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Art. IV-VIII

Table des matières

 

 

 

 

Section troisième. Grammaire française.

Chap. I. Des substantifs.

Chap. II. Des modificatifs.

Art. I-II

Art. III

Art. IV-VIII

Section quatrième. Art de raisonner.

Chap. I. Des idées.

Chap. II. Du jugement.

Chap. III. Du raisonnement.

Chap. IV. De la méthode.

Conclusion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

|216

 

 

ARTICLE IV.

DES PARTICIPES.

 

Quos.... felix cognatio jungit. (Man.)

 

 

 

1102. Nous avons déjà vu (1032-1034) que les deux participes forment un mode particulier nommé attributif, et nous avons tâché de nous faire une idée exacte de leur nature. Nous ne reviendrons pas là-dessus dans cet article ; et nous nous contenterons d’exposer les règles particulières de notre langue concernant les participes.

Étymologie du mot parti­cipe.

 

 

1103. Observons auparavant qu’on a probablement donné le nom de participe aux deux formes du mode attributif, parce qu’elles participent de la nature du verbe et de celle de l’adjectif, selon les cas. Quand on dit, par exemple : un homme aimant la lecture, une femme aimant la danse, le participe aimant tient là de la nature du verbe, puisqu’il a la même signification que qui aime, et le même complément qu’ont toutes les autres formes du même verbe : au lieu que si l’on dit un homme aimant, une femme aimante, les mots aimant, aimante, sont là des adjectifs, synonymes de sensible |217 ou de porté à aimer, et ils expriment une modification de la même nature que celle qu’expriment tous les autres adjectifs. De même, dans la phrase précédente, il a sorti (1098), le participe passé sorti conserve la nature du verbe, puisque cette phrase signifie il a fait l’action de sortir, ou il a été sortant, et que sorti exprime par conséquent l’existence avec une autre modification déterminée ; ce qui constitue précisément la nature du verbe (930) : au lieu que dans la phrase il est sorti, le mot sorti est un véritable adjectif, puisqu’il exprime une modification passagère du sujet dont on parle. Aussi, dans ce second cas seulement, est-il susceptible des deux genres et des deux nombres comme tous les adjectifs. Il est sorti, elle est sortie ; nous sommes sortis, elles sont sorties : au lieu qu’on ne peut pas dire : elle a sortie, mais sorti ; nous avons sortis, mais sorti.

Participes devenus adjectifs.

 

 

1104. Aussi plusieurs mots de notre langue, participes dans l’origine, sont-ils devenus de simples adjectifs à mesure que l’usage nous a accoutumés à les considérer seulement comme exprimant une modification, et non pas comme énonçant l’existence combinée avec cette modification : tels sont plaisant, déplaisant, intrigant, etc. ; qui étaient les |218 participes actifs des verbes plaire, déplaire, intriguer, etc. ; et poli, participe passé du verbe polir.

 

 

 

 

 

 

DES PARTICIPES PRÉSENS OU ACTIFS.

 

La grâce, en s’exprimant, vaut mieux que ce qu’on dit. (Volt.)

 

Participes présens inva­riables, lors­qu’ils sont sui­vis d’un com­plé­ment.

 

 

1105. Les participes présens ou actifs sont toujours invariables lorsqu’ils sont suivis d’un complément direct ou indirect, comme les autres formes du verbe auquel ils appartiennent, parce qu’alors ils tiennent uniquement de la nature du verbe duquel ils dérivent. Des hommes préférant leurs devoirs à leurs plaisirs, et non pas préférans. Des femmes sacrifiant leurs amusemens et le goût de la parure au soin de l’éducation de leurs enfans, et non pas sacrifiantes. Le premier participe signifie qui préfèrent, qui sont préférant, et le second, qui sacrifient ou qui sont sacrifiant ; l’un et l’autre expriment donc l’existence et une autre modification déterminée ; ce sont donc des verbes (930).

       Il passait les nuits et les jours
A compter, calculer, supputer sans relâche,
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche ;
Car il trouvait toujours du mécompte à son fait. (La Font., liv. 12, fab. 3.)

Sans complé­ment, ils sont adjectifs et va­riables.

 

 

|219 1106. Mais si ces participes ne sont suivis d’aucun complément, d’aucun mot qui dépende d’eux, ils sont variables et prennent le genre et le nombre du substantif qu’ils modifient, parce qu’alors ils tiennent de la nature de l’adjectif. Ainsi l’on doit dire des passions dominantes, quoique l’on doive dire des hauteurs dominant la ville, et non pas dominantes. Avec une légère attention, on voit que des passions dominantes signifie, non pas des passions qui sont dominant telle chose, mais des passions qui sont dominantes, comme l’on dit des fraises qui sont mûres ; dominantes exprime donc une modification, une qualité que l’on attribue au substantif passions ; c’est donc un adjectif qui doit prendre le genre et le nombre de son substantif, par la loi de la concordance (953). Au lieu que des hauteurs dominant la ville signifie des hauteurs qui existent en dominant la ville, ou qui dominent la ville : c’est donc ici un verbe actif suivi de son complément direct.

1107. On trouvera le même résultat en analysant les phrases suivantes : j’ai vu des femmes suppliant leurs juges, elles étaient dans une posture suppliante ; j’ai vu des actrices charmant les spectateurs ; elles étaient charmantes. On voit aisément qu’on pourrait |220 dire des femmes qui suppliaient, des actrices qui charmaient.

1108. On dit néanmoins une couleur fort approchante de celle-là ; mais ici le mot approchante, quoique dérivé du participe actif du verbe approcher et employé au figuré, est évidemment un adjectif, puisqu’il est susceptible des degrés de signification, fort ou très-approchante (948).

Vices de cons­truc­tion re­la­tifs au par­ti­cipe présent.

 

 

1109. On a vu dans les exemples précédens que les participes actifs peuvent se traduire par différens temps des verbes auxquels ils appartiennent, selon les circonstances : c’est ce qui donne souvent lieu à des équivoques qui rendent le style obscur et embarrassé. Si je dis, par exemple : les hommes se décidant sur les apparences se trompent souvent, et que je traduise se décidant par qui se décident, je parle d’une classe particulière d’hommes, de ceux qui ont l’habitude de se décider ainsi : si je le traduis par lorsqu’ils se décident, j’applique ma pensée à tous les hommes, que je déclare sujets à l’erreur dans telle circonstance, lorsqu’ils se décident sur les apparences. Comme la phrase citée se prête également à ces deux interprétations, c’est à l’écrivain à savoir quel est celui de ces deux sens qu’il a en |221 vue, et à le rendre si clairement qu’il ne puisse pas y avoir d’amphibologie. De même si je dis : je l’ai rencontré partant pour Paris, on ne sait pas si c’est moi qui partait pour Paris, ou si c’est la personne de qui je parle : dans le premier cas, il faut dire : je l’ai rencontré en partant pour Paris, ou lorsque je partais ; dans le second cas, on doit dire : je l’ai rencontré qui partait pour Paris. De cette manière, on fait disparaître l’amphibologie, défaut qu’on doit éviter avec le plus grand soin.

