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Deuxième Section. Chap. 1-4

 
Table des matières

 

1.re Partie. 1.er Traité

1.re Section. Chap. 1-6

1.re Section. Chap. 7-11

2.me Section. Chap. 1-4

2.me Section. Chap. 5-8

Introduction

 

2.me Traité. Logique

1.re Partie

2.me Partie

3.e Partie

4.e Partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

|[182]

 

 

2.me Section.

Etat de L’ame, Lorsque tous les Sens sont exercés Simultanément.

 

163. Douée de L’usage de tous les organes accordés à L’homme, et activée par le principe qui est la mobile de tous les actes humains (8.) la Statue agira comme nous : des besoins et des moyens semblables ne peuvent pas produire des effets differents. ses idées se devellopperont, S’etendront et se Classeront comme les nôtres : associée à des Etres organisés comme elle, elle communiquera avec eux par la parole, comme nous le faisons nous-mêmes avec nos Semblables, Et en multipliant à la Fois Ses besoins et ses moyens, cette association lui donnera les idées qui sont L’ame et la vie du corps social.

Nous allons suivre la statue pas à Pas dans cette nouvelle Carriere dont chacun des principaux points fera le sujet d’un des chapitres Suivants.

|[183] Nous Continuerons, dans cette 2.me Section, demployer Le mot Statue ; mais on sent qu’il ne faut plus le prendre que comme un Nom propre d’homme ; puisque nous Etudions un etre exactement organisé comme nous, dont tous les sens sont en activité, et toutes # [dans la marge :] /# les facultés develloppées./

 

 

Chapitre 1.er

de La maniere dont L’homme apprend à Satisfaire ses Besoins.

 



Besoins rééls de L’homme isolé

 

164. La statue ne peut pas sentir, sans eprouver des besoins ; (4.) et elle ne peut avoir des besoins, quelle n’apprenne à les satisfaire. La fin ou le but de ses Etudes est donc determiné, et l’ordre le sera de même, Lors­qu’on aura observé la maniere dont Agit La Cause qui les provoque. Or il est aisé de voir que, pendant quelle vivra seule, la statue ne devra que se nourrir, eviter les accidents qui peuvent la menacer, et satisfaire sa Curio­sité. il ne nous faut donc que voir |[184] Comment elle obeira à L’in­flu­ence de ce Triple besoin, et observer les effets qui en resulteront relative­ment à L’usage de ses facultés.





Causes de la prevoyance

 

165. La premiere fois que la statue satisfait un besoin, elle ne prevoit pas qu’il doive Se reproduire ; ainsy uniquement occupée du moment ac­tuel, elle ne songe qu’à le rendre agréable, lorsque cependant elle devroit encore S’occuper de celui au moins qui doit le Suivre. Celui-ci arrive en Effet, et il est accompagné de la douleur, contre laquelle on n’a pris au­cune precaution. la statue eprouve, pour ne pas les avoir prevûs, des Maux qu’elle eut pû eviter. C’est une Leçon qui ne sera pas Perdue. le passé lui apprend bientost à Lire dans L’avenir : Elle se Fait une habitude de prevoir les souffrances, et de prendre des Precautions pour les Pre­venir, ou au moins pour les soulager de bonne heure. dans le Temps même où elle est sans mal-|[185]aise, L’imagination Lui peint les maux qu’elle a eprouvés, comme près de L’accabler encore, et il resulte de Là une Souffrance Semblable à celle d’un besoin present.




avantages resul­tant de L’imagi­nation

 

Si L’imagination se bornoit à cela, elle ne Sembleroit faite, que pour le malheur de la statue ; mais lui retraçant presqu’en même Temps, les ob­jets qui ont servi à soulager les maux qu’elle peint, elle lui Fait goûter des plaisirs equivalents à une Jouissance actuelle ; Ensorte qu’il Semble que L’inquietude d’un mal Eloigné n’a été produite, que pour procurer des Satisfactions qui anticipent sur l’avenir.

Effets de la crainte et de l’esperance

 

Ainsy L’esperance et la crainte etouffent à L’envi le sentiment du Pre­sent, pour occuper L’ame d’un temps qui n’est pas encore, et qui peut etre ne sera même point : Or de ces deux Passions naissent le besoin de Se precautionner, et l’adresse nécéssaire pour y reussir. La Statue passe donc Tour à Tour de l’une de |[186] ces Passions à L’autre : elle S’effraye ou Se flatte à tout propos, suivant que L’imagination lui presente des objets relatifs à la Crainte, ou à L’esperance, qui, par La maniere dont elles Se Combattent, paroissent veiller à ce que la Statue ne Se Laissant ni amolir par un excès de Plaisir, ni décourager par un excès de douleur, puisse toujours s’occuper de sa Conservation.


La Faim, pre­mier besoin de Lhomme.



Tous les or­ganes con­courent à le satisfaire.


Tout ce qui n’est pas pro­pre à le sa­tis­faire est in­dif­ferent pen­dant quil subsiste.

 

166. Le premier Soin de la statue pour Parvenir à ce but, est celui de pourvoir à Sa nourriture : tous les autres besoins Cedent à celui-Là : L’existence en effet consiste uniquement dans l’action des facultés de L’ame : Or ces Facultés sont dans L’inertie, Lorsque les Forces du corps sont epuisées, et celles-ci ne peuvent se soutenir ou Se renouveller que par le moyen des aliments ; il n’est donc aucune de ces facultés qui ne Soit interessée au Soulagement de la faim ; aussi tous les Sens sont-ils les auxiliaires du Goût : La Vûe, L’oûie, le Toucher et L’odorat semblent n’agir que sous ses ordres ; Et si, humiliés de cette dependance, ils pou­voient etre Tentés |[187] du desir de S’en affranchir, ils verroient bien vite les Consequences de L’ingenieux apologue de Menenius. la Statue n’etudiera donc dabord les objets, que Sous le rapport qu’ils ont à ce besoin : Si elle cherche à y demeler des odeurs, des Couleurs &.a c’est pour apprendre à reconnoitre ceux qui, avec ces qualités, ont celle d’etre propres à la nourrir. Cette derniere sera la seule qui L’interessera, pendant tout le temps qu’elle trouvera des obstacles pour Satisfaire le besoin de Se nourrir ; Ensorte que Si ces obstacles etoient trop multipliés, il arriveroit que la Statue ne Connoitroit Jamais des objets que ce qui s’y rapporte au goût.


Origine des Be­soins factices.

