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Première Partie. Des idées

 
Table des matières

 

1.re Partie. 1.er Traité

1.re Section. Chap. 1-6

1.re Section. Chap. 7-11

2.me Section. Chap. 1-4

2.me Section. Chap. 5-8

Introduction

 

2.me Traité. Logique

1.re Partie

2.me Partie

3.e Partie

4.e Partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.re Partie.

Des idées.

 

idées

 

Comme il seroit inutile de repeter les articles du traité precedent, relatifs aux idées, nous ne mettrons ici, que ce qui |[281] n’a pas été dit. il suffit donc de rappeller simplement que les idées ne sont que les Sensations Considerées comme representant les objets.

   

 

 

   

Chapitre 1.er

Des differentes Especes d’idées.

 

Division des idées

 

8. Les idées Se divisent : 1.o En Sensibles et intellectuelles ; 2.o en immediates 3.o En et mediates ; 3.o en individuelles, Générales et abs­traites ; (1. traité n.os 30.–31.). 4.o en Simples et Complexes ; 5.o en com­plettes et incomplettes, ou adequates et inadequates ; 6.o en absolues et relatives ; 7.o en claires et obscures ; 8.o en vraies et fausses.

idées sensibles et intellectuelles

 

9. les idées Sensibles nous representent les Objets qui agissent actuelle­ment Sur nos Sens, et les intellectuelles, ceux qui ont disparu, après avoir fait leur impression. Ces idées ne different les unes des autres, que Comme le Souvenir differe de la sensation. plus on a de mêmoire, (et l’on en a toujours plus, à mesure qu’on l’exerce d’avantage.) plus on est ca­pable par Consequent d’acquerir des idées intellectuelles, ou, ce qui revient au même |[282] de devenir Sçavant ; Car ces idées sont le fonds de nos Connoissances, comme les idées Sensibles en Sont l’origine.

.. immediates et mediates.

 

10. les idées immediates sont celles qui viennent immediatement des impressions que font les objets Sur les organes ; et les idées Mediates sont celles qui se forment des premieres, par le moyen de quelque operation de l’esprit : Cest ainsy, par exemple, que des idées immediates de Montagne et d’or, on se fait l’idée d’une montagne D’or : les idées abstraites sont mediates.

simples & Com­plexes

 

11. on appelle idée Simple toute sensation Considerée Seule ; et idée complexe, la reunion de plusieurs sensations. Telle est l’idée d’un etre quelconque existant dans la nature. une sensation Prise Separément est dite Simple ; Parce qu’en effet on ne distingue point des Parties dans les Couleurs, les saveurs &.a le plaisir et la douleur &.a (ib. 38.).

differences à re­mar­quer entre les idées Com­plexes.

 

Parmi les idées complexes, les unes sont Composées de sensations dif­ferentes : telle est celle d’un Corps quelconque ; les autres le sont de sen­sations uniformes, ou |[283] Plustost de la repetition determinée ou in­determinée d’une même Sensation : Telle est d’un Coté, L’idée abs­traite de L’etendue ; et de l’autre, L’idée du metre, qui n’est que la per­ception du Decimetre, prise dix-fois.

Les idées Complexes qui Se forment de Sensations differentes, Sont elles-mêmes de deux especes : celles des etres rééllement existants, et celles de ceux qui ne sont qu’une Creation de l’esprit, Tels que Lhomme, la Gloire, le courage &.a (ib. 82.).

- - entre les idées simples et les idées Com­plexes









Notions.

