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Elémens de Grammaire générale. Première partie. Idéologie

 

Table des matières  

 

 

 

Eléments de Grammaire générale.

Première partie. Idéologie.

Seconde partie. Grammaire Générale proprement dite.

Eloge de la vie champêtre par Virgile.

Troisième partie. Application de la Grammaire Générale à la Langue française.

Quatrième et dernière partie. Logique.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Eléments
de
Grammaire générale.

 

Première partie. Idéologie.

 

Livre 1er.
Génération des idées, ou de
L'entendement humain.

 

 

Exorde.

 

Apprendre à se connaître soi-même, est le premier devoir de l'homme qui veut se distinguer de la foule, et à qui une noble emulation inspire le desir de parvenir aux premiers emplois dans un Etat libre. Si ce n'est pas la plus facile, c'est du moins la plus satisfaisante de toutes les occupations. Replions-nous donc sur nous-mêmes, et suivant le conseil du Philosophe qui criait à tous les Mortels, nosce te ipsum.

Division
de
l'homme

 

L'homme est un composé de deux êtres unis et pourtant bien distincts; le sentiment intérieur nous l'apprend, et nous en avertît sans cesse; un premier coup d'œil suffit à la Raison pour l'appercevoir, et un second pour s'en convaincre. De ces deux êtres l'un est matériel, etendu, palpable; composé de membres et d'organes, il est l'assemblage des instruments du second. Cet autre, qui echappe à tous les sens, est pourtant celui qui sent, qui agît et qui veut. La connaissance du premier, qu'on appelle corps humain, est particulièrement du ressort des Sciences Physiques ou naturelles, telles que l'Anatomie, l'Hygiene, la Physiologie, et l'Histoire-naturelle: l'etude du second, qu'on appelle âme ou esprit, est proprement l'objet de la science abstraite connue jadis sous le nom de Métaphysique, ou Surnaturelle, et aujourd'hui sous celui d'Idéologie. C'est la première branche de la Grammaire Générale.

Plan
des
premières
leçons.

 

 

|18 Nous nous occuperons donc d’abord de l'Analyse des Sensations, puis de celle de la pensée dans laquelle nous trouverons les principes du Langage. Il y a deux sortes de Langage, le Langage d'action, et le Langage articulé; le 1er a précédé le second. L'un et l'autre ont leurs signes qui sont une suite de la conformation de nos organes.

De là nous passerons à l'analyse de l'entendement humain. Nous suivrons dans cette opération la génération des idées. Or l'ordre de la génération des idées est de l'individu au genre, et du genre aux espèces. Cet ordre est fondé sur la nature des choses. La Méthode qui suit l'ordre de la génération des idées est l'unique pour analyser les choses, et pour acquérir de vraies connaissances. Il y a deux méthodes; l'une pour parler aux personnes instruites, c'est la Synthèse; l'autre pour parler aux personnes que l'on instruit, c'est l'Analyse.

 

 

 

 

Des Sensations ou idées.

 

Les corps etrangers agissent sur le nôtre par leur présence ou par le souvenir; les impressions qu'ils font sur nous se nomment Sensations; et quand ces sensations sont considérées comme représentant les corps par le souvenir des impressions, on les nomme idées; du latin, idea, [idea]; mot formé du pronom id ce et des premières et dernières lettres du mot existentia; idea, l'idée signifie donc en abrégé, la représentation de ce qui est. Ce |19 mot, dans son origine, n'a exprimé que ce que nous entendons par image, imago, dont l'étymologie est in mente ago; j'agîs dans l'esprit. Les corps etrangers ne peuvent agir sur le nôtre qu'en le touchant. Nous n'avons donc, à proprement parler, qu'un sens; c'est le toucher. Mais comme, pour faciliter les observations, la Nature nous a appris à analyser dès le berceau, on a divisé les effets du toucher d'après les divers organes, et l'on a distingué jusqu'à cinq sens. L'organe que frappe plus particulièremt la lumière, et qui en observe les effets, tels que les couleurs et leurs nuances, a eté nommé la vue; celui qui reçoit l'impression des sons que peut seule transmettre l'agitation de l'air, s'est appelé l'ouie; L'organe qui juge de la variété des odeurs, et qui en est affecté par le contact des parties odorantes, a eté de là nommé odorat; celui qui, par la dégustation des corps ou liquides ou solides, juge de leur saveur et en avertît l'animal, a reçu le nom de goût. Ces quatre premiers organes, comme chargés spécialement de fonctions délicates et qui importent le plus à la perfection et à la conservation de l'être vivant, ont une etendue plus bornée, un siége plus etroit, mieux défendu, ils sont tous placés, à la tête de l'animal, rapprochés l'un de l'autre pour se prêter un secours mutuel, situés dans des enfoncements, à l'abri des blessures, doubles enfin pour se suppléer au besoin. Le cinquième, répandu sur toute la surface de la peau, et à l'intérieur même de l'animal, et plus particulièrement chargé de juger des autres |20 qualités sensibles des corps etrangers, telles que: le froid et le chaud, la sécheresse et l'humidité, la solidité, la fluidité, la dureté, la mollesse, &c. a conservé le nom générique et commun de toucher. Nous ne jugeons d'un objet au tact que parce que nous avons appris à en juger. Une grandeur n'etant déterminée que par les rapports qu'elle a à d'autres, s'en faire une idée, c'est la comparer avec d'autres qu'on observe, et juger qu'elle en différe plus ou moins. Avec quelque promptitude que nous acquérions de pareilles idées, il est evident, puisqu'elles sont relatives, que nous ne les avons acquises que parce que nous avons comparé et jugé. Il en est de même des idées de distance, de figure, de pesanteur: en un mot, toutes les idées qui nous viennent par le toucher, supposent des comparaisons et des jugements. A peine le toucher est instruit qu'il devient le maître des autres sens. C'est de lui que les yeux, qui n'auraient par eux-mêmes que des sensations de lumière et de couleur, apprennent à juger des grandeurs, des figures et des distances; et ils s'instruisent même si promptement qu'ils paraissent voir sans avoir appris.