Autres exemples.

 

 

1110. On remarque la même obscurité dans les phrases suivantes :

Sa faveur me couronne entrant dans la carrière ;
Et sortant du baptême il m’envoie à la mort. (Polieucte, act. 4, sc. 3.)

Cette construction est louche : est-ce moi qui entre dans la carrière, ou est-ce celui dont la faveur me couronne ? Est-ce moi qui sort du baptême, ou celui qui m’envoie à la mort ?

Par un indigne obstacle il n’est point retenu ;
Et fixant de ses vœux l’inconstance fatale,
Phèdre depuis long-temps ne craint plus de rivale. (Phèdre, act. 1, sc. 1.)

Le second vers paraît se rapporter au sujet |222 du premier (il), et néanmoins il se rapporte à Phèdre. Pour éviter cette hésitation dans le sens, il fallait dire : et Phèdre fixant depuis long-temps l’inconstance de ses vœux, ne craint plus de rivale. Il ne resterait alors qu’un autre doute, savoir s’il est question des vœux de Phèdre ou de ceux de il. Rien n’est plus nécessaire que de faire disparaître toute sorte d’obscurité, et rien, peut-être, n’exige plus de soin de la part de l’écrivain.

Et voyant de son bras voler partout l’effroi,
L’Inde semble m’ouvrir un champ digne de moi. (Alexan., act. 4, sc. 2.)

Il semble que c’est l’Inde qui voyait voler l’effroi de son bras, ce qui est contraire à la pensée de Racine.

C’est ce qui, l’arrachant du sein de ses états,
Au trône de Cyrus lui fit porter ses pas ;
Et du plus ferme empire ébranlant les colonnes,
Attaquer, conquérir et rendre les couronnes.

On dirait que les deux participes arrachant, ébranlant se rapportent au même sujet (ce qui) ; ce qui n’est pas : c’est la gloire qui arrache Alexandre de ses états ; et c’est Alexandre qui ébranle les colonnes, etc. Il faut écrire non-seulement de manière qu’on nous entende, mais même faire en sorte |223 qu’on ne puisse pas, le voulût-on, ne pas nous entendre, ou nous faire dire autre chose que ce que nous avons voulu dire.

 

 

 

 

DES PARTICIPES PASSÉS OU PASSIFS.

 

Graver sur le papier l’image de la voix,
........................................................................
C’est ce qu’entreprend l’homme, et dont il vient à bout. (Pavillon.)

 

 

 

1111. Nous avons déjà succinctement exposé les règles à suivre dans l’emploi des participes passés (531-536) : nous allons les donner ici dans un plus grand détail.

Première règle.

 

 

1112. Lorsque les participes passifs sont combinés avec les formes du verbe être, ils prennent le genre et le nombre du substantif auquel ils se rapportent, s’ils n’ont pas de complément direct, parce qu’alors les participes sont de vrais adjectifs. Elles se sont aperçues à temps de leurs ridicules. La vertu ne peut manquer d’être généralement applaudie. La science est estimée ; la vertu est beaucoup plus appréciée.

Seconde règle.

 

 

1113. S’il y a un complément direct placé après le participe, celui-ci est toujours invariable, soit qu’il soit joint aux formes du verbe être, soit qu’il le soit à celles du verbe avoir. Lucrèce s’est donné la mort (pour a |224 donné la mort à soi ; la mort, complément direct, est après le participe). Il en est de même des exemples suivans... Nos savans s’étaient fait ces objections... Les premiers qui se sont bâti des chaumières... Elle s’était procuré de superbes bijoux... Elle s’est crevé les yeux... Les gouvernemens sages ont toujours protégé les sciences.

Il est évident que, dans aucune phrase de cette nature, le participe ne peut être considéré comme adjectif, puisqu’il ne modifie pas le sujet, et qu’au lieu d’en énoncer une qualité, il en exprime une action. Il conserve donc sa nature de verbe, et il ne doit par conséquent prendre aucune inflexion relative au genre ni au nombre.

Troisième règle.

 

 

1114. Si le complément direct prend le participe passif, celui-ci prend toujours le genre et le nombre de ce complément, quel que soit d’ailleurs l’auxiliaire de ce participe, et cela, parce que, dans cette circonstance, le participe est un véritable adjectif. Pour faire mieux sentir la vérité de cette règle, nous allons citer la plupart des exemples donnés à l’appui de la règle précédente, en y faisant les changemens nécessaires pour que le complément direct précède le participe ; et l’on verra mieux |225 comment la seule place du complément direct fait que le participe est tantôt indéclinable et tantôt indéclinable... La mort que Lucrèce s’est donnée (que, pour laquelle mort, complément direct, précède le participe)... Les objections que nos savans s’étaient faites... Les chaumières que les premiers se sont bâties... Les superbes bijoux qu’elle avait achetés...... Les sciences que les gouvernemens sages ont toujours protégées.

Remarque.

 

 

1115. Quelques grammairiens ont cru qu’il fallait dire : la justice que vous ont  rendu vos juges ; et la justice que vos juges vous ont rendue, parce que dans le premier cas le sujet (vos juges) suit le participe, et qu’il le précède dans le second. Mais la place du sujet, relativement au participe, ne fait absolument rien à cela ; c’est seulement la place du complément direct qui a de l’influence ; or, dans chacune de ces deux phrases, le complément direct (que pour laquelle justice) précède le participe ; il faut donc dire rendue dans l’un ou l’autre cas (1114). Il en est de même des exemples suivans.

Pauvre Didon, où t’a réduite
De tes maris le triste sort ?
L’un, en mourant, cause ta fuite ;
L’autre, en fuyant, cause ta mort.

|226 Le sujet (triste sort) suit le participe, et néanmoins celui-ci s’accorde en genre et en nombre avec le complément direct qui précède (t’ pour toi, Didon). On ne croira pas que ce soit la nécessité de la rime qui ait forcé le poëte à mettre réduite, et non pas réduit, si l’on se rappelle ce vers de l’immortel Racine :

Ces yeux que n’ont émus, ni soupirs, ni terreur. (Britan., act. 5, sc. 1.)

Émus et non pas ému, quoique le sujet soit après.

Quatrième règle.

 

 

1116. Lorsque le participe passif, précédé d’un complément direct, est suivi d’un verbe à l’infinitif, si ce complément direct est celui du participe, il faut suivre la troisième règle (1114) ; si ce complément direct est celui du verbe à l’infinitif, le participe est invariable (1113). On doit donc dire : les hommes célèbres dans tous les genres que la France a vus naître, parce que que pour lesquels hommes, est le complément direct du participe vus et non pas de l’infinitif naître.