 

il y a deux differences à remarquer aussi entre les idées Simples et les idées complexes : 1.o l’esprit est purement Passif dans la Production des premieres : il ne pourroit pas se donner L’idée d’une couleur qui n’a Jamais été vûe ; Comme il ne peut point ne pas l’avoir, lorsque cette couleur frappe les yeux. il est actif au Contraire dans la Génération des dernieres : il doit pour les avoir, se rendre tour à Tour attentif à chacune des idées Simples qui les Composent, pour en Saisir le nombre, les rapports et l’ensemble pour marquer dans le Langage, cette premiere difference entre les idées simples et les idées Complexes, on appelle celles-ci |[284] Notions. 2.o L’excès d’une idée Simple sur une autre est incommensurable et il peut etre mesuré dans les idées Complexes. La Raison de cette difference est fondée Sur ce que les Premieres ne sçau­roient etre divisées ; (ib. 38.) et qu’on compte Facilement les parties des autres : on Connoit, par exemple, quelles idées sont attachées de plus au mot, argent, qu’au mot Etain : mais on ne peut pas apprecier la difference de leurs Couleurs ; parce que la perception en est Simple et indivisible.

idées complettes et incomplettes.

 

12. Les idées Complettes ou adequates representent toutes les qualités des choses ; les incomplettes ou inadequates, au contraire, n’en re­pre­sentent qu’une partie. Sur quoi il Faut observer : 1.o que ces denomi­nations ne peuvent convenir qu’aux idées complexes ; les simples n’ayant pas des parties, (sup.) ou sont en entier, ou ne sont pas du tout ; 2.o que, ne Connoissant pas la nature des etres rééllement existants, (1. tr. 82.) il n’en est pas dont nous puissions nous faire des idées Complettes ; mais nous |[285] Pouvons avoir de ces sortes d’idées Sur les objets qui sont de la creation de l’esprit. (ib.)


Absolues et re­la­tives

 

13. Les idées, tant Simples, que complexes, peuvent etre considerées seules, ou comme Subordonnées à d’autres idées : dans le premier Cas, elles Se nomment absolues, et relatives, dans le Second.

claires et obs­cures

ces denomi­nations ne peuvent pas S’ap­pliquer
aux idées.

 

14. en donnant aux idées les denominations de Claires et obscures, mots qui S’appliquent proprement à la Vûe, on a voulu signifier que, dans nos idées, il y a quelque chose qu’on peut Comparer à la clarté et à L’obs­cu­rité des objets visibles ; mais, en y regardant de près, on trouve que ces manieres d’etre ne sçauroient point Convenir aux idées.

 

Les idées en effet sont ou Simples ou Complexes ; Or Comment y auroit-il de l’obscurité dans les premieres qui ne Sont qu’une Sensation Con­si­derée Separément, et dans laquelle on ne peut pas distinguer des Parties ? (11.) Peut-on concevoir qu’on ait la sensation du rouge, par exemple, et qu’on ne voye pas distinctement du rouge ? ce seroit avoir une idée, et ne l’avoir pas. les idées Complexes n’etant, d’un autre coté, |[286] qu’une Collection d’idées Simples, ce qui a été dit de celles-ci, ne peut que l’etre aussi des premieres.

Causes qui les leur ont fait at­tribuer.

1.re Cause.

 

15. mais S’il est Vrai qu’en Soi, les idées ne Sont pas Susceptibles d’obscurité, il est Constant aussi qu’elles ne sont pas toujours enoncées avec clarté ; et Parce qu’on n’a pas assès exactement distingué les idées, de ce qui n’en est que l’expression ; il est arrivé qu’on a mis Sur le Compte des unes, ce qui n’appartient qu’à L’autre. Les idées de la même espece peuvent avoir une infinité de nuances ; et Souvent on n’a qu’un Terme à appliquer à cette Varieté ; L’expression sera donc nécéssaire­ment obscure, mais cette obscurité seroit mal à Propos attribuée à l’idée.