 

167. Cependant ce besoin auquel se rapportent toutes les idées de la sta­tue, ne sera pas Longtemps seul. après avoir souvent comparé les classes dans lesquelles, à raison de leurs qualités nutritives, elle a |[188] distribué les objets, elle S’accoutume à preferer Certains Fruits à d’autres, parce que les Saveurs lui en plaisent d’avantage ; et alors elle veut man­ger, non seulement pour Se nourrir, mais encore pour eprouver une sen­sation agré­able ; ensorte que ce qui Suffit à L’un, ne Suffit pas Toujours à l’autre : il y a deux besoins en elle, L’un est causé par la Privation de nourriture, et l’autre, par la privation d’une saveur qui merite La prefe­rence : ce dernier est une faim factice qui Pousse souvent à des excès.


moyens qui pre­viennent les excès dont ils sont la Cause.

 

168. mais la punition suit de près : la douleur apprend bientost que le but du plaisir attaché à L’usage des aliments, n’est pas une satisfaction momentanée, mais le retablissent des forces du Corps d’où depend L’usage des facultés intellectuelles. Or les excès etant toujours suivis de quelque[s] Souffrance, et etant naturel de regarder comme l’effet d’une chose, ce qui vient constament à sa Suite, la Statue |[189] finit par Se Persuader qu’elle doit mettre un frein à ses desirs.



Curiosité

 

169. Elle apprendra donc à ne manger, que pour Se nourrir, et trouvant facilement à Satisfaire ce besoin, elle Sera appellée par les plaisirs qui S’offrent aux autres sens, à s’interesser à tout ce qui les frappe. tout par consequent excitera, entretiendra, ou augmentera sa Curiosité, elle passera tour à Tour de L’Etude des objets propres à la nourrir, à celle de tout ce qui l’environne et d’elle-même. Elle observe ses sens, les impressions quils Lui Transmettent, ses peines, Ses plaisirs, Ses besoins et les moyens de les satisfaire.

Elle augmente
le nombre des notions abs­traites.

 

En Etudiant ce qui attire son attention au dehors, elle distribue les ob­jets, en differentes classes, à raison des differences qui les distinguent ; et le nombre de Ses notions abstraites augmente, à proportion que sa curio­sité est excitée par le plaisir de Voir, de Sentir, de goûter, d’entendre et de Toucher.

Objets qui l’attirent plus parti­culierem.t



Premiere idée de la mort.

 

|[190] Mais c’est Surtout à L’Etude des Animaux, que Sa Curiosité L’interesse d’avantage, par la raison qu’elle apperçoit entr’elle et Eux un plus grand nombre de rapports : Elle les distingue par toutes leurs qua­lités, mais Principalement par celles qui Peuvent lui Causer quelque Sur­prise : Elle voit par exemple, avec un grand Etonnement, que dechirés par les plus forts, les foibles repandent leur Sang, et Tombent, pour ne plus Se relever. Ce spectacle lui Peint le passage de la vie à la mort ; mais elle Se voit trop differente de ces etres, pour pouvoir imaginer qu’elle doive Finir comme eux ; Elle vit donc Sur le Theatre de leurs dissentions, sans prevoir qu’elle en puisse Jamais ensanglanter La Sçene ; et ce ne Sera qu’après avoir été en Societé, et Vû perir quelqu’uns de ses semblables, qu’elle Se Croira destinée à mourir un Jour, C. à. d. à la privation de la Vie.

idée du danger.





sa Liaison avec d’autres idées, et ses Effets.

 

170. Cependant un Ennemi vient à Elle ; ignorant qu’un peril la menace, elle ne Songe pas à L’eviter, et elle en |[191] fait une Cruelle experience. L’idée de L’animal qui la blessée, reste dès ce moment presente à Sa mêmoire, et se Lie à celle de toutes les Circonstances qui ont accompagné son accident : La Vûe d’un arbre, le bruit des Feuilles retrace L’image du danger, en reveillant celle du Bois où elle avoit été attaquée : le sentiment de Sa Foiblesse et L’ignorance des moyens capables de la proteger, excitent et entretiennent la frayeur dans son ame. L’idée du peril est si fort Liée à tout ce qu’elle rencontre, que tout pour elle est un objet de Terreur : un Mouton l’epouvante parce qu’elle Lui voit des rapports de ressemblance avec L’animal qui l’a maltraitée, et qu’elle ne peut pas voir encore les differences qui pourroient la rassurer. elle le voit cependant fuir à son aspect, comme beaucoup d’autres animaux, et après avoir plusieurs fois vû la même chose, elle cesse de craindre, mais sa securité est bientost troublée par le retour d’un nouvel ennemi qui l’attaque et la Blesse Encore.






Effets de La crainte

 

171. Plus ces accidents se multiplient |[192] plus ils disposent la Statue à s’effrayer facilement ; Et Comme ils Frappent plus vivement l’ima­gi­nation, à mesure quils ont des Suites plus facheuses, leur image Se grave si profondement dans L’esprit, qu’elle y est toujours presente. incapable de Calculer d’après les circonstances, les probabilités des dangers aux­quels elle est exposée, et que L’imagination lui met Con­tinuellem.t sous les yeux, la statue a Souvent autant, ou, même plus, d’inquietude, pour un peril eloigné, que pour celui qui la menace ac­tuellement ; Elle les fuit egalement tous deux, parce qu’elle sent toute Sa foiblesse, quand elle attend trop Tard, pour se mettre en sureté. ainsy la Crainte L’emportant Sur l’esperance, la Statue est plus occupée à se garentir des objets nuisibles, qu’à Jouir de deux qui flattent Ses goûts. Elle s’applique donc à distinguer, parmi les Animaux, les especes dangereuses, à connoitre, pour les fuir, les lieux qu’elles affectionnent, à observer les |[193] habitudes de ceux qui ont à redouter le même Ennemi quelle ; afin que, Connoissant leurs Signes de detresse, elle Soit avertie par leurs Cris ou leur fuite, de la presence des dangers qui lui sont Communs avec eux.



source des mo­tifs de securité

 

à Force d’observations, elle Entrevoit la Possibilité de Suppléér par l’adresse à la foiblesse de ses moyens de deffense, et enfin après mille essais aussi Timides, que Lents, elle apprend non seulement à resister, mais à vaincre. alors elle se sent un Courage qui Fait naître de nouvelles vûes et de nouveaux interets, qui même la rend quelquefois Temeraire, quand Surtout la rigueur des saisons l’expose aux intemperies de L’air et au mal-aise de la Faim. dans ces Circonstances, elle sort de la deffensive, pour devenir aggresseur : elle declare une Guerre à mort à tous les ani­maux qui peuvent servir à L’habiller ou à la Nourrir.