Les malheureux que tu as laissés pleurer sans consolation de ta part ; que est encore là le complément direct de laissés, et non |227 pas de pleurer, et ainsi de tous les cas semblables. Au lieu qu’on doit dire : ils ont terminé toutes les affaires qu’ils avaient prévu qu’ils auraient ; que pour lesquelles affaires est ici évidemment le complément direct, non pas du participe prévu, mais du verbe qu’ils auraient ; ils avaient prévu qu’ils auraient lesquelles affaires. Les deux bataillons que le général a envoyé chercher : que est le complément direct de chercher ; qu’a-t-il envoyé chercher ? les deux bataillons ; voilà pourquoi le participe est ici indéclinable ; le complément direct qui précède n’est pas le complément du participe. On dirait au contraire : les deux bataillons que le général a envoyés combattre : qu’a-t-il envoyé ? les deux bataillons ; que est donc le complément direct du participe envoyés, qui, conséquemment (1114), doit s’accorder avec ce complément.

Remarque.

 

 

1117. Aussi Duclos veut qu’on dise : elle s’est présentée à la porte, je l’ai laissée passer. Avez-vous entendu la nouvelle actrice ? Je l’ai entendue chanter ; c’est-à-dire, j’ai laissé elle passer, j’ai entendu l’actrice chanter ; les mots elle et actrice sont donc les complémens directs des participes laissé et entendu ; et ces exemples ainsi expliqués |228 rentrent dans la classe de ceux cités après la troisième règle, où le complément direct précède le participe. Il veut, au contraire, que l’on dise : elle s’est présentée à la porte, je l’ai fait passer ; avez-vous entendu la nouvelle ariette ? je l’ai entendu chanter ; c’est-à-dire, non pas j’ai fait elle passer, mais j’ai fait passer elle ; non pas j’ai entendu l’ariette chanter, mais j’ai entendu chanter l’ariette ; et dans ces phrases ainsi expliquées les mots elle et ariette sont les complémens directs, non pas des participes fait et entendu, mais des verbes suivans passer et chanter.

Deuxième remarque.

 

 

1118. Il est certain que les premières phrases peuvent se traduire de cette manière : j’ai laissé elle qui passait ou passant ; j’ai entendu l’actrice chantant ou qui chantait ; et alors qu’il est évident que la (pour elle) est le complément direct des deux participes laissé et entendu, et qu’ainsi, conformément à la troisième règle (1114), les participes doivent prendre le genre et le nombre de ce complément : je l’ai laissée passant ; je l’ai entendue chantant. Les autres phrases équivalent à ceci : j’ai fait qu’elle passât ; j’ai entendu qu’on chantait l’ariette : il est sensible de cette manière que la |229 n’est pas le complément direct des participes fait et entendu ; mais qu’il est celui des verbes passer et chanter ; et alors, puisque ce n’est pas le cas de la troisième règle, les participes doivent être invariables.

1119. On dit cependant : les chaleurs qu’il a fait cet été ; les grandes pluies qu’il a fait au printemps ; parce que dans tous les exemples semblables le participe passé fait ne peut absolument pas exprimer une modification du complément direct qui précède ; il ne peut donc pas être adjectif. Il a fait est là un verbe monopersonnel (1077).

Vices de cons­truction relatifs aux participes passés.

 

 

1120. Nous avons observé (1109, 1110) combien les participes actifs causent d’obscurité dans le discours, lorsqu’ils ne sont pas convenablement placés, et qu’ils semblent, par l’effet de la construction, se rapporter à tout autre substantif qu’à celui auquel on veut réellement qu’ils se rapportent. Il en est de même des participes passifs.

Prêt à servir toujours, sans espoir de salaire,
Vos yeux ne sont que trop assurés de lui plaire. (Androm., act. 4, sc. 2.)

Ne dirait-on pas que ce sont vos yeux qui sont prêts à servir, etc. ?

|230 D’un odieux amour sans cesse poursuivie,
On prétend, malgré moi, m’arracher à la vie. (Alexan. 4, sc. 1.)

Il semble que c’est on qui est poursuivie, au lieu que ce participe doit se rapporter à m’, moi.

Environné d’enfans, soutiens de ma puissance,
Il ne manque à mon front que le bandeau royal. (Esther, act. 3, sc. 1.)

Est-ce le front qui est environné d’enfans ? Il fallait, pour la netteté du discours : étant environné d’enfans, etc. ; il ne me manque que, etc.

A nous-mêmes livrés dans une solitude,
Notre bonheur bientôt fait notre inquiétude. (Boileau.)

Livrés ne peut ici se rapporter à rien ; il aurait fallu dire : lorsque nous sommes livrés.

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre,
      Ce que je viens de raconter. (La Font., liv. 11, fab. 8.)

Même vice de construction.

A qui des deux, en effet, m’adresser ?
Est-ce au flatteur qui m’abuse et m’encense ?
Est-ce à l’ami qui me tait ce qu’il pense ?
|231 Par tous les deux séduit au même point,
Mon ennemi seul ne me trompe point. (Rous., épît. 4, liv. 2.)

D’après la construction, séduit se rapporte à mon ennemi, au lieu qu’il doit se rapporter à me, au poëte qui parle.

..... Ou lassés, ou soumis,
Ma funeste amitié pèse à tous mes amis. (Mithrid., act. 3, sc. 1.)

Si le premier vers venait après le second, il n’y aurait ni obscurité, ni vice de construction.

Nous pourrions citer beaucoup d’autres exemples semblables. Nous avons choisi ceux-ci dans les ouvrages de nos meilleurs poëtes, non pas dans l’intention de ternir leur réputation littéraire, ou de diminuer l’estime que méritent leurs ouvrages ; ce qui d’ailleurs est certainement aussi loin de notre pensée qu’au-dessus de nos efforts ; mais parce que leurs incorrections sont beaucoup plus funestes par l’autorité et l’ascendant du génie ; et dans le dessein d’accoutumer les jeunes gens à ne rien adopter de confiance, mais à lire avec réflexion en discutant soigneusement leurs lectures.

Quels sont les complémens qu’on peut pla­cer avant le mot com­plété.

 

 

|232 1121. Lorsque le complément direct précède le participe passé, celui-ci s’accorde toujours en genre et en nombre avec ce complément (1114). Observons qu’en pareil cas le complément direct est toujours un pronom, ainsi qu’il est facile de s’en convaincre dans les exemples cités (1114). Anciennement nos poëtes se permettaient la licence, lorsque le besoin de la rime l’exigeait, de faire accorder le participe passé avec le substantif lui-même, qu’ils plaçaient devant ; et ils disaient :

Dans le plus bel endroit a la pièce troublée. (Molière.)

Le seul amour de Rome a sa main animée. (P. Corneille.)

