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Deuxième Partie. du Jugement

 
Table des matières

 

1.re Partie. 1.er Traité

1.re Section. Chap. 1-6

1.re Section. Chap. 7-11

2.me Section. Chap. 1-4

2.me Section. Chap. 5-8

Introduction

 

2.me Traité. Logique

1.re Partie

2.me Partie

3.e Partie

4.e Partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2.me Partie.

du Jugement.

 

 

 

Le Jugement pouvant etre consideré, comme L’idée, ou en tant qu’il n’est encore que dans L’esprit, ou entant quil est exprimé par la parole, nous renfermerons dans deux chapitres, les observations relatives à ce double point de Vûe ; et nous reunirons dans un Troisieme, celles qui traitent de la maniere de Conduire L’attention et la reflexion, Soit Rela­tivement aux idées, soit par rapport aux Jugements.

   

 

 

   

Chapitre 1.er

Du Jugement consideré en tant qu’il n’est que dans L’esprit.

 

Jugement

rapport d’iden­tité ou de non-iden­tité

 

34. le Jugement est la ?? perception |[307] d’un rapport entre deux idées que l’on Compare ; (1. tr. 6.) et Ce rapport Consiste dans la ressemblance ou La dissemblance, ou bien dans L’identité ou La non-identité qu’on apperçoit dans les deux idées Comparées, C. à. d. qu’en les comparant, on voit que L’une est ou n’est pas la même chose que l’autre. Et c’est ce que signifient les mots identique et identité, non-identique et non-identité. C’est ainsy qu’en Comparant Successivement, Sous les rapports des Couleurs, les idées de Cygne et de Corbeau à Lidée de blanc, le rapport apperçu est L’identité ou La ressemblance, d’un coté, et la dissemblance ou la non-identité, de L’autre. C’est ainsy encore qu’en Comparant 4 + 3 à 7, on apperçoit que ces deux quantités sont identiques, c. à. d. La même Chose ; et qu’en comparant 4 + 2. à 7. on voit quil n’y a plus d’identité.








Affirmation





Elle ne differe pas du Juge­ment

 

35. le rapport apperçu entre deux idées que l’on Compare, peut etre Consideré de deux manieres, ou dans la Perception que nous en avons, ou dans les idées comparées : dans ce Second Cas, on se represente les Choses comme |[308] existantes independament de notre perception ; et alors, en reprenant lexemple ci dessus, le Jugement ne Consiste pas Seulement à appercevoir dans le cygne, L’idée de Blancheur, mais à assurer encore que la blancheur appartient rééllement au Cygne. Le Jugement dans ce cas, devient affirmation : ces deux operations ne Sont cependant pas essentiellement differentes. en effet les idées Sur lesquelles roule le Jugement, etant Simultanées dans l’esprit, et ne pouvant etre presentées dans l’ordre Successif, que par le moyen des Signes Arti­ficiels, il arriveroit que si l’on n’avoit pas ce Secours, on ne pourroit pas considerer les idées Separément et chacune en elle-même ; le Jugement ne seroit Jamais par Consequent alors, qu’une Perception. Ce n’est donc que l’usage des Signes, qui en fait une affirmation ; mais on ne peut pas dire que la Circonstance de ces Signes change la nature de l’acte produit par L’esprit, avant |[309] leur intervention : le Jugement proprement dit, et L’affirmation, sont toujours perception de rapports ; mais ces rapports ne Sont qu’apperçus dans L’un, et ils Sont prononcés, dans l’autre. nous reviendrons sur cette difference Lorsqu’il Sagira du Jugement enoncé.

Evidence





Certitude

 

36. le rapport qui Lie deux idées, peut etre apperçu de maniere à laisser des doutes, ou à les exclure : dans le dernier cas, C. à. d., Lorsqu’on apperçoit Clairement L’identité entre les deux idées Comparées, on dit qu’on a L’evidence ; L’evidence est donc Caracterisée par ce degré de Lumiere, qui montre distinctement l’objet de la Perception : dèsque cette Lumiere brille, on est Convaincu ; et cette conviction Produite par l’evi­dence, s’appelle Certitude.





Evidence de rai­son, de fait et de senti­ment

 

on distingue autant d’especes d’Evidence, qu’il y a d’especes d’objets Sur lesquels peut Tomber la perception ; or la Perception peut avoir pour objet, ou le rapport qui Lie deux idées, Comme dans ce cas ci, ou les dif­ferents etats de L’ame, ou enfin les apparences |[310] que Presentent les Corps. nous distinguerons donc trois Sortes d’evidence : Evidence de Rai­son, et c’est celle dont il vient d’etre parlé, C. à. d. la perception claire et distincte de Lidentité ou de la non-identité des idées que l’on Compare ; L’evidence de fait, et Levidence de Sentiment.



Observations sur l’existence des Faits.

 

37. on appelle Fait toutes les Choses qui s’apperçoivent dans les Corps, Soit que ces Choses existent telles qu’elles nous Paroissent, Soit qu’il n’y ait que des apparences produites par des proprietés qui nous sont in­con­nus. il faut se rappeller que nous ne Connoissons les corps, que par les rapports quils ont à nous, C. à. d. par leurs proprietés relatives ; et que nous ignorons leur nature ou leurs proprietés absolues, C. à. d. que nous ne Sçavons pas Pourquoi ils nous paroissent Tels qu’ils se montrent ; ainsy, quoique nous ne sachions pas Pourquoi les corps nous paroissent etendus et Colorés, c’est un fait qu’ils sont L’un et L’autre ; parce quils nous Paroissent Tels, c’est à dire, que cest Sous ces rapports, qu’ils nous sont Connus.

|[311] Mais, puisque nos Connoissances ne peuvent rouler que Sur ces rapports ; cest donc Sur eux aussi que peut tomber L’Evidence de fait, or on a cette Evidence, toutes les fois qu’on S’assure des Faits par Sa propre observation ; ainsy, pour tout homme qui n’est point aveugle, c’est une evidence de fait, que le Soleil L’eclaire, pendant tout le Temps qu’il est Sur L’horizon.

