Springe direkt zu Inhalt

Troisième Partie. du Raisonnement

 
Table des matières

 

1.re Partie. 1.er Traité

1.re Section. Chap. 1-6

1.re Section. Chap. 7-11

2.me Section. Chap. 1-4

2.me Section. Chap. 5-8

Introduction

 

2.me Traité. Logique

1.re Partie

2.me Partie

3.e Partie

4.e Partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3.e Partie.

du Raisonnement.

 

 

 

71. le Sujet de cette partie doit encore etre consideré dans le fonds et dans la forme : celle-ci, dans les anciennes Ecoles, avoit Tellement attiré tout à elle, et s’etoit herissée de tant de details ?? Minutieux ?? Et diffi­ciles, qu’il falloit une intrepidité et une Patience à l’epreuve, pour n’etre pas rebuté et decouragé, Lorsqu’on abordoit cette partie de la Logique. Ce qui vient d’en etre dit, doit vous rassurer contre la Crainte de cet incon­venient : on ne vous dira sur les formes, que ce qu’il faut pour Justifier le reproche qu’on leur a fait, et pour vous en donner une Notice Suffisante.

   

 

 

   

Chapitre 1.er

du Raisonnement en Soi.

 

raisonnement

 

72. de L’operation de Juger, naît Celle de Raisonner : le raisonnement n’est qu’un Enchainement de Jugements qui |[348] dependent les uns des autres, C. à. d. qui Sont renfermés les uns dans Les autres, ou Tellement Liés entr’eux, que l’un est la Consequence des autres, ainsy quand, par exemple, Je retire la main, à la Vûe d’un charbon ardent qu’on approche de moi, Je Juge que ce charbon brule ; qu’il ne me brulera pas, si Je m’en eloigne ; et que par Consequent Je dois retirer ma main.

maniere de se Conduire dans les Raisonne­ments Compli­qués

 

73. Dans les Raisonnements qui ne sont pas plus Composés que celui qu’on vient de faire, l’esprit apperçoit d’une Simple Vûe, tous les Juge­ments qu’ils renferment, et tous les Rapports qui Lient ces Jugements ; mais il n’en est plus de même, lorsque les Raisonnements sont fort Com­posés : on doit alors en Considerer separément les differentes parties, les devellopper l’une après l’autre, fixer par des Signes chaque idée, chaque Jugement, chaque Rapport ; par ces moyens on decouvre peu à peu ce qu’il seroit impossible de saisir d’un seul coup dœil.cette decomposition et la Forme qu’on lui donne dans le discours, ne font pas le Raisonnement : ce n’est |[349] Là qu’une maniere de L’enon­cer. mais inutiles dans les Raisonnements Simples, Ces decompositions et ces formes sont Absolument nécéssaires dans ceux qui sont Compliqués ; parce que sans elles, l’esprit ne pourroit pas fixer et retenir tout ce qui doit Lui etre present, pour voir si Chaque Jugement est la Consequence de ceux qui le precedent.




Enonciation du Raisonnement

 

74. puisque Consideré dans l’esprit, le raisonnement est une suite de Jugements qui sont des Consequences les uns des autres, il s’ensuit qu’enoncé, il est une suite de propositions dont chacune est la con­sequence de celle qui precede ; or, de deux propositions, L’une est la consequence de l’autre, lorsque La comparaison des Termes fait voir qu’elles affirment la même chose, C. à. d. qu’elles sont identiques. nous pouvons donc dire encore que le raisonnement est une Serie de pro­po­sitions Tellement Liées les unes aux autres, que la derniere est identique avec la penultieme, la Penultieme avec celle qui la precede &.a |[350] ou bien une Suite de traductions, dans laquelle, la Proposition qui en traduit une Precedente, est Traduitte elle-même par une Suivante. d’où il suit, et C’est en quoi Consiste tout l’artifice du raisonnement, que pour former, ou pour Suivre ces suites de propositions, et en montrer et decouvrir L’identité, il faut parfaitement Connoitre toutes les choses qui doivent y etre comparées. Passons à des exemples, pour mieux saisir ce qui vient d’etre dit ; mais il faut presenter auparavant quelques observations rela­tives à la pratique du Raisonnement.



Conditions ou données, Etat
de la question

 

75. une Verité qu’on ne Connoit pas, ne peut etre Connue, qu’autant qu’elle se trouve dans des verités qui le sont. toute question à resoudre suppose donc qu’en la proposant, on mele des verités Connues à d’autres qui ne le sont pas, et qu’on veut decouvrir. Jamais en effet la question ne pourroit etre resolue sans cela ; car par où Commenceroit celui qui ne connoitroit aucune des verités que renferme la question ?

Ce melange de verités connues et inconnues, qu’en algebre, on appelle |[351] Les Conditions ou les données, est ce qu’on nomme L’etat de la question. une fois proposé, il doit etre reduit à l’expression la plus Sim­ple, ce qui S’appelle Etablir L’etat de la question ; et il ne reste ensuite qu’à degager les Verités inconnues, de celles qui ne le sont pas, en decouvrant les rapports des unes aux autres ; ce qui se fait par le Rai­sonnement.



Exemple de
ce qui est dit dans les deux parg. ci des­sus.

 

76. Après ces preliminaires, nous pouvons prendre pour exemple une question algebrique, et la resoudre par des Raisonnements enoncés en langage ordinaire.

« Lorsqu’ayant des Jettons dans mes deux mains, dit un homme, J’en fait passer un, de la droite, dans la gauche, J’en ai autant dans l’une que dans l’autre ; et lorsqu’au Contraire J’en fait passer un, de la Gauche, dans la droite, J’en ai le double dans Celle-ci. devinez Combien de Jettons J’ai dans chacune. »

il y a ici deux Conditions ou données renfermant ce qui est Connu, et ce qui ne l’est pas. mais les rapports entre l’un et l’autre ne s’appercevant point au premier Coup d’œil, il faut |[352] rapprocher les idées, en don­nant plus de Simplicité aux expressions ; ainsy, nous disons d’abord, Pour la premiere Condition Le nombre de la main droite diminué d’une unité, est egal à celui de la gauche, augmenté d’une unité.ou Bien encore :




Etablir L’etat de la question.

 

Le nombre de la droite, moins une unité, est egal à celui de la gauche, plus une unité ;

ou enfin et le plus Brievement possible :

La droite moins un, egale la gauche, plus un.

D’où L’on voit aussitost que les Connues de La premiere condition Sont ; moins un et plus un ; et que les inconnues auxquelles elles sont melées, sont la droite et la Gauche. Traitons de même la seconde Con­dition.

Supposant que la droite aura deux fois plus de Jettons que la gauche, si celle-ci en donne un à la premiere, il suit de cette Condition, que le nom­bre de la main Gauche, diminue d’une unité, ne vaut que la moitié de Celui de la main droite augmenté d’une unité ; ainsy nous Pouvons traduire la seconde Condition en |[353] disant :

Le nombre de la main droite, augmenté d’une unité, est egal à deux fois celui de la Gauche, diminué d’une unité.

ou bien en disant :

La droite augmentée d’une unité, est Egale à deux gauches, diminuées chacune d’une unité.

ou enfin et le plus simplement :

La droite plus un, egale deux Gauches, moins deux.

Les Connues de cette Seconde question, Sont : Plus un et moins deux ; et les inconnues ; la droite et la gauche comme dans la premiere Con­dition.

Rapprochons maintenant les deux Conditions, ainsy Simplifiées, et nous aurons Etabli l’etat de la question (sup.)

1.re La droite moins un, egale la gauche plus un.
2.o La droite, plus un, egale deux gauches moins deux.