Aucun étonnement n’a sa gloire flétrie. (Le même.)

Sur le portail j’aurais ces mots écrits. (La Font., liv. 12, fab. 15.)

Au lieu de a troublé la pièce, a animé sa main, n’a flétri sa gloire, j’aurais écrit ces mots. Aujourd’hui cette construction n’est plus permise dans notre langue, quoiqu’elle soit employée dans d’autres langues modernes. (Voyez la note du n.o 503.) L’analogie et la clarté exigent en français que le complément soit placé à la suite et le |233 plus près possible du mot complété (732) ; et l’on ne peut placer avant les mots complétés, dans notre langue, que les substantifs qui sont susceptibles de cas (tels que je, me, moi, nous, tu, te, toi, vous, etc. qui, dont, que), parce que la forme de la terminaison indique, quelle que soit la place qu’ils occupent, qu’ils sont complément, et non pas sujets de la proposition.

 

 

Quant au participe passé, il est facile de se convaincre, avec un peu d’attention, qu’il a un sens différent lorsqu’il s’accorde avec le complément qui précède. Il a la pièce troublée signifie, non pas qu’il a troublé la pièce, ce qui est le sens que l’auteur voulait exprimer ; mais qu’il a ou qu’il possède la pièce, et que cette pièce est troublée ; c’est là sa modification actuelle. Il en est de même des autres exemples. Si l’on dit : il a les cheveux coupés, personne n’imaginera qu’il a coupé les cheveux, mais qu’il les a dans l’état exprimé par le mot coupés : coupés est donc ici un véritable adjectif, comme le sont les mots noirs, blonds, dans les phrases il a les cheveux noirs, il a les cheveux blonds. L’application aux exemples précédens est facile.

 

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ARTICLE V.

DES CONJONCTIONS.

 

Chercher, saisir, lier tous ces membres épars,
Qui, surpris, enchantés du nœud qui les rassemble,
Forment de cent détails un magnifique ensemble. (Delille, Jard., ch. 1.)

 

Étymologie et définition.

 

1122. Le mot conjonction dérive de deux mots latins qui signifient jonction avec, et l’on a donné ce nom à tous les mots de la langue qui servent à joindre des propositions.

Rapports entre les propositions.

 

 

1123. Deux propositions ne peuvent se lier que par les rapports qu’elles ont entr’elles : sans cela, il suffirait, pour les lier, de les écrire les unes à la suite des autres ; ce qui est absurde : or les conjonctions énoncent ces rapports, et forment ainsi, de plusieurs propositions distinctes et successives, un seul ensemble, un seul tout parfait et régulier : ainsi, lorsqu’une proposition se lie à la précédente comme une conséquence qui en dérive naturellement, on indique cette liaison par les conjonctions donc, ainsi ; en est-elle la preuve ? on emploie car ; est-elle opposée, ou restreint-elle le sens ? on a mais ; si deux propositions |235 affirment ensemble ? on a la conjonction et ; si elles nient ensemble, on emploie la conjonction ni ; enfin, si elles affirment séparément, de manière que l’une des deux seulement puisse être vraie, on a la conjonction ou (qui s’écrit toujours sans accent tant qu’elle est conjonction).

Les conjonc­tions ne lient pas toujours les pen­sées.

Ni.

 

 

1124. Ce seul exposé suffit pour faire voir que les conjonctions lient toujours les propositions, mais ne lient pas toujours les pensées ; elles les excluent, au contraire, quelquefois du même ensemble ; ainsi que nous l’avons observé ailleurs (550). Ni, par exemple, réveille l’idée d’une négation précédente et en annonce une seconde.

Las d’espérer et de me plaindre
Des muses, des grands et du sort,
C’est ici que j’attends la mort
Sans la désirer, ni la craindre. (Maynard.)

C’est-à-dire, sans désirer la mort et sans craindre la mort, et chaque sens a la force d’une négation.

Ni l’or, ni la grandeur ne nous rendent heureux. (La Font., liv. 12, fab. 28.)

Ou.

 

 

Ou exprime une alternative, un résultat partiel, et laisse quelquefois le choix ; |236 d’autres fois ce choix n’est pas libre, mais forcé.

Qui que tu sois voilà ton maître.
Il l’est, le fut ou le doit être. (Voltaire.)

Mais.

 

 

Mais indique une modification, une restriction à la proposition précédente.

Les plaisirs sont les fleurs que notre divin maître
Dans les ronces du monde, autour de nous fait naître :
Chacun a sa saison, et par des soins prudens
On peut en conserver dans l’hiver de nos ans (a) [19].
Mais, s’il faut les cueillir, c’est d’une main légère ;
On flétrit aisément leur beauté passagère. (Voltaire.)

Ce mais signifiait originairement plus (du mot latin magis), et c’est comme si l’on disait : j’ajoute de plus, pour restriction, qu’il faut les cueillir, etc.

Soit.

 

 

1125. Soit, qui est l’une des formes du verbe être (1043), est quelquefois employé comme conjonction. Soit qu’il en coûte des efforts, soit qu’il n’en coûte pas, notre bonheur exige que nous nous attachions invariablement à la vertu.

Que.

 

 

1126. Nous avons essayé ailleurs (557) de donner l’étymologie de la conjonction que, |237 très-usitée dans notre langue, et nous avons montré comment elle est proposition elliptique, ainsi que les autres conjonctions.

Infortuné ! que de rêves charmans
Vient nous offrir l’espoir qui nous soulage !
Comme il nous trompe ! On croit à tous momens
Changer de sort, en avançant dans l’âge (a) [20].
Et l’on n’a fait que changer de tourmens. (Imbert.)

Le premier que a le même sens que combien, et il est adverbe ; le second est conjonction.

Il résulte de ce langage
Qu’il ne faut jamais rien de trop.
Que de sens renferme ce mot !
Qu’il est judicieux et sage ! (Panard.)

C’est-à-dire : il résulte de ce langage cette chose qui est, il ne faut jamais, etc. Les deux autres que signifient combien.

Nous pouvons renvoyer, pour un plus grand développement sur les conjonctions, à ce que nous avons dit n.os 547-558.

 

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ARTICLE VI.

DES PRÉPOSITIONS.

 

Sur un papier muet la parole est tracée. (Delille.)

 

Étymologie.

 

 

1127. Il ne nous reste rien à dire ici sur la nature, l’utilité, l’origine et l’emploi des prépositions, après ce que nous avons exposé ailleurs (559-593). Nous nous bornerons donc à observer que les prépositions sont ainsi appelées du verbe latin præponere, qui signifie poser devant, parce qu’elles sont réellement posées ou placées avant le second terme du rapport qu’elles expriment, c’est-à-dire, avant leur complément.

Il est inutile de classer les prépositions.

