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Premiere section. Grammaire générale. Chapitre III. Art. I-IX.

 

CHAPITRE III.

Notions générales sur l’organisation du systême des langues.

 

ARTICLE PREMIER.

Premiers mots, interjections.

 

1. Nous venons de voir comment l’homme, qui est doué de la faculté de penser, qui est organisé pour analyser sa pensée avec le secours du langage d’action, paraît aussi avoir reçu de la nature tous les moyens capables de le conduire à la formation d’une langue parlée.

2. On nomme, proprement, mot tout signe |31 vocal institué pour exprimer une idée, soit simple, soit complexe. Mot vient de motus, mouvement ; soit parce que le mot provoque et rappele l’idée ; soit à cause de l’action de la langue et des levres qui concourent à la prononciation des mots, excepté un très-petit nombre qui sont demeurés dans l’état de simple voix, et pour lesquels l’action de ces organes est inutile, ou moins prononcée.

3. Il est évident que, dans notre supposition, les accens primitifs devenus artificiels doivent être les premiers mots de la langue parlée ; et les faits justifient ici notre sentiment. Car tous les mots que l’on nomme interjectifs (mots jetés entre les autres mots) ; ces mots, disons-nous, qui se trouvent dans les langues, même les plus grossieres, sont par tout absolument libres dans la phrase chez tous les peuples. Ils prennent souvent la premiere place, comme les premiers-nés : ils jouissent de leur indépendance, parce qu’ils sont antérieurs à toute espece de concordance et de syntaxe : le langage du cœur ne connaît point ces entraves.

4. Deux caracteres essentiels distinguent les interjections de tous les autres mot : 1o. c’est qu’il est impossible de les bien traduire dans aucune langue ; parce que le sentiment ne se peint point. Imaginez des sons articulés, qui se traî- |32 nent lentement les uns après les autres, à la place d’un ouf ! ou d’un ha ! etc., dans la bouche d’un homme vivement affecté ; et vous sentirez la différence. 2o. C’est que ces mots, qui évidemment ne sont point discursifs, sont essentiellement liés à des gestes analogues ; et que ces gestes sont tellement déterminés, que, si on les change, on ne fait plus qu’une misérable parodie : ils portent le véritable cachet de la nature ; et, si les faussaires sont très-communs, il est aussi très-aisé de les reconnaître.

Or, cette union intime des gestes avec les voix exclamatives démontre de plus en plus, que celles-ci doivent primitivement appartenir au langage d’action ; et qu’elles ne se trouvent dans la langue parlée, que comme un moyen terme qui auroit conduit de l’un à l’autre.

5. Néanmoins les Grammairiens rejetent ordinairement les interjections à la fin de leurs 8, 9 ou 10 élémens du discours (dont les interjections ne font certainement point partie). Que s’ensuit-il ? C’est qu’ordinairement, les Grammairiens font, ici, précisément tout le contraire de ce qui est commandé par la nature des choses. Au reste, Beauzée, le président de Brosses, l’abbé Regnier-Desmarets, etc., sont des autorités que l’on peut consulter [32]. Il |33 est vrai que, dans l’analyse du discours, qui doit succéder à cette synthese, nous placerons nous-mêmes les interjections à la fin : mais aussi, nous nous garderons bien de commencer l’analyse du discours par les voyelles et les consonnes.

6. Le mot embrasse, comme genre, l’idée de tous les signes vocaux dont une langue est composée. Nous allons bientôt en voir les especes. (V. le chap. 2 de la Grammaire de Cond., premiere partie).

 

 

ARTICLE II.

Comment le langage à son origine doit analyser la pensée.

 

1. Si nous remontons jusqu’au langage d’action, il est hors de toute probabilité que les gestes puissent être analysés complétement, aussi-tôt que nous en appercevons la propriété, et que nous commençons à nous en servir. Ainsi, quoiqu’ils soient déjà devenus artificiels, |34 ils doivent néanmoins, dans le principe de l’art, continuer quelque temps d’être très-complexes, et presque simultanées : l’analyse est si lente ! et la pensée est si rapide ! par la même raison, les premiers gestes artificiels doivent être assez mal faits.

2. Or, nous avons vu que, lorsque nous sommes encore privés du secours des signes artificiels, toutes nos pensées sont enveloppées dans la simple perception : ainsi un seul geste doit nous tenir lieu d’abord de l’énoncé d’un jugement tout entier : il embrasse en lui plusieurs signes distincts par eux-mêmes, comme la perception embrasse plusieurs opérations et plusieurs idées. Il y a donc d’abord unité en quelque sorte dans l’expression comme dans la pensée : ce n’est que par une suite d’observations, que nous pouvons distinguer les idées qui coexistent dans la perception, et conséquemment diviser les signes, pour exprimer successivement un jugement explicite.

3. Il en est de même pour le langage oral : d’abord les accens naturels renferment en eux seuls l’expression d’un jugement entier : lorsqu’ils sont devenus artificiels, il n’y a rien de changé dans la maniere dont ils expriment : seulement l’expression obéit à notre volonté ; au lieu qu’auparavant, elle n’était qu’au pouvoir de la nature.

|35 4. Le langage des sons articulés ne peut commencer autrement que les autres : d’abord, ce n’est qu’un seul mot pour l’expression d’une pensée ; ou ce sont les gestes et les simples voix qui fournissent les détails : nous en avons à chaque instant la preuve dans les enfans qui commencent à bégayer quelques mots, et dans les personnes réduites à faire usage d’un idiôme qui leur est étranger. (V. COND., ibid, chap. 7 et 8.)

5. Ainsi l’art des signes, dans les commencemens, est nécessairement très-laconique, et plus analogue à la nature de la pensée.

 

 

ARTICLE III.

Suite du précédent.

 

1. Les langues, qui finissent toujours par contribuer si puissamment à nos plaisirs, ne peuvent avoir d’abord d’autre objet que nos premiers besoins : or, nos premiers besoins se rapportent nécessairement aux choses sensibles. Les choses sensibles doivent donc être l’objet des premiers mots. D’ailleurs nos idées sensibles sont les premieres formées, et il faut du temps pour former les autres.

2. Comme la parole s’adresse à l’oreille, il |36 est certain que tous les objets qui frappent cet organe, de quelque maniere que ce soit, offrent par là des couleurs toutes formées pour le peintre, et des ressemblances plus faciles à saisir. Il est donc juste de croire que l’harmonie imitative des sons doit présider à la formation des premiers mots : et cela paraît d’autant plus naturel, que l’oreille doit avoir acquis une grande prépondérance dans le langage des simples voix, qui ne peut guere être qu’un langage musical, et dont la Grammaire est, en grande partie, renfermée dans la prosodie.

Ainsi l’on est fondé à supposer que les premiers mots doivent être dans le genre des suivans : pi, pouf, pan, cou-cou, cocq, crac, frac, beu, glou, grond, etc. etc.

3. Mais au moment où l’on commencerait de faire usage des voix articulées, on n’aurait pas tout de suite, à beaucoup près, à sa disposition, toutes les articulations que l’on peut avoir dans une langue formée : de plus, la multiplicité des articulations les rendrait nécessairement difficiles à retenir et à prononcer : tout concourt donc à démontrer que les premiers mots d’une langue doivent être de la plus grande simplicité. Aussi réduit-on presque tous les mots élémentaires des langues à des monosyllabes.