Quoique L’evidence de fait ne puisse point avoir pour objet, les pro­prietés Absolues, des corps, on auroit Tort de Conclure qu’elle les exclut : elle les Suppose au Contraire, comme l’effet Suppose la Cause : dèsquil y a des apparences, il y a Nécéssairem.t quelque chose qui les produit. (1. tr. 181.)


Le Temoignage d’autrui sup­plée l’evidence de fait

 

38. Lorsqu’on ne les a pas observés Soi-même, on Juge des faits par le Temoignage d’autrui ; et ce Temoignage supplée plus ou moins à l’evi­dence ; ainsy, quoique Je n’aie pas été à Rome, Je n’ai garde de douter de l’existence de cette ville ; mais Je puis avoir des doutes très Fondés, sur ce qu’on dit de |[312] L’Epoque et des Circonstances de sa fondation. parmi les faits dont nous Jugeons d’après le Temoignage d’autrui, il y en a donc qui sont Comme Evidents, et d’autres qui Sont fort douteux : la tradition qui Transmet ceux-ci, est plus ou moins certaine, Suivant la nature des faits, le Caractere des Temoins, L’uniformité des rapports, et L’accord de Circonstances ; mais les principes à Suivre, pour Juger de ces faits, etant du ressort de L’histoire, nous ne pouvons ici, qu’en recom­mander L’Etude.

on n’a pas l’evi­dence de Sen­ti­ment toutes les Fois qu’on croit l’avoir.

 

39. L’evidence de Sentiment est la Conscience de ce que L’ame eprouve, C. à. d. de ses Sensations et de son existence. il est impossible d’avoir une Perception, qu’on ne Sente qu’on l’a, et l’on ne peut avoir Conscience de cette perception, qu’on ne Sente en même temps, que l’on existe.

Cependant, et parce que l’on ne remarque pas Toujours tous ce qui est dans les sensations, (1. tr. 71.) il doit arriver qu’on n’a pas L’evidence de Sentiment toutes les fois qu’on croit l’avoir. L’erreur peut venir à cet egard, ou de ce que nous laissons echapper une partie de ce |[313] qui Se passe en nous ; ou de ce que nous Supposons en nous ce qui n’y est pas ; ou enfin de ce que nous nous deguisons Ce qui S’y trouve.

1.o parce qu’on n’ap­per­çoit pas tout ce qui se passe en Soi.

 

Nous Laissons echapper une partie de ce qui Se passe en nous : chaque instant de la Vie nous presente une preuve de cette assertion. vous voyez une Pierre près de tomber Sur vous ; et aussitost vous faites un mouve­ment, pour l’eviter. Ce mouvement est l’effet, non pas de la Vûe de la pierre, mais d’une idée de douleur qu’elle reveille ; et Cependant le sen­timent de cette idée ne se Laisse pas remarquer. en lisant ce paragraphe, vous avez le sentiment des lettres et des mots qui le Composent ; et vous ne le remarquez point. Enfin nous voyons chaque Jour, que, dans les par­ties et les passions, les hommes sont poussés par des motifs qu’ils Croient cependant n’avoir aucune part à leurs determinations.

2.o par[ce] qu’on Suppose en soi ce qui n’y est pas.

 

Nous supposons en nous ce qui n’y est point. en effet, puisque dans les Passions, nous ignorons les vrais motifs qui nous determinent ; il faut nécéssairement que nous en supposions qui n’existent pas. L’imagination doit |[314] sans doute agir alors, ainsy que dans d’autres Circonstances ; et Comme, entre imaginer et Sentir, il y a beaucoup de ressemblance, (ib. 20.) on croit Facilement ce qu’on imagine devoir etre : on le sent.

Si L’on demande à un homme pourquoi, en Se promenant, il a passé par une Telle allée, plustost que par Telle autre qui est Semblable à la pre­miere, il pourra repondre qu’etant Libre de choisir, il a preferé l’une des allées à L’autre, parce quil la voulu ; Cependant il est possible que cet homme se Soit Laissé aller aussi nécéssairement, qu’un etre qui Seroit poussé par une force etrangere, mais ayant le Sentiment habituel de Sa Liberté, il L’etend à toutes Ses actions, C. à. d. que Comme il Sent quil agit Souvent avec Liberté, il croit Sentir quil en est Toujours de même.

un manchot a le Sentiment de la main qu’il a perdue ; et cest à celle qu’il rapporte la douleur qu’il eprouve : il pretendroit l’avoir encore, et s’en croire assuré avec Evidence, si le Souvenir toujours present de l’operation qu’il a Subie, ne prevenoit cette Erreur.


3.o parce qu’on Se de­guise ce qui est en Soi.

 

|[315] Enfin nous nous deguisons ce qui est en nous ; on prend par exemple, pour naturel ce qui n’est qu’habitude, et pour inné ce qui est acquis. (1. tr. 97.) cette troisieme meprise est même la Cause des deux premieres ; car nous deguiser ce qui est en nous, C’est ne pas voir Ce qui S’y Trouve, et voir ce qui n’y est pas.

il Suit de tout cela, que, pour avoir L’evidence de Sentiment, il Faut Sça­voir depouiller L’ame de tout ce qu’elle a acquis, pour ne pas Confondre ce qui n’est qu’habitude, avec ce qui est naturel. Or le discernement né­céssaire pour eviter la Confusion de ces deux choses, n’etant pas donné à tout le monde, il est très ordinaire, ainsy que nous l’avons deja dit, qu’on n’ait pas l’evidence de sentiment, toutes les fois qu’on croit L’avoir.

il arrive quel­que­fois qu’on ne peut avoir au­cune des Trois especes devi­dence.









on Juge alors par analogie

 

40. il arrive quelquefois qu’on ne peut avoir ni aucune des trois especes d’evidence dont nous venons de parler, ni les suppléér par le Temoignage d’autrui ; Cependant on Juge encore alors, en employant un moyen, qui, sans produire la Certitude de Levidence, permet néanmoins de ne pas |[316] demeurer dans le doute.

