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Eloge de la vie champêtre par Virgile

 

Table des matières  

 

 

 

Eléments de Grammaire générale.

Première partie. Idéologie.

Seconde partie. Grammaire Générale proprement dite.

Eloge de la vie champêtre par Virgile.

Troisième partie. Application de la Grammaire Générale à la Langue française.

Quatrième et dernière partie. Logique.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Eloge de la vie champêtre par Virgile.

(Géorg. liv.2) Traduction de Delille. 2de édition.

 

Ah! loin des fiers combats, loin d'un luxe imposteur,
heureux l'homme des champs, s'il connaît son bonheur!
Fidèle à ses besoins, à ses travaux docile,
la terre lui fournît un aliment facile.
Sans doute il ne voit pas, au retour du soleil,
de leur patron superbe adorant le réveil,
sous les lambris pompeux de ses toits magnifiques,
des flots d'adulateurs inonder ses portiques;
il ne voit pas le peuple y dévorer des yeux
de riches tapis d'or, des vases précieux;
d'agréables poisons ne brûlent point ses veines;
Tyr n'altéra jamais la blancheur de ses laines;
il n'a point tous ces arts qui trompent notre ennui:
mais que lui manque-t-il? La nature est à lui.
Des grottes, des etangs, une claire fontaine,
dont l'onde en murmurant l'endort sous un vieux chêne,
un troupeau qui mugît, des vallons, des forêts,
ce sont là ses trésors, ce sont là ses palais.
C'est dans les champs qu'on trouve une mâle jeunesse;
c'est là qu'on sert les Dieux, qu'on chérît la vieillesse:
la Justice, fuyant nos coupables climats,
sous le charme innocent porta ses derniers pas.

 

Dans ce morceau, le Poéte, après avoir annoncé son sujet par le tour le plus vif, l'exclamation, le développe en grand par quelques coups de pinceau. Après avoir offert à son Lecteur l'image et la double source d'une gloire qui procure plus d'eclat que de bonheur, la guerre et le luxe, il peint la véritable félicité; c'est une vie aisée, due au travail des mains. Ensuite au tableau magnifique des trompeuses jouissances des Grands de la terre, tracées en neuf vers, il en ajoûte neuf autres, pour décrire les jouissances paisibles, les solides et inépuisables richesses, et les vertus sociales de l'habitant des campagnes.

Dans la 1ere phrâse, je remarque deux propositions; l'une |107 principale et elliptique, heureux l'homme des champs! dans laquelle est sousentendue la copule est, et le circonstanciel de degré, l'adverbe combien; l'autre subordonnée et conditionnelle: s'il connaît son bonheur. Toutes deux sont précédées de deux circonstanciels de lieu, annoncés par l'adverbe loin, et exprimés par ses compléments combats et luxe, caractérisés par les adjectifs qualificatifs fiers et imposteur. J'observe que les combats et le luxe ne peuvent être considérés comme un lieu dont on est eloigné, que par métaphore; car le luxe et les combats sont des êtres abstraits que l'esprit ne peut considérer comme des lieux déterminés qu'en les prenant pour les lieux mêmes où les combats se livrent, et où le luxe s'etale. Chacune de ces propositions est simple, car elles ne renferment qu'un sujet et qu'un attribut. Les deux vers suivants offrent une proposition simple et indépendante; le sujet, la terre, est heureusement et symmétriquement caractérisé par des epithétes qui figurent poétiquement à la tête de ce tableau; ce sont les deux adjectifs fidèle et docile, alternativement suivis et précédés de leurs compléments à ses besoins, à ses travaux. Ici commence la peinture des plaisirs factices, des jouissances illusoires de l'orgueil. La première proposition, exprimée en quatre vers, est simple; car elle n'a qu'un sujet, il, (le Laboureur) et qu'un attribut combiné négativement pris, ne voit pas; ainsi qu'un seul objet, de nombreux flatteurs. Tout le reste, en quoi consiste la richesse de la Poésie, exprime ou des circonstanciels de lieu, sous les lambris &c. de temps comme au retour du soleil, ou des epithétes descriptives de l'objet, telles que, adorant le réveil, &c. inonder ses portiques; ou des déterminants, de ses toits magnifiques, de leur patron superbe. Le mérite du style consiste dans l'art avec lequel le Poéte a distribué ces circonstanciels, dans le choix heureux des epithétes caractéristiques, et dans l'emploi des expressions pleines d'images, telles que adorant le réveil, sous les lambris pompeux, et surtout ces flots d'adulateurs inondant les portiques. Voyez la différence de cette pensée exprimée dans la prôse la plus simple, et dépouillée de tous ses ornements: Il ne voit pas le matin une troupe de flatteurs à sa porte venir s'informer de sa santé.