4. Nos idées sont liées en quelque sorte par |37 familles : il n’est donc pas croyable, sur-tout dans la disette des mots, que l’on cherche à inventer de nouveaux signes, à mesure que l’on voudra peindre une idée distincte de toutes celles antérieurement représentées. D’ailleurs le pourrait-on ? Et quand on le pourrait, ces mots, qui n’auraient rien de commun, désorganiseraient la liaison des idées, bien loin de servir de lien entre elles.

Ainsi l’analogie qui existe entre nos idées doit nous forcer à établir un ordre d’analogie entre les mots : si, par exemple, am signifie union ; toutes les nouvelles idées qui ont un rapport direct avec l’idée d’union seront exprimées par une nouvelle forme donnée au mot am : ami, aimer, amical, etc. Ainsi un mot en rappellera nécessairement une suite d’autres avec les idées qu’ils représentent ; et les différentes nuances des idées analogues se trouveront greffées, pour ainsi dire, sur un même mot radical exprimant une idée principale. On a réduit la langue grecque au nombre d’environ trois cens racines ; et il ne paraît pas impossible de la réduire à un moindre nombre.

Or, si les premiers mots étaient des signes très-complexes, il est évident que la langue ne pourrait jamais faire de progrès, étant par sa |38 constitution absolument contraire au but que l’on se propose dans le langage [33].

5. L’analogie est le premier régulateur du langage : (note idéol. 17.) C’est encore une science naturelle, dont nous suivons les lois par instinct, et que nous ne connaissons, comme tout le reste, que par les applications que la nature nous en fait faire. Si l’on pouvait douter que l’analogie naturelle eût dû présider à la formation du langage ; il suffirait d’observer la marche des enfans, qui, dans leurs premiers essais de la parole, nous indiquent les anomalies de la langue.

6. L’art de trouver les radicaux dans les mots complexes, pour en avoir le vrai sens, constitue le fond de la science étymologique ; et l’étymologie est le fondement de la synonimie.

7. Puisque les mots se composent et se décomposent comme les idées ; peut-on douter en aucune maniere que l’Idéologie soit réellement le fondement essentiel de la théorie du langage ?

 

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ARTICLE IV.

Noms.

 

1. Quels que soient les premiers mots que des hommes qui se feraient une premiere langue puissent inventer pour analyser la pensée ; il paraît hors de doute que ces premiers mots doivent avoir pour objet de désigner les choses : ces mots seront donc des caracteres notans, (mens notans, notamen, nomen), c’est-à-dire des NOMS : quod nobis vocabulo notas efficiunt (Isid. Hispal.)

2. Demander si ces premiers noms doivent exprimer la nature des choses ; c’est demander si des hommes absolument ignorans seraient à portée de connaître cette nature des choses, que les gens profondément instruits doivent se résoudre à toujours ignorer. (V. Cond., ch. 2. ibid.)

3. Dire que les noms de la langue primitive, dont on parle sans cesse, et sans pouvoir jamais en citer un seul mot, ont dû exprimer la nature des choses ; c’est dire que les premiers hommes auraient reçu, ou se seraient fait une langue inintelligible pour l’espece.

4. Les premiers noms doivent avoir pour ob- |40 jet les choses relatives à nos besoins : ils doivent donc désigner les choses sensibles, qui sont l’objet de nos premieres idées. Mais nous ne connaissons les choses sensibles que par leurs qualités ; et nous ne pouvons les désigner que par les idées des manieres d’être sous lesquelles elles se font appercevoir. Les premiers noms doivent donc être nécessairement des mots qualificatifs [34].

Or, les qualités que nous appercevons dans les choses sont, pour nous, ce qui constitue leur nature ; et c’est probablement de cette nature relative qu’ont voulu parler, ceux qui prétendent que la langue primitive a dû exprimer la nature des choses ; du moins, n’est-ce que dans ce seul sens, que l’assertion peut-être raisonnable.

|41 5. Les circonstances du climat, etc., influent nécessairement sur l’organisation physique des peuples : la parole, qui est une suite de notre organisation, doit donc éprouver des variations proportionnées à la variété de ces diverses causes. De là différentes manieres de prononcer les mêmes mots. (κυων, canis, chien, quien, qui, etc.)

6. D’ailleurs chaque société qui ferait une langue doit désigner les choses par l’idée de celles des qualités qui frappent plus particuliérement son attention, au moment où elle impose les noms ; or, les diverses qualités nous frappent plus ou moins particuliérement, suivant les circonstances ; et les circonstances principales doivent être, ici, pour chaque société, souvent bien différentes. On doit donc désigner les mêmes objets sous des points de vue différens. Ainsi, abstraction faite de toutes les autres causes, les noms ne peuvent donc pas être les mêmes : ici, par exemple, la parole court ; c’est le discours ; là, elle est considérée par rapport à l’organe qui la produit ; c’est oratio : ailleurs, elle coule de source, ρημα ; et c’est la Grece éloquente qui la conçoit sous ce divin attribut. S’il pouvoit exister une nation de begues, probablement elle exprimerait l’idée de la parole par des sons rudes, parce qu’elle |42 serait particuliérement frappée des difficultés de la prononciation.

 

 

ARTICLE V.

Noms substantifs et adjectifs.

 

1. Nos idées individuelles sont les plus naturelles et les plus aisées à former. Tout porte donc à croire que les premiers noms, dans une langue naissante, doivent avoir, en général, chacun pour objet un seul individu. Les premiers noms doivent donc être, en général, des noms propres.

Et en effet toute idée générale suppose l’abstraction. Or, nous avons vu combien les abstractions sont difficiles à former, si toutefois elles sont possibles, sans l’usage de signes préexistans.

Il est vrai que des hommes qui commencent à se faire un langage parlé, sont censés avoir généralisé antérieurement avec le secours du langage d’action : mais il est vrai aussi que les idées générales n’offrent point de ces caracteres qui souvent nous frappent, malgré nous, dans les individus.

2. Les objets désignés par des noms qui en rappelent l’idée sont un assemblage de diverses qualités, soit inhérentes, soit accidentelles. Ces |43 qualités sont remarquées dans diverses circonstances ; et il faut de nouveaux mots pour en exprimer les idées. Ainsi, selon les cas, on dira de la terre, par exemple, sans distinction de genre dans les premiers commencemens, sec, aride, fécond, nu, dur, mol, etc. ; d’une caverne, froid, chaud, grand, petit, clair, sombre, humide, etc. ; on dira d’un fruit, dur, tendre, blanc, rouge, verd, mûr, doux, âcre, fade, etc.

3. Or, ces mots qui servent ainsi à qualifier en sous-ordre des objets déjà qualifiés par les noms précédens, sont aussi des caracteres, des signes notans ; ce sont donc aussi des noms : et en effet, blanc, rouge sont des noms, sans doute, dans petit blanc, rouge foncé, etc. Or, quel changement y a-t-il ici dans l’idée ? Aucun /Nul/ ; si non que, dans le second cas, blanc et rouge expriment, dit-on, la substance : mais l’idée de substance est une idée fictive, etc. Il seroit bien plaisant que barbet fût un nom dans grand barbet ; et qu’il cessât d’être nom, ou de noter, ce qui est la même chose, dans chien barbet.