Après avoir observé que, par exemple, J’ai des organes Semblables aux vôtres, et qu’en consequence de L’impression des objets, J’agis Comme vous, dans les mêmes Circonstances, vous Jugez que J’ai des Sensations, parce que vous en avez vous-même ; (ib. 213.) vous n’avez cependant à cet egard aucune des trois evidences : vous n’avez pas d’abord levidence de fait ; puisque vous ne pouvez pas observer mes sensations ; vous n’avez pas non plus L’evidence de sentiment puisqu’il n’y a que moi qui sente Ce qui Se passe dans mon ame ; vous n’avez pas enfin L’evidence de Raison ; Puisque vous ne sçauriez appercevoir aucun rapport entre deux idées dont L’une n’a Jamais été qu’en moi. mais, parce que vous observez en moi des faits ou des Phenomenes qui sont aussi en vous, vous Jugez que ces Phenomenes supposent en moi, une cause Semblable à celle par laquelle vous Sçavez qu’ils sont produits en vous. Or remarquer ainsy des rapports de ressemblance entre des faits qu’on observe, et s’assurer par là de quelque chose qui ne peut s’observer, est ce qu’on appelle Juger par analogie.

|[317] L’analogie qu’on dit etre à l’observation Ce que le Telescope est à L’œil, est donc la ressemblance qu’on apperçoit entre deux choses, Sous certains de leurs rapports, mais ressemblance telle, que, des rap­ports Connus, on peut en Conclure d’autres qui ne peuvent pas etre ob­servés. C’est ainsy qu’après avoir apperçu plusieurs rapports de ressem­blance bien Certains entre la Terre et les planettes, on a attribué à la Pre­miere une double revolution qu’il est impossible d’y observer, mais qu’on voit dans les dernieres.

analogie fon­dée sur des rapports de ressemblance foible

 

41. on distingue dans Lanalogie, differents degrés, suivant qu’elle est fondée sur des rapports de ressemblance, ou sur des rapports des moyens à la fin ; ou enfin sur des rapports des causes aux effets, et des effets aux Causes. la terre est habitée ; or elle ressemble aux Planettes ; celles-ci sont donc habitées comme elle. Ce raisonnement, fondé sur une analogie qui l’est elle-même sur des rapports de ressemblance, a Servi de Base à L’ingenieux ouvrage de fontenelle, sur la Pluralité des mondes.


fondée sur des rap­ports des moyens à la Fin, elle a plus de force

 

Si la Terre a une double revolution, c’est |[318] afin que toutes Ses par­ties soient successivement eclairées et Echauffées, deux moyens nécés­saires à la Conservation de ses habitants ; or toutes les Planettes sont Sujettes à cette double revolution ; elles ont donc aussi des habitants à Conserver ; Cette nouvelle analogie, fondée Sur les rapports des moyens à la fin, a plus de force que la premiere ; mais moins cependant que celle qui est fondée sur les rapports des Causes aux effets, et des effets aux causes : Or Voici des exemples de cette Troisieme espece d’analogie.


Fondée sur des rap­ports, des Causes aux effets et reci­pro­que­ment plus forte que la Pre­cedente.

 

années, saisons, Jours, sont des effets que nous observons dans la Terre ; et nous observons dans les Planettes, des revolutions autour du Soleil, avec un mouvement de rotation sur elles-mêmes. Or de ces deux choses, il doit resulter pour les planettes, des Periodes correspondantes à nos années nos Saisons et nos Jours. des causes, nous Sommes descendus aux Effets, maintenant il nous Faut remonter des effets, aux Causes ; et voici la maniere dont on s’y prend.

Les Effets : Années, saisons et Jours dans les Planettes, Sont parfaite­ment semblables |[319] à ce que nous observons dans la Terre ; or, dans les Planettes, ces Effets ont pour cause un Mouvement de rotations et une Revolution autour du Soleil ; donc ces mêmes Effets doivent, dans la Terre, etre produits par la même Cause.

cette analogie equi­vaut à L’evi­dence, lorsquelle est Sou­tenue par le con­cours de toutes les Cir­con­stances.

 

42. Cette analogie est celle qui a le plus de force ; et Lorsqu’elle est Soutenue par le Concours de toutes les Circonstances, elle acquiert un degré des Certitudes, qui equivaut à L’evidence elle-même. quand on Juge d’une cause par un effet qui ne peut etre produit que d’une seule maniere, on a L’evidence de raison : on auroit, dans ce cas ci, cette espece devidence, si les effets observés dans la terre ne pouvoient etre produits que par son Mouvement ; mais, Comme ils pourroient l’etre egalement par les revolutions du soleil, il faut, pour s’assurer de celles attribuées à la Terre, quelque nouvelle Analogie.

Or cette analogie existe en effet : il est reconnu que les planettes mettent plus ou moins de Temps à faire leurs revolutions au tour du Soleil, à mesure qu’elles sont plus ou moins près de celui-ci ; et ces rapports entre les distances et les Temps des revolutions, Sont Soumis et Conformes à la |[320] Rigueur du Calcul. Or Les moyens du Calcul S’appliquant exacte­ment à la terre, dans la Supposition de Son mouvement, et rien n’autho­risant à Supposer que la Terre fait exception à une loi qui S’appuye egale­ment Sur L’observation et le Calcul, toutes les Circonstances Concourent à Confirmer les precedentes analogies ; et l’on ne doute plus que la Terre ne tourne, comme les planettes, autour du Soleil.

Les Jugements analogiques sont les Seuls qu’on puisse porter dans [?les usages ordi­naires de
la vie]

 

43. Telle est La maniere dont deviennent Certains, Les Jugements ana­logiques, les seuls qu’il nous Soit permis de porter dans les usages ordi­naire[s] de la Vie, et de la Certitude desquels nous Sommes forcés de nous contenter, Sous peine d’etre les plus malheureux des Etres, Sous peine même de mourir. Nous ne Jugeons des qualités bienfaisantes des Substances nutritives, que par la ressemblance qu’a chacun des corps dont nous usons, avec ceux où nous avons deja trouvé ses qualités ; C. à. d. que nous n’en Jugeons que par analogie ; si nous refusions donc de Suivre cet unique flambeau, nous aurions sans cesse La Frayeur de trouver un Poison à la place d’un aliment Salubre ; Et nous mourrions de faim, de peur de mourir empoisonnés.