 

 

1128. Nous avons jugé inutile de classer les conjonctions d’après l’espèce de la liaison qu’elles expriment entre les propositions ; nous jugeons aussi inutile de classer les prépositions d’après les rapports que chacune d’elles exprime habituellement ; et nous aimons mieux faire quelques remarques utiles sur l’emploi de certaines prépositions.

A travers, au travers.

 

 

1129. A travers exige un complément direct, et au travers un complément indirect. On dit donc : je l’ai vu à travers la haie, ou au travers de la haie. Dans au travers (pour à le |239 travers) (982), le mot travers est un vrai substantif précédé de l’article ; voilà pourquoi il doit être suivi de la préposition de, pour exprimer le rapport entre ces deux substantifs travers et haie. Racine a donc eu tort de dire :

.............. Ses soupirs embrâsés
Se font jour à travers des deux camps opposés. (Alexand., act. 1, sc. 2.)

A travers est préférable lorsqu’on veut marquer de l’égarement ou de l’imprudence ; on dit en ce sens : à travers champs et haies, à travers les vignes et les bleds.

De travers et en travers, expressions composées, qui ne sont pas des élémens du discours, pas plus que les précédentes, n’ont jamais de complément. Il va de travers. Il se mit en travers.

Autour, alen­tour.

 

 

1130. Autour doit toujours être suivi d’un complément ; alentour, qui est un adverbe, n’en a jamais. Je me suis promené autour de la maison, ou je me suis promené alentour.

Sans cesse, autour de six pendules,
De deux montres, de trois cadrans,
Lubin, depuis trente-quatre ans,
Exerce ses soins ridicules, etc. (Boileau.)

|240 Boileau, dans les premières éditions de ses œuvres, avait mis :

Alentour d’un Caster, j’en ai lu la préface.

Dans l’édition de 1701, il corrigea cette faute, et mit :

Autour d’un Caudebec, j’en ai lu la préface.

On dit : les rochers d’alentour, les échos d’alentour sans complément.

Hors, hormis.

 

 

1131. Lorsque hors signifie excepté, il a un complément direct. Tous les soldats du bataillon furent blessés hors vingt-quatre. Ils y sont tous allés hors deux ou trois. J’ai examiné partout, hors sous la table. Hormis a la même acception, et s’emploie de la même manière.

Dans tout autre cas, hors est toujours suivi de la préposition de, précédant le complément. Hors de l’hiver, hors de la ville, hors du bon sens, hors de prix, hors de raison.

Hors, avec les verbes, est suivi de la préposition de avec l’infinitif, ou de la conjonction que avec l’indicatif. Hors de le tuer, il a tout fait, ou hors qu’il ne l’a pas tué.

Dehors.

 

 

Dehors est ou substantif (puisqu’on dit le dehors, les dehors), ou adverbe ; lorsqu’il est adverbe, il n’a jamais de complément. Il est |241 venu de dehors. Il faut le mettre dehors. La Fontaine a eu tort de dire :

Je suis prête à sortir avec toute ma bande
       Si vous pouvez me mettre hors. (Liv. 2, f. 7.)

il fallait dehors, ou hors d’ici, puisque hors ne s’emploie jamais sans complément.

De dehors, en dehors.

 

De dehors et en dehors s’emploient aussi sans complément. Le bruit vient de dehors. Ils l’ont placé en dehors.

Par dehors.

 

Par dehors exige un complément direct. Par dehors la ville. On dit aussi sans complément : on l’a nettoyé par dedans et par dehors.

Au dehors.

 

Dans au dehors (pour à le dehors), dehors est un substantif qui doit être suivi de la préposition de (1129). Au dehors du jardin, au dehors de l’enceinte du camp.

Par.

 

 

1132. La préposition par n’a servi originairement qu’à désigner le lieu par où une chose passe. Passer par des déserts. Passer par Bordeaux pour aller à Paris.

            Tel fut ce roi des bons chevaux,
Rossinante, la fleur des coursiers d’Ibérie,
Qui, trottant jour et nuit, et par monts et par vaux,
Galoppa, dit l’histoire, une fois en sa vie. (Boileau.)

On a dit ensuite par analogie : heureux celui |242 qui a passé par les pénibles, mais utiles épreuves du malheur ! Nous avons exposé ailleurs (569) comment cette analogie s’est successivement étendue.

On doit dire : il est parti par un beau temps, et non pas avec un beau temps : par est alors préposition de temps, et signifie la même chose que durant. Il faut labourer par un temps sec. Où allez-vous par cette pluie-là ? — Les verbes à la suite de la préposition par se mettent à l’infinitif. Il débuta par se vanter. Il commença par dire.

Près.

 

 

1133. Après la préposition près, les verbes se mettent à l’infinitif : près de mourir, et les substantifs sont précédés de la préposition de : près du feu, près de minuit.

Heureux qui, près de toi, pour toi seule soupire. (Boileau.)

On dit aussi : à très-peu près ; à peu de chose près ; à sa vanité près, c’est un homme aimable. Près-à-près l’un de l’autre. Il ne faut pas les mettre si-près-à-près. Racine a employé près de, pour au prix de :

Pour vous régler sur eux, que sont-ils près de vous ? (Esther, act. 2, sc. 5.)

cet exemple n’est point à imiter.

Près de, prêt à

 

|243 Il ne faut pas confondre près de avec prêt à, puisque le premier signifie sur le point de, et le second préparé à, ou disposé à ; ce qui est bien différent. Même près de mourir, il faut être prêt à tout sacrifier à son devoir. Crébillon a donc eu tort de dire :

Aussi prêt d’y périr qu’à fondre sous les eaux.

de plus, il met deux prépositions différentes de et à après le même mot ; ce qui ne doit pas se faire.

Auprès.

 

 

Auprès (pour à le près) est composé de la préposition à et du mot près, qui est alors un vrai substantif précédé de son article : aussi le complément qui suit est-il précédé de la préposition de : auprès de Paris, auprès de vous. Ce mot s’emploie quelquefois sans complément : pour distinguer les objets, il faut que je sois tout auprès.

Dans, en.

 

 

1134. Dans et en ne s’emploient pas toujours indifféremment. Dans exprime plus particulièrement un rapport du contenant au contenu, et en exprime seulement un rapport de lieu d’une manière vague et indéterminée. Ainsi, quand on dit : il est dans la ville, cela signifie qu’il est dans l’enceinte de la ville, qu’il n’en est pas sorti ; et si l’on dit : il est en ville, cela signifie qu’il n’est |244 pas chez lui, et l’on désigne d’une manière vague qu’il est quelque part dans la ville. Cela est si vrai que, si un étranger demandait à voir un objet quelconque situé hors de la ville, on ne lui dirait pas : il n’est pas en ville, mais il n’est pas dans la ville ; c’est-à-dire, il n’est pas renfermé dans son enceinte, il est dehors.