Aussi le jugement d'un seul sens est quelquefois trompeur; et il se rectifie par celui d'un autre.

 

 

 

 

Des différentes espèces d'idées.

 

Quand les corps sont présents, nous les connaissons par les sensations qu'ils font sur nous; et lorsqu'ils sont absents, nous les connaissons par le souvenir des sensations qu'ils nous ont faites. |21 Nous n'avons pas d'autre manière de les connaître. Ce sont donc nos sensations qui nous représentent les corps; ce sont elles qui nous les représentent lorsqu'elles existent actuellement dans l'âme; et ce sont elles encore qui les représentent lorsqu'elles ne subsistent que dans le souvenir que nous en conservons. Puisque les images qui nous représentent les corps, puisque les idées, sont des sensations ([?voir] leçon des sensations) autant nous avons de sensations différentes, autant nous avons d'idées; et puisque nos sensations sont originairement nos seules idées, il ne nous est pas possible d'avoir des idées, lorsque les sensations viennent à nous manquer. Un Sourd-muet n'a aucune idée des sons, et par conséquent de la Musique; un Aveugle-né n'a point d'idée des couleurs; et si nous avions un sixième sens (comme le prétendent quelques Philosophes modernes), nous aurions des idées que nous n'avons pas.

Les Choses, que nos idées ou nos sensations nous représentent dans les corps, se nomment qualités, manières d'être ou modifications. Qualités, parce que par elles les corps sont distingués les uns des autres: manières d'être, parce que c'est la manière dont ils existent: modifications, parce qu'une qualité de plus ou de moins modifie un corps, c'est-à-dire, produît quelque changement dans sa manière d'exister. Les qualités, qui sont tellement propres à une chose qu'elles ne sauraient convenir à d'autres, se nomment propriétés. Avoir tous ses points egalement eloignés d'un autre nommé centre commun, est, par exemple, une proprieté d'une circonférence. être perméable àux vents la lumière, et non aux vents, ni à la pluie, est une propriété du verre &c. &c.

Dès que les qualités distinguent les corps, et qu'elles en sont les manières d'être, il y a dans les corps quelque chose que ces qualités modifient, qui est le soutien, ou le sujet, le support, que nous nous représentons dessous et que par cette raison nous appelons |22 Substance, de Substare, être dessous.

Les Sensations ne nous représentent pas ce quelque chose; nous n'en avons donc aucune idée. Mais puisque les qualités modifient, il faut bien qu'il y ait quelque chose qui soit modifié. Le mot Substance est donc un nom donné à une chose que nous savons exister, quoique nous n'en ayons point d'idée. Nous ne connaissons point, et il est très-probable que nous ne connaîtrons jamais la Nature des choses, le 1er principe de leur composition. Nous sommes donc condamnés à l'ignorance, mais non pas à l'erreur. Jugez par là de la somme des vérités que doit contenir le long poême que Lucrèce a composé sur la Nature des choses, de Naturâ verum, c.à.d. sur ce que l'homme connaît le moins et peut le moins connaître.

 

 

 

 

Idée de l'Analyse.