3 especes de Certitude

 

44. Pouvant Se rapporter à ce qui est l’objet |[321] ou de L’evidence de raison, ou de L’evidence de fait, ou aux Jugements analogiques que, d’après ce qui se passe en nous, nous portons Sur ce qui se passe dans l’ame des autres, la certitude prend differents noms, à raison de ces trois points de Vûe Sous lesquels on la Considere.






Metaphysique ou Mathema­tique

 

Lorsqu’elle est l’effet de L’evidence de raison, La Certitude S’appelle Metaphysique ou Mathematique, et elle exclut la possibilité de toute Erreur. cette espece d’evidence en effet consiste dans la perception claire et distincte de L’identité entre deux idées Comparées. Or il n’est rien dont L’entendement puisse etre plus assuré, que de la presence de ses propres idées et des rapports qu’elles ont entr’elles. aucune Erreur ne peut donc intervenir en cela, que dans le seul Cas où l’esprit voudroit s’occuper de la Cause de ses idées et de la nature des objets qu’elles Lui representent : alors il Tomberoit dans les Tenebres ; parce qu’en L’assurant de la realité et de la diversité de Ses perceptions, le sentiment intime ne peut point L’assurer que ce qui se montre comme La Cause ou L’objet de ses perceptions, soit en Lui-même ce qu’il paroit etre. |[322] Mais cette incursion de L’esprit Sur les Causes de Ses perceptions, est un acte absolument etranger à La Comparaison qu’il en Fait ; et, S’il Se trompe d’un Coté, ce n’est pas à dire qu’il puisse aussi se tromper de L’autre.La Certitude qu’on a dans ce Cas, s’appelle Metaphysique ou Mathema­tique parce qu’elle ne roule que Sur des idées, dans lesquelles on Fait abstraction de ce qui en est loccassion : Telles Sont les idées de nombres, de Lignes et de Surfaces, objet des Mathematiques.

Physique.

 

Lorsque la Certitude vient de Levidence de fait, elle s’appelle Phy­sique ; parce que Son objet depend uniquement alors des loix relatives aux corps. pour Supposer une erreur dans ce Genre de certitude, il fau­droit que L’ordre Physique fût momentaném.t Troublé. Un Corps qui n’est pas soutenu Tombera ; le Soleil sera sur Lequateur, au premier Vendemiaire ; Les marées pendant ce mois Là, seront plus fortes que dans celui-ci. tous les Phenomenes de cette espece en un mot, Sont des Verités sur lesquelles on a une certitude Physique.

Morale.

 

La Certitude S’appelle Morale enfin, Lorsqu’elle Se rapporte aux Juge­ments que nous Portons des actions des autres, en nous |[323] dirigeant par les regles de L’analogie : nous sommes Moralement assurés, par exemple, que Tel fonctionnaire dont nous Connoissons la probité, Sera inaccessible à la Corruption des Presents ; qu’une mere irritée contre un fils unique, se Laissera flechir &.a cette espece de certitude S’appelle morale ; parce que Son objet Se rapporte à L’ordre Moral.

Conjectures

 

45. il est rare qu’on arrive tout d’un coup à L’evidence ; mais, d’après des verités Connues, on en Soupçonne d’autres ; et ces Soupçons S’appellent Conjectures : ils sont fondés Sur des Circonstances qui in­diquent Plustost le Vraisemblable, que le vrai ; et ils frayent la route des decouvertes, en faisant observer ce qui doit etre remarqué.




Foibles.

 

46. Les Conjectures Sont dans le plus foible degré, lorsqu’on n’assure une chose que parce qu’on ne voit pas pourquoi elle ne seroit pas. Cette maniere de raisonner fut la cause de l’erreur qui supposa que les orbites des Planettes etoient des cercles Parfaits. L’observation a prouvé depuis que ces corps parcouroient des Courbes differentes ; mais, parce que dans le moment où l’on fit ces Suppositions, on n’avoit pas des Raisons pour les rejetter, |[324] on les adopta, et L’erreur avec Elles. en pareille circonstance, il faut Suspendre tout Jugement, et chercher à faire des observations et des experiences.


Fortes.

 

47. Les Conjectures ont un plus grand degré de force, Lorsque, Sup­posant que la nature agit toujours par les moyens les plus simples, on prefere entre plusieurs, celui qu’on imagine etre Tel. cette supposition est Vraie en Général ; mais il est rare qu’on puisse L’appliquer : il faudroit en effet pour cela, qu’on Pût Connoitre avec certitude, tous les moyens par lesquels une chose peut etre produite ; et que l’on fût capable de Juger de leur simplicité : or qui peut se flatter de remplir ces deux conditions !



Probabilités

 

48. d’après ce qui vient d’etre dit des Conjectures, et ce qui l’a été plus haut des analogies, on voit que les unes et les autres peuvent etre Con­sideré[e]s comme autant d’echelons ou de degrés par lesquels on monte à la Certitude : Or ces degrés sont ce qu’on appelle probabilités. Les Ma­thematiciens ont soumis les probabilités aux loix du Calcul ; et leurs Theories |[325] dans ce Genre, forment une Espece d’Arithmetique qu’on peut appeller [?olilique].

   

 

 

   

Chapitre 2.me

Du Jugement exprimé par la Parole.