C’est ainsy que l’experience donne insensiblement à la Statue les Con­noissances qui lui Sont nécéssaires |[194] pour Se mettre au dessus des dangers et des Besoins ; mais Comme il n’y Auroit pas d’experience sans besoins, ni des [?les] besoins sans L’alternative des peines et des plai­sirs, on voit Combien est incontestable le principe qu’en Commençant nous avons dit etre la base du Systeme de nos connoissances.


Formations des habitudes

 

172. La premiere fois que la Statue fait quelque Acte propre à soulager ses besoins, Son corps Se meut avec difficulté, il tatonne, il chancelle : L’ame de son coté, eprouve aussi des obstacles, elle hesite, elle doute. Les mêmes operations etant de nouveau determinées par les mêmes be­soins, elles se font avec moins d’incertitude et de Lenteur. Et enfin après avoir été Souvent repetées, elles s’executent desormais sans la moindre incertitude de la part de L’ame, et Sans aucun Tatonnement, de celle du corps. les habitudes de Juger et de se mouvoir sont Contractées : Ce qui auparavant etoit le resultat |[195] d’une reflexion Lente, se fait main­te­nant Sans quil Soit besoin d’y reflechir ; Ensorte que toutes les actions d’habitude sont autant de choses soustraites à la Reflexion, et qu’à me­sure quil Se contracte des habitudes, la reflexion peut S’occuper d’autres objets, Jusqu’à ce que, relativement à eux, il Se soit encore formé de nouvelles habitudes.


maniere dont elles se forment

 

il seroit inutile d’observer, ici, qu’il ne s’en forme Jamais aucune, qu’autant que les idées nécéssaires pour refaire, ce qu’on a deja fait, se seront Tellement Liées entr’elles, que la Serie puisse s’en retracer ensuite avec une rapidité qui previenne la reflexion, c. à. d. qui en soit indepen­dante ; mais il falloit rappeller l’autre grand principe de nos Connois­sances, la Liaisons des idées ; (11.) et la formation des habitudes en pre­sentoit naturellement L’occassion.







elles sont pro­por­tionnées au nombre et la na­ture des besoins.

le soulagement des Besoins est ana­logue aux moyens.

 

173. Les habitudes naissant du besoin d’exercer ses Facultés, leur nombre et leurs especes sont evidement proportionnée et analogues au nombre et à la nature des besoins, comme |[196] La maniere de Satisfaire ceux-ci, l’est elle-même aux moyens appropriés à ce But. ainsy vivant seule, la statue Contractera moins d’habitudes, que Si elle vivoit en So­cieté : elle n’en aura que d’une seule espece, Si uniquement activée par le besoin de Se nourrir, le Soulagement de ce besoin l’occupe toute entiere, (166.) mais elle en aura de deux ou même de trois Especes, si les Soins de Sa deffense et de sa Nourriture lui permettent d’obeir aux impulsions de la Curiosité. (169.) enfin, pour Soulager Ses besoins, elle fera ce que, dans les mêmes Circonstances, nous ferions nous-mêmes, et ce que feront toujours les Etres organisés Comme nous, parce que les Effets doivent etre Constament les mêmes, partout où le mobile, la fin et les moyens ne sont pas differents. C’est par cette raison qu’on explique L’uniformité que Souvent on apperçoit dans les procedés et les habitudes de plusieurs pays dont les habitants separés par des grandes distances, n’ont Jamais eû aucune Communication entr’eux.

 

|[197]

 

 

 

 

Chapitre 2.

de La maniere dont L’homme Juge des Objets qui L’environnent.

 

le Bon et le Beau.

 

174. Les qualités qui Contribuent à nos plaisirs, Constituent la bonté et la Beauté des choses. Tout etre Sensible a donc des idées d’une bonté et d’une Beauté relatives à Lui.

relatifs aux sens


... à L’ame


relatifs aux mœurs et à L’esprit Cul­tivé

 

Le Bon et le Beau peuvent etre considerés Sous trois rapports ; ou relativement aux Sens, et alors tout ce qui plait à L’odorat ou au goût s’appelle bon, et l’on appelle Beau, tout ce qui plait à quelqu’un des autres sens ; ou relativement à L’ame, et sous ce rapport, ce qui flatte quelqu’une des facultés qui naissent du besoin, est appellé Bon ; ce qui plait aux facultés qui naissent de L’attention est Beau, et ce qui en même Temps plait à ces deux especes de facultés, est Bonet beau tout en­semble. le Bon et le Beau peuvent etre Considerés enfin, relativement aux mœurs et à L’entendement cultivé par les arts ; mais Considerant |[198] ici Lhomme isolé, nous n’avons pas à examiner le bon et le Beau, sous ce dernier rapport.





le Bon et le beau ne sont point ab­solus.

 

175. ayant L’usage de tous ses Sens et celui de Ses facultés intellec­tuelles, la statue Connoit des odeurs et des saveurs agréables qui flattent Ses desirs ; elle a donc des idées de bon : La Vûe, L’oûie, le Tact, et les facultés qui naissent de L’attention, se trouvant aussi en elle agréable­ment affectées par les objets environnants ; La Statue doit encore avoir des idées de Beau. cependant ces idées qu’elle a du Bon et du Beau, seroient differentes de ce quelles sont, si elle etoit differemment organisée de ce qu’elle l’est ; la Bonté et la Beauté ne sont donc pas absolues.

 

le bon et le beau con­tribuent reci­proquem.t à leur perfection

 

176. le Bon et le Beau, contribuent Reciproquement à leur perfection Particuliere, une Peche qui plait par la vivacité de ses couleurs, et qui par là est belle, fait Plus de plaisir, Lorsqu’à la sensation actuelle de La Vûe, se mele le Souvenir des delicieuses Saveurs qui la Constituent bonne ; et par là elle |[199] devient plus belle. Si de même, Lorsque la Statue mange cette Peche qui est bonne, le plaisir de lavoir d’où resulte la Beauté, se mele à celui de la Goûter. d’où resulte la Bonté ; le premier plaisir rendra le second plus vif, et la peche sera meilleure.

L’utilité, la nou­veauté et la rareté rendent les Choses meil­leures et plus Belles.

