celui que font les propositions subordonnées dans le second alinea.

on est quelquefois embarrassé de savoir si plusieurs propositions font une période ou une phrase; mais alors, peu importe le nom.

 

 

Chap. XI.

Des propositions simples et composées; et des propositions incomplexes et complexes.

 

puisqu’une proposition est l’expression d’un jugement, elle doit être composée de trois mots, en sorte que deux soient les signes de deux idées que nous comparons |8 et que le troisième soit le signe de l’opération de l’esprit lorsque nous jugeons du rapport de ces deux idées.

Corneille est poëte. voilà une proposition. le premier mot qu’on nomme sujet ou nom, et le troisième qu’on nomme attribut, sont les signes des deux idées que nous comparons. Le 3eme est le signe de l’opération de l’esprit qui juge du rapport entre Corneille et poëte. ce mot est ce qu’on appelle verbe. Toute propon est donc composée d’un sujet, d’un verbe et d’un attribut.

Quand une propon n’est formée que de deux mots, ces deux mots équivalent à trois. je parle par ex. est la même chose que je suis parlant.

Corneille est poëte est une proposition simple, parce que n’ayant qu’un sujet et qu’un attribut, elle est l’expression d’un jugement unique dans lequel on ne compare que deux idées, et un jugement n’en peut pas renfermer moins.

Mais, des acclamations qu’exciterent le Cid, Horace, Cinna, est une propon composée, parce qu’elle est l’expression abrégée de plusieurs jugemens. ces jugemens sont qu’excita Horace, qu’excita le Cid, qu’excita Cinna.

il faut remarquer qu’un jugement ne se compose pas comme une proposition, parce qu’il ne peut jamais être composé que de deux idées. une |9 proposition au contraire se compose lorsqu’elle renferme plusieurs jugemens dans une seule expression.

Une propon qui n’auroit qu’un sujet seroit également composée si elle avoit plusieurs attributs. p.ex. Corneille a une magnificence d’expression proportionnée aux maîtres du monde quil fait parler, une certaine force, une certaine élévation, cette propon peut se décomposer en trois: Corneille a une magnificence dexpression, il a une certaine force, il a une certaine élévation.

On peut facilement imaginer une propon doublement composée, c à d, qui auroit à la fois plusieurs sujets et plusieurs attributs.

En général le nombre des sujets mutiplié par le nombre des attributs exprime combien de propositions simples contient une propon composée.

Mais une propon peut être composée quoiqu’elle ne paraisse avoir qu’un sujet ou qu’un attribut, lors qu’il est modifié de deux manieres: Le Directoire a présenté [?pérignon] à ses amis et à ses ennemis. Une propon est également composée lorsque le verbe a plusieurs objets. Le Français aime la liberté et l’égalité.

on peut aussi considérer une proposition logiquement c a d, relativement aux idées, et une propon logique simple peut former une pro plusieurs propons grammaticales.|10 En effet, on peut ne pas voir dabord une proposition simple dans cette période. Corneille après avoir quelque tems cherché le bon chemin, et lutté, si je l’ose dire ainsi, contre le mauvais goût de son siecle, enfin inspiré d’un génie extraordinaire et aidé de la lecture des anciens, fit voir sur la scene la raison; Mais la raison accompagnée de toute la pompe et de tous les ornemens dont notre langue est capable, accordant heureusement la vraisemblance et le merveilleux et laissant bien loin derriere lui tout ce quil avoit de rivaux.

En analysant ce discours nous y avons trouvé des propositions de plusieurs espèces. mais nous considérions alors les propositions sous un point de vue différent (relativement aux mots ou grammaticalemt) Les propons subordonnées et les propons incidentes ne font que modifier la propon principale dont elles développent les accessoires. Elles ne sont donc que des idées partielles, du sujet et de l’attribut qui continuent l’un et l’autre d’être un avec elles ou sans elles.

il y a également unité dans le sujet et dans l’attribut, soit qu’on les énonce chacun par un seul mot, soit qu’on les désigne l’un et l’autre par un long discours. Or dès qu’il n’y a qu’un sujet et qu’un attribut la propon est simple.