2.me Cause

 

16. une Seconde Cause de cette distinction des idées en claires et obscures, c’est que l’on employe Souvent des expressions Consacrées, à la verité, par l’usage ordinaire, mais Contraires à l’exactitude Philo­so­phiqu[e.] nous sçavons par exemple, que les corps ne sont que la Cause de nos Sensations ; et quil n’y a rien en eux qui ressemble à ce que nous Eprouvons : (66.) le feu |[287] n’a pas le Sentiment du Chaud, non plus que la Rose celui d’une odeur ; Lorsqu’une Aiguille nous Pique, nous ne Croyons pas quil y ait en elle de la douleur, &.a cependant, par une Suite de L’habitude où nous Sommes de rapporter nos Sensations au dehors, et de les Regarder Comme les qualités de ce qui n’en est que l’occassion, (ib.) nous disons, tous les Jours, avec le Peuple : le Feu est chaud ; la Rose sent bon ; la Neige est blanche &.a ; et, parce que nos Jugements sont ainsy exprimés d’une maniere obscure, nous nous imaginons ensuite que cette obscurité retombe Sur les idées qui les Composent.


3.e Cause.

 

17. une autre Cause encore de L’obscurité attribuée aux idées, et qui Ne Tient quà l’expression, Comme les precedentes, c’est que, quand il S’agit d’une idée complexe, on oublie quelquefois d’exprimer quelqu’une des idées simples qui la Composent. il arrive par consequent Alors qu’on ne Peint pas tout l’objet ; et l’on dit que L’idée en est obscure ; il est Cepen­dant incontestable que, même alors, rien n’est obscur dans l’assemblage |[288] d’idées Simples qu’on a reunies et enoncées.

raisons par les­quelles on a vou­lu Justifier Ces Denomi­nations

 

 

18. Pour Justifier la division des idées en Claires et obscures, on a eû recours à des Comparaisons : on a dit qu’il en est d’une idée, comme d’un Portrait peu ressemblant, et que, comme dans ce cas L’on dit du portrait, que la ressemblance ne S’y montre pas Clairement, on peut dire aussi de Lidée, qu’elle n’est pas claire ; mais Si l’on penetre un peu avant dans cette pensée, on verra qu’au lieu de dire que la Ressemblance n’est pas claire, il faut dire que, par certains endroits, le portrait est conforme à L’original, et que, par d’autres, il ne l’est Pas : on doit Convenir encore que les endroits par lesquels il ne ressemble point, Se voient aussi claire­ment que ceux par lesquels il ressemble. or il [il] en est exactement de même d’une idée complexe, lorsqu’on la Rapporte à quelque chose d’exterieur, comme à un modele : quelqu’unes des idées simples qui la Composent, Peuvent n’etre pas Conformes aux parties correspondantes du modele ; mais cela ne fait point qu’en soi, ces idées soient obscures.

Verité.




Contingente.

 

19. La Verité n’est qu’un rapport |[289] apperçu entre deux idées ; et il y a deux Sortes de Verité : Lorsque Je dis : Cet arbre est plus grand que cet autre, Je porte un Jugement qui peut Cesser d’etre Vrai, parce que le petit arbre peut devenir plus grand que l’autre. il en est de même de tous les Jugements relatifs à des qualités qui ne Sont pas essentielles ; et les veri­tés qui en Sont le resultat, se nomment Contingentes.



Nécéssaire.

 

Mais, Lorsqu’on Juge des qualités qui Constituent L’essence des Choses, ce qu’on reconnoit de vrai, ne peut cesser de l’etre ; et ces sortes de verités S’appellent Nécéssaires ou Eternelles. ainsy lorsque Je re­mar­que qu’un corps est Triangulaire Je porte un Jugement qui peut devenir faux ; parce que ce Corps peut changer de figure ; mais Lorsque J’observe qu’un Triangle a trois cotés, mon Jugement est vrai, et le Sera toujours ; parce que trois Cotés determinent Tellement l’idée du Triangle, qu’elle n’est que par Eux. Passons maintenant à La division des idées en Vraies et fausses.