 

L’utilité ajoute aussi à la beauté et à la Bonté des choses : Lorsque nous pensons que des fruits beaux et bons, sont propres à retablir nos forces, ils deviennent meilleurs, et plus beaux, il en est de même de la Nouveauté et de la Rareté : chacun Sçait combien sont appreciées les productions pre­coces ou Etrangeres.



du Nombre des idées d’où ils resultent.


de la neteté avec laquelle ces idées se de­melent


de la pro­por­tion suivant la­quelle les idées se melent

 

177. dans le Cas où plusieurs qualités Concourent à la beauté ou à la bonté d’un seul objet, C’est objet est meilleur ou plus Beau, à proportion que les idées qui representent ces qualités se demelent d’avantage : un fruit où l’on Reconnoit plusieurs Saveurs egalement agréables, est meilleur |[200] que s’il n’en avoit qu’une : une fleur refletant plusieurs couleurs qui Se prêtent mutuellement de l’eclat, est plus belle, que Si elle n’en reflechissoit qu’une. mais les organes ne Pouvant Transmettre dis­tinctement qu’un Certain nombre de Sensations, une Trop grande multi­tude amene la Confusion ; et le plaisir etant alors moins vif, les objets qui en sont L’occassion doivent par cela même paroitre moins Bons et moins beaux quils ne le paroitroient, S’ils occassionnoient moins de Sensations. dans ce dernier Cas même, il peut y avoir quelques Fois de la Confusion ; et c’est Lorsque quelqu’une des sensations excitées par L’objet, domine trop sur les autres. Ensorte que la Beauté et la Bonté dependent encore de la proportion Suivant laquelle est fait le melange d’idées d’où resultent le Bon et le Beau.


de L’usage et de la direction de nos fa­cul­tés.









Les mêmes Choses alter­nativement bonnes et mauvaises, belles et Laides.

 

178. Les choses etant meilleures et plus Belles, à mesure qu’elles font naître un |[201] plus grand Nombre d’idées qui plaisent, nous pouvons dire que la statue sera plus propre à sentir le bon et le beau, à mesure qu’elle pourra embrasser et demeler une plus grande quantité d’idées : Or puisque c’est de l’exercice de nos facultés, (23.) que ce pouvoir resulte, nous devons reconnoitre encore que la Beauté, et la Bonté sont relatives à L’usage qu’on fait de ses Facultés ou à la direction qu’on Lui donne. il doit donc arriver et il arrive en effet quelquefois que certaines choses reconnues belles et bonnes, cessent d’etre L’un et l’autre ; et que d’autres auxquelles on n’avoit Jamais pris aucun interet, deviennent L’objet de nos recherches et de notre admiration : il suffit pour cela que les rapports qu’ont à nos plaisirs les idées dont ces choses sont L’occassion, eprouvent quelque variation ; puisqu’il ne peut y avoir de Changem.t en ce genre, qu’il n’y en ait aussitost dans l’exercice et la direction de nos Facultés : Or on sçait que les rapports dont il sagit, varient avec L’âge et les Circonstances : ce qui nous plaisoit non seulement dans L’enfance, mais l’année |[202] derniere, mais le mois Passé, mais hier, nous est insipide aujourd’huy. d’où l’on voit qu’en cela, Comme en toute autre chose, nous ne Jugeons Jamais des objets que Par le rapport quils ont à nous.


modeles de Bon et de Beau.

 

Or voici Sur quoi Se fonde la pratique de nos Jugements en ce genre. Les choses que, par experience, nous Sçavons Contribuer le plus directe­ment à nos Plaisirs, deviennent des modeles auxquels, dans la Suite, nous Comparons tout ce qui se presente à nous ; Et alors un objet ressemble-T’il à quelqu’un de nos modeles ? nous le Jugeons Bon, meilleur, moins Bon, ou plus ou moins Beau, Suivant que sa ressem­blance avec le modele est plus ou moins parfaite, et que le modele lui-même est de la Classe de ceux qui font plus ou moins de plaisir. Or Le nombre de ces modeles S’accroît à proportion que le develloppement de nos Facultés nous fait Connoitre plus d’objets et former plus de classes. C’est ainsy qu’après avoir Goûté des fruits, la statue verra avec plaisir, les arbres même qui |[203] n’en portent Pas, et qui jadis Lui etoient indifferents ; parce qu’elle apperçoit quelque ressemblance entre ces arbres et ceux qui lui ont fourni des fruits qu’elle a trouvés bons et peut etre même beau.



origine de L’ido­latrie et de la su­per­tition [sic].

 

179. à coté des Roses se trouvent toujours les Epines : La Statue Souffre plus Souvent peut-etre qu’elle ne Jouit, et Considerant qu’elle ne peut sortir d’un Etat de douleur, que par L’eloignem.t d’un objet et par la presence d’un autre, elle se voit dans la dependance de tout ce qui L’en­toure : Or persuadée que ce qui agit Sur elle, agit de la même maniere qu’elle, et Sentant qu’elle ne fait rien, sans Lintention de le faire, elle Juge que les objets qui la font Jouir ou Souffrir, ont aussi L’intention de lui plaire ou de L’offenser, C’est par la Consequence d’un pareil Juge­ment, que nous voyons les enfants fouetter de bon cœur la chaise contre laquelle ils Se sont cogné la Tete. dèsque la statue a porté |[204] Ce Juge­ment, L’amour et la haine deviennent en elle des passions d’autant plus violentes, que le dessein de Contribuer à Son Bonheur ou à Son malheur, se montre plus Sensiblement dans tout ce qui agit Sur elle.


Tous les etres de­viennent l’ob­jet d’un Culte relig.x

 

180. Or dès ce moment, la Statue ne Se borne plus à desirer les Jouis­sances que les objets peuvent lui procurer, et à fuir les peines qu’ils sont capables de lui faire Souffrir, elle Souhaite qu’ils aient L’intention de la Combler de biens, et de la preserver de toute espece de maux. ce desir est une Espece de priere : la statue Semble alors demander au soleil de repandre Toujours Sur elle ses Rayons bienfaisans, et aux arbres, de se Couvrir de Fruits pour L’amour d’elle. Lorsque la Cause de ses Souf­frances lui est inconnue, elle s’adresse à la douleur, Comme à un Ennemi caché qu’il lui importe d’appaiser. L’univers est rempli pour elle d’ennemis invisibles et Visibles quelle prie de |[205] Respecter Son Bon­heur. elle donne ainsy dans les travers de Lidolatrie et de la Super­tition [sic], dont L’origine remonte à cette dependance où L’homme Se trouve à l’egard de tout ce quil L’environne, et qu’il n’apprecie Comme elle doit L’etre, que quand Ses facultés ont pû acquerir un certain degré de develloppement.


Certitude de L’existence
des Corps.