Tout le 1er membre est l’expression d’un sujet unique, car celui qui fit voir sur la scene la raison c’est Corneille considéré comme ayant quelque tems cherché le bon chemin, comme ayant |11 lutté contre le mauvais goût de son siecle &c. de même le second membre est l’expression d’un seul attribut avec ses accessoires; et ces accessoires sont: mais la raison accompagnée de toute la pompe et de tous les ornemens dont notre langue est capable, accordant heureusement la vraisemblance et le merveilleux, et laissant &c. or, cette idée, quoique développée, est unique comme si elle était rendue par un seul mot.

Les propositions simples dont le sujet ou l’attribut sont exprimés par plusieurs mots, se nomment complexes; et les propositions simples dont le sujet et l’attribut sont chacun exprimés par un seul mot, se nomment incomplexes. Corneille est poëte est une proposition incomplexe.

 

 

Chapitre XII.

Analyse de la proposition.

 

Considérons actuellement les trois termes d’une propon. Le sujet est la chose dont on parle: l’attribut est ce qu’on juge lui convenir, et le verbe dit l’attribut du sujet.

pour pouvoir parler d’une chose il faut lui avoir donné un nom ou pouvoir l’exprimer par plusieurs mots équivalens; et pour lui donner un nom ou pour la désigner par plusieurs mots, il faut qu’elle existe ou que nous puissions la regarder comme existante; car ce qui n’existeroit ni dans la |12 nature ni dans notre maniere de concevoir, ne sauroit être l’objet de notre esprit. Le néant même prend une sorte d’existence lorsque nous en parlons.

Les noms qu’on a donnés aux individus s’appellent noms propres; tels sont Buonaparte, Brutus, Paris, Milan. Or, les individus sont les seules choses qui existent dans la nature. Nous ne parlerions donc que des individus si nous ne parlions que des choses qui existent réellement et nous n’aurions que des noms propres. Mais puisque les idées générales s’offrent à nous comme quelque chose qui convient à plusieurs individus, elles sont quelque chose dans notre esprit, et par conséquent elles y ont une écriture. Voilà pourquoi nous avons pu leur trouver des noms, et ces noms sont généraux comme elles.

Ces idées sont en général de deux espèces; les unes distinguent par classes les individus qui existent véritablement; tels sont philosophe, poëte, magistrat. Les autres distinguent par classes des qualités que nous regardons comme existantes avec d’autres qualités qui les modifient: tels sont figure couleur vertu, prudence; les noms de l’une et de l’autre, ainsi que les noms des individus sont compris sous la dénomination commune de substantifs.

Puisque ces noms comprennent tout ce qui |13 existe dans la nature et tout ce qui existe dans notre esprit, ils comprennent toutes les choses dont nous pouvons parler. Tout nom qui est sujet d’une proposition est donc un nom substantif ou un nom employé comme tel.

Lorsque Racine dit à Thomas Corneille, votre illustre frere fit voir; les mots votre et illustre ajoutent chacun quelque chose à l’idée que frere rappelle. par cette raison ces sortes de mots sont nommés adjectifs, d’un mot latin qui signifie ajouter.

frere, ainsi que tout autre substantif exprime un être existant ou qu’on regarde comme existant. Au contraire votre et illustre expriment des qualités que l’esprit ne considere pas comme ayant une existence par elles-mêmes, mais plutôt comme n’ayant d’existence que dans le sujet qu’elles modifient.

De ces trois idées celle de frere est la principale, parce que ce n’est que par elle qu’existent les deux autres qui pour cela sont nommées accessoires. ce mot fait entendre qu’elles viennent se joindre à la principale pour exister en elle et la modifier.

Nous dirons donc que tout substantif exprime une idée principale par rapport aux adjectifs qui le modifient, et que les adjectifs n’expriment jamais que des idées accessoires.

|14 illustre modifie frere, mais frere modifie Pierre Corneille que Racine indique et qu’il ne nomme pas. voilà donc un adjectif et un substantif qui modifient également: mais ils different en ce que l’adjectif modifie en faisant exister la qualité dans le sujet, illustre p.ex. dans frere, et que le substantif modifie en faisant exister le sujet dans une certaine classe Corneille p.ex. dans la classe qu’on nomme frere. Ce qui caracterise donc le substantif, c’est qu’il met la chose qu’il modifie dans la classe dont il est le nom. peuple poëte philosophe sont des substantifs.