 

 

77. Maintenant il faut raisonner, (sup.) pour degager les verités incon­nues, en cherchant les rapports qu’elles ont avec les Connues. Or il est aisé |[354] d’appercevoir que ce qui doit etre decouvert, le seroit bientost, si l’on trouvoit un moyen par lequel les Verités connues, Pussent etre rendues identiques avec les inconnues ; et ce moyen S’offre de lui-même, car puisque,

1.o La droite moins un, egale la gauche plus un. (1.re Condit.)

Il S’ensuit evidement que,

2.o La droite entiere, egale la Gauche plus deux ;

mais puisque encore :

3.o La droite plus un, egale deux Gauches moins deux (2.e Condit.)

il est clair aussi que,

4.o la droite Seule, egale deux Gauches moins trois.



degagement des inconnues.

 

Tout cela est appuyé Sur ce que des choses egales, demeurent egales, Lorsqu’elles eprouvent des augmentations ou des diminutions egales : nous pouvons donc changer l’expression des deux Conditions et dire :

pour la 1.re  la droite egale la gauche, plus deux. (2.o)
pour la 2.de  La droite egale deux Gauches, moins trois (4.o)

|[355] Mais, à la Vûe de ces deux nouvelles expressions, on voit que L’une des inconnues, la droite, est identique avec deux choses : quoique differentes par l’expression, ces deux choses doivent donc etre rééllem.t les mêmes ; et l’on peut dire par Consequent que :

La Gauche plus deux, egale deux Gauches moins trois.

Or les Connues n’etant plus melées, dans cette nouvelle expression, qu’à une seule inconnue, la Gauche, nous pouvons, en raisonnant Comme on l’a fait plus haut, identifier les unes avec l’autre : il ne faut que Faire eprouver aux deux choses egales, des augmentations et des diminutions egales. ainsy enlevant d’abord une gauche, de chacune des deux Cotés, nous aurons, Sans que L’Equilibre soit detruit :

deux Egale une Gauche moins Trois.

Ajoutant ensuite Trois de part et d’autre, on a :

Deux plus trois, egale une Gauche moins trois, plus Trois.

Et reduisant à une expression plus |[356] Simple, nous Trouvons que :

La Gauche egale Cinq.

dèslors l’une des inconnues, la Gauche, est trouvée, et comme dans l’expression simplifiée de la premiere condition, cette inconnue plus deux, est identique avec L’autre inconnue, la droite ; il Sensuit que celle-ci egale Cinq plus deux, C. à. d. sept. Or ces deux nombres, Cinq et Sept satisfont aux Conditions de la question proposée.



artifice du rai­sonnement

 

78. on voit d’après cet exemple, qu’ainsy quil a été dit, (75.) l’art du raisonnement consiste à Faire appercevoir l’identité des Jugements dont il se compose ; et que, plus le Langage est Simplifié, plus cette identité s’apperçoit facilement ; parce qu’alors les idées sont plus rapprochées. la question Proposée auroit donc été plus facile encore à resoudre, si nous avions eû des Signes moins compliqués : nous allons nous en Convaincre, en faisant les mêmes Raisonnements avec des signes etrangers à notre Langue ; mais que nous pouvons facilement adopter et entendre. Sup­posons |[357] donc que D veut dire la droite, G, la Gauche, (+) plus, (-) moins et (=) egale. traduisant ensuite L’etat de la question en ce nouvel idiome, nous avons, pour les deux Conditions.

   

Pour la 1.re  
et pour la 2.e  

D - 1. = G. + 1,
D + 1 = 2G - 2

(sup. 1.re)
(ib. 2.e)

or, daprès ce qui a été observé ci dessus, nous avons, par une nouvelle traduction
et



D = G. + 2
D = 2G - 3.



(ib. 2.o)
(ib. 4.o)

Mais D ne pouvant qu’etre egal à lui-même, les choses qui lui sont identiques, le sont aussi entr’elles, ainsy
d’où il suit que
et de là que
C’est à dire que
et qu’enfin



G. + 2. = 2G - 3,
2 = 2G. - G - 3;
2 + 3 = 2G. - G
2 + 3 = G
G = 5.

   

Mais puisque, d’après la troisieme equation
il est evident que


D = G + 2
D = 5 + 2, c’est à dire 7, et la question est resolue.





il se reduit à une Langue bien faite

 

79. Cet exemple nous montre d’une maniere bien sensible, Combien le raisonnement est clair et facile, lorsque le Langage est plus simplifié : or cet avantage resulte uniquement de ce |[358] que L’identité des Juge­ments se presente alors Comme à decouvert et d’elle-même. on a donc eû raison de dire que L’art de penser se reduit à une Langue bien faite. mais faut-il donc qu’on créé un nouveau Langage, pour parvenir à ce but, ou cet avantage est-il exclusivement reservé à Lalgebre qui n’employe que des Lettres ? nous repondons qu’il Suffit d’apprendre à se bien servir des elements qui composent notre Langue, et il ne faut pour cela, que se bien fixer sur la signification des termes, et Connoitre les regles de leurs Com­binaisons. on a vû que la Question qui vient d’etre resolue, en raisonnant avec des Lettres et des Chiffres, l’avoit deja été aussi clairement par des raisonnements en Langage ordinaire. à l’appuy de cette verité, nous allons encore presenter pour exemple, la solution de cette grande question : Sça­voir si le corps est Capable de Penser.









autre Exemple de cette ve­rité.

 

80. en faisant L’analyse de l’entendement |[359] nous avons Trouvé, (1. Tr. 52.) que toutes les operations du Principe qui pense, ne Sont que la Sensation Transformée, et en recherchant les idées dont les Corps Sont immediatement L’occassion, nous avons Vû qu’elles Se Lioient toutes à L’idée de L’etendue ; (ib. 159.) nous pouvons donc dire que L’ame est une Substance qui sent ; et le Corps, une Substance Etendue. ainsy, pour prouver que le Corps peut penser, il faudroit faire voir qu’il y a de L’iden­tité entre Substance qui Sent, et Substance Etendue ; d’où il Suit que, pour prouver que le corps, Substance etendue, ne sçauroit etre capable de Pen­ser, il Suffit de demontrer que l’ame, Substance qui pense, ne sçauroit etre etendue.

   

L’etat de la question est donc etabli par cette derniere proposition ; et l’on voit que les verités connues y sont : Substance qui Pense, et Sub­stance Etendue : L’incompatibilité entre etre Etendu, et avoir la Faculté de penser, est l’inconnue |[360] qu’on cherche ; et voici le raisonnement qui doit la faire trouver.

Dire qu’une Substance Pense, c’est dire qu’elle Raisonne, qu’elle Juge, qu’elle compare &.a

Dire qu’elle Compare, c’est dire qu’elle a deux Sensations à la Fois.

Dire qu’elle a deux Sensations à la fois, c’est dire que deux Sensations se reunissent en elle.

Dire que deux Sensations Se Reunissent dans une Substance, c’est dire qu’elles se Reunissent ou dans une Substance qui est une proprement et qui n’est pas composée de parties ; ou dans une substance qui n’est une qu’improprement, et qui, dans le Vrai, est Composée de parties qui Sont, chacune, tout autant de Substances : C’est ainsy que le Corps est un.

Dire que deux Sensations Se reunissent dans une Substance qui est une Proprement, c’est dire qu’elles Se Reunissent dans une substance Simple, dans une Substance inetendue ; et dans ce Cas, L’identité est demontrée entre la substance qui Compare, et la substance inetendue. voyons le Second Cas.

|[361] Dire que deux Sensations se Reunissent dans une Substance com­posée de parties, C’est dire qu’elles se Reunissent dans une même partie, ou dans deux parties differentes : ce qui presente encore deux cas diffe­rents.