 

181. Cette dependance dont nous Venons de parler, ne permet pas à la Statue de douter quil n’existe des etres hors d’elle ; mais Si nous suppo­sons qu’elle veuille mediter Sur la nature des Corps, Comment acquerra-T’elle la Certitude de leur existence ? avec L’odorat, L’oûie, le goût et la Vûe, elle n’a senti que Son Etre : (les premiers chapitres de la 1.re sect.) si elle rapporte aujourd’huy Ses Sensations au dehors, c’est parce qu’elle a Contracté L’habitude de Juger d’après le Temoignage du Tact qui l’a fait se depouiller de ses manieres d’etre, pour en revetir ce |[206] que nous appellons les Corps ; (65.) si donc elle Considere qu’elle ne Sent Jamais que Ses propres modifications, ne croira-T’elle pas que tout ce qu’elle Suppose au dehors n’est qu’illusion ? il est à presumer qu’elle ne S’en­foncera pas dans des meditations si metaphysiques ; mais en fût-elle ca­pable, elle n’en viendroit pas Jusqu’à nier L’existence des corps ; et voici ce qui la Sauveroit de cette Etrange opinion.

« Mon experience Journaliere m’assure, se diroit-elle, que certaines sen­sations ne dependent point Absolument du bon plaisir de mon ame : Je sens intimement qu’il n’est pas en mon pouvoir de n’en point etre affec­tée dans telle ou telle Circonstance. Toute sensation est Cependant un effet qui, dans ma maniere de Concevoir, doit avoir une cause : or la Cause de plusieurs de mes sensations ne peut pas etre dans ma Volonté ; puisqu’il ne depend pas de moi de ne pas les eprouver : Je |[207] Suis donc Fondée à Conclure de Là quil est hors de moi quelque chose qui me procure telle ou Telle sensation, et C’est cette chose que J’appelle corps. mais quelle est sa nature ? Je L’ignore : Tout ce que Je sçais, c’est que les corps occassionnent en moi des Sensations, les unes Agréables, les autres douloureuses et toutes egalement independantes de L’action de ma volon­té : mais il me suffit de cette connoissance pour m’assurer qu’il existe hors de moi des etres Qui agissent Sur le mien, et que J’appelle corps. »

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3.e

de la Liberté dont L’homme Jouit dans l’employ des moyens par lesquels il satisfait Ses besoins.

 







Repentir






deliberation






effets de la De­li­beration.

 

182. Nous avons vû (168.) que la Statue est quelquefois punie, pour avoir Cedé à certains desirs. au milieu des Souffrances qui Sont le resultat de ses determinations, elle se Souvient qu’elle eut Pû en prendre d’autres |[208] C. à. d. qu’au Lieu d’user du fruit qui l’a rendue malade, elle auroit pû en manger quelqu’autre egalement propre à remplir le but principal qu’elle devoit avoir. (169.) elle regrette en Consequence de ne l’avoir pas fait, C. à. d. encore qu’à la Souffrance qu’elle S’est occassionnée en man­geant ce fruit s’en Joint une autre qui resulte de la privation des avantages qu’elle auroit trouvés dans un choix different : cette derniere Souffrance se nomme repentir ; et la Statue en fera Souvent l’epreuve ; mais elle finira par voir qu’avant d’obeir à ses desirs, il lui importe de Comparer les moyens qu’elle a de les satisfaire, les obstacles à surmonter, les plai­sirs de la Jouissance et les peines qui peuvent en etre la suite. sous tous ces rapports, elle met en balance les avantages et les inconvenients ; et c’est ce qu’on appelle Deliberer. Le motif de cette operation etant de prevenir le repentir, après avoir Comparé les objets qui offrent actuelle­ment le plaisir le plus Vif, mais qui peuvent etre Suivis de |[209] quelque peine vive aussi, à ceux où il y a plus de plaisir avec moins de peine, la Statue donnera la Preference aux derniers, Comme plus propres à faire son bonheur ; et elle resistera au penchant qui L’entrainoit vers les autres. quand après avoir decouvert par exemple, un fruit delicieux dans un en­droit qui presente des dangers, elle sent se reveiller le desir d’en manger, elle Balance la satisfaction que ce Fruit lui promet, avec le danger qu’elle doit Courir dans l’endroit où il Se trouve, et finit par rester dans [dans] celui où elle est, C. à. d. qu’elle a deliberé, et que le desir a été vaincu par l’effet de la deliberation.





Les Passions ne permettent pas de deli­berer

 

 

183. Tel est l’avantageux resultat de cette operation ; mais comme pour deliberer, il Faut comparer, et que pour Comparer, il faut donner L’atten­tion à plusieurs objets à la fois, il est aisé de Voir que quand elle aura Ses facultés toujours dirigées vers un seul objet, C. à. d. lorsqu’elle |[210] sera dominée par quelque Passion, la statue ne deliberera point ; que n’ayant egard par Consequent ni aux moyens à employer, ni aux obstacles à Vaincre, ni aux Suites de L’action, et qu’uniquement occupée du plaisir desiré, elle ne voudra qu’en Jouir : Ce Seul Cas excepté, la statue aura Toujours le pouvoir de deliberer, et par Suite celui de resister.


Pouvoir.





Liberté.

 

184. La Statue sentira donc qu’elle a tout ce quil faut pour faire une action, lorsquelle ne la fait pas, et pour ne point la faire, lorsqu’elle la fait, c. à. d. que, dans ce dernier Cas, elle peut considerer l’action, Comme n’existant pas, et Comme pouvant seulement avoir Lieu. Quand en Effet la statue est en repos, il ne Lui manque rien pour marcher, et reciproque­ment lorsqu’elle marche, elle a tout ce qu’il faut pour etre en repos. mais faire, ou ne pas faire une chose, et avoir tout ce qu’il faut pour la faire, ou pour ne pas la Faire, est ce qui Constitue le pouvoir ; et le pouvoir à son tour constitue la Liberté. Or La Statue Jouit toujours du pouvoir, un seul cas excepté (sup.) |[211] Elle est donc Libre.


Les Connois­sances sont essen­tielles
à la Liberté.

 

185. dèsque La Liberté consiste dans le pouvoir de faire ce qu’on ne fait Pas, et de ne point faire ce qu’on fait, il s’ensuit que pour user de Sa Li­berté, il faut Choisir entre L’action et L’inaction, entre la promenade et le repos, par Ex. Or pour choisir, il faut comparer les avantages aux in­con­venients, pour comparer, il faut connoitre ce qui doit faire l’objet de la Comparaison ; La Liberté suppose donc la Connoissance des avantages et des inconvenients qui peuvent etre le resultat du parti qu’on prendra.