 

Proposition

 

49. Le Jugement exprimé par des Signes, est ce qu’on nomme Proposition, Enonciation ou equation : Demosthene est orateur, x. = 4., voila deux propositions, mais celles qui sont de l’espece de la derniere, s’appellent proprement equations.

parties Con­sti­tu­tives de la pro­po­sition

 

50. Etant l’expression d’un Jugement, la proposition doit etre composée d’au moins trois mots : deux d’entr’eux sont les signes des deux idées Comparées, et le troisieme exprime L’operation, par laquelle l’esprit apperçoit L’identité de ces deux idées Demosthene et x, d’un coté, ora­teur et 4 de l’autre, sont, dans les propositions ci dessus, les signes des deux idées Comparées dans Chacune. les mots, Est et Egale, expriment L’identité apperçue entre les deux idées de chaque proposition.



sujet, attribut, verbe

 

|[326] 51. le signe qui, dans chaque proposition, represente L’idée pour laquelle on veut en trouver une autre qui Lui soit identique, S’appelle Sujet : Demosthene et x. sont les Sujets, dans les propositions citées en exemple. le mot, signe de L’idée dans laquelle se trouve cette identité avec la premiere, S’appelle attribut : orateur et 4 sont les attributs des propositions ci dessus. Enfin le mot qui designe L’identité apperçue entre les deux idées comparées, S’appelle Lien ou Verbe : est et egale sont les Liens ou les verbes des deux propositions citées.

Toute proposition est donc composée d’un sujet, d’un verbe et d’un at­tribut. elle renferme par consequent trois mots, ou en realité ou en equi­valent : le seul mot Latin, Loquitur, est une proposition ; parce qu’il equi­vaut à ces trois ci : il est parlant : comme les deux mots françois, il Parle, sont aussi une proposition ; parce qu’ils Equivalent aux trois ci dessus.

52. Nous avons dit (35.) que, quand |[327] les rapports apperçus entre les idées comparées, venoient à etre exprimés, le Jugement etoit une affir­mation ; C. à. d. qu’au lieu d’appercevoir Simplement l’identité entre les idées, on assuroit l’existence apperçue de cette identité, ce qui emporte que l’attribut existe dans le Sujet ; Ensorte qu’en disant, par exemple, que le Cygne est blanc, nous affirmons que la blancheur existe en effet avec les autres qualités qui Constituent le Cygne.




Le verbe marque une affirmation dans les pro­põons même negatives

 
 

Le mot chargé de designer cette existence, ou plustost la Co-existence de l’attribut et du Sujet, marque donc en même Temps l’affirmation de cette Co-existence. mais, comme il ne se trouve pas de L’identité entre les idées de toutes les Comparaisons ; qu’on y trouve souvent au contraire de L’incompatibilité ; et que néanmoins le Jugement prononcé emporte tou­jours une affirmation, puisqu’il faut exprimer le rapport apperçu, le mot chargé de faire connoitre |[328] ce rapport, affirme dans ce Cas, L’incompatibilité de L’attribut avec le sujet, C. à. d. leur non Co-existence, et alors la proposition s’appelle negative. Telle est celle-ci : le Corbeau n’est pas blanc. par la raison Contraire, on nomme affirmative, la Pro­position qui affirme la Co-existence de L’attribut avec le Sujet, comme le fait la Suivante : le Cygne est Blanc. d’où l’on voit que L’affirmation Convient Egalement à ces deux especes de propositions, et que leur difference caracteristique resulte uniquement de l’objet de cette affir­mation, qui, dans l’une, est la Co-existence, et l’incompatibilité ou la non Co-existence, dans l’autre.

differentes Especes de proposition

 

53. les deux especes de propositions dont nous venons de parler, ne sont pas les seules que l’on distingue : il en est un grand Nombre d’autres ; mais nous ne Ferons Connoitre que celles qu’on ne doit pas ignorer.



Générales, in­dividuelles et particulieres

 

|[329] À raison de la nature des idées qui forment leur Sujet, les pro­positions Se divisent en Générales ou universelles, individuelles et par­ticulieres : une proposition est Générale, lorsque son sujet est une idée générale : Telles sont celles-ci : Tous les corps sont etendus = tous les hommes sont sujets à L’erreur. une proposition est individuelle, lorsque Son sujet est L’idée d’un seul ou de plusieurs individus determinés : exemples : Caton etoit austere = Neron et tibere etoient sanguinaires. enfin une proposition est particuliere, lorsqu’elle a pour sujet l’idée d’un nombre indeterminé d’individus : Telle est celle-ci : quelques Jeunes Gens sont studieux.

autre Notion de la prop.on Gé­né­rale

 

54. La notion que nous venons de donner de la proposition générale, n’est pas exactement Conforme à celle qu’en donnent les anciennes lo­giques, où la proposition individuelle est confondue avec la Générale, Parce que, dans toutes les deux, le |[330] Mot exprimant le Sujet, Se prend egalement dans toute Son etendue, et que, dans ces divisions, on avoit eû plus d’egard à la forme, qu’au fonds des idées.


diverses es­peces de Pro­positions gé­né­rales ou uni­verselles : metaphysiques, Physiques, mo­rales.

 

55. on distingue deux especes de propositions universelles : L’une Metaphysique et l’autre Morale. une proposition est metaphysiquement universelle, lorsque ce quelle dit, ne Souffre aucune exception : Telle est celle-ci Tout homme est composé de corps et d’ame. sur quoi il faut ob­server qu’on regarde comme metaphysiquement universelles, les pro­po­sitions qui n’admettent des exceptions, que quand L’ordre de la nature eprouve quelque Variation ; ainsy L’on doit admettre comme universelles metaphysiques les deux propositions Suivantes : les hommes n’ont que deux Bras = tous enoncent leurs pensées par la Parole.

une proposition est moralement universelle, Lorsque, malgré qu’elle semble setendre à tout, elle admet néanmoins de nombreuses exceptions : Telles |[331] sont celles-ci : Toutes les Femmes aiment à parler = tous les Jeunes Gens sont legers.


propõons
s[imp]les et composées.