Souvent le même mot peut être pris adjectivement ou substantivement: poëte p.ex vrai p.ex. est adjectif quand je dis Pierre est vrai, car alors je ne veut qu’indiquer la qualité que j’attribue à Pierre; il est substantif au contraire quand je dis le vrai seul est aimable, parce que je parle d’une chose que je regarde comme existante par elle-même.

Dans votre illustre frere on remarque deux sortes d’accessoires: votre détermine de qui est frere celui dont on parle, et illustre explique ou développe l’idée qu’on se fait de votre frere.

Or une idée principale ne peut être modifiée qu’autant qu’on la développe ou qu’on la détermine. Les accessoires ne sont donc en général que de deux espèces et tous les adjectifs peuvent se renfermer dans |15 deux classes; les adjectifs qui déterminent et les adjectifs qui développent. Leur usage est précisémt le même que celui des propons incidentes. votre illustre frere est la même chose que votre frere qui est illustre.

Les adjectifs et les propositions incidentes ne sont pas les seuls tours propres aux accessoires, car au lieu d’un poëte qui a du génie, on peut dire un poëte de génie, et au lieu d’un poëte qui n’a point de génie, on peut dire un poëte sans génie.

Nous avons donc trois manieres d’ajouter un accessoire lorsque la langue a un adjectif pour l’exprimer, et nous disons un homme de courage, un homme qui a du courage, un homme courageux. Cependt ces [?tours] ne s’emploient pas toujours indifféremmt l’un pour l’autre.

Dans poëte de génie comme dans poëte sans génie on voit deux substantifs, et un mot qui force à considérer le second sous le rapport d’une idée accessoire à une idée principale que le 1er désigne. Tous les mots employés à cet usage se nomment prépositions. Sous et de sont donc des prépositions.

Un nom qui est le sujet d’une proposition est donc un nom seul ou un nom auquel on ajoute des accessoires.

l’attribut d’une proposition est un nom substantif. Corneille est un poëte ou un adjectif Corneille est |16 sublime (a) /(a) Dans l’édition de Volland Condillac a changé cette théorie; il dit que l’attribut d’une propon est toujours un substantif exprimé ou sous entendu; mais il me paroit que c’est à tort. en effet l’adjectif exprime une idée accessoire qui s’identifie avec l’idée exprimée par le substantif (v. 2de part. ch. V) Le verbe exprime la coexistence de l’attribut avec le sujet; pourquoi ne pourrait-on pas affirmer la coëxistence de deux idées qui se conviennent au point de se fondre en une seule? il y a plus; Dumarsais prouve (traité de l’article 7.IV p.204 1er alinea de l’edition de [?pougons]) que dans cet exemple, l’homme est animal, animal est un nom d’espèce pris adjectivemt et dans un sens qualificatif. il suit de là que bien loin qu’un attribut ne puisse être un adjectif, la plupart des substantifs attributs ont un sens qualificatif ou adjectif./

Si l’attribut est un substantif, il est évident qu’il peut être susceptible des mêmes accessoires que le sujet, et que ces accessoires peuvent être exprimés de même.

Lorsque vous dites Corneille est un poëte, un poëte est un écrivain, un écrivain est un homme, vous remarquez que le substantif qui est l’attribut est un peu plus général que le substantif qui est le sujet et que vous feriez autant de propositions fausses si vous disiez un homme est un écrivain, un écrivain est un poëte, un poëte est Corneille.

En effet la génération des idées générales commence, comme nous l’avons dit aux individus. Si vous avez lu dabord les fables de Lafontaine, l’idée de poëte n’étoit |17 encore pour vous qu’une idée individuelle, identique avec celle de Lafontaine. Si vous avez ensuite lu quelques pieces de Racine, de Moliere, de Voltaire, l’idée individuelle de poëte est devenue une idée commune à Lafontaine, à Racine à Moliere à Voltaire.