 

Si la première fois qu'on parle de Géographie à un jeune homme, on se contentait de lui mettre sous les yeux un globe terrestre ou une Mappemonde, il n'y verrait qu'un amas confus de mots, de lignes, de traits et de chiffres; mais qu'on lui fasse lentement et successivement observer toutes ces lignes et leurs usages; qu'il suive attentivement les bornes ou frontières d'une partie du Monde, d'un Etat, d'une Province; puis la Source, le cours et l'embouchure des fleuves, et des grandes rivières, la position et la direction des chaînes de montagnes, les situations respectives et l'etendue des Mers, Lacs, Golphes, Baies, Détroits, Promontoires, Caps, Isthmes, Iles, Capitales ou principales Villes, qu'en un mot il observe, etudie successivement et avec méthode les diverses parties qui composent le Globe ou les Cartes; qu'il répéte cet exercice au point d'être en etat de tracer lui-même les Cartes avec leurs principaux détails; il les aura analysées; il aura appris la Géographie (en prenant ce mot dans son acception la plus simple.)

(Ici le Maître fait faire d'autres applications, à une grande ville, par exemple, vue du haut d'une Montagne, puis de l'intérieur, des rues, des places, des monuments &c. &c.)

|23 Si vous vouliez connaître l'intérieur d'une montre vous la démonteriez ou décomposeriez: vous en arrangeriez avec ordre toutes les parties devant vous, vous examineriez séparément comment chacune est faite, comme l'une agît sur l'autre, et comment le mouvement, communiqué par un premier ressort, passe de roue en roue jusqu'à l'aiguille qui marque les heures. De même, si vous voulez connaître un corps, vous le démonterez, pour ainsi dire; vous le décomposerez. La manière de faire cette décomposition sera le sujet de la leçon suivante.

Aucun sens ne représente toutes les qualités que nous appercevons dans un corps; la vue représente les couleurs; l'oreille, les sons &c. (v. leçon des sensations). En nous servant séparément de nos sens, nous commençons donc à décomposer des corps: nous en observons successivement les différentes qualités, comme nous observons successivement les parties d'un Globe, d'une Carte Géographique, d'une Ville, d'une Montre &c. Le toucher est de tous les sens celui qui nous découvre le plus de qualités; mais lorsqu'il en représente plusieurs à la fois, il ne les fait cependant remarquer que l'une après l'autre. Si je veux juger de la longueur, de la largeur et de la profondeur d'un corps, il faut que je les observe séparément.

Or, puisque les sens nous représentent successivement les qualités, il dépend de nous de les considérer les unes après les autres. Nous pouvons donc les observer comme si elles existaient séparées de la substance qu'elles modifient. Je puis, par ces exemples, penser à la blancheur, sans penser au papier, ni au lys, ni à la neige, ni à tout autre corps blanc. Or la blancheur, considérée séparément de tout corps, est ce qu'on nomme une idée abstraite, d'abstrahere, qui signifie séparer de.

Si par conséquent, de toutes les idées qui me viennent par les sens, je fais autant d'idées abstraites, j'aurai la décomposition de toutes les qualités que je connais dans les corps, puisque je les aurai toutes séparées. Comme on recompose une Carte, une Montre, lorsqu'on en rassemble les parties dans l'ordre où elles etaient avant qu'on l'eût démontée, on recompose l'idée d'un corps lorsqu'on en rassemble les qualités dans l'ordre dans lequel elles coëxistent, c'est-à-dire, dans lequel elles existent ensemble. Il est nécessaire |24 de décomposer pour connaître chaque qualité séparément, et il est nécessaire de recomposer pour connaître tout ce qui résulte de la réunion des qualités connues. Cette décomposition et cette recomposition est ce qu'on nomme Analyse Logique. Analyser un corps, c'est donc le décomposer pour en observer séparément les qualités, et le recomposer pour saisir l'ensemble des qualités réunies. Quand nous avons ainsi analysé un corps, nous le connaissons, autant qu'il est entre notre pouvoir de le connaître.

Qualités absolues,


Relatives.

 

Il y a donc dans chaque corps des qualités qu'on peut connaître sans le comparer avec un autre, telles sont la forme, ou figure, la couleur, &c. Ces qualités se nomment absolues. Il y a aussi dans chaque corps les qualités qu'on ne peut connaître qu'autant qu'on le compare avec un autre; telles sont la grandeur, la pesanteur, &c. Ces qualités se nomment relatives.