 

56. à raison de la Multiplicité des idées qui forment le Sujet ou L’attri­but, les Propositions Sont simples ou Composées ; elles Sont Simples, lorsqu’elles n’ont qu’un sujet et un attribut, ou mieux, lorsqu’elles n’ex­priment qu’un seul Jugement : Telle est celle-ci : Cesar Fut un Tyran. elles Sont Composées, lorsqu’elles ont plusieurs Sujets avec un Seul attri­but, ou plusieurs attributs avec un seul Sujet, ou enfin plusieurs sujets et plusieurs attributs tout ensemble : Telles Sont les Suivantes : Lycurgue et Solon furent Legislateurs = sipion fut vaillant et modeste = Socrate et phocion furent vertueux et persecutés. ces propositions s’appellent Com­posées ; parce qu’elles renferment plusieurs Jugements : on en voit deux, dans chacun des deux premiers exemples, et quatre dans le Troisieme.


p̃pales, in­ci­dentes et sub­ordonnées

 

57. à raison du rolle qu’elles Joûent dans les discours, les Propositions sont ou principales, ou incidentes, ou subordonnées : principales, lorsque |[332] C’est à elles que Se rapportent toutes les autres du même discours ; incidentes, lorsquelles ne sont destinées qu’à devellopper, ou à deter­mi­ner La Signification de quelqu’un des Termes de la proposition générale principale ; enfin elles Sont Subordonnées, Lorsqu’elles Servent à devellopper une autre proposition toute entiere. La premiere partie de l’exemple Suivant reunit ces trois especes de propositions.

Après qu’il eut acquis une authorité qui etoit absolument arbitraire, Sylla que la Posterité a diversement Jugé, mena avec Violence, les ro­mains à la Liberté. (mais lexemple de son usurpation entraina « néan­moins la ruine de la republique, Sous auguste, qui, rusé Tyran, Conduisit ses Concitoyens à la Servitude, en ne leur parlant que de Liberté ») (ex­trait de Montesquieu, quant au sens).

Sylla mena les Romains à la Liberté, est une proposition principale ; après quil eut acquis une authorité, est une proposition subordonnée ; qui etoit arbitraire, Est une proposition incidente, determinant la signification du mot |[333] Authorité ; et Enfin, que la Posterité a Jugé, est une autre proposition incidente, mais ne Faisant que devellopper L’idée renfermée dans le mot Sylla.



Caractere dis­tinc­tif de Cha­cune de ces 3 especes de pro­positions

 

58. ces trois especes de propositions devant etre traitées avec etendue, dans la Seconde partie de ce Cours, il suffit d’ajouter ici quelques mots, pour determiner le Caractere distinctif de chacune d’elles. observez donc, lorsque vous trouverez des exemples de ces sortes de propositions, que le Sens est Toujours fini dans la proposition principale ; Ce qui l’accom­pagne, n’y fait que devellopper d’avantage la pensée qu’elle exprime. dans la Proposition Subordonnée au Contraire, le Sens /suppose/ Tou­jours la principale qui peut indifferement la Suivre ou la preceder.

les propositions incidentes different des subordonnées, en ce que celles-ci, ainsy qu’on la dit, sont tantot avant, et tantot après la principale, C. à. d. qu’elles peuvent avoir |[334] deux places, Tandis que les in­cidentes au Contraire, doivent toujours etre à la Suite du mot dont elles develloppent ou determinent L’idée.

propõons com­plexes et in­complexes

 

59. à raison de Lintervention de quelque proposition incidente, ou de quelque mot qui lui est equivalent, les Propositions se divisent en Com­plexes et incomplexes : une proposition est complexe, lorsqu’une pro­position incidente, ou un Equivalent, Se trouve ajoutée à son sujet, ou à son attribut, ou à L’un et à L’autre : exemples : les hommes qui preferent la vertu aux Richesses, meritent l’estime de leurs Concitoyens = les hommes oisifs (equivalent de : qui sont oisifs) sont rarement Vertueux = Denys Tyran de Syracuse, fut maitre d’ecole à Corynthe, à la fin de ses Jours. les propositions incomplexes, sont le Contraire des precedentes.







propõns causales.

 

60. à raison de la nature des rapports qui peuvent se trouver entre les propositions Subordonnées et principales, on pourroit distinguer encore, et l’on |[335] distingue en Effet, plusieurs autres especes de Propositions. Mais trop d’exactitude dans cette Classification, n’etant propre qu’à fa­tiguer inutilement La mêmoire, nous n’indiquerons que deux ou trois de ces especes de propositions. mais il faut observer ?? /auparavant/, que la proposition principale et la Subordonnée, sont Considerées dans ces Cas, comme ne formant ensemble qu’une proposition.

On appelle Causale, la proposition dans laquelle, celle qui est sub­or­donnée, rapporte la Cause d’un fait enoncé par la principale : Exemple : Rome devient esclave, parce qu’elle s’abandonna au Luxe et à la molesse.

propositions con­ditionnelles ou hypothetiques

 

on nomme Conditionnelle, ou hypothetique la proposition dans laquelle on fait dependre un effet d’une Condition : Ex. Si la Republique honore la vertu, elle sera imperissable.

Dans cette espece de propositions, on Appelle antecedent, le membre qui exprime la Condition ; et celui qui Enonce le fait dependant de cette Condition, se nomme Consequent.

|[336] 61. à raison enfin de la Comparaison qu’on en fait entr’elles, les propositions Se divisent en identiques, contraires et Contradictoires.




identiques.

 

Deux propositions sont identiques, Lorsque, malgré la difference de L’expression, elles ont le même Sens : Telles sont les Suivantes : les trois angles d’un Triangle, valent deux angles droits ; les trois angles d’un Triangle valent 180 degrés = L’ame est capable d’etre attentive, de com­parer, de reflechir &.a L’ame est Capable de penser. 3 + 4. = 7 // 14/2 = 21/3.



Contraires

 

Deux propositions sont contraires, lorsque l’une dit tout l’opposé de ce qu’affirme l’autre : Exemple : tous les hommes sont sages = Tous les hommes sont fols. sur quoi il faut observer que deux propositions Con­traires, peuvent etre toutes les deux Fausses. disant en effet, chacune, plus qu’il ne faut pour refuter l’autre, il peut y avoir une proposition vraie, tenant un Juste milieu entre ces deux, et |[337] prouvant à la fois, la fausseté de L’une et de L’autre : Telle seroit celle-ci relativement à l’exemple rapporté plus haut : il n’y a que peu de sages : de la verité de cette proposition, il suit evidement que les hommes ne sont, ni tous sages, ni tous fols.