L’homme ne peut vouloir le mal en tant que mal

 

Cette consequence est d’autant plus Certaine, qu’en supposant que nous pussions nous determiner à vouloir une chose, Sans avoir Egard aux idées que nous en avons, il arriveroit que Nous la Voudrions, Lors même que nous serions persuadés qu’elle peut Nous nuire, ce qui seroit vouloir le Mal pour Lui-même ; tandis qu’il est reconnu impossible que L’homme |[212] agisse Jamais qu’en vertu du principe dont nous avons tant de fois parlé C. à. d. en vûe du Bonheur ; il est donc Constant que les determi­nations qui Constituent la Liberté, dependent de nos Connoissances.


il est des Cas
où le choix est es­sen­tiel à la Liberté.

 

Mais Comme les avantages ou les inconvenients attachés à Lusage d’une chose, ne sçauroient etre connus Sans lexperience, (171.) il S’ensuit que, pressée par un Besoin, ne Connoissant qu’un Seul objet propre à le satisfaire, et ne prevoyant pas qu’il puisse rien resulter de facheux de la Jouissance de cet objet, La statue S’y Livrera nécéssaire­ment, C. à. d. sans Liberté ; Puisque d’un coté le Besoin, la force d’agir, et que, de L’autre, elle ne peut ni comparer, ni deliberer, ni choisir.

Quand au Contraire l’experience aura fait Connoitre deux ou plusieurs objets egalement propres à soulager ce besoin ; sans cesser de dependre en général de ce qui est nécéssaire au soulagement de ses Besoins, la |[213] Statue pourra Néanmoins examiner alors S’il Lui Convient ou non de se porter vers ce qu’elle avoit desiré dans un Premier Moment : elle sera Libre.


Les fausses notions ne de­truisent pas la Liberté mais en font abuser

 

186. L’esclavage qui la faisoit dependre de tel ou Tel objet en par­ti­culier, etant donc le resultat de son ignorance, il sensuit que Sa Liberté est le Fruit de L’instruction. il faut cependant remarquer que les Connois­sances ne sont nécéssaires à cet egard, que pour donner le Pouvoir de deliberer, et que les moins exactes remplissant ce but aussi bien que les plus Sures, nous ne cessons pas d’etre Libres, pour avoir quelquefois des idées differentes de ce qu’elles pourroient etre : notre Conduite alors est seulement moins assurée, et nous usons mal de notre Liberté. d’où nous devons Conclure que les Connoissances etant Aussi essentielles à la Li­berté, qu’à La maniere d’en bien user, nous |[214] ne devons rien negliger pour acquerir toutes celles qui sont relatives à notre Etat.


Elements d’où resulte la Liberté

 

187. En resumant ce qui a été dit Jusqu’ici, on trouve, en derniere ana­lyse, que la Liberté renferme trois choses : 1.o quelque connoissance de ce que l’on doit faire ou ne pas faire ; 2.o la determination et la volonté, et determination Telle quelle soit le resultat d’une deliberation. C. à. d. qui soit à nous, et non pas L’effet d’une cause plus puissante ; 3.o enfin le pouvoir de faire ce que nous voulons.

La Liberté est prou­vée par le Temoignage una­nime des hommes

 

Telle est la Notion la plus Juste qu’on puisse se faire de la Liberté hu­maine dont l’existence est Constatée par le Temoignage unanime des hommes de tous les Pays, et de tous les Temps, mais dont Lidée a été trop souvent embrouillée par les Subtilités des sophistes.

Par toute leur conduite.

 

Tous les Peuples ont des Loix ; chés tous on se Lie par des Contracts ; or, Sans Liberté, tout cela seroit inutile ; si |[215] Ce que l’on fait, on le fait forcement, et Si L’on n’a pas eû le pouvoir de faire ce qu’on a omis, pourquoi promettre qu’on fera ou qu’on ne fera pas quelque chose ? Pour­quoi punir les actions et les omissions ? Les Enfants eux-mêmes rai­sonnent de cette maniere : Si l’on veut les punir pour n’avoir pas Etudié, lorsqu’ils sont malades, ils crient à L’injustice ; mais ils n’opposent que des prieres et des protestations pour l’avenir, lorsque le chatiment a un mensonge pour objet. Comme ils Sçavent, dans le 1.er Cas, qu’il n’a pas dependu d’eux de S’occuper de leurs Leçons, ils Sentent, dans le second, qu’ils auroient pû ne pas mentir, s’ils l’eussent voulu.








Les Sophistes ont attaqué la Liberté

 

Si L’on S’en etoit ainsy rapporté au Jugement de Sa conscience, c. à. d. au Sentiment de ce qui Se passe en nous, les questions relatives à notre liberté, n’auroient Jamais presenté des difficultés ; mais Soumises à l’examen de ces Esprits qui Raisonnent d’autant plus, quils observent moins, qui commencent Toujours par determiner ce qu’il ne |[216] nous est pas donné de Connoitre C. à. d. La nature ou L’essence des choses, ces questions ont été Tellement Sophistiquées, que non Seulement on a quelques fois douté de la Liberté ; mais qu’encore on a ouvertement mé­connu Son existence : il est des hommes qui Se Sont ravalés eux et leurs Semblables, Jusqu’à croire que nous n’etions que des Pures machines propres et forcées à recevoir toutes les impulsions exterieures, et inca­pables de s’en donner aucune, elles-mêmes.

   

188. de Pareils Systemes sont heureusement trop opposés aux idées de la masse entiere des hommes, et trop affreux dans leurs Consequences, pour qu’ils puissent se repandre et se faire adopter. ceux qui les ont en­fantés, se Sont dailleurs si grossierement contredits eux-mêmes, qu’ils Etouffent bientost dans ceux qui les Lisent, La Confiance qu’on se sen­tiroit peut etre Tenté de leur accorder de [?prime] abord.

Parmi Les productions consacrées à propager les principes dont nous Parlons, on doit distinguer L’ouvrage |[217] intitulé : Systeme de La Nature. dans lequel on lit les maximes suivantes.


affreuses con­sequences de leur systeme

 

« Les hommes ressemblent à des nageurs qui Sont Forcés de suivre le courant qui les emporte – il est injuste de demander à un homme d’etre vertueux, s’il ne peut l’etre, Sans etre malheureux ; dèsque le Vice le rend heureux, il doit aimer le Vice. – Celui qui Se Tue, ne fait pas un outrage à La nature… il Suit Limpulsion de cette nature. – En vain la Loi crie à Lhomme de s’abstenir du bien d’autrui, Ses besoins Lui crient plus fort, qu’il faut vivre aux depens de la societé qui n’a rien fait pour lui : privé souvent du nécéssaire, il se venge par des vols, des assassinats… »

On voit d’après cet extrait, que L’homme n’est pas plus maitre de ses Actions, que ne l’est une pierre de ne pas Tomber, lorsqu’elle n’est pas soutenue ; Cependant le même auteur qui a posé ces principes, et Legi­timé par eux le vol, l’assassinat et tous les Crimes, adresse à son Lecteur L’exhortation suivante.