Cette explication suffit pour faire distinguer les circonstances où l’on doit employer dans ou en. Il ne faut pas dire, par exemple : mettez le mouchoir à la poche, ni en la poche, mais dans la poche, puisqu’il doit y être renfermé ; au lieu qu’on dira : l’uniforme de tel régiment est d’avoir quatre boutons à chaque poche, et non pas dans.

On met en devant les noms d’état ou de province qui n’ont point d’article, et dans ou à devant ceux qui ont un article. Aller en France, en Italie, en Angleterre, etc. ; à la Chine, au Pérou (pour à le Pérou), etc. Résider en Espagne, dans le Tonquin.

Dedans.

 

 

1135. Dedans n’a de complément que lorsqu’il est réuni à son opposé dehors. Il est entré dedans. Le désordre est dedans et dehors le camp. Au dedans (pour à le dedans) a un complément indirect, et l’on en voit la raison d’après ce que nous avons dit (1129). Par |245 dedans a un complément direct. Au dedans de la chambre. Par dedans la ville.

Sur, sous, dessus, dessous.

 

 

1136. Sur et sous sont toujours suivis d’un complément direct. Il est sur la table, sous le tapis. — Dessus et dessous n’ont pas ordinairement de complément. On ne dit pas dessus la table, dessous le tapis. Est-il sur la table ? Il est dessus, ou dessous, sans ajouter autre chose. Il y a donc une faute dans ces vers de Racine.

..................... Ses sacriléges mains
Dessous un même joug rangent tous les humains. (Alexan., act. 1, sc. 1.)

Malherbe, d’après le témoignage de Racan, se blâmait d’avoir écrit dessus mes volontés, au lieu de sur mes volontés.

.......................... Les précieuses
Font dessus tout les dédaigneuses. (La Font., liv. 7, fab. 5.)

Il faut sur. — Néanmoins si les deux opposés dessus et dessous sont placés immédiatement à la suite l’un de l’autre, on met un complément après. Il y a des animaux dessus et dessous la terre.

De dessus, etc.

 

 

De dessus, de dessous, par-dessus, par-dessous ont un complément direct. De dessus le toit, de dessous la galerie, par-dessus la |246 tête, par-dessous les bras. — Au-dessus et au-dessous sont suivis de la préposition de, parce que dessus et dessous sont alors substantifs (à le dessus, à le dessous). Il n’y a rien au-dessus de la vertu, ni au-dessous du crime.

On dit avoir le dessus sur quelqu’un, et non pas comme Pierre Corneille :

Si de mes ennemis Rodrigue a le dessus. (Cid.)

Dans la phrase : il a tout mis sans dessus dessous, dessus et dessous sont de vrais substantifs ; car le sens est le même que si l’on disait : il a tellement bouleversé la chose, qu’on n’y reconnaît plus ni le dessus, ni le dessous. On dit effectivement le dessus et le dessous d’une chose. Le dessus en est plus beau que le dessous.

A même.

 

1137. Il faut dire : être à même d’obliger quelqu’un, le laisser à même de faire de bonnes réflexions, le mettre à même de faire de bonnes études, etc. ; et non pas en même.

Sans.

 

 

1138. Sans, suivi d’un verbe à l’infinitif, doit se rapporter avec ce verbe au sujet de la proposition, sans quoi la construction est vicieuse et louche.

Les surprenans bienfaits que, sans les mériter,
Sa libérale main sur vous daigne répandre. (Molière.)

|247 Il faut sans que nous le méritiez ; sans cela, il semble que c’est sa libérale main qui ne mérite pas les bienfaits. — On disait autrefois : et n’était la honte, au lieu de dire : et sans la honte.

Selon, sui­vant.

 

 

1139. Selon et suivant s’emploient souvent l’un pour l’autre ; le dernier doit néanmoins être préféré pour marquer une conformité plus indispensable, relative à la pratique ; et celui-là, pour signifier une simple convenance, souvent d’opinion. L’homme de bien se conduit suivant les maximes de la morale la plus pure. L’écrivain répond à ses censeurs, selon les objections qu’ils font.

Avant, de­vant.

 

 

1140. Avant marque priorité de temps : avant la fin du mois ; ou d’ordre : mettre une chose avant l’autre ; ou de préférence : la justice doit aller avant tout. Son opposé est après. — Devant exprime un rapport de lieu entre deux choses ; son opposé est derrière. Je suis arrivé avant lui, et cependant il marchait devant moi. Boileau a confondu mal à propos avant et devant :

       Qu’à son lever, le soleil aujourd’hui.
Trouve tout le chapitre éveillé devant lui. (Lutrin.)

il présente le chapitre éveillé en présence |248 du soleil, tandis qu’il voulait le présenter éveillé plus tôt que cet astre.

Et combien la Neveu, devant son mariage. (Boileau.)

Même faute. Il en est de même des vers suivans de La Fontaine :

L’âne d’un jardinier se plaignait au destin.
De ce qu’on le faisait lever devant l’aurore. (Lib. 6, fab. 11.)

Il ne faut pas non plus employer devant que pour avant que :

Si devant que mourir, la reine Bérénice. (Act. 4, sc. 5.)

Ah ! devant qu’il expire, etc. (Androm., act. 5, sc. 1.)

au lieu de avant que de mourir, avant qu’il expire.

Il ne faut pas dire : ils lui allèrent au-devant, ni ils allèrent à son devant, mais ils allèrent au-devant de lui, ou à sa rencontre.

Rez.

 

 

1141. Rez signifie joignant ou tout contre, et n’est plus en usage que dans ces expressions, rez-pied, rez-terre. On a abattu cette maison rez-terre ; on a coupé ces arbres rez-pied. Ce mot est substantif dans rez-de-chaussée. Un appartement au rez-de-chaussée. Il est logé au rez-de-chaussée.

Plein.

 

 

|249 1142. L’adjectif plein est quelquefois employé comme préposition ; alors il est immédiatement suivi de son complément sans article, et il demeure invariable comme toutes les prépositions : Il a du vin plein sa cave. Il a du froment plein ses greniers. Il a plein ses poches d’argent. Au lieu que si plein était placé entre l’adjectif possessif son, sa, ses et le substantif suivant, il serait adjectif, et devrait prendre le genre et le nombre de son substantif (953). Il a du vin sa pleine cave, ou sa cave pleine, ou sa cave pleine de vin. Il a ses greniers pleins de froment ; il a du froment ses greniers pleins, etc.

 

 

 

 

ARTICLE VII.

DE L’ADVERBE.

 

Sit comes.... et servet vestigia. (Virgil.)

 

Définition et étymologie.