Remarquez aussi la transition adroite, exprimée par un seul mot, sans doute; voyez comme elle prépare l'autre transition au tableau du bonheur champêtre: |108 elle ne consiste egalement que dans la conjonction adversative, mais suivie d'une interrogation qui annonce heureusement les détails des trésors de la campagne.

Les cinq vers suivants sont le complément du tableau des richesses imposantes du luxe. Ce sont des accessoires parfaitement adaptés au fond du tableau même. Les deux premiers vers renferment une proposition simple par rapport au sujet, mais complexe par rapport à l'objet de l'attribut combiné; remarquez comme l'expression métaphorique dévorer des yeux, peint merveilleusement l'avide curiosité du peuple. Les epithétes bien choisies justifient cette expression. Le vers suivant rend bien poétiquement cette pensée simple; le paysan ne boit point de liqueurs mixtionnées: l'autre, où le Poéte dit qu'il fait fabriquer ses laines, telles que la nature les lui fournît, n'est pas moins heureusement exprimé. C'etait à Tyr en effet qu'etait porté à sa perfection l'art de teindre les etoffes en pourpre; enfin le dernier vers est un dernier coup de pinceau qui compléte heureusement par une expression générale ce grand et magnifique tableau. Chacun de ces trois vers est une proposition simple, embellie par les métaphores et le choix des expressions. Dans ce dernier tableau que le Poéte met en opposition avec la vie molle et fastueuse des puissants et des riches, après un premier trait général, qui renferme tous les autres, et qui est compris dans cette proposition simple et indépendante, la nature est à lui; le Poéte entasse dans une enumération rapide, au moyen de l'article particulier, toutes les richesses de l'Agriculteur, source d'une joie pure et inaltérable: des grottes, des etangs, une claire fontaine &c. Le vers suivant, dans une proposition incidente, renferme une poésie imitative et une image agréable. Il semble, en le prononçant, ou en l'entendant prononcer, entendre le murmure de l'onde, et voir un mortel innocent s'endormir sous un arbre touffu: dont l'onde en murmurant l'endort sous un vieux chêne. Si la rime n'est pas riche, la beauté de la pensée et le choix des expressions rachetent bien ce léger défaut. Il termine l'enumération des sujets de la proposition, par un vers plein de précision et de noblesse: ce sont là ses trésors, ce sont là ses palais. La répétition fait ici un bel effet; l'article démonstratif avec l'adverbe relatif rappelle collectivement tous les sujets particuliers rapidement amoncelés dans les vers précédents. Le Grammairien observe ici une irrégularité de la langue française; il semble en effet, au premier coup d'œil, etonnant de trouver au pluriel un verbe précédé d'un sujet au singulier, ce sont là.

|109 Les règles de la grammaire sembleraient exiger le verbe au singulier; c'est là, mais une seconde réflexion fait découvrir que dans ce gallicisme il y a une inversion, et que ce qui paraît le sujet n'est effectivement que l'attribut, et vice versâ: la construction directe est donc, ses trésors sont cela, phrâse où aucune règle n'est violée, et où l'article rémémoratif composé cela, mis pour ces choses, rappelle avec justesse l'enumération qui précède.

Dans les quatre derniers vers on ne remarque, outre le gallicisme le plus energique, c'est que, c'est là que, que des propositions simples et indépendantes. Dans les autres langues au lieu de: c'est dans les champs qu'on trouve une mâle jeunesse; on traduirait simplement, en supprimant le gallicisme, on trouve dans les champs une mâle jeunesse; mais voyez quelle différence d'energie dans les tours; le premier met sous les yeux l'image de la pensée; le second l'exprime faiblement, et sans aucune energie. La répétition est aussi pleine de grâces et donne une idée attendrissante des vertus champêtres. Les deux derniers vers renferment une idée capable de rompre les chaînes les plus fortes qui attachent le citoyen dans les cités pour le forcer d'aller habiter la campagne, où la justice a choisi son dernier asyle. Tel etait le but de Virgile qui voulait repeupler les campagnes et raviver l'Agriculture trop long-temps désolée par la fureur des guerres civiles, et ce dernier coup de pinceau achève heureusement ce superbe tableau du bonheur de la vie champêtre.

Fin.

L. Fontaine

Professeur à l'Ecole-Centrale de l'Yonne.