 

 

Pour connaître les corps, il ne suffit donc pas d'en observer les qualités absolues, il faut encore en observer les qualités relatives; et, par conséquent, il faut, à mesure qu'on les analyse, les comparer les uns avec les autres. Mais quel ordre doit-on suivre dans ces comparaisons? Il est évident que l'on confondra tout, si l'on ne se conduît pas avec quelque Méthode. C'est ce que vous apprendrez avez du apprendre surtout dans les Cours de Chimie et de Botanique. Si vous voulez apprendre à connaître une plante, un arbre, vous en observerez d'abord les racines, puis la tige, l'écorce, les branches, les feuilles, et enfin les fleurs, et les fruits; vous ferez de même pour la fleur; vous examinerez par ordre la tige, les feuilles, la corolle, le calice, le pistile et les étamines. Entrez dans la boutique d'un Apothicaire, d'un Mercier abondamment pourvu des Marchandises de leur profession. Sans l'ordre qui règne sur leurs tablettes, ils consommeraient en recherches un temps toujours précieux. Ils ont donc analysé, puis méthodiquement disposé tous les objets de leur commerce. Tel est le premier avantage de l'Analyse. Par quel moyen parviennent-ils à cet ordre? Par des |25 classements, des Divisions et des subdivisions. En voici un exemple plus particulièrement de votre ressort. Entrez dans une Bibliothèque; voyez comme le Bibliothécaire en a disposé, clâssé tous les Livres; il a mis dans les mêmes rayons tous les Livres de Morale, dans d'autre ceux de Jurisprudence, de Médecine, &c.... Il a rapproché les Poëtes, les Romans, &c.... Il a placé dans un même endroit tous les Historiens; il a ensuite subdivisé les Livres d'un même Genre; il a distingué par exemple, l'Histoire, en Histoire ancienne, et en Histoire moderne; l'Histoire moderne en Histoire des différents Etats. Par là il a fait des livres différentes collections qu'on appelle clâsses. Les Clâsses d'Histoire ancienne et d'Histoire moderne sont les subdivisions de la clâsse d'Histoire en général, et les clâsses d'Histoire de France et d'Histoire d'Angleterre sont des subdivisions de la clâsse qu'on nomme Histoire moderne. On appelle classes subordonnées les unes aux autres les clâsses qui se forment par une suite de Subdivisions. Ainsi les Clâsses d'Histoire de France et d'Histoire d'Angleterre sont subordonnées à la clâsse de livres d'Histoire. Il est certain que quand on a de la sorte clâssé tous les livres, on les trouve bien plus facilement, on les a, quand on veut, sous la main. C'est ainsi que nous clâssons les choses à mesure que nous les observons, et par ce moyen nous nous faisons différentes espèces d'idées.

Des individus.

 

Chaque chose est une, et on l'appelle, par cette raison, singulière ou individuelle. Boileau et Racine, par exemple, sont deux individus de même espèce. Un enfant, à qui on dit que Racine est un homme, remarquera que Boileau est un homme egalement, parce que, au premier coup d'œil, Boileau ressemble à Racine. Bientôt il appliquera le nom d'homme à tous les Individus, qui sont conformés comme Racine et Boileau, et alors il aura fait une clâsse de tous ces individus. Quand il remarquera que, parmi les hommes, il y en a des Savants et des Ignorants, des Magistrats, des Artisans, et des Militaires, des Fonctionnaires publics et des non-Fonctionnaires, ou, pour abréger, des hommes publics et des hommes privés, des blancs et des noirs &c. La Clâsse qu'il désignait par le mot homme, se subdivisera en plusieurs autres clâsses qu'il distinguera par des noms différents.

Des Espèces.

 

|26 De même, quand il considérera ce que les hommes ont de commun avec les chevaux, les Chiens, les Lions &c. et qu'il remarquera que les hommes, les Chevaux, les Lions, quand on n'a égard qu'à ce qu'ils ont de commun, se désignent tous par le nom d'Animal, alors il jugera qu'homme, Cheval, Lion &c. ne sont que des subdivisions de la Clâsse d'Animal, et il mettra dans cette Clâsse tous les animaux, à mesure qu'il aura occasion de les remarquer. Public et Savant ne se disent que d'une partie des Individus qu'on désigne par le nom d'Homme. Or on nomme générale la Clâsse qui comprend le plus grand nombre d'individus, et on nomme particulière la clâsse qui n'en comprend qu'un certain nombre. Public, Savant sont donc des clâsses particulières par rapport à Homme, et Homme est une clâsse générale par rapport à Public, Savant, privé, ignorant, &c.

et Genres.

 

Mais comme la Clâsse d'homme est générale par rapport aux clâsses dans lesquelles on la Subdivise, elle est elle-même une Clâsse particulière par rapport à la clâsse dont elle est une Subdivision. Homme est donc une clâsse particulière par rapport à Animal, et Animal est une clâsse générale par rapport à Homme, Cheval, Lion, &c.

On donne encore à ces clâsses les noms de genre et d'espèce, et l'on comprend sous le nom de genre les clâsses générales, et sous le nom d'espèces les clâsses particulières. Par ex. Savant et Ignorant sont des espèces par rapport à homme, et Homme, qui est un genre par rapport à Savant et Ignorant, est une espèce par rapport à animal.