Contradictions dans lesquelles ils sont tombés

 

|[218] « Sois bon, parce que la bonté enchaine les Cœurs ; Sois indul­gent, parce que foible toi-même, tu vis avec des Etres aussi foibles que Toi ; Sois doux, parce que la douceur attire l’affection ; Sois reconnois­sant, parce que la Reconnoissance alimente et nourrit la Bonté ; Sois mo­deste, parce que L’orgueil revolte des etres epris d’eux-mêmes ; pardonne les injures, parce que la Vengeance eternise les haines ; fais du bien à celui qui T’outrage, afin de te montrer plus grand que Lui, et de t’en faire un amy ; Sois retenu, Temperé, chaste, parce que la volupté, L’intem­perance, les excés detruiroient ton etre, et te rendroi/en/t mépri­sable. »
Adresser un Tel Langage à un etre forcé de Suivre le Courant qui l’em­porte ; c’est exhorter une pierre à ne pas Tomber ; et lui dire, pour l’en­gager à demeurer en L’air, que la chute detruiroit son existence : Contra­diction et absurdité trop Frappantes, pour qu’on ait besoin de les refuter. Passons à des objections qui offensent moins le bon sens.

Objection moins absurde

 

|[219] 189. La Liberté Suppose, dit-on, que les avantages et les incon­venients de l’action à Faire, Soient balancés, pour determiner le choix : Or, Sil en etoit ainsy, il devroit arriver que tout homme à qui d’un coté, lon presenteroit un Ecu, et quatre de L’autre, prît nécéssairement les quatre, que, placé entre deux Ecus parfaitement egaux, il ne pût en choisir aucun. Quatre ecus en Effet presentent un avantage auprès duquel, un seul Ecu Doit etre regardé comme un inconvenient ; Et rien dans la seconde hypotheze, ne peut meriter à L’un des Ecus la preference sur l’autre.

Reponse

 

Cette objection Suppose que le motif d’une action ne peut se prendre que de L’objet en Soi ; elle sera donc refutée, dèsqu’on aura rappellé que ce motif se prend le plus ordinairement de quelqu’une des Circonstances qui accompagnent l’action : (182.) c’est ainsy que, pour montrer du des­interessement, on peut preferer un seul Ecu à quatre ; C’est ainsy, que pour soulager |[220] un besoin, on prendroit L’un des deux Ecus dont on peut disposer, Sans avoir aucun egard à la parfaite ressemblance qu’ils ont entr’eux, Comme, dans les douleurs de la Faim, on S’en rapporteroit au Mouvement du bras, pour Saisir une Pomme à coté d’une autre qui Lui seroit parfaitement Semblable ; C’est ainsy que Buridan, S’il avoit Fait deux boisseaux egaux, auroit Vû son âne se precipiter Sur L’un, malgré les arguments quil faisoit, pour prouver que L’animal, dans ce cas, devoit Comme Tantale, Crever de faim, au milieu de L’abondance ; C’est ainsy qu’un malade qui pourroit choisir entre un bon dejeuner et une Medecine, avale celle-ci, poussé par Lespoir même eloigné, d’une meilleure santé ; C’est ainsy enfin que Scevola, animé d’un Patriotisme brulant, Livre sa main aux Flames, quoiqu’il eût pû se dispenser de rien souffrir.

autre Objection

 

190. Mais, ajoute-T’on, nous sommes Toujours determinés par ce qui nous paroit etre le meilleur : or Il ne depend pas de nous de ne pas voir ce Meilleur, |[221] il ne nous est donc pas plus Loisible de ne pas nous y porter.

Reponse.

 

Ce Raisonnement n’est pas plus solide que les autres : nous sommes determinés, sans doute, Par ce qui nous Plait le plus : mais il n’en est pas moins vrai que ce motif ne nous met pas dans la Necessité d’agir. avant de Se determiner, L’ame est indifferente à vouloir ou à ne pas vouloir, et elle se porte Librement à L’un ou à l’autre, C. à. d. Qu’elle peut examiner les divers motifs qui Peuvent l’engager, Suspendre son Examen, disposer de son attention, et Se determiner ainsy par un motif qui, Consideré en lui-même, est moins fort que Tel autre qu’on eut pû trouver dans L’objet differement envisagé. C’est pour cette raison qu’un homme adonné au Vin, et dont on peut toujours Juger qu’il le preferera à L’eau, se deter­mi­nera cependant quelques Fois Pour celle-ci.

Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’une Fois determinée, et agissant en vertu de cette determination, L’ame ne peut |[222] Point ne pas vouloir agir ; mais il S’en faut tout que par Là, sa Liberté Soit detruite : le sup­poser Seroit pretendre que pour etre libre, il faudroit qu’on peut à la Fois vouloir et ne pas vouloir ; ce qui est absurde. le choix entre deux actions Contradictoires, est l’effet de la Liberté ; mais une Fois qu’on a choisi, on est nécéssairement voulant ou ne voulant pas, Se promenant ou ne se pro­menant pas &.a

autre objection

 

191. on oppose enfin la pensée d’ovide :

– –  Video meliora, proboque,
deteriora Sequor        (met. liv. 7. v. 20)

Je vois le meilleur parti, Je l’approuve, et Je prends le pire.

On Conclut de ce Texte que L’ame qui a été supposée vouloir toujours le meilleur, doit lorsqu’elle prend le Pire, etre poussée par une Cause qui detruit sa Liberté.

Reponse

 

Nous avons convenu que, dans la violence des Passions, L’ame n’est pas libre en Effet ; (183.) mais toujours est-il que, même dans ce cas, l’idée du mieux est le motif qui L’entraine. |[223] Le vrai bien et celui qui n’est qu’apparent, S’offrent alors Tour à tour : la raison Conseille d’em­brasser le premier, tandis que la passion veut faire preferer le second qu’elle Tache de Couvrir, à force de Subtilités, de toutes les formes du premier. La Raison [?conseille de] chercher à dissiper l’illusion ; mais, aidée de L’influence des Sens, et faisant de nouveaux efforts, la passion prend insensiblement le dessus ; et Enfin elle Triomphe, lorsqu’elle est parvenue à donner au bien apparent toutes les Couleurs du vrai ; Ensorte que l’idée du meilleur est toujours le motif par lequel L’ame est deter­mi­née, lors même que Tyrannisée par la passion, elle embrasse le Pire.