Contestation des p̃phes sur la Ve­rité et la fausse­té des idées

 

20. Les Philosophes ont contesté Longuement Sur la Verité et la |[290] fausseté des idées : Certains Pretendent que toutes les idées Sont vraies ; d’autres veulent qu’il puisse y en avoir de fausses, et enfin d’autres ont dit qu’elles ne Sont ni vraiéés ni Fausses. Cette diversité Si mar­quée, prend Sa Source dans la maniere de Considerer Les idées : Les uns les envisagent uniquement en elles-mêmes ; Les autres dans un Certain rapport aux objets exterieurs qu’ils regardent Comme des modeles dont elles doivent etre les Copies ; et enfin les Troisiemes veulent qu’on exa­mine si ce qui Constitue la verité et la fausseté en général, peut s’appli­quer aux idées. or il resulte de l’examen des debats, que toutes les parties ont raison, et que leur Contestation n’est qu’une dispute de mot, L’hypo­theze Suivante en fournit la preuve.

Elle n’est qu’une dispute de mots.

 

Supposons-nous au milieu de trois hommes dont chacun deffend une opinion differente de celle de chacun des autres ; et presentons leur le Portrait mal rencontré de Bonaparte. ne considerant ce Tableau que comme une Copie, L’un dira, et il aura raison : voila un Portrait qui manque de Verité. L’autre qui |[291] ne Considere le Tableau qu’en Soi, repond qu’il represente veritablement un Général, et il n’a pas tort. le troisieme parle à Son tour, et declare, aux deux Premiers qu’ils Se Trompent L’un et L’autre. Rien, leur dit-il, n’est vrai ou faux, qu’autant qu’on Affirme que deux choses incompatibles conviennent entr’elles, ou que deux choses qui Se Conviennent, sont incompatibles ; or ce Tableau ne peut rien faire de pareil ; et ce troisieme a raison encore.

En remplaçant le Tableau par une idée, on se fera celle de la question, et l’on verra aussitost qu’ainsy que nous l’avons dit, le differend ne Tombe que Sur des mots. Si L’on veut en effet que la verité ou La Fausseté des idées, depende de leur Conformité avec les objets exterieurs, il y aura des idées vraies et des idées fausses : Celui, qui, par la presence d’un Loup, aura L’idée d’un chien, aura une idée faussé ; mais cette même idée sera Vraie, et il ny en aura Jamais de fausses, si |[292] sans aucun Egard aux objets Exterieurs, elle n’est Considerée qu’en Soi. Enfin les idées ne Seront ni Vraiéés, ni fausses, Si l’affirmation et la negation sont regardées Comme les Caracteres essentiels de la Verité ou de la Fausseté. dans ce Cas, rien n’est en effet Faux ou vrai, qu’autant qu’on porte quel­que Jugement ; et il est Clair que les idées ne Jugent pas. toute la dispute roule par consequent Sur le mot verité, qui appliqué aux idées, a été pris en divers Sens.


La Verité des idées ne peut pas dependre de leur Con­formité avec quelque chose d’ex­te­rieur.

 

21. Mais, Si, reprenant la question, on vouloit s’accorder Sur les termes et decider, il faudroit revenir Sur nos Pas, et rappeller ce qui a été dit de nos Connoissances, relativement à la nature et à l’existence des Corps. il nous est evident quil y a hors de nous, des objets qui Sont la Cause de nos Sensations ; (1. tr. 181.) que nous rapportons ces Sensations à ces objets ; que par Consequent nous ne pouvons appercevoir au dehors, que nos Propres modifications ; (ib. 66.) et qu’enfin il ne nous est pas donné de Connoitre la nature des Corps. (ib. 82.). Or, cela etant Constant, il l’est |[293] aussi que nous ne Pouvons pas Comparer nos idées à des modeles exterieurs ; et de là il Suit que, parlant rigoureusement, on ne peut pas faire dependre la Verité des idées de leur Conformité avec quelque Chose d’exterieur ; puisqu’il n’est rien hors de nous, qui ressemble à ce qui [est] en nous.