Dire que deux sensations se reunissent dans une même partie, C’est dire qu’elles Se reunissent dans une Partie qui est une Proprement, ou dans une partie composée de plusieurs autres : telles que le sont toutes celles du corps dont chacune est composée de deux moitiés, et chaque moitié de deux autres.

Dire que deux Sensations se reunissent dans une partie qui est une proprement, C’est dire qu’elles Se Reunissent dans une Substance simple, ce qui demontre encore L’identité entre la substance qui Pense, et la Substance inetendue.

Dire que deux Sensations se reunissent dans une Partie composée de plusieurs autres, C’est encore dire, ou qu’elles se se reunissent dans une Partie Simple, ou que l’une est dans une de ces parties, et l’autre, dans une autre partie, et ce cas est le même que celui qui nous restoit à Con­siderer.

|[362] Dire que ?? /de/ deux Sensations, L’une est dans une partie, et l’autre dans une autre Partie, C’est dire que L’une est dans une Substance, et l’autre dans une autre Substance.

Dire que L’une est dans une Substance, et l’autre, dans une autre Substance, c’est dire qu’elles ne Se Reunissent pas dans une même Substance.

Dire qu’elles ne Se Reunissent pas dans une même Substance, cest dire, qu’une même substance ne les a pas en même Temps.

Dire qu’une même substance ne les a pas en même Temps, c’est dire qu’elle ne peut pas les Comparer.

Dire qu’elle ne peut pas les comparer, cest dire qu’elle ne peut pas Penser.

il est donc demontré que la faculté de penser appartient à la Substance qui est une proprement, et qu’en même Temps, elle ne sçauroit Convenir à la Substance qui est Composée de parties, composées à leur Tour d’autres parties, C. à. d. au corps qui n’est un qu’improprement ; et l’on voit que, si dans le raisonnem.t qui nous |[363] a Conduits à ce resultat, L’identité d’un Jugement à l’autre S’apperçoit moins Facilement, que Si l’on Raisonnoit en Langage Algebrique, elle n’en est pas moins sensible, pour Peu qu’on Soit Attentif.


Demonstrations

 

81. Comme la perception claire et distincte de L’identité qui est entre deux idées, produit L’evidence des Jugements, (36.) de même aussi L’identité clairement apperçue entre les Jugements successifs qui forment les Raisonnements, Constitue l’evidence de ceux-Ci ; et Lorsqu’ils presentent ce Caractere, on les Appelle demonstrations, C. à. d. donc qu’une demonstration est une suite de propositions, où les mêmes idées passant de L’une à l’autre, ne different que par l’expression ; et où L’identité qui ne s’apperçoit pas entre deux propositions eloignées, quand on passe par dessus les intermediaires, est néanmoins sensible, lorsqu’on Va immediatement d’une proposition à une autre, et c’est ainsy que l’evi­dence passe avec l’identité.

il faut observer que la Perception de L’identité |[364] Peut etre ou ac­tuelle, ou Simplement retracée : On n’a pas Constament presente la Suite des propositions qui ont Concouru à La demonstration d’une autre ; mais on Peut se Souvenir de l’avoir parcourue ; et dans ce Cas, pourvu toute fois qu’on Puisse compter Sur Sa mêmoire, on peut employer dans le Raisonnement, comme Certaines, toutes les propositions dont on Se Souvient d’avoir apperçu L’identité, Lorsqu’on s’etoit particulierem.t occupé d’elles.

   

 

 

   

Chapitre 2.e

Du Raisonnement quant à la Forme.

 
   

82. après avoir Vû, dans le chapitre precedent, que, dans toutes Sortes de Sujets, C’est L’identité qui Fait la force des demonstrations ; et que par Consequent la forme est ce dont on doit s’embarrasser le moins, il nous reste à faire Voir Combien les anciens Logiciens avoient méconnu cette derniere verité ; Et pour cela |[365] nous allons donner une notice de la Maniere dont ils traitoient cette partie de l’art de penser.

L’identité a Tou­jours été re­gar­dée comme la Base du Rai­sonne­ment

 

« Pour Juger, disoit-on, si l’idée, A, exclut ou renferme l’idée B, prenez une Troisieme idée, C, à laquelle vous comparerez successivement les deux Premieres : Si l’idée, A, est renfermée, dans l’idée, C, et que celle-ci le soit à son tour, dans l’idée B, Concluez que l’idée A, est renfermée dans l’idée, B ; mais, si l’idée C, renferme l’idée A, et qu’elle exclûe l’idée B, concluez que A exclut B. »

Tout cela est appuyé ?? sur ce que deux choses egales à une troisieme, Sont egales entr’elles ; ainsy chés les anciens, comme chés les modernes, c’est L’identité qui sert de base au Raisonnement ; mais les premiers avoient surchargé ce principe d’un Tas de regles qui ne pouvoient qu’in­utile­ment fatiguer les meilleurs esprits ; et c’est ce que Les Modernes veulent Sagement eviter.


trois Propo­si­tions cons­tituent le rai­sonnement quant à sa Forme.

 

|[366] 83. La Forme que, d’après ce qui vient d’etre dit, on crut devoir etre la plus Propre au raisonnement, fut de combiner trois Propositions de telle maniere que, dans les deux premieres, on Comparât à une Troisieme idée, celles dont on vouloit demontrer l’identité ; ?? /Ces deux idées for­moient la/ matiere de la Proposition à prouver, qui, devenant la troisieme /ou derniere/ du raisonnement, etoit appellée Conclusion, ou Con­sequence, et enonçoit le rapport apperçu entre les deux idées comparées à une troisieme dans les deux premieres Propositions ; ainsy vouloit-on prouver que les Voleurs meritent d’etre Punis ? on comparoit suc­ces­sivem.t les deux idées, Voleurs /et/ meritent d’etre Punis, à L’idée, mechants, qui, de l’aveu de ceux à qui l’on parle, est identique avec ce qui est en question, et qui de plus renferme dans son extension, tous les individus dont se compose l’idée moins Générale exprimée par le mot, Voleurs. Exemple.

Les Mechants meritent d’etre Punis ;
or les voleurs sont mechants ;
donc les voleurs meritent d’etre Punis.


Trois Termes sont nécés­saires à cette Forme.

 

|[367] 84. L’idée qui est le Sujet de la Proposition à Prouver, C. à. d. de La Conclusion, Se nomme le Petit Terme ; celle qui en est l’attribut, est appellée grand Terme ; et enfin L’idée à laquelle on Compare ces deux Là, pour en faire voir L’identité, Se nomme le moyen Terme. ainsy, dans l’exemple Cité, Voleurs est le petit Terme, meritent d’etre punis est le grand, ainsy nommé ; parce quil peut Se dire d’un plus grand nombre d’individus que le petit : et enfin le mot Mechants, est le moyen Terme.



nom des trois
Propõons










syllogisme

 

85. Le Raisonnement, ainsy construit et enoncé, ne renfermant que trois idées, et etant Composé de trois propositions, il faut que chacun des Termes soit repeté deux fois, C. à. d. que deux d’entr’eux se trouvent dans chacune des trois propositions dont les deux premieres, d’abord, appellées ensemble prémisses, parce qu’elles sont Mises avant la Con­clusion, ont encore chacune[e] un nom particulier, pris de l’un des Termes qu’elles renferment : celle où le grand Terme est comparé au moyen, s’appelle Majeure ; et l’on nomme Mineure, celle où le petit Terme est Comparé à ce |[368] même moyen : ainsy, dans l’exemple ci dessus, (84.) Les mechants Meritent…est la majeure ; et : or les vo­leurs… la Mineure. cependant Pour appliquer ces denominations, on n’a ordinairement egard qu’à la place qu’occupent ces deux Propositions, Et en Consequence la premiere enoncée s’appelle Majeure, soit qu’elle ren­ferme le grand Terme, ou non, et alors la Seconde se nomme Toujours Mineure. Enfin les Raisonnements presentés sous cette Forme, C. à. d. ayant une majeure, une Mineure et une Conclusion, s’appellent Syllo­gismes.