 

 

1143. L’adverbe est un mot qui n’est susceptible ni de genre, ni de nombre, ni de cas, c’est-à-dire, qui est absolument invariable, ainsi que la préposition, la conjonction et l’interjection, qui est placé auprès d’un autre mot pour modifier l’idée exprimée par ce mot, et communément auprès d’un verbe ou d’un adjectif, pour rendre avec |250 plus de précision l’action, l’état ou la qualité exprimée par ce verbe ou par cet adjectif. Quand on dit : ces enfans se conduisent sagement, prudemment, discrètement, les mots sagement, etc., sont des adverbes ; ils modifient l’action exprimée par le verbe se conduisent ; ils expriment, avec une précision particulière, la manière dont se conduisent ces enfans : et si les adverbes étaient supprimés, la pensée serait dans un vague indéterminé, puisque rien n’indiquerait s’ils se conduisent bien ou mal, prudemment ou imprudemment, avec ou sans discrétion. On appelle ces sortes de mots adverbes, des deux mots latins ad verbum, comme qui dirait accolés à un mot, parce qu’ils modifient, restreignent ou déterminent le sens du mot auprès duquel ils sont placés.

Un adverbe équi­vaut à une pré­position avec son com­plé­ment.

 

 

1144. Il est inutile que nous répétions ici qu’un adverbe équivaut à une préposition avec son complément (594) ; que tout mot qui peut être traduit par une préposition et par un substantif est un adverbe (596) ; que les adverbes se lient toujours au terme antécédent d’un rapport (597) ; qu’ils sont conséquemment des modificatifs d’attribut (598) ; et que nous remarquions de nouveau que, quoique la plupart des adverbes n’aient pas |251 de complément, il y en a néanmoins qui en exigent un pour former un sens complet et précis (600).

Auparavant.

 

 

1145. Il ne faut pas dire : il harangua ses troupes auparavant de donner le signal ; il arriva sur le champ de bataille auparavant les grenadiers : dans chacune de ces deux phrases il faut dire avant, parce qu’auparavant s’emploie toujours sans complément. Aussi dit-on fort bien : vous ne pouvez pas sortir encore ; il faut finir votre besogne auparavant, et non avant.

Quand, quant.

 

 

1146. Quand, signifiant lorsque, ou si, ou lors même que, s’écrit toujours par un d à la fin.

L’homme content du nécessaire
Craint peu la fortune contraire,
Quand son cœur est sans passion. (J.-J. Rousseau.)

...... Quand le mal est certain,
La plainte, ni la peur ne changent le destin,
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage. (La Font., liv. 8, fab. 12.)

Quand le malheur ne serait bon
Qu’à mettre un sot à la raison,
Toujours serait-ce à juste cause
Qu’on le dit bon à quelque chose. (La Font., liv. 6, fab. 7.)

Pour lors même que le malheur ne serait bon, etc.

|252 Lorsque ce mot signifie pour ce qui est de, il s’écrit par un t, et il est toujours suivi de la préposition à.

...... Quant à l’autre, voici
Le personnage en raccourci. (La Font., liv. 11, fab. 7.)

Se tenir sur son quant à soi est une expression familière qui signifie faire le suffisant, ou éviter avec soin de se familiariser.

Comme.

 

 

1147. On ne met ni préposition ni article après l’adverbe comme, dans les phrases il est froid comme glace ; il est tendre comme rosée, et autres semblables.

Le chat et le renard, comme beaux petits saints,
       S’en allaient en pélerinage. (La Font., liv. 9, fab. 14.)

Nous avons remarqué ailleurs (601) que lorsque le mot comme a été employé dans un sens dans une phrase, il ne faut pas l’employer dans un sens différent dans la même phrase.

Tout.

 

 

1148. Lorsque tout signifie ou entièrement, ou quoique, ou quelque que, il est adverbe, et il n’a conséquemment ni genre ni nombre. Les philosophes, tout éclairés qu’ils sont, ne peuvent pas tout expliquer ; pour quoiqu’ils soient éclairés, ou quelqu’éclairés qu’ils soient. |253 Elles sont tout ébahies, pour entièrement, etc. Mais si l’adjectif ou le participe qui vient après commence par une consonne ou par un h aspiré, tout quitte sa qualité d’adverbe et prend le nombre et le genre de l’adjectif ou du participe. Elles sont toutes fatiguées. La maison est toute vide depuis ce matin. Elles se sont mises toutes hors d’haleine.

Beaucoup, bien.

 

 

1149. Après l’adverbe beaucoup on met toujours la préposition de sans article ; et après l’adverbe bien, qui a la même signification, il faut mettre la préposition de suivie de l’article. Il faut bien des (pour de les) efforts pour conquérir la liberté perdue, et beaucoup de sagesse et de précautions pour la conserver. L’anarchie nous a fait beaucoup de mal, ou bien du mal.

Mal.

 

Mal est souvent adverbe. Mal vit qui ne s’amende.

Plus, davan­tage.

 

 

1150. Plus est un adverbe de comparaison (951) ; il se met au milieu d’une phrase ou d’une partie de phrase ; d’avantage se met tout seul à la fin ; ne dites donc pas : celui qui se fie davantage à ses lumières qu’à son expérience est un imprudent ; dites : celui qui se fie plus, etc. La science est estimable ; la vertu l’est bien davantage, et non pas plus.

|254 Plus on s’approche de la gloire,
Plus on s’éloigne du bonheur. (Imbert.)

La Fontaine a eu tort de dire :

D’en chercher la raison, ce sont soins superflus ;
Dieu fit bien ce qu’il fit, et je n’en sais pas plus. (Liv. 12, fab. 8.)

Son sujet vous convient : je n’en dirai pas plus. (Liv. 8, fab. 4.)

il fallait davantage. — Dans quelques départemens on dit : vous n’étiez plus venu ici, monsieur ? au lieu de dire : vous n’étiez jamais venu, ou vous n’étiez pas encore venu ici ? c’est une faute.

Moins.

 

 

Moins est l’opposé de plus ; on l’emploie pour former les comparatifs d’infériorité.

L’erreur est un malheur de plus :
Moins notre esprit a de lumière,
Moins il éclaire nos vertus. (Bernis.)

Adjectifs em­ployés adver­bialement.

 

 

1151. Quelques adjectifs sont quelquefois employés adverbialement, comme dans ces phrases : il sent bon ; elle sent mauvais ; elles voient clair ; ils chantent juste ; elles chantent faux, etc., etc. Ce sont des constructions elliptiques (750, 758), dont on peut remplir les vides de cette manière : il sent comme quelque chose de bon ; elles |255 voient d’un œil clair ; ils chantent d’un ton juste ; elles chantent d’un ton faux, etc. ; et l’on ne s’étonnera pas de ces suppressions amenées dans des phrases usuelles par la tendance qu’ont toutes les langues à l’ellipse (751).

Court.

 

 

1152. Lorsqu’on dit : elle resta court au milieu de son discours, cette phrase n’est pas analogue aux précédentes, puisque court est un adverbe. Couper les cheveux court. Il les a attachés trop court.