Or cette idée ne leur est commune que parce qu’elle se trouve dans chacun d’eux, que parce qu’elle est une idée partielle de l’idée totale que vous vous êtes faite successivement de tous quatre. de même l’idée d’écrivain est une partie de celle de poëte, celle d’homme une partie de celle d’écrivain, et en remontant ainsi de classe en classe, vous voyez que l’idée que vous vous faites d’une classe supérieure n’est jamais qu’une partie de l’idée que vous avez d’une classe inférieure. quand par conséquent vous dites qu’un poëte est un écrivain, la proposition est la même que si vous disiez que l’idée d’écrivain est une partie de celle de poëte. voilà pourquoi l’attribut ne peut jamais être un nom moins général que le sujet.

Il est des cas où l’attribut est identique avec le sujet; alors il peut devenir le sujet de la propon et faire prendre sa place au sujet. p.ex. vous pouvez dire à votre choix dieu est l’être tout-puissant ou l’être tout-puissant est dieu.

Lorsque les deux termes d’une proposition ne |18 sont pas identiques, et qu’ils sont des substantifs, il n’y a donc entr’eux d’autre différence, sinon que l’attribut est toujours plus général que le sujet.

 

 

Chapitre XIII.

Continuation de la même matiere. Analyse du verbe et de ses accessoires.

 

Quand le rapport entre l’attribut et le sujet n’est considéré que dans la perception que nous en avons, le jugement n’est encore qu’une simple perception. Au contraire, quand nous considérons ce rapport dans les idées que nous comparons et que par ces idées nous nous représentons les choses comme existantes independamment de notre perception, alors juger n’est pas seulement appercevoir le rapport de l’attribut au sujet, c’est encore affirmer que ce rapport existe. Ainsi quand nous avons par ex. fait cette propon cet arbre est grand, nous n’avons pas seulement voulu dire que nous appercevons l’idée d’arbre avec l’idée de grandeur; nous avons encore voulu affirmer que la qualité de grandeur existe en effet avec les autres qualités qui constituent l’arbre. voilà donc un jugemt qui, après avoir été une simple perception, devient une affirmation; et cette affirmation [?emporte] que l’attribut existe dans le sujet.

[?Or] le verbe est exprime cette affirmation. |19 il exprime donc encore la coëxistence du sujet et de l’attribut, et la nature en est déterminée par cette seule idée de coëxistence. En effet puisque nous ne parlons des choses, qu’autant qu’elles ont une existence, au moins dans notre esprit, il ne se peut pas que le mot que nous choisissons pour exprimer nos jugemens, n’exprime pas cette existence.

Si nous nous bornions à ne voir dans le verbe que la marque de l’affirmation, nous verrions l’affirmation dans toutes les propons; mais lorsque le verbe signifie la coëxistence, une propon est affirmative si elle affirme que le sujet et l’attribut coëxistent; et elle est négative si elle affirme qu’ils ne coëxistent pas. Il suffit pour la rendre négative de joindre au verbe les signes de la négation ne et pas.

Il ne faut que des substantifs pour nommer les objets; il ne faut que des adjectifs pour en marquer les qualités; il ne faut que des prépositions pour en indiquer les rapports, et il ne faut que le seul verbe est pour prononcer tous nos jugemens: nous n’avons donc pas, rigoureusement parlant, besoin d’autres mots. Il y en a cependt encore plusieurs espèces, et les verbes se sont fort multipliés.

Il joue est la même chose que il est jouant. joue renferme donc la signification du verbe est et de l’adjectif jouant. par cette raison |20 ces sortes de verbes ont été nommés verbes adjectifs. quant au verbe être on l’appelle verbe substantif.

Il ne faut pas confondre le verbe substantif avec le verbe être pris dans le sens d’exister. Quand on dit qu’une chose existe, on veut dire qu’elle est reellement existante ou que l’existence réelle et cette chose coëxistent. En pareil cas on peut se servir du verbe être: Corneille étoit du tems de Racine, c a d, existoit.

Mais quand je dis Corneille est poëte, il ne s’agit pas d’une existence réelle puisqu’il n’existe plus; et cependant cette proposition est aussi vraie que de son vivant. La coëxistence de Corneille et de poëte n’est donc qu’une vue de l’esprit qui ne [?change / ?songe] point si Corneille vit ou ne vit pas, mais qui voit Corneille et poëte comme deux idées coëxistantes.