raisons qui ont Fait multiplier les Regles du Rai­sonnement

 

86. L’art du Raisonnement s’est trouvé, d’après ces Principes, unique­ment basé sur l’extension plus ou moins grande des Propositions. Or les propositions pouvant etre distinguées à cet egard par l’expression, et celle-ci etant quelque chose de plus Sensible, que les idées en Soi, toute la sagacité des Dialecticiens se tourna dès le Commencement, vers la recherche des Caracteres qui, dans la forme, pouvoient faire Connoitre la nature des idées dont elle etoit le Signe. Mais la Subtilité des sophistes s’etant aussitost exercée à repandre la Confusion dans ces formes, en variant de mille manieres |[369] leurs Combinaisons, il Fallut multiplier les Regles ; ce qui herissa La Sçience de Minuties, en rendit l’etude très Penible, et fit enfin que plusieurs choses y furent appellées de difficiles Bagatelles, (difficiles Nugœ) reproche qui Trop bien motivé, discredita dans la Logique, Ce qu’elle avoit même de plus Essentiel.


le but unique de ces regles est d’amener une conclusion bien deduite des pré­misses vraies ou Fausses.

 

87. avant de donner L’apperçu de ces regles, nous devons observer que leur But unique est d’amener une Conclusion qui soit nécéssairement deduite des prémisses, quelles quelles soient ; Ensorte qu’on fait entiere­ment abstraction de la verité ou de la Fausseté de ces deux propositions, Majeure et mineure : d’où il arrive qu’une Conclusion fausse, est souvent une proposition vraie, et reciproquement ; ainsy dans ce Syllogisme :

le Triangle est un Quarré
or tout quarré a quatre Cotés ;
donc le Triangle a quatre Cotes [sic].

La derniere proposition est Fausse, comme Proposition ; mais elle est Juste, Comme Conclusion. dans cet autre au Contraire.

un Lion n’est pas un homme ;
un aigle n’est pas un homme ;
donc un Lion n’est pas un aigle.

La derniere proposition vraie, comme proposition, |[370] est Fausse comme Conclusion. voici maintenant le sommaire des regles Syllo­gistiques.

1.re Regle

 
 

88. Regle I. le Terme moyen doit etre pris universellem.t, C’est à dire, dans toute L’etendue de sa Signification, une fois au moins.

Ce Terme en effet doit etre comparé à celui qui fait le sujet de la Pro­position à prouver, C. à. d., de la Conclusion ; il doit donc le Renfermer dans Son extension ; or n’etant Pris que ce Terme moyen /n’etant Pris que/ particuliere­ment, C. à. d. selon une partie de Son extension, il Peut se faire que cette partie ne soit pas celle à laquelle repond l’autre Terme que celui-Là doit renfermer : on ne Pourra par Consequent en rien Con­clure, au moins nécéssairement ; et c’est ce quil Faut cependant Pour que le Syllogisme soit bon : (sup.) ainsy le Suivant Sera mauvais.

Quelque Citoyen est honnête homme.
quelque Citoyen est voleur ;
donc quelque voleur est honnête homme.

Le Terme moyen qui est le mot, Citoyen, etant pris, chacune des deux fois qu’il est repeté, selon une partie differente de sa signification, C. à. d. etant employé sous deux divers rapports, il ne peut pas Faire que le Grand et le petit Terme qui ne S’identifient chacun avec lui, que sous un rapport different, soient en tout |[371] identifiés entr’eux. Sur quoi il Faut observer qu’etant ainsy pris selon deux parties differentes de sa Signifi­cation, le moyen Equivaut à deux Termes, et que par Consequent il y en a quatre alors, dans le Syllogisme, ce qui est en Contradiction avec le prin­cipe fondamental de l’art Syllogistique. (83.–84.)

 

 

 

|[372]

Suite de la Logique.

 

Cas où la Con­clusion est Vraie, quoi­que cette Regle n’ait pas été ob­ser­vée

 

|[373] 89. quoique, dans L’exemple ci dessus, la Conclusion Soit evi­dement fausse, il ne S’ensuit pas qu’on ne puisse faire des Syllogismes de la même espece, où elle soit vraie, ainsy que les prémisses, mais cela n’empeche point que ces Syllogismes ne soient mauvais ; Parce qu’ainsy qu’on l’a dit, cette Conclusion ne Se deduit pas nécéssairement des Pré­misses : (88.) si elle est vraie ce n’est que par accident, et non point en vertu de sa Liaison avec ces prémisses. exemple :

Quelqu’homme est Savant
quelqu’homme est Riche ;
donc quelque Riche est savant.

Toutes les propositions de ce Syllogisme sont vraies ; mais on voit que, d’après l’explication, de la premiere regle, la Conclusion n’est pas nécés­sairement Liée aux prémisses.

Remarque sur la 1.re Regle

 

90. cette 1.re Regle voulant que le moyen soit pris universellement au moins une fois ; n’empeche pas qu’il ne soit pris particulierem.t une autre : aussi le syllogisme suivant |[374] est-il bon.

Quelques riches sont Sots :
Or tous les riches sont honorés ;
donc quelques sots sont honorés.


2.me Regle.

 

91. Regle II. Le Petit et le grand Terme qui Sont La matiere de la Con­clusion, et qui entrent aussi dans les prémisses, (86.) ne doivent pas etre pris plus universellement dans celle-là, que dans celles-ci.

Le Particulier ne peut pas en effet Contenir le général : de ce que quel­ques hommes sont noirs, il n’est pas permis de Conclure que tous le soient.

3.e Regle

 

94. Regle III. on ne peut rien Conclure de deux propositions negatives.

1.o on n’en peut pas Tirer une Conclusion negative ; car de ce que Pierre n’est pas Riche, par exemple, il ne s’ensuit point qu’il n’ait pas de l’es­prit, de la sagesse &.a

2.o on En peut tirer tout aussi peu une Conclusion affirmative ; car de ce que Jean n’est pas riche, il ne s’ensuit point qu’il soit savant.

4.e...

 

|[375] 95. Regle IV. de deux propositions affirmatives on ne peut pas deduire une Conclusion negative.

Car de ce que les deux Termes de la Conclusion sont unis à un Troisieme, il ne S’ensuit pas qu’il y ait incompatibilité entr’eux : C’est tout le Contraire.

5.e...

 

96. Regle V. La Conclusion suit toujours la plus Foible partie, C. à. d. qu’elle doit etre negative ou particuliere, Si L’une des Prémisses est L’un ou L’autre.

1.o Lorsqu’en effet L’une des prémisses est negative, le moyen S’iden­tifie avec L’un des Termes de la Conclusion, et il est incompatible avec l’autre ; ces deux Termes ne peuvent donc pas Former une proposition affirmative.

2.o devant etre Contenue dans les prémisses, la Conclusion ne sçauroit avoir une plus grande etendue qu’elles : Or, si elle etoit universelle, Lors­que l’une des Prémisses est particuliere, elle auroit plus d’etendue que ce qui doit la Contenir, ce qui ne peut pas etre.

|[376] d’où il Suit qu’une proposition qui Conclut le général, conclut le particulier ; Tandis qu’au Contraire en Concluant le particulier, on ne Conclut pas le général : Si tous les hommes sont Sujets à L’erreur, Pierre l’est aussi ; mais de ce que Pierre est riche, il ne S’ensuit pas que tous les hommes le Soient.