4. Mais ces nouveaux noms s’ajoutent aux premiers inventés, pour modifier les idées par lesquelles on a déjà désigné les choses. Ce sont donc des noms adjectifs.

|44 5. Puisque l’on nomme adjectifs les noms destinés à être ajoutés aux premiers pour exprimer en détail les qualités des choses ; les premiers doivent naturellement acquérir une nouvelle désignation sous ce nouveau point de vue : mais, dans leur relation avec les adjectifs, ils en sont le soutien, ils sont dessous ; on les nommera donc, sous ce rapport, substantifs.

6. C’est bien ainsi que l’ont entendu les grecs : υποκειμενον, nom placé dessous (subjacens) ; επιθετον, nom posé dessus, (super positum). L’un est dessus, et l’autre est dessous ; voilà la corrélation parfaitement établie.

7. Ceux qui prétendent que substantif signifie qui désigne la substance, auraient bien dû s’appercevoir qu’il n’y a point de corrélation entre l’idée de la substance, et celle d’un adjectif : il fallait donc alors substituer au mot adjectif, ceux de qualificatif ou de modificatif, par exemple ; mais ce serait faire de vains effort pour embrouiller des notions qui sont très-claires par elles-mêmes ; les mots adjectif, pronom, préposition, article, conjonction, verbe, adverbe, participe, interjection, particule, etc. expriment, tous, l’idée d’un rapport purement grammatical, qui distingue les différens rôles que ces sortes de mots jouent dans le langage ; Et l’analogie exige impérieusement que le mot |45 substantif soit interprété sous ce point de vue commun à toutes les especes, quand même le simple bon sens ne repousserait pas les interprétations contraires.

8. Maintenant il ne faut pas demander si un nom propre est un substantif : la chose est par trop évidente ; quoiqu’après avoir lu les grammairiens, il soit souvent très-permis d’en douter : et cela n’est pas étonnant : car après avoir confondu les notions des mots nom et substantif, il étoit impossible qu’ils n’offrissent pas un grand nombre de contradictions relativement à cette question.

9. Fixons nos idées par des définitions : 1o. le nom, en général, est un mot qui désigne un objet ; 2o. le substantif est un nom qui désigne un objet et en rappele l’idée totale, avec la propriété d’être modifié par des qualificatifs que l’on y ajoute ; 3o. l’adjectif est un nom qui désigne un objet, en exprimant simplement une idée partielle, et qui a besoin d’être reçu par un soutien qu’il modifie. Voilà le genre et la différence ; et jusqu’à présent ces définitions doivent nous suffire.

10. Au reste nous ne dissimulerons point qu’il existe un grand nombre d’autorités contre ce systême, que nous ne faisons presque que rajeunir : les plus importantes sont l’abbé Girard, |46 Harris (Hermès), Beauzée, Court-de-Gebelin, quelquefois Condillac, et M. Sicard : on peut les consulter. Celui qui a mis le plus de méthode dans la discussion, c’est l’encyclopédiste Beauzée. (V. sa Grammaire générale et l’Encyclopédie, aux mots noms, substantif et genre.[)]

11. Ajoutons une observation sur le sens que l’on donne ordinairement au mot substantif : il est démontré que nous ne connaissons point ce que l’on nomme substance, si ce n’est par l’idée d’une propriété qui est d’être dessous. Or, comment voudrait-on que nous désignassions chaque chose précisément par l’idée d’un attribut abstrait, qu’il nous est absolument impossible d’appercevoir ? En second lieu, puisque nous ne connaissons point les substances en elles-mêmes ; chaque substance particuliere doit être absolument la même pour nous : car inter pariter ignota, nil interest. Si donc le premier but des substantifs était de désigner les substances, comme substances ; qu’elle différence pourrait-il y avoir entre des mots qui exprimeraient la même idée ? Il ne devrait donc y avoir qu’un substantif, etc.

 

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ARTICLE VI.

Noms généraux et spécifiques.

 

1. Une fois des noms, propres inventés, il est aisé de concevoir comment on les appliquera de suite à tous les objets semblables au premier désigné : car on s’appercevra bien vîte qu’il serait trop embarrassant, et même impossible, de donner un nom particulier à chacun des individus. On appliquera donc naturellement le même nom à tous les individus semblables ; et le nom propre deviendra général ou commun. Rien de plus aisé que d’étendre ainsi les applications des noms, dès qu’une fois la nature nous a fait faire les premiers pas dans la carriere de la généralisation. Les enfans font tous cette application d’eux-mêmes. (Idéologie 82).

2. Mais après avoir compris un grand nombre d’individus sous une même dénomination, sur l’apperçu de quelques ressemblances, on ne tardera pas à s’appercevoir aussi que l’expression est souvent trop vague, et qu’elle n’indique point l’objet d’une maniere assez précise. Pour éviter la confusion, on observera des différences : ces différences seront exprimées par de |48 nouvelles désignations adjectives. Ainsi, l’on dira, fruit-pomme, fruit-poire, fruit-prune, etc. ; et les especes sortiront ainsi du genre.

3. Ici, les mots, pomme, poire, prune, sont évidemment des adjectifs qui servent à distinguer les qualités du fruit. Mais le nom fruit n’aura pu être inventé, que pour distinguer cet objet de tout ce qui n’était pas fruit. Les dénominations fruit-pomme, etc., sembleront trop longues ; d’ailleurs les idées de pomme, etc., emportent l’idée générique de fruit, qui est commune ; on dira donc tout simplement pomme, poire, etc. ; et voilà les noms pomme, etc., dégagés de la servitude des adjectifs.

4. Mais les pommes, les poires, les prunes, sont différentes, chacune dans son espece ; on voudra aussi qualifier des especes de pomme, etc., comme on a qualifié les especes de fruit : de nouvelles dénominations formeront donc des sous-especes ;

Et les noms pomme, poire, prune, etc., qui étaient d’abord adjectifs comme subalternes, deviendront des substantifs ; parce qu’ils se trouveront en premiere ligne, et modifiés par des nouveau-venus auxquels ils serviront de soutien.

Et en laissant à l’écart le mot prune, par exemple, comme en aura fait d’abord pour le |49 mot fruit ; après avoir dit, je suppose, prune sauvage, on finira par dire sauvage-blanche, sauvage-verte, sauvage-brune, etc. ; et le nom sauvage, qui aura été adjectif, finira aussi par être, en cette occasion, un vrai substantif lui-même ; et remarquons bien que, dans cette succession de mots, l’on fera que retrancher un ancien qualificatif, pour en apposer un nouveau au plus récent.

5. Les noms pourront aussi être tour à tour adjectifs et substantifs : on dira pomme-poire ou poire-pomme, etc. -- Beauzée nous répondra ici que la nature des mots est immuable. Mais, 1o. nous en appellerons aux principes contraires de l’encyclopédiste, pour le réfuter par lui-même ; 2o. quelle est la nature des mots ? c’est d’être les signes de nos idées : or, les mots peuvent changer de rôle dans l’expression de la pensée, sans que cette nature se trouve pour cela aucunement changée. D’ailleurs tous les noms sont qualificatifs ; et ce ne sont ni les formes, ni les rapports grammaticaux qui en alternent l’essence [35].

|50 6. Continuez ainsi la génération de vos noms spécifiques : ils deviendront de moins en moins généraux ; et vous arriverez aux noms propres, d’où vous étiez parti. (V. ibid, 3e. section, chap. 8.)