Comme on clâsse les objets sensibles, on clâsse aussi leurs qualités. Quand on considérera, par exemple, les qualités par rapport aux sens qui nous en donnent la connaissance, on en distinguera jusq en général de cinq espèces, et chacune de ces espèces deviendra un genre par rapport aux qualités / clâsses dans lesquelles elle sera subdivisée. Couleur, p. ex. est un genre par rapport aux qualités / qui nous sont connues par la vue, et les couleurs se subdivisent en plusieurs espèces, blanc, noir, rouge, bleu, &c.

Clâsser ainsi les choses, c'est les distribuer avec ordre. Alors nous pouvons remonter de clâsse en clâsse, depuis l'individu jusqu'au genre qui comprend toutes les espèces, comme nous pouvons descendre de ce genre jusqu’aux individus.

|27 Ce n'est donc qu'afin de pouvoir, à notre choix, aller de l'espèce au genre, et revenir du genre à l'espèce, que nous pouvons distribuons les choses dans des clâsses subordonnées. Sans cette distribution, toutes nos idées se confondraient, et il nous serait impossible d'etudier la Nature. Quand cette distribution est faite, nos idées se trouvent elles-mêmes distribuées par clâsses, comme les choses que nous avons observées. Alors nous avons des idées singulières ou individuelles, qui nous représentent les individus; des idées particulières, qui nous représentent les Espèces; et des idées générales, qui nous représentent les Genres. L'idée par exemple, que j'ai de Cicéron, est singulière ou individuelle; et comme l'idée d'homme est générale par rapport aux idées de Savant et d'Ignorant, elle est particulière par rapport à l'idée d'Animal.

Après avoir vu comment nos idées se forment, il est aisé de connaître ce qu'elles sont chacune en elles-mêmes:

Un homme, en général, une couleur, ne peuvent tomber sous les sens. Nous ne pouvons voir que tel homme, telle couleur. En un mot, nous ne voyons que des individus. Dès que les Sens ne nous offrent que des individus, nous ne pouvons avoir, à parler à la rigueur, que des idées individuelles. Que sont donc les idées générales? Ce sont les noms des clâsses que nous avons faites à mesure que nous avons senti le besoin de distribuer nos connaissances avec ordre. Que représentent ces idées? Elles ne représentent pas ce que nous appercevons dans les individus mêmes. L'idée générale d'homme ne représente que ce que nous voyons de commun dans Rousseau, dans Bayard, c'est pourquoi je dis qu'à parler à la rigueur nous n'avons que des idées individuelles. En effet, nous n'appercevons dans les idées générales que ce que nous appercevons dans les individus.

Cette manière d'expliquer la Génération des idées est très simple; peut-être même le paraîtra-t-elle trop à quelques Lecteurs. Mais on conviendra que si, avant Locke et Condillac, les Philosophes avaient eu cette simplicité-là, ils se seraient epargné bien des questions frivoles, et beaucoup de mauvais Raisonnements.

 

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Livre second.

 

Chapitre premier.

Des Opérations de l'âme.

 

Article premier.

De l'Attention.

 

On nomme en général objet tout ce qui s'offre au sens ou à l'esprit. Lorsque vous jetez indifféremment les yeux sur tous les objets qui se présentent à vous, vous ne remarquez pas plus les uns que les autres. Mais si vous fixez les yeux sur l'un d'eux, vous remarquez plus particulièrement les sensations qu'il fait sur vous, et vous ne vous appercevez plus des sensations que les autres vous envoient. Or, les sensations, que vous remarquez plus particulièrement, vous font connaître ce qui se passe en vous, lorsque vous donnez votre attention.

L'Attention suppose donc deux choses, l'une de la part du corps, l'autre de la part de l'âme. De la part du corps, c'est la direction des sens ou des organes sur un objet; de la part de l'âme, c'est la Sensation même que cet objet fait sur vous, et que vous remarquez plus particulièrement.

La direction des organes, qui fait que vous remarquez plus particulièrement une sensation, n'est que la Cause de l'Attention. C'est uniquement dans votre âme que l'Attention se trouve, et elle n'est que la sensation particulière que vous eprouvez.

Ainsi, lorsque de plusieurs sensations qui se font en même temps sur vous, la direction des organes vous en fait remarquer une de manière que vous ne remarquez plus les autres, cette sensation devient ce que nous appelons Attention.

L'Attention peut se porter sur un objet, sur une partie, ou seulement sur une qualité. Dans tous ces cas, elle n'est jamais qu'une sensation qui se fait remarquer, et qui fait disparaître les autres.