La verité et la fausseté sont des modifi­cations qu’on ne peut at­tribuer aux idées.

L’erreur qu’on croit voir dans les idées ne peut pas etre imputée aux Sens.




Elle doit l’etre à notre irre­flexion

 

22. Cependant, par une Suite de l’erreur qui nous fait nous depouiller de nos Sensations, pour en revetir les objets qui n’en sont que la Cause, on suppose Certaine l’existence de ces modeles, on leur Compare les idées, et, d’après le resultat de la Comparaison, on les Juge vraies ou fausses ; mais il est aisé de voir Combien ces Jugements sont illusoires, et Com­bien encore on a Tort de mettre sur le Compte des Sens, la Cause des Erreurs qu’on croit Voir dans les idées. il ny a aucune erreur dans ce qui se passe en nous, lorsque nous avons une sensation : La Sensation est un fait evident à notre Conscience ; et demander si les idées sont Vraies, C’est, en Langage Philosophique, demander si l’on sent, quand on a |[294] une Sensation. il est encore très vrai que nous rapportons la Sen­sation à quelque chose hors de nous ; mais ce qui est une Erreur, C’est qu’au lieu de croire Simplement que les Corps ne Sont que la Cause de nos Sensations, nous Jugeons qu’elles leur appartiennent Comme qua­li­tés. (ib. 66.) ; ainsy lorsque la presence d’un Bâtiment vû dans le Loin­tain, excite en moi une idée de rondeur, il n’y a aucune Erreur dans ce qui Se passe alors dans mon ame, ni dans le rapport que Je fais de L’idée à un objet exterieur comme occassion ; mais Je Juge ensuite que le Bâtiment est rond ; et C’est Là qu’est l’erreur : vû d’une autre distance, ou Touché, ce bâtiment me paroitra quarré ; mais cette Erreur, ainsy que nous L’avons dit ailleurs, (ib. 148.) ne doit pas etre imputée qu’à notre ir­reflexion, et non point aux sens, ni aux idées.

Il Faut se con­for­mer Jusqu’à un certain point au Lan­gage reçu Sur la verité et la fausseté des idées.

 

23. La Verité et la fausseté ne sont donc pas des modifications qu’en Langage Philosophique, on puisse |[295] attribuer aux idées ; Cependant, comme dans le Langage ordinaire, il est reçu de dire que les idées sont vraies ou fausses, et qu’on en fait dependre La Verité ou la Fausseté, de leur Conformité à un modele qu’on Suppose existant au dehors, il faut Ceder Jusqu’à un certain point, à la force de L’usage. Ce modele pour les idées complexes, est L’ensemble des idées Simples que le Général des hommes reconnoit etre excitées par la presence de chaque espece d’ob­jets. mais on ne doit pas oublier que de nouvelles observations pouvant, chaque Jour, faire decouvrir de nouvelles qualités dans les objets, il ne Faut Jamais Regarder le modele Comme invariable ; et que, dans le Cas où L’on verroit des idées s’en eloigner, il faudroit verifier, avant de les accuser d’erreur, si de nouvelles observations n’ont pas authorisé les variations qu’on auroit remarquées.il est inutile, Sans doute, de faire observer qu’on ne parle, ici, que des idées qui se rapportent aux objets existants dans la nature : on Sçait que |[296] ceux qui ne Sont qu’une Creation de L’esprit, Sont parfaitement Connus : (ib. 82.) le modele est par Consequent, dans ce cas, essentielle­ment invariable ; et l’on peut hardiment Prononcer, dèsqu’on la Comparé avec exactitude.

idées archetypes

 

Les idées relatives à ces Sortes d’objets, etant si differentes de celles qui Se rapportent aux Substances, C. à. d. aux etres rééllement existants, on les a distinguées de celles-ci par un nom qui exprime cette proprieté qu’elles ont d’etre des modeles, d’après lesquels on Juge de certaines choses : Ce nom est, archetypes, mot Grec signifiant, Ce qui sert de modele.