Les verbes n’expriment pas la coëxistence d’une maniere absolue, il l’expriment sous différens rapports; l’usage apprend qu’ils sont à cet égard susceptibles de différentes variations. Nous en traiterons ailleurs.

Observons ici les modifications ou les accessoires dont ils peuvent être accompagnés.

Quand je dis Corneille fit, on me demande quoi? voir; mais encore, que fit-il voir? la raison. pour abreger je considérerai fit voir |21 comme un seul verbe parce que des deux il ne résulte qu’une seule idée totale qui pourroit être rendue par un seul mot montra.

Dans Corneille fit voir la raison, j’appelle la raison l’objet du verbe fit voir. l’objet est donc ici un des accessoires du verbe. je dis ici, parce qu’il y a des verbes qui ne peuvent avoir d’objet tels que marcher, et qu’avec ceux qui en ont on ne l’exprime pas toujours. Tels sont il monte, il descend, il aime; mais quand on ne l’exprime pas, il s’offre toujours à l’esprit un objet quelconque, et quelquefois la circonstance le détermine elle-même. il monte l’objet sera par ex. l’escalier.

à qui Corneille fit-il voir la raison? à des spectateurs qui jusqu’alors n’avoient vu que des sujets la plupart extravagans et dénués de vraisemblance. des spectateurs est le terme de fit voir. Le rapport du verbe à l’objet se marque seulement par la place, et celui du verbe au terme se marque par une préposition à.

Quelquefois néanmoins l’objet paroit précédé d’une prépon, car nous disons également parler affaires et parler d’affaires. mais les vues de l’esprit ne sont pas absolument les mêmes dans l’un et l’autre cas. parler affaires, c’est en faire son unique objet: |22 au lieu que parler affaires n’exclut pas tout autre objet dont on pourroit parler par occasion. alors le nom que nous prenons pour objet du verbe parler ne l’est pas, et il y a ellipse: car parler d’affaires, c’est parler entre autre choses, choses d’affaires.

Où Corneille fit-il voir la raison? sur la scène, rapport au lieu marqué par une prépon sur. Quand fit-il voir la raison? Dans cette enfance, dans ce chaos du poëme dramatique parmi nous. rapport au tems marqué par une prépon dans.

Qu’avoit-il fait auparavant? après avoir cherché le bon chemin &c. rapport de l’action du verbe à une autre action qui l’a précédée, et ce rapport est marqué par une prépon après.

Comment étoit Corneille alors? inspiré d’un génie extraordinaire. rapport du verbe à l’état du sujet; et ce rapport est marqué par des adjectifs, qui modifient Corneille.

Les mêmes accessoires sont communs au verbe et au nom, et ils doivent toujours l’être; il falloit que Corneille eut cherché, qu’il eut lutté pour faire voir la raison. Des accessoires qui ne conviendroient qu’au verbe ou qu’au nom seroient inutiles à la pensée, ou même la rendroient fausse.

Comment Corneille a-t-il fait voir la raison? en accordant heureusement la vraisemblance |23 et le merveilleux: rapport au moyen ou à la maniere marqué par une préposition en.

Pourquoi a-t-il fait voir la raison? pour acquérir de la gloire, rapport au motif ou à la fin, exprimé par une préposition pour.

En général, autant on peut faire de questions à l’occasion d’un verbe, autant il peut avoir d’accessoires, et si on excepte l’objet dont le rapport est d’ordinaire marqué par la place, celui des autres accessoires est toujours indiqué par une préposition énoncée ou sous-entendue.

Ordinairemt l’objet doit suivre immédiatemt le verbe. Mais comme on le reconnoit encore en ce qu’il est le seul accessoire qui ne soit pas précédé d’une prépon, il arrive souvent qu’on peut lui donner plus d’une place.

Les accessoires dont un verbe peut être susceptible sont donc l’objet, le terme, des circonstances de tems, des circonstances de lieu, une action que suppose celle que le verbe exprime, l’état du sujet, les moyens qu’il emploie ou la maniere dont il agit, la cause, la fin ou le motif.