 

 

ARTICLE VII.

Comment le langage, dans l’état où nous le supposons, analyse le jugement ; invention du verbe ÊTRE ?

 

1. Nous avons vu comment, dans les commencemens d’une langue, un seul mot exprime l’idée d’un jugement tout entier : maintenant que nous avons des substantifs et des adjectifs, observons jusqu’à quel point nos jugemens seront explicites.

2. Je mange un fruit, et je veux énoncer que je le trouve amer ; je dis donc [36] amer-fruit, ou fruit-amer : or, ici, c’est un jugement que j’ai fait, et que j’énonce : car c’est l’expression de deux idées que j’ai comparées.

|51 Que manque-t-il maintenant à cette expression de mon jugement ?

1o. Est-ce que la détermination de fruit se trouve dans un sens trop général ? Mais, je le montre, le fruit, ou je fixe mes yeux dessus en parlant ; et mes gestes équivalent au mot ce, ou à quelque autre semblable.

2o. Est-ce un lien grammatical, que l’on nomme copule en logique, qui manque à l’expression de mon jugement ? Mais les mots, pour être liés, n’ont besoin que d’être prononcés ou écrits immédiatement les uns à la suite des autres ; et c’est pour les séparer, que l’on a été contraint, il n’y a pas encore un si grand nombre de siecles, à inventer la ponctuation dans l’écriture, à l’imitation des pauses que l’on étoit obligé de faire dans le discours prononcé. Vers la fin du 4e. siecle, Saint Jérôme traduisit en latin l’Ecriture-Sainte, qu’il trouva encore sans points ni virgules dans le texte original. En second lieu, si vous ajoutez un troisieme mot à fruit amer, le troisieme mot sera au commencement ou au milieu, ou à la fin ; s’il est à l’une ou à l’autre extrémité, on ne voit point du tout comment il lierait les deux mots qui seraient avant ou après lui ; s’il occupe le milieu, on ne voit pas mieux comment ce mot ajouté serait plus lié avec le premier et le troi- |52 sieme, que ces deux-ci ne l’étaient ensemble, avant qu’il fut venu les séparer : comment donc ce troisieme mot, qui ne serait pas plus lié avec fruit et amer que fruit et amer n’étaient auparavant liés ensemble, pourrait-il servir de lien et de copule entre ces deux mots qu’il divise ? On pourrait combattre cet argument par des raisons tirées de l’emploi des conjonctifs qui, que, etc. etc. ; mais la réponse s’apperçoit aisément, parce que la différence est grande.

Lorsque je dis, Dieu, être éternel, modérateur suprême de la nature entiere, existe-t-il dans cette suite de mots un mot-lien ? Et cependant chaque mot, excepté le premier, est le second terme d’un jugement dont Dieu est l’objet. On dira peut-être que le mot-lien est sous-entendu ; mais nous croyons avoir prouvé que, comme mot-lien, il n’est aucunement nécessaire ; et l’on suppose ici ce qui est en question.

Existe-t-il des mots-liens dans l’arithmétique et dans l’algebre ? On y exprime des jugemens néanmoins ; on y raisonne : le signe = n’est aucunement un mot-lien ; c’est simplement le signe d’égalité entre deux quantités : ou bien, il faudrait admettre que les signes + et – (plus et moins) seraient aussi des mots-liens.

Il n’y a point de signe-lien dans la pantomime, ni dans la langue télégraphique ; il n’y a |53 point de signe-lien dans la langue gesticulée des sourds-muets : les sourds-muets jugent néanmoins, et expriment des jugemens ; et leurs expressions de jugemens sont completes. Comment se ferait-il donc que, dans le langage articulé, nous eussions besoin d’un mot-lien, pour lier deux autres mots ; tandis que l’on ne s’est jamais avisé de chercher dans le langage du geste un signe qui eût pour propriété essentielle de lier deux autres signes ?

On nous répondra peut-être que les sourds-muets ont en effet un signe qui correspond au mot-lien : mais nous demanderons, si c’est par l’idée de lien qu’on leur fait concevoir l’usage et la propriété de ce signe ; et nous oserons affirmer très-positivement que c’est une chose absolument impossible. Le mot-lien, ainsi considéré, peut très-bien aller avec le substantif qui représenterait la substance.

Sans doute on ne dira pas que ce mot-lien fait /fasse/ dans la langue le même service que le trait d’union, par exemple ; car le trait d’union ne peut-être usité que dans la langue écrite : il est insensible dans la parole ; et il ne s’agit ici que de la langue parlée.

Concluons donc, 1o. que ce qui pourrait manquer dans l’expression de mon jugement, ne peut être un mot-lien, qui aurait pour pro- |54 priété essentielle de lier les mots, et de leur donner, lui-seul, de la signification et de l’ensemble.

3o. Est-ce une affirmation qui manquerait dans l’expression de mon jugement fruit-amer ?

Pour que l’affirmation fût nécessaire dans l’expression de mon jugement, il faudrait qu’elle fût quelque chose de distinct dans le jugement lui-même. L’affirmation n’est point une opération intellectuelle : car il faudrait admettre, ce semble, que la négation en fût une autre ; et ce dernier point sur-tout doit paraître un peu difficile.

L’esprit n’affirme, ni ne nie (Idéol. 51 et 57) : il éprouve des perceptions de rapports ; et toutes ces perceptions, comme toutes nos idées, sont quelque chose de positif. Tous les mots qui ne sont point affectés du signe négatif sont positifs, comme le sont, dans l’algebre, toutes les quantités qui ne sont point affectées du signe moins (–). Il n’y a point de signe qui rende les mots, ni l’expression des quantités positifs : il n’y a point de.... qui rende positifs, etc., /positifs les mots ni l’expression des quantités./ on n’est point obligé à dire + 2 x 2 = + 4. Or positif et affirmatif sont ici la même chose. Un signe d’affirmation serait donc, dans l’expression de mon jugement, une chose absurde et sans objet.

|55 Trouve-t-on des affirmations dans le calcul et dans la langue algébrique, quelque part que ce puisse être ? En trouve-t-on dans la langue des gestes ? Et c’est ici le point sur lequel nous insistons particuliérement ; car la langue des gestes est purement idéologique : et elle est cultivée par de grands maîtres.

Pour n’être point obligés à recourir à l’invention d’une infinité de nouveaux mots, nous avons inventé, dans toutes les langues, l’usage d’un signe qui frappe de nullité pour ainsi dire les mots auxquels on les applique : ainsi l’on appele négations ne ne, ni ni, non non, no μη, [ου], etc. Cette idée de négation est tirée du ne des latins : ils ont dit negare, de ne comme nous disons nier, de ni. Les grecs expriment l’idée de négation par αρσις ; chez eux, αρνεομαι signifie enlever l’esprit, la valeur, le sens des mots ; ce qui est fort juste. Nous avons donc des mots négatifs, parce que nous avons des mots affectés de la particule négative. D’un autre côté, nous avons des mots affirmatifs, parce que, pour opposer à négatif, il fallait une idée corrélative.