   

 

 

   

Chapitre 2.

De L’enonciation des idées.

 

mots, signes des idées

 

24. Les idées, quelle que Soit leur espece, Sont ordinairement enoncées, chacune Par un Seul mot. Odeur, Lion, Courage expriment trois idées, et toutes trois bien differentes : la premiere est Simple, et les deux dernieres, Complexes ; mais representant, L’une, un etre rééllement existant, et l’autre, une simple Creation |[297] de l’esprit. (11.) Les mots, Signes des idées complexes, renferment la Collection des idées simples dont Se forme L’idée totale de chaque objet. (1. tr. 79.). Or ces Collections etant pour nous, l’essence des Choses, (ib. 81.) il S’ensuit que les mots qui Sont les Signes de ces Collections, expriment des essences réélles ou Nominales, (ib. 82.–88.) c. à. d. qu’ils designent la nature des Choses.


Definitions

 

25. Mais les mots ne Sont qu’un vain Son, pour ceux qui n’en Com­prennent pas le sens; et alors, pour se faire entendre, il faut substituer aux mots non compris, d’autres mots qui le soient, et qui fassent naître dans l’esprit de L’auditeur, les idées renfermées dans les Signes qu’il ne com­prend pas ; et c’est ce qu’on appelle definir.

Les definitions etant d’un usage très etendu, les Logiciens ont dû Par­ti­culierement S’occuper des moyens de les rendre le plus utiles qu’il etoit Possible ; et ils en ont en effet très Longuement traité. mais, faute d’avoir assès reflechi Sur les idées, ils ont mal caracterisé la definition ; |[298] ils n’en ont pas bien dirigé L’usage ; ils ont accordé trop de confiance aux regles qu’ils avoient etablies ; et ont enfin cru que les definitions etoient un moyen exclusif de bien faire. nous allons signaler ces defauts pour apprendre à les eviter.


Elles n’ex­pliquent pas la nature
des Choses.

 

26. ils ont d’abord distingué deux especes de definition : definition de noms et definition de choses. celle-ci, d’après eux, explique La nature des choses, et ils donnent pour exemple, cette definition : L’homme est un animal raisonnable. Cependant, pour peu qu’on y reflechisse, on verra que le seul defaut de cette assertion n’est pas d’annoncer l’explication d’une chose qui ne sçauroit etre Connue, C. à. d. L’essence ou la nature des etres rééls ; (1. tr. 82.) mais qu’elle distingue encore ce qui ne doit pas etre distingué. que fait-on en effet dans l’exemple rapporté ? par les mots Animal et raisonnable, on fait connoitre, et assès mal même, La signifi­cation du mot, homme, et rien de plus. ce mot, à la verité, (et il en est de même de tout autre) est le Signe de la Collection des idées Simples qui Constituent |[299] pour nous, L’essence ou la nature de L’homme ; (ib. 87.) Mais les deux mots qu’on lui a Substitués, ne font que decouvrir le Sens qu’il renferme, Comme il en arrive dans toute autre definition ; et alors il n’en falloit pas distinguer deux especes.

Genre et diffe­rence dans les de­finitions

1.re regle.

 

27. La regle que les Logiciens recommandent plus particulierement est, que la definition doit renfermer le Genre et la difference de la Chose Sur laquelle elle Tombe : Ce qui veut dire qu’il faut y employer le nom de la Classe générale, à laquelle appartient L’individu qu’on veut faire Con­noitre, et les mots qui expriment les Caracteres qu’on a Considerés, pour former la Classe Particuliere ou l’espece, dans laquelle se trouve cet in­dividu ; C’est ainsy que, pour definir L’homme, on a dabord pris le mot, Animal, nom de la classe générale ou du genre, et Ensuite le mot, Raison­nable, par lequel est exprimée la difference qu’on a remarquée entre les individus composant la Classe générale, et qui constitue le Caractere de l’espece.