Parmi ces accessoires il y en a qui appartiennent au verbe considéré comme renfermant la signification du verbe substantif être; et ce sont propremt les circonstances de tems et de lieu; quant aux autres accessoires, ils ne lui conviennent que |24 parce qu’il est l’équivalent d’un adjectif.

Les accessoires sont donc les mêmes pour le verbe et pour l’adjectif, et le rapport s’en marque de la même maniere, c a d, par la place ou par une prépon. On dit ignorant les usages, né pourla gloire, comme on dit ignorer les usages, naître pour la gloire.

 

 

Chapitre XIV.

Derniere analyse du discours.

 

Il y a encore cinq espèces de mots qui ont leur utilité quoiqu’ils ne soient pas absolument nécessaires: l’adverbe, le pronom, l’article, l’interjection, et la conjonction. Nous nous bornerons dans ce chap. à nous en former une idée.

L’adverbe est un mot équivalent à un substantif précédé d’une préposition: sagement, prudemment pour avec sagesse, avec prudence.

Le pronom est un mot qui tient lieu d’un nom, et si ce mot est accompagné d’accessoires, il tient lieu du nom et des accessoires. Avez-vous vu Pierre? avez-vous vu l’homme qui est arrivé hier? je l’ai vu c a d, Pierre ou l’homme qui est arrivé hier.

L’article est un mot qui se place avant un substantif et qui contribue à le déterminer, le, la c’est une espèce d’adjectif.

|25 Les interjections sont des cris que le sentiment nous arrache et qui sont une suite de notre conformation. Elles sont communes au langage d’action et au langage des sons articulés. ah! oh! heu!

L’explication des conjonctions demande que nous nous rappellions quelques observations que nous avons faites. Dans une période ou dans une phrase dont le sens est fini, toutes les propons et tous les mots se lient pour représenter successivemt nos idées dans les rapports qu’elles ont entre elles. or il est encore nécessaire de lier les unes aux autres ces phrases et ces périodes.

L’ordre est la meilleure maniere de lier les parties d’un discours, car il les distingue, et cependt il les lie, parce qu’il les met chacune à leur place.

Cependt on veut quelquefois prononcer davantage la liaison, et c’est ce que vouloit Racine lorsqu’il a commencé le 2d alinea par ces mots: Dans cette enfance, ou, pour mieux dire, dans ce chaos du poëme dramatique parmi nous: remarquez que ces expressions ne font que présenter avec de nouveaux accessoires la pensée qu’il a expliquée dans le 1er alinea: mais elles la présentent plus brievemt, et par là elles la rapprochent davantage de celle qui doit être expliquée dans le second. Ce tour est donc un passage d’une partie du discours à l’autre. on appelle conjonction tout mot employé à cet usage.

|26 Dans ce tems là, de la sorte, par conséquent ne sont qu’un passage d’une propon à une autre et rappellent quelque idée de la phrase précédente. mais nous ne devons mettre dans la classe des conjonctions que les mots qui sont équivalens à de pareils tours. tels sont alors, ainsi, donc.

La conjonction et est également un passage d’une premiere propon à une 2de; elle rappelle une 1ere affirmation qu’on a faite, et font pressentir qu’on en va faire une autre. vous étudiez et vous vous instruisez.

Il en est de même lorsqu’elle est entre deux substantifs p.ex. le jour et la nuit sont pluvieux; c’est, le jour est pluvieux et la nuit est pluvieuse.

Il en est de même de la conjonction ni, avec cette difference qu’elle rappelle une négation; ni le jour ni la nuit ne sont beaux.

Tout ce qui précède s’applique parfaitement à la conjonction que. pour la connoître il suffit de mettre à la place de cette conjonction les mots dont elle tient lieu, je vous assure que les connaissances sont nécessaires aux citoyens est pour je vous assure cette chose qui est ou que est les connaissances &c. je dis qui est ou que est, parce qu’il est à présumer qu’on a pu dire indifféremment l’un et l’autre. or qui est rappelle la 1ere proposition je vous assure cette chose, et est un passage à la seconde |27 les connaissances sont nécessaires aux Citoyens; que qui n’est que l’abrégé de cette chose qui est, a donc tous les caractères des conjonctions.