Contradictoires

 

Deux propositions sont Contradictoires, Lorsque L’une dit uniquement ce quil faut pour rendre l’autre fausse : Exemple : Tous les hommes sont Sages = Quelques hommes sont fols. d’où L’on peut Conclure que deux propositions Contradictoires, ne peuvent pas etre toutes les deux fausses, ni toutes les deux vraies en même temps. s’il est vrai en effet qu’il y ait un homme fol, il sera faux que tous soient sages, et reciproquement, si tous sont sages, il ne peut pas etre vrai que quelques uns soient fols.

   

 

 

   

Chapitre 3.

de L’art de soutenir et de conduire l’attention et la reflexion.

 






l’exactitude des idées et des Juge­ments depend de L’usage bien reglé de l’at­ten­tion et de la re­flexion

 

62. La Logique ne nous donneroit |[338] Pas des instructions Suffi­santes, Sur les idées et les Jugements, Si elle Se bornoit à les classer et à nous en apprendre la nomenclature. pouvant Pecher Les unes et les autres, par un defaut d’exactitude ou de precision, nous devons sçavoir prevenir ou Corriger ce defaut. Or Considerant à cet egard, que nous n’avons des idées, que parce que nous Remarquons nos Sensations, ou que nous sommes attentifs ; que par Consequent nos idées sont plus ou moins precises, à mesure que nous disposons mieux ou moins bien de notre attention ; que, d’un autre coté, les Jugements ne Sçauroient etre exacts, Si les Comparaisons etoient mal faites ; et que celles-ci ne peuvent etre bien faites, qu’avec le Secours de la Reflexion, nous Voyons aussitost que l’exactitude des idées et des Jugements doit dependre né­céssairement de L’usage bien reglé de l’attention et de la Reflexion, et qu’en Consequence il Faut apprendre à disposer de L’une et de l’autre.

de l’exactitude des idées in­tel­lectuelles, de l’ac­ti­vité et de l’ordre de la mê­moire de­pend. l’exac­titude des Juge­ments.

 

63. Toutes nos idées sont intellectuelles ou sensibles ; (9.) et s’il peut arriver, sil arrive même souvent que la reflexion travaille uniquement sur celles de la |[339] premiere espece, il n’arrive Jamais qu’elle soit bornée à celles de la Seconde : nous ne reflechissons, par exemple, à la grandeur d’un corps, que parce que nous la Comparons à celle d’un autre dont L’idée est deposée dans La mêmoire. sur quoi il faut observer que, Si la mêmoire qui conserve les idées intellectuelles, les rappelle trop Lente­ment, il doit arriver que la reflexion Laisse echapper le moment de Juger, ou qu’on Juge avant davoir fait les Comparaisons Nécéssaires. il faut encore observer que, Si, d’un autre Coté, la mêmoire manque d’ordre et de [?nettété], les idées doivent Se presenter comme un tableau Confus où L’on discerne à peine quelques traits ; et que n’etant pas possible alors d’analyser avec exactitude, on ne peut que mal Juger.

il est donc d’une egale importance, et de se faire des idées exactes, et de s’assurer de sa mêmoire ; or, pour cela, il faut d’un coté, donner toute son attention à la Génération des idées, C. à. d. bien |[340] Remarquer toutes celles qui Concourent comme parties à La Composition de l’idée Com­plexe qui represente la Totalité de chaque objet ; Et en second Lieu, exer­cer beaucoup Sa mêmoire.



moyens de regler la réflechion [sic]

 

64. ce double But atteint, il ne Sagit plus que de Sçavoir regler sa re­flexion, c. à. d. de sçavoir La fixer et la Soutenir, Jusqu’à Ce qu’on Soit sûr d’avoir bien Vû toutes les parties de L’objet à decomposer. Or, à cet egard, les secours sont multipliés : Si les objets sont presents, nous les examinons par la Vûe, L’oûie, l’odorat &.; S’ils sont absents, La main en figure les Contours ; l’imagination les Colore ; la mêmoire en Rappelle toutes les parties ; les Paroles mêmes qui expriment ce que nous en repro­duisons, Concourent par la Liaison existante entre les signes et les idées, à rappeller ce que nous avons oublié. Ensorte que les sens, La mêmoire, Limagination et la parole Servent de Concert à determiner l’attention et à fixer la reflexion.

(+) aulu-gelle rap­porte que pour se de­livrer des dis­trac­tions dont la vûe peut etre la Cause, De­mo­crite se creva les yeux, ce­pend.t Plu­tarque nie ce fait, trop ex­tra­ord.re à la verité pour etre croyable.

 

|[341] 65. il est Vrai que ces mêmes ressources deviennent quelques Fois des obstacles, en offrant tout à coup des idées Contraires à celles dont lesprit devoit s’occuper : ce qui frappe L’oreille, distrait malgré soi des Sensations que la Vûe Transmet, et une idée futile, interrompt sou­vent une Meditation profonde. aussi quelques Philosophes ont-ils decidé, d’après ces faits, que les Sens ne pouvoient que nous distraire, et n’ont pas hesité en Consequence, de conseiller des precautions d’une austerité peu propre à leur faire des Proselytes : (+) mais on peut dire à cet egard, que tout ce qui est Capable de nuire à la reflexion, l’est aussi de la fixer et de la soutenir ; et que par Consequent, pour mediter avec fruit, il est inutile de s’enfoncer dans des Souterrains et de n’y Souffrir que la l[u]eur dune L’ampe, comme ces Philosophes L’ont Conseillé.

 

Tout Change­ment inopiné nuit à la re­flexion.