6.e

 

97. Regle VI. on ne peut rien Conclure de deux propositions parti­culieres.

une Proposition particuliere ne se rapportant qu’à quelques objets parti­culiers, ne peut pas Contenir une Conclusion qui differe d’elle : de ce que Pierre est Sçavant, et Paul riche, il ne sauroit s’ensuivre que Jean soit L’un ou l’autre.

98. après avoir etabli ces regles, les Logiciens chercherent à rendre leur usage plus facile ; et ne voulant, comme on a pû l’observer, que Sur la maniere dont quatre especes de Propositions Peuvent etre Combinées trois à Trois, il |[377] ne fallut que determiner par des Caracteres Tech­niques, chacune des formes qui pouvoient resulter de ces Combinaisons.

A, E, I, O, Signes des pro­positions qui com­posent le syllogisme.

 

Dans cette vûe, on designa par les lettres A, E, I O, les quatre especes de propositions qu’on avoit à Combiner. A fut le Signe des propositions générales affirmatives ; E, celui des Propositions générales negatives ; I, celui des propositions particulieres affirmatives ; enfin, O, celui des propositions Particulieres Negatives : et l’on exprima la Valeur de ces Signes, par les deux vers Latins suivants.

Asserit A, negat E, Verum generaliter ambo.
Asserit I, negat O, sed particulariter ambo.

Combinaisons qui peuvent etre Faites des 4 esp. de propo­sitions qui peuvent en­trer dans le syllog.

 

99. des principes que donnent les mathematiques Sur les Combinaisons, il resulte que celles qu’on peut Faire avec quatre lettres trois à trois, S’elevent à soixante quatre, C. à. d. au euble du Nombre de ces lettres. mais, comme parmi ces Combinaisons, il y en a qui, dans le cas Present, doivent amener des |[378] Resultats nécéssairement Contraires à quel­qu’une des Six regles etablies, (Tel que le Seroit, par exemple, à la 1.re Regle, celui de la Combinaison III, designant trois propositions parti­culieres, (Sup.) après les avoir toutes Confrontées à ces regles, on trouva que, Sur soixante quatre, il n’y en avoit que dix-neuf, qui produississent des Syllogismes Concluants.



Signes de ces Combinaisons

 

100. Le nombre des formes ainsy reduit, on S’occupa du moyen de le faire facilement retenir, pour cela on fit dix neuf mots dont chacun Con­tient les trois Voyelles d’une des Combinaisons; (quelques uns ont plus de trois voyelles; mais /on/ n’a egard qu’aux trois premieres) et, avec Ces mots ainsy Construits, on fit les quatre vers Suivants qui n’ont aucun sens, et dans lesquels on ne doit Considerer que les Combinaisons des quatre Lettres A, E, I O,

Barbara celarent Darii ferio Baraliptune
Celantes dabitis fapesmo frisesomurum
Cesare Camestres festino Baroco Darapti
Felapton Disamis datisi Bocardo ferison.



Clef des signes

 

|[379] 101. Pour Trouver la Clef de cet Enigmatique quatrain, il Suffit de se rappeller que chacune des trois premieres Voyelles de chaque mot designe une proposition générale ou particuliere affirmative ou negative ; et qu’en Combinant ces propositions Comme les lettres qui en sont le Signe, on fait un Syllogisme Concluant ou en forme. ainsy veut-on construire un Syllogisme en Baroco ? on n’a qu’à Considerer que, les trois voyelles de ce mot etant disposées en cet ordre : A, O, O, il Faut que la premiere proposition soit générale affirmative ; la Seconde, Parti­culiere negative ; et la troisieme, comme la seconde ; (97.) exemple.

A Tout homme Sage est Respectable.
O. or Quelque françois n’est pas respectable,
O, donc quelque françois n’est pas homme sage.


inutilité et diffi­culté de L’art syllogis­tique

 

102. il Suffit de ce Leger apperçu, pour Juger Combien autrefois l’art de raisonner etoit herissé de details ; Combien par Consequent il devoit etre Penible de bien Connoitre cette partie de la Logique ; Combien enfin il y avoit |[380] d’inutilités dans cette methode. et l’on doit S’etonner qu’après avoir Reconnu que L’identité etoit le seul et vrai Caractere de la Justesse des raisonnements, on n’eût pas Elagué depuis longtemps toutes ces Superfetations qui faisoient de la Logique, une Sçience de mots.







facilité de sup­pléér ses Ca­rac­teres tech­niques par un seul signe Al­ge­brique.

 

Si n’ayant egard, Comme il convient, qu’à ce qui est representé par les signes, on se rappelle toujours qu’un Raisonnement ne peut Jamais bien Conclure, qu’autant que l’identité Passe d’un Jugement à l’autre, (81.), on n’aura besoin d’aucune des Regles dont nous venons de parler, pour S’assurer de l’exactitude ou de la fausseté d’un Syllogisme quelconque, et si, dans l’examen de ses propositions, on vouloit employer quelque carac­tere Qui rendit L’identité plus sensible, on pourroit traiter le Raisonnem.t comme les Equations (49.) le signe Algebrique (=) remplaceroit dans la proposition, le mot qui Lie l’attribut |[381] au sujet : prenons ce syllo­gisme pour Exemple

Tout vice est meprisable.
or tout mensonge est un Vice ;
donc tout mensonge est meprisable.

Je n’ai que faire de revenir sur les regles, pour m’assurer que ce Syllogisme est Concluant ; parce quil est en Barbara il suffit que, Connoissant la signification des mots, Je voie que la proposition à prouver, et celles qui servent à le faire, sont Liées par Lidentité qui est entr’elles ; et Je m’en assure en la Traduisant comme il suit :

Vice = meprisable.
Mensonge = vice (qui = meprisable).
donc mensonge = Meprisable.

il en seroit de même, s’il Sagissoit de s’assurer de la fausseté des raisonnements : ainsy pour Juger que le syllogisme qui est à la suite de la 1.re regle, est absurde, (89.) Je n’aurois qu’à fixer le sens des mots : Quelque Citoyen ; et comme je verrois que ces mots ne designent pas un /même/ individu, dans les deux propositions, J’aurois en Traduisant.

|[382] Quelque Citoyen = honnête homme ;
Quelqu’autre Citoyen = Voleur :
donc voleur n’egale pas honnête homme.

Cela est aussi Sensible aux yeux, qu’au bon Sens ; et de tout ceci nous pouvons encore Conclure avec autant de Certitude, quil y en a dans cette consequence, que l’art syllogistique est aussi difficile, qu’inutile.

   

 

 

   

Chapitre 3.me

des Differentes especes de raisonnements ou d’arguments.

 



maniere dont on usoit du syllo­gisme dans les anciennes Ecoles.

 

103. Le Syllogisme est celui de tous les Raisonnements qui est le plus usité, celui auquel tous les autres se rapportent, Comme des especes à leur Genre ; mais, l’ayant deja fait Connoitre dans le Chapitre precedant, il ne nous reste qu’à indiquer La maniere dont on L’employoit autrefois dans les disputes scientifiques ?? /que, dans les Ecoles, on/ appelloit argumen­tations. le repondant commençoit par repeter le plus exactement possible, le syllogisme qu’avoit Fait son adv.re : reprenant |[383] ensuite chacune des Prémisses en particulier, il convenoit de leur verité, ce quil exprimoit en disant : J’accorde la majeureLa Mineure : ou bien il pretendoit qu’elles etoient Fausses ; et alors il disoit : Je Nie la majeurela mineure ; et il en donnoit la raison. passant enfin à la Conclusion, il la nioit, lorsque l’une des prémisses etoit fausse ; mais il falloit l’accorder, quand les prémisses etoient toutes deux vraies ; et alors c’etoit s’avoûer vaincu, et rendre les armes ; à moins qu’on ne pût faire voir que L’argu­ment n’etoit pas en forme, moyen extreme que la politesse reprouvoit ; parce qu’en l’employant, on accusoit L’adv.re d’ignorer les premieres principes de L’art dans ce genre d’escrime.


distinction des propositions

 

Pouvant arriver que l’une des prémisses soit vraie à certains egards, et fausse à certains autres, il arrive par Là même que la Consequence est L’un et l’autre en divers Sens, ainsy au lieu |[384] de Nier ou d’accorder absolument dans Ces occassions, on distinguoit la prémisse et la Con­sequence. Voici un exemple de ce cas, dans le raisonnement d’un homme qui voudroit prouver que, dans un Jour Brumeux, les Cadrans solaires doivent marquer les heures.