L’Ennumeration des idées sim­ples reunies dans le nom des ob­jets est pre­fe­rable aux de­fi­ni­tions

 

28. On convient, sans peine, que |[300] Cette maniere de faire Connoitre la Signification des mots, ou de definir par le Genre et la difference, est très courte ; mais il est aisé de voir aussi qu’elle n’est pas L’unique, et encore moins la plus Claire. L’Ennumeration de toutes les idées Simples reunies dans le nom dont on veut faire Connoitre la Signification, seroit infiniment preferable. ainsy dans le Cas actuel, par exemple, l’esprit est bien moins Satisfait de la definition rapportée, que de la Suivante : L’homme est une Substance Solide, etendue, qui a de la vie, du Sentiment, un mouvement Spontané et la faculté de raisonner. il n’etoit donc pas nécéssaire de recourir aux mots, Animal et Raisonnable, genre et dif­ference de la definition, mots qui, definis eux-mêmes, devroient designer les idées dont on a fait L’ennumeration pus haut ; mais en employant ce moyen, on abrege, et Souvent on s’epargne la honte de laisser voir qu’on n’est pas Capable de faire une Telle Ennumeration. Si cependant il est vrai que, pour bien connoitre un objet, il faut le decomposer, C. à. d. en |[301] faire L’analyse, (1. tr. 90.–91.) on ne Sçauroit pas non plus douter que, pour le faire Connoitre aux autres, par le moyen de la Parole, on puisse avoir un meilleur moyen, que celui de donner le detail de toutes les idées simples que, par la decomposition, on a trouvées dans cet objet.


Clarté, 2.e Regle des definitions.



Convenir à tout le defini 3.e Regle ; mais inappli­cable.

 

29. Une autre regle de la definition, c’est qu’elle doit etre claire. ce precepte S’applique en général à tout ce qui est relatif au Langage, puis­qu’on ne parle que pour etre entendu, et que L’obscurité est un obstacle à ce qu’on le soit ; ainsy cette Loi pouvoit et [et] devoit etre Suivie, avant même d’etre Publiée ; et C’est ce que n’ont pas toujours fait ceux qui l’ont proclamée : nous citerons en preuve de ce fait, la definition qu’ils ont donnée du mouvement : C’est l’acte d’un etre en puissance, en tant qu’il est en puissance : Est-il possible, dit Loke, de voir un plus fin gali­mathias ?

30. il faut encore, pour la regularité d’une definition, ajoute-T’on, qu’elle Convienne à tout le defini et à rien |[302] qu’au defini. mais en donnant cette regle, on auroit dû noter qu’il n’est Jamais possible de S’assurer qu’on Connoit tout le defini, Puisqu’il peut chaque Jour etre mieux connu ; Et nous dire qu’en Consequence il se peut qu’une defi­nition, bonne hier, Ne le soit pas demain ; puisqu’il est très possible que de nouvelles observations fassent decouvrir de nouvelles qualités dans L’ob­jet defini.

Les idées simples ne peuvent pas etre definies.

 

 

31. Ces regles etablies, on crut que la definition pouvoit S’appliquer à tout, et qu’elle devoit tout rendre plus clair. on L’appliqua en Conse­quence même aux idées Simples qui non Seulement sont Toujours plus claires, que toutes les definitions ; mais qui encore ne peuvent Jamais etre definies. Toute definition en effet renferme plusieurs mots, et ces mots differentes idées ; or les idées simples n’ont aucune composition ; elles ne Sont chacune qu’une seule sensation ; (11.) les mots et les idées de la definition doivent donc Tomber à Vide, lorsqu’ils Sont appliqués à une idée simple.