De même, nuos /nous/ avons des énoncés négatifs ; et en conséquence, et par corrélation, des énoncés affirmatifs.

C’est ainsi que l’idée de négation a fait naître |56 l’idée d’affirmation, qui lui est corrélative. Mais celle-ci, comme l’autre, n’appartient uniquement qu’au langage ; et l’affirmation ne signifie ici autre chose que la simple absence d’un signe négatif ou privatif.

Et en effet supprimez pour un instant l’idée de négation dans le langage, ou supposez une langue où il n’y ait point de signe négatif ; et alors cherchez-y des affirmations, et des mots affirmatifs. Nous n’aurions point l’idée de savant, si nous avions tous le même degré de science.

Maintenant, s’il faut une autorité pour confirmer notre sentiment sur l’affirmation ; voici celle d’Aristote, qui nous semble avoir été bien légérement méditée par les savans et les académiciens. « L’affirmation est l’énonciation de quelque chose touchant quelque chose » [37]. Or, dans l’expression de mon jugement, fruit-amer, il y a certainement énonciation de quelque chose, amer, touchant quelque chose, fruit : il y a donc déjà une affirmation, si l’on veut s’entendre sur l’idée que ce mot exprime, et ne point disputer éternellement sans idées.

Concluons : l’affirmation, qui n’a d’existence particuliere, ni comme opération de l’esprit, |57 ni comme signe dans le langage, ne peut être ce qui manquerait dans l’expression de mon jugement. En effet, s’il falloit une affirmation dans le sens qu’on l’entend, pour chaque énoncé, lorsque l’on y mettrait aussi une négation, il y aurait donc à la fois les deux contraires. Arrangez tout cela, si vous pouvez [38].

4o. Est-ce un mot exprimant une action, un événement, ou une passion, qui manquerait dans l’expression de mon jugement ?

Mais tout cela peut être exprimé, et s’ex- |58 prime réguliérement par des noms, soit substantifs, soit adjectifs. D’ailleurs, il n’y a, dans l’ensemble des idées qui sont la matiere de mon jugement, ni action, ni passion ; il seroit bien absurde d’exiger que l’expression en offrît la moindre idée. Permis à d’autres de dire et d’enseigner qu’il existe un élément du discours destiné à exprimer l’événement, l’action ou la passion, et que ce mot est nécessaire dans toutes les phrases. Leurs principes sont anciens : mais ceux que nous suivons le sont encore davantage ; et, sur-tout, ils nous paraissent mieux fondés.

L’abbé Girard nous répond ici « que l’existence est un effet ; qu’aucune philosophie n’a jamais séparé la production d’un effet de l’idée d’action ; que l’existence est la production qui fait le plus d’honneur à l’action..... » Vrais principes, tome 1er., §. 2-3, etc. Nous ne répliquerons point au sophisme de cet écrivain, vraiment respectable autant que subtil, ce qu’il réplique ici à P. R. que « cela prouve combien il est dangereux de ne savoir, ou de ne vouloir pas reculer, lorsqu’on s’est avancé mal à propos ». Nous dirons seulement qu’il est malheureux que deux partis aussi profondément instruits, qui avoient si bien apperçu le vice radical de leurs systêmes réciproques, n’aient pas |59 découvert enfin que celui qu’ils soutenaient, chacun en son particulier, était également défectueux et insoutenable.

5o. Est-ce un mot qui prononce le jugement, que l’on trouverait à désirer dans l’énoncé fruit-amer ? Nous ne connaissons dans aucune langue une sorte de mot destiné à prononcer nos jugemens ; et nous avons toujours cru que nous prononcions tous les mots nous-mêmes. Un mot qui prononce les jugemens présente une idée qui sera toujours, pour le moins, énigmatique ; ou cela ne signifie rien du tout.

6o. Dira-t-on qu’il manque dans cet énoncé, fruit-amer, un mot qui soit le signe de l’opération de l’esprit, quand il juge ?

L’opération de l’esprit quand il juge est la perception du rapport qui lie les idées dans l’esprit. Mais nous percevons toutes nos opérations intellectuelles : nous percevons nos sensations, nos idées elles-mêmes, nos actes de la mémoire, de l’attention, de la comparaison, de la réflexion, du raisonnement, etc. Que d’opérations de l’esprit nous aurions donc à exprimer dans un simple jugement ! Ne faudrait-il pas aussi, dans un raisonnement, exprimer l’opération de l’esprit quand il raisonne ? Mais la discussion doit finir où l’absurdité commence.

Concluons en résumant, que ce qui manque- |60 rait dans l’énoncé de jugement, fruit-amer, ne peut être, ni un mot-lien ou copule, ni une affirmation, ni un mot exprimant l’action ou la passion, ni un mot qui prononce nos jugemens, ni enfin un signe qui exprime l’opération de l’esprit quand il juge.

Manque-t-il quelque chose enfin dans l’expression du jugement proposé ? Allons au fait.

3. Supposons qu’après avoir cueilli du fruit à un arbre, et l’ayant trouvé amer, parce qu’il n’étoit pas mûr, j’en cueille de nouveau quelque temps après, et que je le trouve agréable, parce qu’il ne sera plus vert : je rapprocherai mes sensations et mes jugemens ; et je dirai, fruit-amer, fruit-doux. Mais ces deux énoncés sur un même objet paraissent contradictoires et absolument incompatibles : on ne m’entendra pas ; et, de mon côté, je n’entendrai pas ceux qui me parleraient de la sorte en de semblables occasions.

4. L’expérience de la succession de mes sensations et de mes idées m’a fait naître l’idée générale du temps [39], et les idées spécifiques |61 du temps passé, du présent et du futur. L’idée du présent est dans l’actualité de mes sensations ; celle du passé m’est fournie par la mémoire ; et l’habitude que j’ai de voir sans cesse succéder de nouvelles sensations à celles qui disparaissent continuellement, engendre l’idée du futur.

5. Maintenant, si je considere mes deux énoncés en question sous ce point de vue, je vois qu’ils flottent tous les deux dans le vague de la durée ; parce que je ne fais pas connaître deux époques différentes, qui doivent les distinguer : je dirai donc, par exemple, fruit-amer temps passé, fruit-doux temps présent ; je dirai de même, dans l’occassion amer, ou doux temps futur ; et la contradiction sera levée ; et l’esprit sera pleinement satisfait.

6. Mais ces formules temporelles, temps présent, etc., devant se trouver dans tous nos énoncés de jugemens, parce que sans elles on ne saurait point à quelle époque ces jugemens doivent se rapporter, paraîtront bien-tôt embarrassantes : je retranche l’expression temps, qui est une quantité commune ; et il me reste seulement celles de présent, de passé et de futur, qui comme especes emportent l’idée du genre. On sent bien que je peux encore restreindre par la suite ces trois especes pour préciser mon |62 langage ; présent actuel, postérieur, antérieur ; passé antérieur, etc., futur passé, etc. Que l’on nous dise maintenant qu’il restera encore quelqu’idée essentielle à exprimer pour constituer l’intégralité du jugement ; et nous déclarerons de bonne foi ne rien entendre à ce que l’on voudrait nous dire.