Les Cadrans solaires marquent l’heure, lorsque le soleil est sur notre horizon :
Or le soleil est actuellement sur notre horizon,
donc les Cadrans solaires marquent actuellement L’heure.

après avoir repeté ce syllogisme en entier, le repondant reprendroit de cette maniere.

Les Cadrans salaires [sic] … lorsque le soleil… et que des nuages n’interceptent pas ses rayons ; J’accorde La majeure… Lorsque le soleil… et que ses rayons sont interceptés par des nuages : Je nie la majeure.

Or Le soleil est actuellement Sur notre horizon : J’accorde la mineure.

Donc les Cadrans solaires… actuellem.t que le Ciel est Couvert de nuages epais ; Je Nie la Consequence.




Enthymême

 

|[385] 104. Passons maintenant aux diverses especes de Raisonnement ; on en distingue quatre, outre le Syllogisme : L’enthymême, le Dilemme, le sorite et Linduction.

L’enthymême est un syllogisme imparfait dans l’expression ; parce qu’on y supprime L’une des prémisses, Comme etant si facile à suppléér, qu’il seroit inutile et ennuyeux de l’enoncer. par exemple.

La Vertu nous rend heureux ;
donc il Faut aimer la Vertu.

il est visible que la majeure a été supprimée dans ce Raisonnement, et qu’en L’enonçant, on auroit ce Syllogisme :

il Faut aimer ce qui nous rend heureux ;
Or La vertu nous rend heureux ;
donc il faut aimer la Vertu.

Dilemme.

 
 

105. le Dilemme est un raisonnement composé, dans lequel on divise un tout en ses parties, pour conclure du tout ce qu’on a conclu de chacune des Parties ; C’est pour cela qu’on l’avoit appellé argument fourchu, c. à. d., qui frappe des |[386] deux cotés.


sa regle

 

La grande et unique Regle du Dilemme est que le tout soit tellement divisé, qu’aucune de ses parties ne soit oubliée : la Conclusion en est fausse, lorsque le denombrement est imparfait : telle seroit celle qui assureroit qu’une chose est douce, parce qu’elle n’est ni salée ni aigre : elle peut etre amere.





Comment on le retorque

 

Un Philosophe pretendant qu’il ne falloit pas se marier, faisoit ce dilemme, pour soutenir son sentiment : ou la femme que l’on êpouse est belle, ou elle est Laide : si elle est Belle, elle causera de la Jalousie ; si elle est Laide /elle/ deplaira ; mais on refuta cet etrange raisonnement, en faisant voir que la division n’etoit pas exacte ; et qu’ensuite la Conclusion relative à chaque Partie, n’en etoit pas nécéssairement deduite. en effet il peut y avoir des femmes dont la figure et les formes soient Telles, qu’elles peuvent ne causer ni du dégoût, ni de la Jalousie ; en second Lieu une femme peut reunir à une grande beauté, une vertu si solide, qu’on soit entierement garanti des |[387] Craintes que pourroit inspirer la premiere, Par la Confiance que donne L’autre ; et enfin une femme sans beauté, peut avoir un esprit et un Caractere si aimables, qu’elle plaise beaucoup plus par ces avantages permanents, quelle ne le feroit par des charmes passagers.

il faut eviter avec grand soin, dans le dilemme, que l’adv.re ne puisse tourner Contre vous l’argument que vous dirigiez Contre lui. un ancien Voulant prouver quil falloit s’eloigner des charges publiques, faisoit ce Dilemme :

En prenant quelqu’une de ces charges, il doit arriver qu’on s’y conduise bien ou mal ;
si L’on S’y conduit bien, on déplait aux hommes :
si l’on s’y Conduit Mal, on Déplait aux Dieux.

Mais, outre qu’il est aisé de faire voir qu’on peut se bien conduire, sans deplaire aux hommes ; puisqu’il Suffit pour cela de Montrer de la con­descendance et de la bonté, on retorqua L’argument |[388] de cette maniere.

Si L’on se Conduit mal, on plait aux hommes ;
si l’on se Conduit bien, on plaira aux Dieux.

C’est à dire que, de quelque maniere qu’on agisse, on est Toujours assuré de recueillir quelqu’avantage ; et c’est ainsy qu’on fit voir à ce Raisonneur que, de ses principes, il s’ensuivoit très naturellement une Consequence qu’il ne pouvoit pas avoûer. mais il faut donner l’exemple d’un bon dilemme, et nous allons prendre celui par lequel on refute le pyrrhonisme. les partisans de cette opinion, s’il en existe encore, soutiennent qu’on n’a aucune Connoissance certaine ; et on leur dit :

Vous qui soutenez quil n’y a aucune Connoissance certaine, ou vous sçavez ce que vous dites, ou vous ne le sçavez pas.

Si vous ne sçavez pas ce que vous dites, Pourquoi l’assurez-vous ?

si vous sçavez ce que vous dites, vous sçavez donc quelque chose, C. à. d. que vous ne sçavez rien.

sorite.

 

106. le sorite est un[e] espece de |[389] raisonnement Composé d’une ?? suite de propositions, dont l’attribut de chacune est expliqué par celle qui la Suit, Jusqu’à ce qu’on arrive à la Consequence que l’on veut tirer ; ainsy pour Prouver que les avares sont miserables on dira :

Les avares sont pleins de desirs ;
ceux qui sont pleins de desirs manquent de beaucoup de choses ;
ceux qui manquent de beaucoup de choses sont miserables ;
donc les avares sont miserables.


sa regle.

 

Pour que le sorite soit concluant, il est essentiel que les propositions soient Tellement Liées, que le second membre de chacune soit le premier de celle qui la Suit. sans cette Liaison intime, le Sorite ne seroit qu’un tissu de propositions incoherentes, dont aucune ne contiendroit la con­clusion : Tel est le suivant attribué /à/ Cyrano de Bergerac qui, pour prou­ver qu’il etoit le plus bel homme du monde ?? disoit :

|[390] L’Europe est la plus belle partie du monde,
la france est le plus beau pays de L’Europe
Paris est la plus belle ville de france.
le College de Beauvais est le plus beau College de Paris
Ma Chambre est la plus [belle] chambre du College de Beauvais.
Je suis le plus bel homme de ma chambre,
donc je suis le plus bel homme du monde.



induction

 

107. L’induction est une espece de raisonnement par lequel on va, de la Connoissance de plusieurs choses particulieres, à la Connoissance d’une verité générale. C’est ainsy Qu’après avoir observé le même Phenomene dans plusieurs individus d’une même espece, on conclut que ce Pheno­mene doit etre commun à tous. pour que L’induction Soit concluante, il faut que L’ennumeration des Parties du tout auquel on veut appliquer L’induction, ait été exactement faite. C’est pour n’avoir pas suivi cette regle, que les voyageurs ont |[391] souvent si mal determiné le Caractere des nations dont ils nous parlent : un Anglais accusa, dès son arrivée à Calais, toutes les femmes de france, d’etre acariatres ; parce que celles de l’auberge où il descendit, lui parurent l’etre.