Comme l'attention donnée à un objet présent, n'est que la sensation plus particulière qu'il fait sur vous, l'attention, donnée à un objet absent, n'est que le souvenir des sensations qu'il a faites: souvenir qui est assez vif pour se faire remarquer, et qui n'est lui-même qu'une sensation plus ou moins distincte.

 

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Article second.

De la Comparaison.

 

Donner tout à la fois votre attention à deux objets, c'est les remarquer en même temps; Or, les remarquer en même temps, c'est les comparer. La comparaison n'est donc que l'attention donnée à deux choses.

Vous pouvez comparer deux objets présents, deux objets absents ou un objet présent avec un objet absent. Dans tous ces cas, la comparaison n'est jamais que l'Attention donnée aux idées que vous avez de deux choses; c'est-à-dire, aux sensations que les objets font sur vous, s'ils sont présents, et au souvenir des Sensations qu'ils ont faites, s'ils sont absents. Dire que nous donnons notre attention à deux choses, c'est dire qu'il y a en nous deux attentions. La comparaison n'est donc qu'une double attention.

Nous venons de voir que l'attention n'est qu'une sensation qui se fait remarquer. Deux sensations Attentions ne sont donc que deux Sensations qui se font remarquer egalement; et, par conséquent, il n'y a dans la Comparaison que des Sensations.

Objection résolue.

 

Mais, pourrait-on demander, si l'attention n'est que sensation, comment donnons-nous notre attention? Que signifie même ce Langage, donner son attention?

Réponse.

 

Il signifie que, si l'objet est présent, nous dirigeons nos sens sur lui pour recevoir, d'une manière plus particulière, les sensations qu'il fait, et pour les recevoir, en quelque sorte, à l'exclusion de toute autre. Aussi avons-nous remarqué que la direction des sens est la cause de l'attention.

Mais nous ne pouvons pas diriger nos sens sur un objet absent: Comment donc alors donnons-nous notre attention?

Je réponds que nous ne donnons notre attention à un objet absent, qu'autant que le souvenir qui s'en retrace à notre esprit a prévenu notre attention; car nous n'y penserions pas, si nous ne nous en souvenions point du tout. Or, quand le Souvenir s'en retrace, il suffit, pour y donner notre attention, que nous ne la donnions pas à autre chose; car alors ce souvenir sera la Sensation que nous remarquerons plus particulièrement.

 

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Article trois.

Du jugement.

 

Lorsque vous comparez deux objets, vous voyez qu'ils font sur vous les mêmes sensations ou des sensations différentes: vous voyez donc qu'ils se ressemblent ou qu'ils différent; or, c'est là juger. La comparaison renferme donc le jugement; et, par conséquent, il n'y a dans le jugement, comme dans la comparaison, que ce que nous appelons sensation.

Les choses ne peuvent que se ressembler ou différer. Nos jugements ne découvrent donc dans les objets que des ressemblances ou des différences, des egalités ou des inégalités. Vous mettez une feuille de papier sur une autre, et vous jugez si elles sont egales ou inégales en grandeur. Vous les placez l'une à côté de l'autre , et vous jugez si elles se ressemblent par la couleur ou si elles différent. Or, les rapprocher ainsi pour juger de leur egalité ou de leur inégalité, de leur ressemblance ou de leur différence, c'est ce qu'on appelle les rapporter l'une à l'autre; et, en conséquence, on dit qu'elles ont des rapports de ressemblance ou de différence, d'egalité ou d'inégalité. Voilà les rapports les plus généraux, sous lesquels on peut considérer les choses.

 

 

 

 

Article quatre.

De la Réflexion.

 

Vous pouvez conduire successivement votre attention sur plusieurs choses, sur plusieurs parties de la même, ou sur plusieurs qualités; et à mesure que vous la conduisez ainsi, vous pouvez comparer ces choses, ces parties, ces qualités, et en juger. Lorsque l'attention fait de la sorte une suite de comparaisons, et porte une suite de jugements, vous remarquez qu'elle réfléchît en quelque sorte d'une chose sur une autre, d'une partie sur une partie, d'une qualité sur une qualité; alors elle prend le nom de réflexion. La réflexion n'est donc que l'attention qui va et qui revient d'une idée à une autre, jusqu'à ce que nous ayions assez observé et assez comparé pour juger de la chose que nous voulons connaître.

 

 

 

 

Article cinq.

De l'Imagination.

 

|31 Mon attention peut se porter sur le souvenir d'un objet absent, et me le représenter comme présent. Elle peut aussi se porter, par exemple, d'un côté sur l'idée d'homme, et de l'autre sur l'idée de cent coudées, et faire des deux une seule idée. Dans l'un et l'autre cas, l'attention prend le nom d'imagination. C'est pourquoi on dit qu'un homme à imagination est un esprit créateur. En effet, de plusieurs qualités que l'auteur de la nature a répandues dans différents objets, il en fait un seul tout, et il crée des choses qui n'existent que dans son esprit.