7. On dira que les idées de temps et de durée sont bien abstraites, et qu’elles doivent être des plus difficiles à concevoir. Que l’on daigne considérer un peu combien l’expression en est essentielle ; et l’on n’aura pas de peine à croire que la nécessité de tous les momens doit bientôt, à cet égard, diminuer une partie des obstacles.

8. Mais comme cette idée temporelle est un élément essentiel de tous nos jugemens ; il deviendra essentiel aussi de chercher à l’exprimer de la maniere la plus commode et la plus simple : en conséquence, au lieu de ces expressions présent, passé, futur, etc., qui sont les especes d’une même idée générale, on finira à la longue par adopter un mot qui exprimera la coexistence abstraite, et qui, par les différentes formes dont on saura le modifier, représentera les idées des différentes époques. Or, voilà précisément l’origine du verbe être : voilà son essence, sa nature, qui consiste uniquement dans |63 la propriété d’exprimer les époques d’une maniere abrégée. L’analyse du verbe achevera de démontrer cette conséquence que nous déduisons ici par synthese.

9. On voit, d’après ce qui précede, que nous ne pouvons pas regarder le verbe comme un élément du discours nécessaire dans nos énoncés de jugement. Nous ne trouvons, à cet égard, de nécessaire, que l’expression de l’idée que le verbe représente. C’est là peut-être ce qui devra choquer le plus, dans un sentiment qui peut paraître moderne, quoi qu’il soit plus ancien que tous les Grammairiens que nous avons ordinairement dans les mains : mais nous osons assurer que c’est là aussi ce qui sera le plus facile à démontrer, si toutefois la démonstration ne doit pas être censée déjà faite.

10. Quant aux autorités, nous avons cru suivre la premiere de toutes, qui est, ici du moins, la raison : si cependant il en faut d’autres, nous ne serons point embarrassés d’en produire, qui sont des plus solides, et en très-grand nombre. (V. la 3e. partie, analyse du verbe.)

11. Avant de terminer cet article, concluons, 1o. que l’on peut faire une langue parlée, sans verbe ; 2o. qu’avec des mots simplement qualificatifs, qui jouent des rôles différens dans le |64 discours, nous pouvons énoncer toutes sortes de jugemens ; puisque le verbe [40], lui-même se réduit nécessairement à l’expression qualificative ; 3o. que, jusqu’à présent du moins, nous ne voyons encore, dans la langue que nous avons ébauchée, que des mots dont la premiere fonction est réellement qualificative, conformément à ce que nous avons déduit dans l’Idéologie, que nous n’avons réellement, ET A PARTE REI, que des idées des qualités ou manieres d’être des choses ; et qu’ainsi tous nos mots sont originairement d’une seule sorte, comme toutes nos idées. 4o. Enfin qu’il est aisé de reconnaître ici la grande influence des mots et du rôle qu’ils jouent dans l’énonciation, sur la formation de tant d’especes d’idées.

 

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ARTICLE VIII.

Noms substantifs, collectifs, et abstractifs.

 

1. Il se présente des objets composés d’un nombre déterminé ou indéterminé d’individus que l’on a besoin de désigner en masse, ou auxquels on ne peut donner pour chacun un nom particulier : de là les noms collectifs : (Idéol. 72) famille, bois, futaie, troupe, bande, peuple, tribu, etc. etc.

Or, ces noms équivalent à une liste de noms propres, du moins dans certains cas où les noms propres seraient absolument inutiles.

2. Que ces noms collectifs doivent être individuels dans l’origine ; cela ne souffre aucune difficulté : le mot peuple, par exemple, signifiera, dans le principe, la société seule qui l’aura inventé ; et ainsi des autres noms semblables, qui deviendront généraux par des applications : et en effet, les noms collectifs ont aussi leurs especes et leurs sous-especes.

3. Les qualités semblables ne sont pas les mêmes, ni au même degré dans les différens individus ; on voudra modifier l’idée de telle, ou de telle autre qualité ; et le nom adjectif, qui aura exprimé primitivement l’idée d’une qualité |66 simplement, deviendra substantif : de là cette sorte de substantifs, que l’on nomme communément abstraits, (mais que l’on doit nommer abstractifs) à cause de la nature des idées qu’ils représentent. [41] De là, la distinction entre les abstractifs et les concrétifs, dont les uns représentent les idées abstraites, et les autres les concretes [42].

4. Ainsi, de sage, on fera sagesse, pour distinguer le qualificatif substantif du qualificatif simplement adjectif. Ainsi, de doux, on fera douceur ; du primitif doul, douleur ; de sec, sécheresse ; de grave, gravité ; de haut, hauteur, etc., etc., etc. : et à force de modifier ces nouveaux noms par des adjectifs, de la même maniere que l’on modifie les substantifs physiques, on finira par s’imaginer que l’on a l’idée d’une substance abstraite, exprimée par ces différens noms appellés désormais substantifs ab- |67 stractifs (Idéol.) : et l’on croira voir quelque chose ; et l’on n’aura qu’un concept, qu’un simple point de vue presque entiérement nominal (ibid.) : et l’on ne s’en obstinera pas moins, comme de raison, à méconnaître l’influence nécessaire des mots sur la formation des idées.

5. Quelquefois néanmoins l’adjectif substantifié conservera sa premiere forme ; de maniere qu’il pourra être successivement employé comme adjectif et comme substantif : couleur rouge, le rouge, un beau rouge : style sublime, sublime faux, sublime forcé, achevé, etc. : homme pauvre, pauvre honteux, etc.

6. Mais jamais on ne formera vertu de vertueux, amour de aimant, parole de parlant, don de donnant, peur de peureux (comme le prétend un de nos maîtres, M. Sicard) : pas plus que nez de nazal, ego de égoïste, raison de raisonnable, fin d’indéfinissable, etc. ; et cela, pour bien des raisons qu’il est absolument inutile de déduire, et que sentiront parfaitement bien tous ceux qui savent un peu ce que signifient les mots radical et dérivé. Et certes ! si les premiers nomenclateurs de la langue de M. Sicard (lesquels, selon lui, ne devaient avoir que des monosyllabes), eussent commencé à former des dérivés, comme ce savant Grammairien dérive dans toute sa Grammaire, il y a |68 longues années, qu’il ne resterait pas même une panse d’a à leurs tristes neveux : nous serions tous muets ; et vox frustraretur hyantes [43]. Car il ne faudrait pas beaucoup retirer, pour réduire bientôt les monosyllabes à rien.......

7. Il faut donc admettre qu’il y a des substantifs qui dérivent d’adjectifs, et des adjectifs qui dérivent de substantifs : de pore, par exemple, on a fait poreux, et de poreux, porosité : de nature, on a fait naturel ; et de naturel, naturalité, naturalisation ; mais pore a été primitivement employé comme simple qualificatif : et il n’est devenu substantif que parce qu’il a reçu |69 un qualificatif adjectif : mais nature est aussi un substantif abstractif, dérivé d’un primitif, nat, natus natura : animus (d’ανα ιήμι, sursùm emitto) a formé de même animosus, animositas, etc.