Légère et court vêtue, elle allait à grands pas. (La Font., liv. 7, fab. 10.)

Lez.

 

1153. Lez signifie auprès de, et ne s’emploie que dans ces phrases : Villeneuve-lez-Avignon ; Plessis-lez-Tours ; Villeneuve-lez-Agen, etc.

Trop

 

1154. Trop est toujours suivi de la préposition de :

Trop de repos nous engourdit,
Trop de fracas nous étourdit,
Trop de froideur est indolence,
Trop d’activité, turbulence ;
Trop d’amour trouble la raison,
Trop de remède est un poison,
Trop de finesse est artifice,
Trop de vigueur est dureté,
Trop d’audace, témérité,
Trop d’économie, avarice ;
|256 Trop de bien devient un fardeau,
Trop d’honneur est un esclavage ;
Trop de plaisir mène au tombeau,
Trop d’esprit nous porte dommage. (Panard.)

Quelque.

 

 

1155. Nous avons déjà remarqué (959) que quelque est quelquefois adverbe signifiant à quelque point que, à quelque degré que ; alors il est invariable comme tous les adverbes (1143), et se joint à un adjectif ou à un participe pour le modifier. Quelque prévenu que vous soyez, écoutez toujours la raison.

Il signifie encore environ, à peu près. Il y a quelque six semaines. Il y avait quelque six cents hommes à ce poste.

Nous avons vu aussi (959) que ce mot est quelquefois adjectif signifiant pour grand que, et alors il doit être suivi de que et non pas de dont. Il y a donc une faute dans ces vers de La Fontaine :

      Amusez les rois par des songes,
Flattez-les, payez-les d’agréables mensonges :
Quelque indignation dont leur cœur soit rempli,
Ils goberont l’appât ; vous serez leur ami. (Liv. 8, fab. 14.)

Et dans cette phrase de Saint-Evremont : quelque sagesse dont on se vante ; il fallait : |257 de quelque indignation que leur cœur soit rempli ; de quelque sagesse qu’on se vante ; ou, quelle que soit l’indignation dont, etc. — Molière a supprimé mal à propos quelque dans ce vers :

Et doux que soit le mal, je crains d’être trompé.

au lieu de et quelque doux que soit, etc.

Loin.

 

 

1156. Loin est adverbe de lieu ou de temps. A beau mentir qui vient de loin. C’est parler de loin. C’est se souvenir de loin. On l’emploie aussi au figuré. S’il cultive ses dispositions naturelles il ira loin. Qui est loin des yeux est loin du cœur. Lorsqu’il a un complément, ce complément doit être précédé de la préposition de.

Loin de tout importun jaseur,
Loin des froids discours du vulgaire,
Et de hauts tons de la grandeur :
Loin de ces troupes doucereuses,
Où d’insipides précieuses
Et des petits fats ignorans
Viennent, conduits par la folie,
S’ennuyer en cérémonie,
Et s’endormir en complimens.
Loin de ces plates coteries, etc. (Gresset.)

On dit aussi au loin. Chercher les aventures au loin. Au haut et au loin. — Loin |258 à loin, de loin à loin. Il a quelques remords de loin à loin. Ces arbres y sont loin à loin.

Loin et bien loin se construisent avec un verbe à l’infinitif, précédé de la préposition de, ou au subjonctif, précédé de la conjonction que. Dans le premier cas, il signifie au lieu de, mais avec un degré d’énergie de plus ; et dans le second, tant s’en faut que. Loin de me savoir gré de mes procédés, il s’en offense. Bien loin de se repentir, il aggrave ses torts. Loin qu’il soit disposé à reconnaître sa faute, il prétend qu’on lui doit des excuses.

Debout.

 

 

1157. Etre debout c’est être sur ses pieds, n’être ni assis, ni couché, ni à genoux. Il se tient debout : c’est une faute de dire, en pareil cas, il se tient droit.

 

 

 

 

 

 

ARTICLE VIII.

DES INTERJECTIONS.

 

Inceptus clamor fructatur hiantes. (Virgil.)

 

Interjection ; ce que c’est.

 

 

1158. Le mot interjection vient de deux mots latins qui signifient jeter entre ; et l’on appelle interjections des mots indéclinables jetés entre les autres mots pour exprimer ou l’aversion, comme fi ! fi donc ! ou la joie, comme ha ! bon ! ou la douleur, comme |259 hélas ! ah ! ou tout autre mouvement rapide de l’âme que nous avons besoin d’exprimer avec une certaine vivacité.

1159. Les interjections sont donc des expressions rapides, qui équivalent quelquefois à une phrase entière : ce sont, en quelque sorte, les explosions d’un sentiment profond, qui n’ont point de place marquée dans le discours, et qui, soit qu’elles soient au commencement d’une phrase, soit qu’elles la terminent, soit qu’elles l’interrompent, ne sont jamais à leur vraie place qu’autant qu’elles paraissent échappées au sentiment pour produire le plus grand effet.

Le temps nous quitte, hélas ! sans nous être rendu ;
L’on ne retrouve point le jour qu’on a perdu. (Imbert.)

Oh ! que de grands seigneurs, au léopard semblables,
       N’ont que l’habit pour tous talens ! (La Font., liv. 9, fab. 3.)

Hélas ! j’ai beau crier et me rendre incommode,
       L’ingratitude et les abus
       N’en seront pas moins à la mode. (Le même, liv. 12, fab. 16.)

O temps ! ô mœurs ! j’ai beau crier,
Tout le monde se fait payer. (Le même, liv. 12, fab. 6.)

Mère écrevisse un jour à sa fille disait :
Comme tu vas, bon dieu ! Ne peux-tu marcher droit ?
|260 Eh ! comme vous allez vous-même ? dit la fille ;
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille ?
Veut-on que j’aille droit, quand on y va tortu ? (Le même, liv. 12, fab. 10.)

Cette espèce de mot a dû être employée par les hommes, même avant la formation des langues, puisque ce ne sont que des espèces de cris, des restes du langage d’action, produits presque nécessairement en vertu de l’organisation de l’homme, et qui sont les expressions simples et naturelles d’un sentiment très-vif. Aussi les règles pour leur emploi, s’il y en a, sont-elles plutôt du ressort de la rhétorique que de celui de la Grammaire.

1160. Nous jugeons inutile de revenir ici sur la syntaxe ; cette partie de la Grammaire ayant été suffisamment développée ailleurs (619, etc.).

 

 

 

FIN DE LA TROISIÈME SECTION ET DE LA GRAMMAIRE FRANÇAISE.

 

 

 

Notes

[19] (a) On ne peut pas aller avec nos, puisque l’un est de la troisième personne, et l’autre de la première ; il fallait ses.

[20] (a) En avançant dans est très-dur.