 

 

 

 

Article six.

Du Raisonnement.

 

Un homme vertueux mérite d'être récompensé. Buonaparte est un homme vertueux; donc Buonaparte mérite d'être récompensé. Voilà un raisonnement: il est formé de trois jugements qu'on appelle propositions.

Or, puisqu'un jugement n'est que l'attention qui compare et qui apperçoit un rapport, il est evident qu'un raisonnement ne peut être que l'attention même, puisqu'il n'est formé que de jugements. Il nous reste à considérer ce qu'il y a de particulier dans les jugements dont un raisonnement est composé.

D'après l'exemple que je viens d'apporter, nous voyons que ce qui constitue un raisonnement, c'est que le troisième jugement est renfermé dans les deux premiers; car lorsque je dis: Buonaparte est un homme vertueux, et un homme vertueux mérite d'être récompensé, c'est-à-dire que Buonaparte mérite d'être récompensé. La chose est sensible même à l'œil. Voilà pourquoi celui qui a apperçu la vérité des deux premiers jugements ne peut pas nier le troisième. Il infère donc que Buonaparte mérite d'être |32 récompensé; et, en tirant cette conséquence, il ne fait qu'enoncer explicitement ce qu'il a déjà dit implicitement.

D'après cette explication je dis qu'un raisonnement n'est que l'attention qui est déterminée à porter un troisième jugement, parce qu'elle le voit renfermé dans deux jugements qu'elle a faits.

 

 

 

 

Article sept.

De l'Entendement.

 

Comme l'oreille entend les sons, l'âme entend les idées; et on dit l'entendement de l'âme. Or comment l'âme entend-elle les idées? C'est en donnant son attention, en comparant, en jugeant, en réfléchissant, en imaginant, en raisonnant. Telles sont toutes les opérations de l'esprit humain. L'entendement embrasse donc toutes les opérations; il n'en est que le résultat.

On donne à ces opérations le nom de facultés, et alors on ne veut pas dire qu'elle sont actuellement dans l'âme; on veut dire seulement que l'âme en est capable. Ce nom se donne aussi, dans le même sens, aux actions du corps. Nous avons la faculté, de voir, de marcher, de comparer et de juger, parce que nous sommes capables de voir, de marcher, de comparer et de juger.

D'après ce que nous venons d'exposer dans ce chapitre, on peut conclure que les opérations de l'entendement ne sont que la sensation même, qui se transforme en attention, en comparaison, en jugement, en réflexion.

 

 

 

 

Chapitre deux.

Des facultés de l'âme.

 

Article 1er.

Du Desir.

 

La privation d'une chose que vous jugez vous être nécessaire, |33 produît en vous un mal-aise ou une inquiétude, en sorte que vous souffrez plus ou moins. C'est ce qu'on nomme besoin. Le mal-aise détermine vos yeux, votre toucher, entraîne tous vos sens sur l'objet dont vous êtes privé. Il détermine encore votre âme à s'occuper de toutes les idées qu'elle a de cet objet, et du plaisir qu'elle pourrait en recevoir. Il détermine donc l'action de toutes les facultés du corps et de l'âme.

Cette détermination des facultés sur l'objet dont on est privé est ce qu'on appelle desir. Le desir n'est donc que la direction des facultés de l'âme, si l'objet est absent; il enveloppe encore la direction des facultés du corps, si l'objet est présent.

Les desirs sont plus ou moins vifs, à proportion que l'inquiétude causée par la privation, est plus ou moins grande. Car plus nous souffrons de la privation d'une chose, plus il y a de vivacité dans la direction des facultés du corps et de l'âme. Les desirs prennent le nom de passions, lorsqu'ils sont vifs et continus; c.à.d. lorsque nos facultés se dirigent avec une force continue sur le même objet.

Si au desir de la chose dont on est privé, on ajoûte ce jugement, je l'obtiendrai, alors naît l'espérance. Ainsi l'espérance suppose la privation de la chose, le jugement qu'elle nous est nécessaire, et le jugement qu'on l'obtiendra, si, à ce jugement, je l'obtiendrai, on substitue, je ne dois pas trouver d'obstacle, rien ne peut me résister; le desir est alors ce qu'on nomme volonté. Je veux, signifie donc, je desire et je pense que rien ne peut contrarier mon desir. (a) / (a) Ici sont les limites des Cours de Grammaire Gle et de Morale.)

 

 

 

 

Article deux.

De la Volonté considérée comme faculté.

 

Dans un sens plus général, la volonté se prend pour une faculté qui embrasse toutes les opérations qui naissent du besoin; comme l'entendement est une faculté qui embrasse toutes les opérations qui naissent de l'attention.