8. Rien n’empêcherait, peut-être, de former, dans certains cas, une génération des mots plus étendue : par exemple, pore signifie d’abord ouvert, ensuite ouverture, passage ; poreux, qui a des ouvertures ; porosité, propriété d’avoir des ouvertures. Mais porositeux, par exemple, signifierait qui a une disposition à avoir etc. ; et porositosité exprimerait cette même disposition considérée inabstracto, c’est-à-dire hors du sujet d’inhésion.

9. Néanmoins cette suite de dérivations doit avoir des bornes : en effet, de vain, par exemple, on a formé vanité : quelques personnes veulent introduire vaniteux, vaniteusement, dont la signification est en effet différente de celle de vain et de vainement : or, si vanitosité venait ensuite, puis vanitositeux, etc., on ne voit pas trop où finirait la famille. Mais on voit parfaitement où l’on commencerait à ne se plus entendre, c’est-à-dire après la troisieme génération.

10. Rapprochez ce qui précede de ce que nous avons dit (Idéol. 87, 91) au sujet de l’incon- |70 vénient des abstractions, et vous comprendrez facilement que c’est dans les mots sur-tout, que nous pouvons voir le terme des abstractions, et le non-ultra de nos idées.

11. Vainement chercherions-nous à prouver que les substantifs abstractifs sont des expressions purement qualificatives : tous les Grammairiens en conviennent en termes trop formels. M. Sicard dit lui-même, un nom abstractif est un nom qui exprime une qualité (1er. volume, 124, et alibi) : et cela est incontestable. Cependant, pour ne plus revenir dans ce labyrinthe de contradictions, si le nom est l’origine de tous les élémens du discours, selon M. Sicard, et Court-de-Gébelin ; ou bien il faut de toute nécessité que l’adjectif soit du moins un nom partiel (ce qu’ils ne veulent ni l’un ni l’autre) ; ou bien il faut que nos maîtres puissent nous démontrer que doux, blanc, sage, etc. dont il font dériver à juste titre douceur, blancheur, sagesse, et tant d’autres mots dérivent eux-mêmes primitivement chacun d’un nom, c’est-à-dire, selon eux, d’un substantif, ou, autrement, que sage, dur, sec, etc., etc., aient été employés dans l’origine comme substantifs, ou que tous ces adjectifs soient nés, par exception, de rien, et contre nature ; ou bien enfin, nous nous résoudrons |71 à ne jamais entendre comment le nom (le substantif) serait le pere, le générateur, etc., comment le mot qui exprime la qualité en serait dérivé. (Sic. 1er. vol. 110.).

12. Au reste, les substantifs abstractifs ne sont point, dans la Grammaire, un élément distinct, puisqu’ils suivent, dans les rapports grammaticaux, les lois générales des autres substantifs, qui n’expriment que les idées des objets physiques.

13. Voilà donc notre langue qui se dégrossit et s’étend ; mais pour la rendre un instrument facile et maniable, en quelque sorte, il nous reste encore bien des conquêtes à faire.

 

 

ARTICLE IX.

Noms personnels.

 

1. Supposons deux ou trois hommes parlant entre eux le langage d’action : celui qui parle se désignera du doigt, s’il est le sujet du discours, le terme, ou l’objet d’une action : le même signe, mais autrement dirigé, indiquera celui à qui l’on adresse le discours, ainsi que le tiers dont s’entretiendraient deux interlocuteurs.

De cette maniere, le simple mode d’un mê- |72 me geste en déterminera la valeur spécifique ; et les trois rôles que chaque individu peut jouer dans l’énoncé d’un jugement, se trouveront parfaitement bien distingués. Or, ce moyen de détermination générale est très-simple, très-précis ; et de plus, il est tout naturel.

2. Nos nouveaux Grammairiens, dans la langue articulée que nous supposons ici, après avoir développé leur métaphysique naturelle par l’invention et l’usage des sortes de mots précédens, ne manqueront pas de s’appercevoir bientôt que les noms propres répandent souvent de l’embarras et de l’obscurité dans les entretiens, sur-tout, si les énoncés sont un peu complexes.

De plus, le nom propre de chaque individu n’est pas toujours familier ; et souvent, même, on l’ignore [44] ; on inventera donc aisément des noms généraux qui auront pour fonction de caractériser uniquement les acteurs par l’i- |73 dée spécifique du rôle qu’ils jouent relativement à l’acte de la parole : et voilà les noms personnels, (persona, rôle, personnage), je, tu, il, etc., qui ont leurs correspondans dans toutes les langues.

3. Je signifiera donc orateur, ou qui parle ; tu, auditeur, ou, à qui l’on parle ; et il, elle, de qui l’on parle ; sauf néanmoins les observations ultérieures sur les noms du troisieme personnage.

4. Ces nouveaux noms seront donc encore des qualificatifs, comme ceux précédemment inventés ; et ils seront aussi de vrais substantifs : parce qu’ils auront la propriété d’être modifiés et déterminés par des noms, soit propres, soit généraux, qui les suivront.

Ainsi l’on dira, par exemple, je, N. P. A. froid temps présent. Aussi écrivons-nous constamment dans nos obligations et autres actes, suivant le bon vieux style : je N., etc., je sous-signé N., etc., où l’on voit que je, ainsi que tu, etc., sont toujours l’expression la plus générale d’un terme complexe ; que les noms qui succedent ne font que les déterminer ; et que, ici, comme ailleurs, nous procédons constamment du genre à l’espece.

5. Or, les noms personnels, qui s’appliquent à tous les individus en particulier, et seulement |74 dans le cas des relations dont nous avons parlé, sans pouvoir jamais devenir le nom propre d’aucun, prennent en effet, dans le langage, la place des noms auxquels on les substitue : ce sont des vice-gérens, dit spirituellement l’abbé Regnier-Desmarais : on pourrait peut-être encore les regarder comme des habits de représentation que nous ne prenons à chaque instant, que pour jouer certains rôles. Ces noms sont donc des noms employés pour d’autres, et sous un point de vue particulier : c’est pour cela qu’on les appelle ordinairement des pronoms.

6. Court-de-Gebelin ne veut point que les signes personnels soient des noms ; puisque, dit-il, ils ne nomment qui que ce soit (Gram. univ. 43) ; sans doute, pour les raisons que nous venons d’exposer, on ne doit pas confondre ces noms avec les autres : aussi les distinguons-nous par l’idée spécifique de personnels : mais qu’est-ce que nommer, selon Court-de-Gébelin ? C’est désigner un objet. (Ibid. 37). Or, les noms personnels désignent les acteurs d’une maniere aussi déterminée qu’un objet est désigné par son nom : (Ibid. 41) Ces pronoms désigneront donc distinctement : (Ibid. même page) : les noms personnels sont donc de vrais noms, malgré Court-de-Gébelin, et d’après lui-même.

|75 M. Sicard ne veut pas que cette sorte de mots tienne en effet la place des noms : « on crut, dit-il, devoir les appeler pronoms, non qu’ils tînssent la place des noms, comme on l’a dit assez mal à propos ; mais parce que dans l’analyse grammaticale, on efface les pronoms, et qu’on y substitue les noms des objets », (1er. vol. 181, etc.) : ceci pourrait bien être contradictoire : mais n’importe. « Les pronoms (dit le même auteur) ne remplacent donc pas les noms » (188, etc.). Néanmoins, pour ne point déranger le monde, il ajoute (283) « on peut dire que les pronoms remplacent les noms, puisqu’ils dispensent d’employer les noms ».