 

66. L’experience a prouvé que le bruit le plus leger, ou La moindre Lueur suffisent pour distraire, Lorsqu’on est dans /le silence et/ L’obs­curité ; Comme le silence et |[342] l’obscurité suffisent, de leur coté, pour Procurer des distractions, Lorsque, pendant le Jour, on est au milieu du bruit. parce que ces Causes Contraires produisent le même Effet, il suffit qu’elles agissent, Lorsqu’on S’attend le moins à leur action. Ce qui vient de ce que les idées, se Liant naturellement avec chacune des Situations où l’on peut se trouver ; il ne peut rien survenir de Contraire à cette Si­tuation, que l’ordre et la Suite des idées ne soient aussitost imterrompus, lorsque toutes fois on n’a pas dû naturellement s’attendre à quelque changement.







tout autre Change­ment peut la Fa­voriser

 

67. il n’y a donc Proprement que des revolutions inopinées, qui soient Capables de nous distraire ; et l’on peut dire, quant à tous les autres changements, que bien Loin d’etre des objets de distraction, ils nous appliquent plus fortement à l’objet de nos reflexions. la raison de ce Phenomene se prend de ce qu’il n’est pas d’objets auxquels nous ne Puissions Lier nos idées, et |[343] qui, par là, ne soient propres à faciliter l’exercice de la mêmoire et de L’imagination : Les Poëtes nous en four­nissent la preuve : rien ne les inspire autant, que l’aspect des Campagnes, malgré qu’elles presentent la plus grande varieté : Ce n’est partout que Coteaux abondants, plaines arides, rochers escarpés, belements de Trou­peaux, silence des bois, Concert d’oiseaux, danses de Bergers &.a ; mais Liés aux Belles idées de la poe̎sie, tous ces objets doivent naturellement les reveiller, et produire des Effets que Vainement on attendroit des in­fluences de la solitude. Tout Consiste donc à sçavoir former des Liaisons analogues au But qu’on Se propose, et aux Circonstances où l’on se trouve, ainsy peu de chose ne distrait, que parce qu’on est peu accoutumé à reflechir.

les idées in­tellec­tuelles Comme les sen­sibles peuvent egale­m.t nuire à la re­flexion ou la fa­voriser


Cas où il faut ecar­ter les premiers

 

68. Les idées, soit intellectuelles, soit sensibles, peuvent nuire à la reflexion aussi, ou Lui etre utiles, suivant les rapports qu’elles ont avec les choses dont on veut actuellement S’occuper : il |[344] faut par Con­sequent les Ecarter et les fixer Tour à tour ; à mesure qu’elles ont plus ou moins d’analogie avec L’objet de notre reflexion. ainsy Lorsqu’on veut reflechir Sur des choses Sensibles, il faut retenir L’imagination ; et cela n’est pas toujours aisé : il arrive Souvent au Contraire, que, plus nous voulons ecarter les idées dont elle traverse notre meditation, plus ces idées se montrent obstinément. mais, pour se Tirer d’un pareil embarras, on trouve du Secours dans toutes Ses facultés : il faut regarder alors avec effort l’objet qu’on veut etudier, le toucher, designer de la main toutes Ses parties, se dire à haute voix tout ce qu’on y remarque ; d’un autre coté, on determine la mêmoire à rappeller L’idée de Semblables objets, à reveiller les impressions qu’ils ont faites, et les Jugements qui en ont été le resultat ; enfin on tache d’ecarter en même Temps, toutes les choses sensibles dont la presence est Capable |[345] de nous distraire. avec de tels moyens, on devient ordinairem.t maitre de son imagination ; et Comme il n’en est pas d’autres, sil arrive qu’ils Soient quelques fois insuffisants, il ne reste plus qu’à Laisser L’imagination Se ralentir d’elle-même.

... les Secondes

 

69. Lorsqu’on veut mediter sur des idées intellectuelles, il faut Se deffendre des sensations qui n’ont aucun Rapport avec ces idées, et se rendre attentif à toutes celles qui leur Sont analogues. Or, retraçant les sensations, Comme Si l’objet en etoit present, L’imagination, dans ce cas, peut egalem.t procurer de grands Secours, et Causer de grands embarras ; par la reproduction des idées qui ont des rapports avec l’objet medité, elle Fixe fortement l’attention ; mais elle la dissipe Considerablement aussi, en reveillant celles qui sont etrangeres à Cet objet : on doit, dans ce dernier Cas, se Conduire de la maniere indiquée dans le paragraphe precedent.

precision des idées, exac­titude des signes, me­thode, autres moyens de reg­ler la re­flexion

 

70. enfin la precision des idées, l’exactitude des signes, et l’ordre dans lequel on presente les choses, sont trois autres grands moyens, pour ap­prendre à bien |[346] Conduire la reflexion. Or on donne de la Precision aux idées, en se rendant separément attentif à chacune des Sensations qu’occassionnent les objets ; on a vû ailleurs (1. tr. 90.) Comment on Parvient à ne pas Se meprendre dans la valeur des signes ; et l’on dispose enfin les objets dans l’ordre Convenable, en Faisant des analyses exactes. (ib. 91.)



les mathe­matiques leur doivent la Superiorité quelles ont à cet egard

 

C’est à ces trois moyens que les Mathematiques sont redevables en grande partie, de la superiorité qu’elles ont dans l’art de Conduire la reflexion. les idées dont elles S’occupent, sont d’autant plus precises, qu’elles Sont Toujours abstraites : Separées de tout, elles ne peuvent se Confondre avec rien ; les signes qu’elles employent, Sont d’autant mieux determinés, qu’ils Sont plus simples ; Et enfin l’ordre qu’elles Suivent, lorsqu’elles cherchent à decouvrir la Verité, est celui qu’indiquent la decomposition et la recomposition des objets qu’elles Traitent. or dèsquil en est ainsy, on doit nécéssairem.t se trouver dans le chemin qui conduit au But ; et dans ce Cas, s’entretĩnt-on [347] avec tout ceux qui passent, on se retrouve Toujours dans la bonne Voie, et l’on peut Continuer Sa route, avec la Confiance d’arriver au Terme.