 

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Article trois.

De la faculté de penser.

 

Ces deux facultés, la volonté et l'entendement, se confondent dans une faculté plus générale, qu'on nomme la faculté de penser. Avoir des sensations, donner son attention, comparer, juger, réfléchir, imaginer, &c. c'est penser. Eprouver un besoin, desirer, vouloir, c'est encore penser. Enfin le mot pensée peut se dire en général de toutes les opérations de l'âme, et de chacune en particulier, comme le mot mouvement s'applique à toutes les actions du corps.

Le mot penser, vient de pensare qui veut dire peser. On a voulu dire que, comme on pèse des corps pour savoir dans quel rapport le poids de l'un est au poids de l'autre, l'âme pèse en quelque sorte les idées, lorsque nous les comparons pour savoir dans quels rapports elles sont entr'elles.

Par là vous voyez que le mot penser a eu deux acceptions: dans la première, qui est celle de pensare peser, il s'est dit du corps et il etait pris au propre; dans la seconde, qui est celle que nous lui donnons aujourd'hui, il a eté transporté à l'âme, et il se prend au figuré, ou, comme on dit encore, métaphoriquement. Les Latins exprimaient la pensée par une autre métaphore. Ils se servaient du mot cogitare qui signifie au propre rassembler, mettre ensemble; parce qu'en effet les opérations de l'entendement et de la volonté demandent que l'âme rassemble des idées.

 

 

 

 

Chapitre trois.

Des habitudes.

 

Le mot agir se dit du corps et de l'âme. Or, que fait le corps quand il agît? Il se meut. Le mouvement est donc l'action du corps, et autant on distingue de mouve- |35 ments dans le corps, autant on distingue d'actions différentes. Parmi les actions, les unes sont naturelles parce qu'elles se font par une suite de notre conformation, et sans être dirigées par notre volonté. Tels sont les mouvements qui sont le principe de la vie. D'autres actions du corps se font parce que nous les voulons faire, parce que nous dirigeons nous-mêmes nos mouvements. Vous vous promenez parce que vous voulez vous promener. Ces actions se nomment volontaires. Lorsqu'on fait souvent faire au corps les mêmes actions, il arrive enfin qu'il les fait avec tant de facilité, que nous n'avons plus besoin d'en diriger les mouvements: il agît alors, comme s'il y etait déterminé par sa seule organisation. Ces sortes d'actions sont ce qu'on nomme des habitudes, (il est aisé de multiplier les exemples.) (La danse, l'escrime, l'ecriture, l'equitation, la musique instrumentale.)

Mais quoique les actions tournent en habitudes, elles ont eté volontaires dans le commencement; et elles ne sont devenues habituelles, que parce que notre corps les a souvent répétées. Pour en contracter l'habitude, il faut qu'elles soient dirigées par l'attention; et quand l'habitude est contractée, elles préviennent la volonté, et se font sans nous, c.à.d., sans que nous soyons obligés d'y penser. Nous avons, p.ex., eu beaucoup de peine à apprendre à lire, et à ecrire, et aujourd'hui nous lisons et nous ecrivons, comme si nous n'avions pas eu besoin d'apprendre.

Les actions de l'âme, c.à.d., les opérations de l'entendement et de la volonté, deviennent habituelles, ainsi que les actions du corps. Il y a des choses que nous n'aurions pas entendues dans notre enfance, et sur lesquelles nous raisonnons aujourd'hui avec la même facilité que si nous les avions toujours sues. [en donner et en faire |36 donner des exemples.] Une multitude de jugements d'habitudes se décélent dans l'usage que nous faisons de nos sens. [Citer aux jeunes gens les exemples tirés des jugements qu'ils portent le plus souvent.]

Lorsque les habitudes sont une fois contractées, nous paraissons faire les choses naturellement, parce que nous les faisons avec la même facilité que si la nature seule nous les faisait faire. Mais si l'on nous dit que de pareilles actions sont naturelles, on parle improprement; et pour nous assurer qu'elles sont en effet des habitudes que nous avons contractées, il suffit de nous rappeler que nous avons appris à les faire.

Nous pouvons augmenter le nombre de nos habitudes, parce que nous n'avons qu'à faire souvent une chose, et nous contracterons l'habitude de la faire. Nous pouvons ainsi diminuer le nombre de nos habitudes; car si nous cessons de faire une chose, il arrivera que nous la ferons avec moins de facilité, et que nous aurons même de la peine à la faire. Alors, bien loin de la faire par habitude, il nous sera difficile de la faire, même lorsque nous le voudrons. De là il résulte que nous pouvons acquérir de bonnes habitudes, et nous corriger des mauvaises.