Erreurs où Tombent ceux qui n’ont pas fait cette observation

 

aussi les plus grands maitres dans l’art de definir, ont-ils été forcés de Laisser plusieurs de ces idées sans definition, et n’ont |[303] fait qu’ac­coupler des mots inintelligibles et inapplicables, dans les cas mêmes où ils pretendent avoir reussi : on L’a Vû dans la definition du mouvement rapportée Ci dessus ; et on peut le voir encore dans celle de la Lumiere qu’ils definissent : L’acte du Transparent en tant que Transparent. d’autres partisans de la definition scolastique ont dit, il est vrai, que la Lumiere est un grand nombre de petits globules qui frappent le fonds de L’œil ; mais, quoique moins obscure que les premiers, ces mots ne peuvent pas plus donner L’idée de la Lumiere, que ?? /la Connoissance/ de la figure et du mouvement d’une Epingle, ne donnent L’idée de la douleur produite par cette epingle. Ces definitions font Connoitre la Cause de la Sensation, mais non pas la Sensation elle-même ; et c’est ce qu’il faudroit cependant, pour faire connoitre l’idée simple qui n’est que la sensation Considerée separément (11.).


aucune com­bi­nai­son de mots ne peut ex­citer une idée Sim­ple, si elle n’est deja entrée dans l’es­prit par L’or­gane au­quel elle est analogue

 

32. Les mots ne sont que des sons |[304] incapables d’exciter aucune idée, autre que la Sensation quils Font par eux-mêmes ; et cette sensation est uniquement relative à L’oûie dont ils frappent L’organe : s’ils font quelque chose de plus, C’est en vertu de la Liaison qu’on reconnoit avoir été etablie entre les idées, et Eux, en tant que Signes. (1. tr. 215.) il n’y a donc aucune Combinaison de mots qui soit propre à exciter une idée, si L’on ne l’a deja reçue par la Porte naturelle, C. à. d. par L’organe qui lui est analogue ; et Si l’on n’a deja adopté ces mots, comme signes de cette idée. Supposer le Contraire, seroit Pretendre que nous pouvons eprouver des Sensations de Saveur, de son ou de Lumiere, par le moyen de L’oreille ; ce seroit assurer avec L’Ecuyer de Don quichote, qu’on a Vû quelqu’un par oui dire.

Or quand on a eprouvé des sensations et qu’on les a Liées à des sons, Comme Signes, il Suffit de repeter le signe, ou son synonime dans une autre Langue, |[305] mais, pour donner L’idée, lorsqu’encore on n’a connu que Le mot qui en est le signe, il faut absolument frapper le Sens par L’objet qui produit la Sensation que ce mot doit signifier. dans ce cas Là, on ne feroit Jamais avec des definitions, que ce que fit un aveugle-Né qui, ayant pretendu s’etre donné L’idée des couleurs, en entendant Lire des ouvrages qui en Traitoient, repondit, lorsquil fut interrogé, que L’ecarlate ressembloit au son de la Trompette. ??


il n’en est pas de même par rap­port aux idées Com­plexes.

 

33. Ce resultat Sera Toujours celui de toutes les definitions appliquées aux idées Simples ; mais il n’en est pas de même à l’egard des idées Complexes. Comme elles Se composent d’idées Simples, les mots, Signes de celles-ci, peuvent rendre intelligible celui donné à leur ensemble, et nous faire former des idées analogues à celles qu’ont dans l’esprit, ceux qui Se servent de ces mots. mais Toujours faut-il, pour produire Cet effet, que les personnes à qui l’on parle, aient deja eû chacune des idées simples d’où resulte la Composition. ainsy L’on peut donner |[306] à un aveugle-Né la definition de la Statue, et en etre parfaitement compris. parce que le Tact a pû Lui donner toutes les idées Simples (celle des couleurs excep­tée.) dont se forme L’idée Complexe designée par le mot, Statue ; mais aucune Definition quelconque ne lui fera Jamais comprendre la Signi­fication du mot Peinture, parce quil n’a pû acquerir aucune idée de couleurs.