8. L’auteur de l’Année littéraire, le fameux critique Fréron, prétend que les signes personnels sont les noms, et non point les pronoms de la premiere, de la deuxieme, ou de la troisieme personne : c’est bien notre sentiment, parce que nous considérons ces signes personnels par rapport aux personnes grammaticales qu’ils désignent. Cependant nous ne condamnons aucunement ici la dénomination de pronoms (quoiqu’absolument superflue), parce qu’en effet, ces noms personnels sont des signes que, pour les besoins de l’énonciation, l’on a réellement substitués à d’autres : mais laissons les mots, et revenons aux choses.

 


[32] Beauzée place néanmoins les interjections à la fin de ses |33 élémens. Mais nos principes, ici, sont parfaitement conformes aux siens, excepté sa contradiction : l’académicien Démarets place les interjections à la suite des adverbes : c’est une autre maniere de se contredire.

[33] Il existe sur les bords de l’Amazone un peuple, qui, pour exprimer le nombre trois, n’a que le mot poetazzarincouroac. (Lacondamine) wonnawenktukluit, chez les Esquimaux, signifie beaucoup ; et nukkenaukrook signifie peu. Si tout cela est vrai, et que ces peuples ne changent point de route, on peut assurer qu’ils seront long-temps barbares.

[34] Court-de-Gebelin a reconnu ce principe, mais en disant que les noms sont toujours des épithetes, (Gram. univ. in-4o. 71.) Or, comment un nom peut-il être épithete (placé dessus, ajouté) lorsqu’il est seul ? Court-de-Gebelin ajoute (ibid, parag. 10, p. 80) que les noms sont la source et la racine de tous les mots : nous sommes de cette opinion, ou plutôt de ce sentiment ; mais comment l’auteur n’a-t-il pas vu qu’un mot radical sert de base, et conséquemment qu’il ne peut pas être en même temps épithete ? Permettons-nous de le dire, pour l’instruction de nos éleves : Cet auteur, qui a ramassé tant de matériaux utiles, avait peu de métaphysique, et écrivait d’une maniere fort inexacte : ses ouvrages sont un grand magasin : mais prenez garde aux poids et aux mesures.

[35] Nous aurons occasion de discuter, à l’article des prépositions /françaises/, ce grand principe de l’immutabilité de la nature des mots : et nous verrons dans combien de sophismes, d’erreurs notables et de contradictions il a entraîné cet estimable auteur.

[36] Amer est probablement une onomatopée, qui exprime ce mouvement labial que nous faisons, lorsque nous avons la bouche amere. Les Grecs disent πικρος, parce que l’amertume pique, corrode : ainsi chacun exprime les choses sous son point de vue (V. suprà.)

[37] καταφασις δε εςτιν αποφαςις/, αποφανςις/ τινος κατα τινος. De interpr. Ch. 6. N. 1.

[38] On dira peut-être, comme on le prétend réellement, que le verbe détruit l’effet de l’affirmation. Or, selon tous les Grammairiens qui veulent bien nous donner ces assertions pour des principes, le verbe signifie essentiellement l’affirmation ; et une proposition est une affirmation : passons ce ridicule, de donner une même définition pour la proposition et pour le verbe : mais s’il est vrai que la négation détruise l’affirmation, il n’y a donc plus alors, dans l’énoncé, ni verbe, ni proposition : ou bien il faut admettre que l’affirmation y soit à la fois, et n’y soit pas ; ce qui est, selon nous, une contradiction de plus, et une contradiction des plus completes. Ce n’est pas la peine de regarder l’affirmation comme indispensable dans l’énoncé de jugement, ni de la poser, pour la détruire. Il est vrai qu’un des plus prépondérans Grammairiens parmi les modernes, a modifié cette contradiction, qu’il semble avoir entrevue, en disant, détruit l’effet de l’affirmation : mais il falloit la corriger, cette contradiction, en changeant de systême, plutôt que de chercher à la déguiser : car enfin, où est l’affirmation, lorsque l’effet en est détruit ? Que devient la nécessité de l’affirmation, lorsque son effet est nul ?

[39] χρονος, temps, durée, signifie qui coule, qui s’enfuit. Il est clair que ce substantif abstrait exprime encore une idée évidemment qualificative, et non point une idée de substance. Il faut revenir de cette erreur.

[40] Lorsque nous disons le verbe, nous n’entendons parler que du verbe être : car c’est le seul verbe qu’il y ait, et qu’il puisse y avoir : tous les Grammairiens en conviennent. Or, comment un si grand nombre d’entr’eux peuvent-ils prétendre à la fois que le verbe, en général, signifie l’action et la passion ? Est-ce qu’il y a rien de tout cela dans la signification de être ? Je suis, tu es, etc. !!!

[41] Ce sont les idées qui sont abstraites : (Idéol. 75-76, etc.) : on dit encore une qualité abstraite, un être abstrait.

[42] Cette distinction, que l’on trouve dans toutes nos Grammaires élémentaires, n’y forme souvent qu’une obscurité de plus ; parce que ces termes ont un rapport essentiel à l’idéologie, sur laquelle on ne donne aucun renseignement. On ferait beaucoup mieux de laisser là les mots, quand on fait si peu d’attention aux choses. La théorie du substantif et de l’adjectif ; voilà tout ce qu’il faut ici pour la phrase mécanique.

[43] Grammaire générale, par A. Sicard, nouvelle édition, 1er. vol., 106 -- 9 -- 10 -- 24. Nous nous dispensons de citer Court-de-Gébelin, dont M. Sicard a embrassé ici presque toute la doctrine : qu’il nous suffise de dire que cette doctrine est pleine de contradictions qu’il est aussi aisé d’appercevoir dans les auteurs, que peu intéressant de discuter. Leur embarras vient de ce qu’ils ont posé en these que le nom est le principe de tout ; et ils entendent par nom le substantif. Mais si le nom est le principe de tout, comment vertueux peut-il faire vertu, qui est un nom substantif ? Et quel est le nom antérieur à vertueux, dont vertueux dérive ? Est-ce vertu ? Mais si vertu fait vertueux, et que vertueux fasse vertu, comment appelle-t-on ce procédé là ?..... Convenons néanmoins avec nos maîtres, que le nom est l’origine de tous les élémens du discours : mais entendons-nous : le nom est substantif lorsqu’il en supporte un autre, cal dur ; il est adjectif lorsqu’il est supporté, corps calleux ; et il redevient substantif dans callosité....... Lisez page 101, 1er. vol. de M. Sicard : c’est précisément sa doctrine en cet endroit.

[44] On lit, dans une préface très-bien faite du traducteur de quelques poëmes d’Ossian, que les antiques Calédoniens ne recevaient des noms dans les armées, que lorsqu’ils s’étaient distingués de quelque maniere. Jusque là, ils étaient confondus, et sine nomine plebes. C’est de là peut-être que nom et réputation, gloire, etc., sont devenus synonimes. Les Calédoniens distingués recevaient un nom exprimant l’idée de leurs faits, etc. ; et conséquemment c’étaient des noms propres, qualificatifs. Que de noms à perdre, ou à changer, si nous devenions Calédoniens !