Empire des passions







Moyen de leur resister
 

Cette objection ne Contredit donc rien de ce que nous avons avancé, elle Confirme au Contraire Ce qui a été observé plus haut Sur la puissance des passions, à laquelle s’applique le passage d’ovide. L’homme sous leur empire ressemble à un Vaisseau ba/t/tu par la Tempête : quelle que Soit la sagesse du Pilote, le gouvernail Cesse alors |[224] d’obeir à Sa main ; La Machine Vogue au gré des Vents, elle est le Jouet des vagues, et quelque­fois même la proie des flots. en Confirmant la Justesse de cette Compa­raison, L’Etude des hommes doit nous Faire rechercher les moyens de Prevenir Ces Tempêtes morales et de Sçavoir au moins Jetter L’ancre à propos Lorsqu’on a le malheur d’etre surpris par L’orage. Pour cela, il faut comprimer, dèsquils Se montrent, tous les desirs que la froide raison n’avoûe Pas. ces desirs ne Sont d’abord qu’un Souffle Leger ; mais ils Peuvent devenir des aquilons furieux. Un autre grand moyen, et le meil­leur Sans Contredit, c’est de contracter dans son Jeune age, de bonnes habitudes.

   

 

 

   

Chapitre 4.

de L’idée que L’homme se fait de L’ordre qui existe entre les objets dont il est Environné, et des loix d’où cet ordre resulte.

 




Lhomme ap­per­çoit des rap­ports entre Lui et les ob­jets dont il use.

 

192. La statue ne peut avoir prolongé quelque Temps son existence, sans S’etre apperçue que Si son Corps |[225] Se Conserve, Ce n’est qu’en introduisant chaque Jour dans L’estomac, des matieres Etrangeres qui remplacent Celles que dissipent les mouvements et la Chaleur intestine. elle apperçoit aussi qu’entre L’organe par lequel ce remplacement S’ef­fectue, et Les matieres Sur lesquelles il deploie Son action, il y a des rap­ports tels, que L’incorporation de ces Matieres à Sa propre Substance, resulte immediatement de ces rapports.



Entre ces objets eux-mêmes




Loix de la Nature

Ordre Physique

 

193. En observant ensuite les Etres qui L’environnent, la statue doit s’appercevoir aussi que, Loin d’etre isolé[e]s, ou independant[e]s les uns des autres, ils Sont Liés et Subordonnés par divers rapports plus ou moins directs ; et que par Là, ils Concourent à un but commun. Ce n’est pas même encore tout : En reflechissant Sur ces Rapports, la Statue doit voir aussi qu’ils derivent des proprietés qu’ont ces differents etres, et que C’est en vertu de ces proprietés, qu’ils Concourent à produire certains Effets, lorsqu’ils agissent les uns sur les autres. Or Ces Effets, resultat des Rapports qui |[226] Lient les Etres, Sont ce qu’on appelle les Loix de la Nature, et le Systeme ou L’ensemble ordonné de ces Loix, est ce qu’on Nomme L’ordre physique.



ces Loix sont invariables







Elles sont d’ac­cord Entr’Elles


subordonnées les unes aux autres.

 

194. La Statue aura donc L’idée de ces Loix et de cet ordre : cette idée à la verité Sera d’abord très bornée ; mais l’experience et la reflexion lui donneront dans La Suite, des develloppements qui feront Voir à la Statue que ces loix sont invariables et parfaitement d’accord entr’elles ; Et voici les motifs sur lesquels la Statue appuîra ces Jugements 1.o Les Proprietés formant l’essence des etres ; et L’essence etant ce qui fait qu’une chose est Ce qu’elle est, (81.) il S’ensuit que ces proprietés essentielles sont immuables : si quelqu’une en effet etoit retranchée, l’etre qui n’est que par elles, ne seroit plus cet Etre, les rapports qui derivent de ces pro­prietés, sont par Consequent aussi invariables qu’elles ; les effets qui en resultent de ces rapports le sont donc encore eux-mêmes : Or ces effets sont les loix de la Nature ; (sup.) ainsy Ces Loix sont invariables. 2.o en­chainés les uns aux autres, les Etres ne forment qu’un seul tout. |[227] Les loix qui Enchainent ce tout, sont Liées par Consequent entr’elles comme le sont les parties du tout ; il ne peut donc pas y avoir de veritable oppo­sition entre une Loi et une autre Loi. 3.o dèsque les etres sont enchainés par leurs rapports, ils Sont Subordonnés en Consequence de ces mêmes rapports ; Or les loix de la Nature sont une Suite de ces rapports, elles sont donc Subordonnées les unes aux autres, et c’est de cette subordi­nation, que resulte L’harmonie du grand tout.


nous ne pou­vons Con­noitre toutes Ces Loix

 

195. Ce qu’on a vû Jusqu’ici renferme comme Consequence, une verité qu’il est de la Sagesse de ne pas méconnoitre. autant il nous importe d’ac­querir des Connoissances, autant aussi nous Convient-il de Connoitre les Limites qu’en ce Genre, nous ne pouvons pas depasser. nous devons donc Convenir que non seulement il ne nous est pas donné d’embrasser toutes les loix de la nature, mais que nous ne pouvons pas même Saisir toutes les modifications de celles que nous Connoissons le mieux.

nous ne con­nois­sons pas même bien le petit nom­bre de Celles qui nous sont les plus fa­milieres.

 
 

On Remarque Tous les Jours en effet |[228] que, plus on multiplie les observations et les experiences, plus on demele des choses dans les pro­prietés des Etres. mais Comme L’on remarque aussi que les moyens que nous avons pour faire ces observations et ces experiences, sont Essen­tiellement bornés ; on Conclut avec Raison que les proprietés observées ne seront Jamais parfaitement Connues. Nous sçavons d’un autre Coté, que les Corps ne nous sont Connus que par les rapports quils ont à nos Sens : (82.) l’acquisition de quelque nouveau sens multiplieroit donc ces Rapports ; mais les Loix de la Nature resultent de ces rapports ; Comme ces rapports derivent eux-mêmes des proprietés des Etres : ainsy, puisque nous ne pouvons nous flatter ni de Connoitre toutes ces proprietés, ni d’embrasser dans leur entier, celles mêmes que nous saisissons, nous ne pouvons pas nous flatter non plus de Connoitre toutes les Loix de la Nature, |[229] ni même toutes les modifications de celles qui nous sont le mieux Connus.