   

 

 

   

Chapitre 4.e

Des sophismes et des Paralogismes.

 

sophisme et Paralogisme

 

108. le sophisme et le paralogisme sont des raisonnements faux ; mais qui paroissent ne pas l’etre : ils different l’un de l’autre, en ce que le premier prend Sa source dans l’esprit de chicanne et de mauvaise foi, Tandis que le second naît de L’irreflexion ou de L’ignorance. on peut s’aider utilement des observations suivantes, pour se garantir soi-même, de l’un, et pour dejoûer les perfides subtilités de l’autre.


avis Généraux pour eviter d’en etre dupe.

 

1.o il ne faut Jamais adopter un Jugement qu’on ne soit assuré ?? /auparavant/ de la bonté des motifs qui ont dû Lui servir de base ; ainsy par exemple, on doit Refuser sa croyance à un fait |[392] ancien, à moins que Lhistorien qui le rapporte, ne Cite en même Temps, le Temoignage des auteurs Contemporains ; et ce Temoignage est Lui-même sujet à examen.

2.o Ce qui est Vrai d’une idée, ne l’etant pas de l’autre, il faut dans la suite d’un raisonnement, Conserver Toujours les mêmes idées ; ainsy L’on doit soigneusement observer si ceux à qui nous parlons, ont les mêmes idées, que nous, et s’ils attribuent aux mots, le sens que nous leur donnons : en Convenant de leur signif.on, on previent de grands incon­venients.

3.o Les Passions etant comme des verres Colorés qui font voir les objets differents de ce qu’ils sont, il faut se defier d’elles, si L’on veut Juger sainement.


differentes es­peces de so­phisme

 

4.o Les prejugés, C. à. d., les Jugements adoptés sans examen, sont une autre source d’erreurs, dont il faut aussi se garantir, pour Raisonner & agir sagement. nous allons maintenant indiquer les differentes especes de sophismes.

   

|[393] 109. [I.] Ambiguité de Termes ou Equivoque. Exemple :



1.re espece am­bi­guité des Termes.

 

il y a dans le Ciel une Constellation qui est Lion :
Or le Lion Rugit :
donc il y a dans le Ciel une Constellation qui Rugit.

L’ambiguité du mot Lion, pris en deux sens differents, fait qu’il y a quatre Termes dans ce Syllogisme qui par consequent ne peut qu’etre faux. (89.) il en est de même dans les deux exemples Suivants.

   

le Rat ronge ;
or le rat est une syllabe ;
donc une syllabe ronge.

Pierre est Bon.
or Pierre est Peintre
donc Pierre est un bon peintre

2.e Petition de p̃ pe

 

110. II. La petition de Principe. ce sophisme a Lieu, Lorsqu’on repond à une question par des termes qui, quoique differents, equivalent Néan­moins à ceux de la question. dans le malade imaginaire, on demande pourquoy l’opium fait dormir ; et l’on repond que c’est, parce qu’il à une Vertu dormitive. celui qui fait la question, Sçait bien que l’opium a une vertu dormitive ; mais il demande Pourquoi il a cette vertu ; et on lui repond |[394] Cela même qui est en question.

3.e Supposer vrai ce qui est Faux

 

111. III. Supposer vrai ce qui est faux.un Charlatan du dix septieme siecle, montroit de ville en ville, un Jeune homme qui, disoit-il, avoit une dent d’or. Les Philosophes de ce Temps Là, supposant le fait vrai, firent des dissertations savantes, pour prouver que la matiere avoit pû s’arranger dans cette dent, Comme elle s’arrange dans les Mines ; mais un Chiru[r]­gien moins credule, examina le Phenomene, et decouvrit quil n’y avoit qu’une Feuille d’or, dont on avoit adroitement envelloppé la dent : Cet exemple fait Voir qu’avant de s’occuper de l’explication d’un pheno­mene, il faut s’assurer de son existence.

4.e prendre pour cause ce qui ne l’est pas

 

112. IV.Prendre pour Cause, ce qui ne l’est pas. la Source de ce sophisme est dans L’amour propre de L’homme qui, pour ne pas etre forcé d’avoûer son ignorance, prend pour cause de certains effets, des choses qui n’ont Pas avec eux le plus petit rapport.

|[395] une Revolution Politique, ou une [] ont Suivi L’apparition d’une Comete : et l’on attribue ces accidents à L’influence de ce Corps Celeste. dèsque les Poulets sacrés n’ont pas voulu manger, dit un Consul Romain, la veille d’une bataille, qu’on les Jette dans la mer pour les faire boire : les Romains furent battus, et ils attribuerent leur defaitte au mepris Sacrilege qu’on avoit Fait des auspices. les anciens Physiciens qui n’avoient pas soupçonné la Pesanteur de l’air, assuroient de bonne foi, que l’ascension de fluides etoit l’Effet de l’horreur qu’ils Supposoient à la Nature pour le Vide. les Joueurs se persuadent Souvent que les personnes qui sont à leur Coté, leur portent bonheur, ou qu’elles sont la Cause de leur malheur. dans toutes Ces Circonstances, on prend pour Cause ce qui ne l’est pas ; et l’on sent qu’il est moins honteux de convenir qu’on ne sçait pas à quelle cause rapporter Tel ou Tel Fait, que d’embrasser des Opinions ridicules.

5.e denombrem.t imparfait

 

113. V. Denombrement imparfait |[396] on Tombe dans ce Sophisme, lorsque Connoissant quelques unes des manieres dont une chose se fait, on croit qu’elle ne peut avoir lieu d’aucune autre : C’est par une Suite de cette Erreur, qu’on decidoit autrefois que les Antipodes etoient im­possibles ; et decider ainsy, c’etoit ressembler à un aveugle qui nous refuseroit une Cinquieme espece de sensations, parce qu’il n’en Connoit que quatre.


6.e induction de­fec­tueuse

 

114. VI. induction defectueuse. ce sophisme ressemble beaucoup au precedent : il vient de ce qu’on ne fait pas un denombrement exact, lorsque de l’examen des choses particulieres on veut passer à une Con­sequence Générale. (106.) tel est le suivant : Les françois sont blancs, les anglais sont blancs, les allemands sont blancs ; donc tous les hommes sont blancs.

7.e passer de ce qui n’est vrai qu’à cer­tains egards, à ce qui l’est à tous.

 

115. VII. Passer de ce qui est vrai à certains egards, à ce qui l’est sous tous les rapports. de ce que les historiens Romains ont ecrit quelques faits fabuleux, il seroit |[397] déraisonnable d’en Conclure que tout ce qu’ils ont ecrit est faux. le 3.me Syllogisme rapporté n.o 108 peut encore servir ici dexemple : en disant que Pierre est bon peintre, parce que dans la Verité Societé il se distingue par sa bonté, c’est passer de ce qui n’est vrai, qu’à un seul egard, à ce qui l’est à plusieurs.


8.e Juger des choses par ce  qui ne leur est qu’acci­dentel

 

116. VIII. Juger des Choses par ce qui ne leur est qu’accidentel. L’Emetique mal appliqué produit de mauvais effets ; donc il faut le pro­scrire : voila un exemple de ce sophisme qui est très ordinaire dans les Temps de revolution : C’est alors qu’il arrive souvent que les uns prennent L’abus pour la chose ; que d’autres n’aiment de la chose, que ses abus ; qu’on Juge des Conseils par les evenements ; que ceux qui ont pris les Resolutions les plus sages qu’il etoit possible de prendre dans les Circonstances, sont rendus responsables de ce qu’il en est resulté de facheux ; quoique Ce ne soit que l’effet de hazard, |[398] ou de la mal­veillance de ceux qui ont des interets particuliers ; ou enfin de quel­qu’accident qu’il n’etoit pas permis de prevoir. il semble qu’alors on ne mette aucune difference entre heureux et sage, ni entre malheureux et Coupable ; il a reussi, dit-on, donc il a raison ; ses Combinaisons ont mal Tourné, donc il a Tort : cest ainsy que Raisonnoient les Carthaginois, Lorsqu’ils crucifioient leurs généraux, parce qu’ils avoient été battus ; et nous disons cependant que cetoit Là une barbare atrocité.

9.e passer du sens divisé au sens com­posé et re­ci­proquem.t

 

117. IX. Passer du sens divisé au sens Composé et reciproquement, on dit d’une chose, qu’on la prend dans le Sens divisé, lorsqu’on Considere quelques unes de ses manieres d’etre, comme separées des autres ; et qu’au Contraire, on la prend dans le sens Composé, lorsque ses manieres d’etre sont considerées reunies. or il n’est pas etonnant que, Sous ce double point de vûe, ce qui est vrai de l’un soit faux de l’autre. Si sur |[399] quatre aveugles à qui l’on a abaissé La Cataracte, il n’y en a que deux de Gueris, on pourra dire de ceux-ci : Ces aveugles voient, et des autres : ces Aveugles ne voient pas ; et ces propositions seront egalement Vraies ; parce qu’elles sont en divers sens : celle qui Se Rapporte aux aveugles gueris, est dans le sens divisé ; ces aveugles separés ou divisés de leur Cecité, voient ; celle au Contraire où il s’agit des aveugles non Gueris, est dans le sens composé : ces aveugles qui sont un Composé des manieres d’etre qui leur sont Communes avec les deux autres, et de la Cecité qui n’est demeurée qu’en eux, ne voient pas.

Passer dans La suite du même raisonnem.t, d’un de ces sens à L’autre, c’est tomber dans le sophisme dont nous parlons ; et cela est très ordinaire dans les Jugements qu’on porte sur la Conduite des hommes : on les Considere selon quelques unes de leurs bonnes ou mauvaises qualités, sans avoir egard |[400] aux autres, ce qui est le Sens divisé ; et l’on Juge qu’ils feront telle ou telle chose que cependant il[s] ne font pas ; Parce que les qualités auxquelles on n’a pas eû egard, les entrainent dans le Contraire de ce qui auroit été une suite naturelle des premieres ; si elles avoient été separées ou divisées de celles dont on n’a pas tenu compte, quoiqu’elles fissent partie de la Composition de L’individu qu’on avoit en Vûe.

10.e passer du sens collectif, au sens dis­tri­butif et re­ci­proquement

 

118. [X.] Passer du sens collectif, au sens distributif, et reciproque­ment : Exemples

L’homme Pense
or L’homme est composé de corps et d’ame ;
donc le corps et L’ame pensent.

L’homme pense selon une de ses parties, C. à. d. dans le sens distri­butif ; mais L’homme ne pense pas dans le sens Collectif, C. à. d. selon toutes ses parties.

Les Decemvirs etoient dix.
or appius etoit Decemvir,
dont [sic] appius etoit Dix.

|[401] Les Decemvirs etoient Dix Collectivement, C. à. d. pris tous en­semble ; mais non pas distributivement C. à. d. pris chacun Separé­ment ; ainsy appius etoit distributivement l’un des Decemvirs, et non tous en­semble, ou Collectivem.t.

11.e passer d’un autre [genre ou ordre] à L’autre

 

119. XI. Passer d’un Genre ou d’un ordre, à L’autre. ce Sophisme a Lieu 1.o Lorsqu’on Passe de l’ordre metaphysique à L’ordre Physique. quand quelqu’un dit : J’ai Lidée d’un arbre, d’une Pierre &.a, le mot J’ai, est pris dans un sens bien different de celui qu’il a, Lorsqu’on dit : J’ai un Ecu, un Livre, &.a ; et ceux qui croiroient qu’à Cause de L’identité du Son, on a une idée, Comme L’on a un Ecu, passeroient, relativem.t à ce mot, de l’ordre Metaphysique, à L’ordre physique.

quoiqu’il paroisse ici ridicule, ce sophisme ne laisse pas cependant d’etre assès ord.re. on y Tombe, en fait de logique, lorsqu’on fait les questions Suivantes ; et on les a très souvent entendu faire : que de­viennent les idées dont on Cesse de s’occuper ?se Conservent-elles ? d’où reviennent-elles ? |[402] Lorsquelles Se representent à Nous ? Est Ce dans L’ame qu’elles existent, pendant les Longs intervalles où nous ny pensons point ? Est ce dans le Corps ? tout cela suppose, comme on le voit, que les idées sont regardées Comme des provisions materielles, qui se Conservent dans des magazins. et il est aussi peu raisonnable de faire de pareilles questions, qu’il le seroit de demander Ce que devient la ron­deur d’un Corps, lorsqu’il prend une nouvelle Figure ; où elle se Con­serve, et d’où elle revient, lorsque le Corps reprend cette premiere Forme. Les idées sont des manieres d’etre de L’ame. elles n’existent que tant qu’elles se modifient ; ainsy chercher dans L’ame, celles auxquelles elle ne pense point, c’est les chercher où elles ne sont plus ; et les cher­cher dans le Corps, C’est les chercher où elles n’ont Jamais été, et où elles ne peuvent Jamais etre. où Sont-elles donc ? dans l’endroit où sont les sons d’un Clavecin qui Cesse de Resonner, quel c’est à dire quelles ne sont nulle part, dèsque L’ame Cesse d’y penser ; mais elles se Retra­ceront, |[403] Comme Se reproduiront les Sons du Clavecin, Lorsque Les mouvements propres à les reproduire les unes et les autres, se renou­velleront dans L’homme et dans L’instrument.

Le Sophisme dont nous parlons a lieu encore, Lorsque ne voyant pas la Cause naturelle d’un effet, on en imagine quelqu’une de surnaturelle : C’est pour Cela que les Danseurs de Corde, les Joueurs de Marionnettes et de Gobelets, ont souvent passé pour Sorciers, parmi le Peuple toujours aussi avide de merveilleux, qu’incapable de reflexion et d’examen. L’ignorance de la Physique, Jointe au penchant qui porte le général des hommes à regarder L’indetermination ou le doute, Comme une honte qu’ils redoutent encore plus que l’Erreur, a été dans tous les temps, la cause du Sophisme dont il s’agit : tout phenomene dont on n’a pû rendre raison ; a été attribué aux esprits follets ou aux Revenants ; et de Là |[404] Ces Codes de Sorcellerie, dont les fripons adroits, font encore au­jourd’huy un Commerce aussi Lucratif, qu’il est infame.

12.e Passer
du pouvoir à L’acte.

 

120. XII. Passer du pouvoir à L’acte. on Tombe dans cette espece de Sophisme, Lorsqu’on conclut une action, du pouvoir qu’on a eû de la faire.

13.e Cercle vicieux

 

121. XIII. Cercle vicieux. ce sophisme a Lieu, Lorsque, pour prouver une chose Qui est en question, on se sert d’une Autre chose qui ne peut elle-même etre prouvée, que par la premiere ; c’est ainsy qu’en ont usé ces metaphysiciens qui prouvent l’existence de Dieu par celle des Crea­tures, et ensuite, L’existence des Creatures par celle de Dieu.

Telles sont les principales especes de sophisme : le peu que nous en avons dit, suffit pour vous apprendre à démasquer L’erreur qui s’y Cache, et à vous en garantir.